Skip to main content

Full text of "Bulletin littéraire et scientifique : revue critique des livres nouveaux"

See other formats


t 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/bulletinlittra1837cher 


REVUE    CRITIQUE 


£brw  nouveaux. 


■  «r~w  »Q«-<S»^  a  il  

DE  L'IMPRIMERIE  DE  REAL. 
A  Saiott-GarinaM-sn-Làrt. 


m 


LIVRES     NOUVEAUX 


PUBLIÉS  PENDANT  L'ANNÉE  1837, 


REDIGEE    PAR 


LIBRAIRIE      CHEFTBULIEZ  , 

Paris, 

RDI      SAINT-  ANDRE-DES-ARTS  ,      N°     68 

<Ëu,nct)f, 

ri;k  de  la  citk. 


BULLETIN  LITTÉRAIRE 

ET  SCIENTIFIQUE. 

£<~'  (JLuueej.  — jXf    /*eD.  —  Lxiwvcv     tOO 


0 


T 


LITTERATURE,  HISTOIRE. 


OEUVRES  DE  MOLIERE,  avec  1rs  noies  de  lous  les  commentateurs;  2e  édi- 
tion publiée  par  M.  L.  Aimé-Martin. —  Paris,  183;,  chez  Lefèvre.  4  vo- 
lumes in-8"  demi-compacts.  24  fr. 

Le  Molière  de  M.  Aimé-Martin  jouit  déjà  depuis  long  temps 
d'une  réputation  bien  méritée.  En  effet,  sous  le  titre  modeste 
de  Notes  de  tous  les  commentateurs  il  renferme  un  commen- 
taire tout  nouveau  qui  résume  et  complète  tous  ceux  qu'on 
possédait  jusqu'alors.  On  y  reconnaît  cette  pureté  de  goût , 
cette  délicatesse  de  sentiment ,  cette  sagacité  et  cette  finesse  qui 
distinguentM.  Aimé-Martin,  et  en  ont  lait  l'un  des  meilleurs  lit- 
térateurs de  notre  époque.  Il  a  choisi  tout  ce  qu'offraient  d'in- 
téressant les  notes  des  anciens  commentateurs,  et  y  a  joint  ses 
propres  observations,  qui,  exemptes  de  toute  pédanterie,  de 
toute  couleur  d'école  ,  présentées  avec  simplicité  et  empreintes 
d'une  vraie  admiration  pour  les  beautés  du  texte,  sont  un  bel 
hommage  rendu  au  génie. 

Le  théâtre  de  Molière,  ce  chef-d'œuvre  sublime,  le  plus 
beau  titre  de  gloire  littéraire  pour  la  France  ,  ne  vieillira  sans 
doute  jamais  comme  peinture  de  caractères,  parce  que,  sauf 
quelques  modifications  extérieures ,  la  nature  humaine  reste 
au  fond  toujours  la  même  ,  et  se  reproduit  à  toutes  les  épo- 
ques,  à  peu  près,  avec  les  mêmes  travers,  les  mêmes  pen- 
chants ,  les  mêmes  passions  Mais  dans  maints  détails  il  se  ren- 
contre des  traits  comiques  basés  soit  sur  les  mœurs  du  temps 
ou  sur  des  usages  qui  n'existent  plus  ,  soit  aussi  sur  des  dictons 
populaires,  sur  de  vieilles  anecdotes  ou  farces  dramatiques  j 
aujourd'hui  presque  entièrement  oubliées.  C'est  sur  ces  pas- 
sages-là qu'ont  principalement  été  dirigées  les  recherches  de 
M.  Aimé-Martin  ,  et  les  résultats  intéressants  qu'il  a  obtenus 
ajoutent  un  nouveau  charme  à  la  lecture  de  Molière  ,  dont 
on  ne  perd  plus  aucune  pensée  ,  aucune  intention  comique. 

Plus  on  relit  Molière,  plus  on  admire  son  inépuisable  verve, 
ainsi  que  sa  parfaitecon  naissance  ducœur  et  de  l'esprit  humain. 


2  LITTERATURE , 

On  voit  qu'il  étudiait  la  nature  avec  une  attention  soutenue, 
et  M.  Aimé -Martin  nous  le  montre  portant  sur  la  scène 
maintes  circonstances  de  sa  vie  privée  ,  peignant  dans  le  Mis- 
anthrope ses  malheurs  domestiques,  se  prenant  lui-même 
pour  modèle  du  personnage  d'Alceste,  et  ayant  en  vue  son 
ami  Chapelle  dans  celui  de  Philinte.  «  On  a  dit,  observe  le 
commentateur,  que  cette  opposition  de  caractère  était  une 
savante  combinaison  de  l'art;  c'est  mieux  encore,  c'est  une 
profonde  observation  de  la  nature!  » 

Cette  habitude  du  poète  de  chercher  ses  modèles  autour  de 
lui ,  dans  le  monde  et  dans  la  vie  réelle  ,  était  si  bien  connue 
de  ses  contemporains,  qu'on  vit  souvent  des  seigneurs  de  la 
cour  de  Louis  XIV  s'empresser  à  lui  fournir  des  traits  ridicules 
dont  il  pût  profiter  pour  quelque  nouvelle  comédie.  C'est 
ainsi  qu'il  a  pu  créer  des  chefs-d'œuvre  immortels,  et  traduire 
sur  la  scène  tous  les  travers  de  son  siècle  avec  une  vérité  de- 
vant laquelle  ses  ennemis  eux  mêmes  demeuraient  muets  d'é- 
tonnement.  Aussi,  est-ce  dans  ses  ouvrages  qu'il  faut  étudier 
l'art  dramatique,  plutôt  que  d'aller  puiser  ses  inspirations  dans 
les  ébauches  également  sublimes  sans  doute,  mais  encore  in- 
formes ,  d'un  siècle  plus  reculé.  Après  la  fièvre  anglo-ger- 
maine qui  a  régné  depuis  quelques  années  parmi  nos  jeunes 
littérateurs  à  la  mode  ,  il  me  semble  que  cette  nouvelle  pu- 
blication du  Molière  de  M.  Aimé-Martin  est  un  signe  favo- 
rable du  retour  au  bon  goût  et  aux  véritables  maîtres  ,  d'au- 
tant plus  qu'elle  fait  partie  d'une  collection  de  classiques  fran- 
çais qui  renfermera  tous  les  principaux  écrivains  de  cette  belle 
langue  si  claire,  si  pure,  si  éloquente,  à  laquelle  nos  témé- 
raires novateurs  ont  porté  tant  de  rudes  coups  de  massue,  et 
qu'ils  prétendaient  déjà  avoir  laissée  pour  morte  sur  le  champ 
de  bataille.  La  lutte  n'aura  sans  doute  pas  été  inutile.  Il  en 
restera  quelque  chose .  un  peu  moins  d'exclusisme  dans  le 
goût,  un  peu  plus  de  liberté  dans  l'allure  de  l'esprit.  Mais  les 
grands  écrivains  des  siècles  passés  reprendront  leur  place  au 
premier  rang  ,  et  l'on  reconnaîtra  peut-être  que  pour  s'asseoir 
à  côté  d'eux  il  ne  faut  pas  débuter  par  vouloir  les  renverser. 

M.  Lefèvre ,  l'éditeur  de  cette  nouvelle  Bibliothèque  clas- 
sique ,  est  un  des  libraires  qui  montrent  la  plus  intelligente 
activité  pour  multiplier  les  éditions  des  chefs-d'œuvre  de  la 
littérature  française.  Il  les  a  présentés  tour  à  tour  sous  les  formes 
les  plus  diverses,  depuis  l'in-32  jusqu'au  grand  format  à  deux 
colonnes.  Ses  collections  fournissent  ainsi  toutes  les  bibliothè- 
ques, depuis  les  plus  riches,  où  se  trouvent  ses  magnifiques 
in-8°  de  luxe,  jusqu'aux  plus  modiques,  où  ses  éditions  com- 
pactes, réunissant  le  double  avantage  d'être  à  bon  marché  et 
d'occuper  peu  de  place ,  ont  fait  entrer  la  plupart  des  bons 


HISTOIRE.  3 

écrivains  du  domaine  public.  La  nouvelle  collection  qu'il 
commence ,  et  qu'il  appelle  demi-compacte ,  est  imprimée 
avec  beaucoup  de  soin  ,  dans  le  format  in-8°  ordinaire;  les 
volumes  étant  assez  épais  ,  et  le  caractère  serré  ,  quoique  gros, 
le  prix  n'en  sera  pas  très  élevé.  C'est  une  heureuse  combinai- 
son destinée,  je  crois,  à  remplacer  avantageusement  ces  lourds 
volumes  à  deux  colonnes,  qu'on  ne  sait  comment  lire  ni 
comment  porter. 


ALBERT  LOVE  ou  I  Enfer,  poème,  par  M.  René  Clément.  Paris,  chez  OUi- 
vier,  1837;  in-8°,  6  fi\ 

Un  nouveau  poëme  de  l'Enfer  ,  après  celui  du  Dante ,  c'est 
bien  de  la  hardiesse,  et  l'auteur  eût  mieux  fait,  je  crois,  de  ne 
pas  donner  lieu  par  son  titre  à  une  comparaison  semblable. 
Mais,  du  reste ,  ce  n'est  pas  le  séjour  des  peines  éternelles  qui 
est  le  sujet  de  ses  chants  ,  c'est  plutôt  l'enfer  sur  la  terre,  cette 
existence  de  misères  et  de  douleurs  qui  n'est  que  trop  souvent 
le  lot  du  génie  ici-bas,  cette  lutte  continuelle  qu'il  est  appelé 
à  soutenir  contre  les  séductions  d'un  monde  trompeur  semé 
d'écueils  ,  ou  contre  les  obstacles  innombrables  qui  gênent  sa 
liberté  et  le  froissent  de  toute  part.  L'égoisme  et  la  vénalité , 
qui  régnent  aujourd'hui  avec  plus  d'effronterie  peut-être  qu'à 
nulle  autre  époque,  ont  rempli  le  poète  d'une  sainte  indigna- 
tion, et,  allumant  sa  verve  aux  flambeaux  des  Euménides  ,  lui 
ont  inspiré  une  boutade  violente  plutôt  qu'un  poëme.  Albert- 
Lové  est  un  type  dans  lequel  il  a  cherché  à  rassembler  tous  les 
traits  les  plus  caractéristiques  de  notre  temps  ;  c'est  une  ima- 
gination poétique  et  fougueuse  qui  succombe,  victime  de  ses 
élans  passionnés  ;  c'est  un  cœur  chaud  et  généreux  qui  vient  se 
glacer  au  souffle  impur  du  inonde;  c'est  un  esprit  avide  de 
savoir,  qui  ne  sait  trouver  dans  la  science  que  l'incrédulité  et 
le  néant. 

«Cependant,  tourmenté  par  de  durs  souvenirs, 
Ébranlant,  chaque  jour,  dans  ses  ardents  désirs, 
L'arbre  de  la  science  aux  racines  amères, 
Albert  ne  rencontrait  partout  que  des  chimères, 
Fantômes  creux  et  vaius  enfantés  de  la  unit, 
Que  l 'enfer  pétrissait  de  misère  et  de  bruit: 
Dans  les  livres,  beaucoup  d  amour  et  de  sagesse; 
Chez  les  hommes,  beaucoup  de  haine  et  de  bassesse 
Au  dehors  la  veitu,  mais  le  vice  au  dedans: 
L'égoisme  partout. —  Ce  fut  dans  ces  instants, 
Où  Love,  dégoûté  des  choses  de  la  vie, 
Se  tournait  vers  la  tombe  avec  un  œil  d'envie  ) 


4  LITTÉRATURE 

Que  l'esprit  ténébreux,  se  révélant  à  lui, 
Tendit  au  jeune  Albert  son  bras  eomme  un  appui, 
Albert,  sans  soupçonner  quel  était  cet  archange 
Dont  le  rare  savoir  lui  paraissait  étrange, 
Ouvrit  avidement  l'oreille  à  ses  discours, 
Se  détournant  parfois ,  mais  l'écoutant  toujours  ; 
Car,  dans  son  œil  ardent ,  la  lumière  infernale 
Comme  un  pâle  reflet,  passait  par  intervalle.  » 

Voilà  une  action  bien  engagée  et  qui  nous  promet  pour  la 
suite  un  drame  sans  doute  très  noir,  avec  les  flammes  de  l'en- 
fer, et  un  brasier  bien  ardent  pour  conclusion. 

Mais  non  : 

-  Satan  ,  comme  l'a  peint  la  moderne  croyance  , 
A  pris,  en  vieillissant,  plus  grande  expérience  ; 
Il  fait  que  son  teint  noir  ferait  rire  aujourd'hui; 
Aussi  nul ,  en  ces  jours,  n'est  aussi  blanc  que  lui; 
Et ,  pour  complaire  à  tous,  tentateur  sociable, 
ïl  a  depuis  long-temps  dépouillé  le  vieux  diable.» 

D'ailleurs,  l'auteur  ne  paraît  pas  pouvoir  suivre  long-temps 
la  même  idée  ni  savoir  s'astreindre  à  un  plan  régulier.  Il  perd 
facilement  de  vue  son  but,  et  saute  volontiers  d'un  sujet  à  un 
autre,  sans  même  songer  à  une  transition  qui  serait  cependant 
fort  nécessaire  pour  l'intelligence  de  son  livre.  La  langue  elle- 
même  n'est  pas  toujours  respectée  dans  ces  brusques  passages; 
et  un  peu  plus  de  travail,  un  peu  moins  de  hâte  de  se  faire  im- 
primer n'auraient  certainement  pas  nui  à  la  réputation  du 
poète.  En  fait  de  vers,  surtout  dans  un  long  poème,  la  médio- 
crité n'est  pas  supportable  ;  le  public  exige  la  perfection  ,  et 
quelques  morceaux  écrits  avec  chaleur  ne  suffisent  pas  pour 
en  assurer  le  succès.  C'est  à  tort  qu'on  s'imagine  souvent  qu'il 
suffit  de  divaguer  et  d'extravaguer  en  rimant  pour  être  poêle. 
iJne  semblable  erreur  est  malheureusement  trop  communes  de 
nos  jours. 

SATHANIEL,  par  Frédéric  Soulié.  2  vol.  iu-8°.  i5  fr.  —  CHRISTOPHE 
SAUVAL,  ou  les  Deux  familles,  histoire  contemporaine,  par  M.  Emile 
de  Bonnechose.  2  vol  in-8°.  i5  fr.  —  MONSIEUR  ET  MADAME,  par  le 
baron  de  Lamothe-Langon.  2  vol.  in-8°.  i5  fr. —  LE  CHATEAU  DE 
SAINT-GERMAIN,  par  H.  A ni  an  d  (M°>e  Charles  Reybaud).  2  vol.  in- 8°. 
Xj  fr,  —  m.  LE  MIDSH1PMAN  AISÉ,  par  le  capitaine  Matryat,  trad. 
de  l'anglais  par  Defauconpret.  Paris,  1837.  1  vol.  in  S".  i5  fr. 

S'athariiel  forme  la  seconde  livraison  des  romans  historiques 
du  Languedoc.  Tous  les  éloges  donnés  par  les  journaux  à  cette 
nouvelle  production  de  M.  Soulié  ne  nous  empêcheront  pas  de 


HISTOIRE.  î 

la  déclarer  fort  médiocre.  L'auteur  n'a  pas  mieux  réussi  à  pein- 
dre les  mœurs  des  Visigoths  et  des  Maures  que  celles  des  Celtes 
et  des  Romains.  Ce  sont  toujours  des  tableaux  exagérés,  où  l'i- 
magination ne  laisse  guère  de  place  à  l'histoire.  La  nature  et  la 
vérité  n'ont  certainement  pas  servi  de  modèles;  et  si  Salhaniel 
est  ce  qu'on  appelle  en  style  de  feuilleton ,  une  création  il  faut 
avouer  que  c'est  une  bien  triste  créature. 

Avec  cela  le  style  de  M.  Soulié  seinbledevenir  toujours  plus 
prétentieux ,  toujours  moins  français  ;  il  est  chargé  de  mots 
insolites  ,  de  phrases  baroques  ,  et  paraît  viser  à  l'imitation  du 
bavardage  de  M.  Janin.  Or,  si ,  à  force  d'esprit,  de  vivacité  et 
souvent  même  d'extravagance ,  M.  Janin  éblouit  ses  lecteurs 
et  leur  fait  prendre  son  clinquant  pour  de  l'or  pur ,  il  n'en 
est  pas  de  même  de  ses  imitateurs  ;  on  ne  pardonne  pas  à  ceux- 
ci  l'ennui  de  ce  stvle  fatigant,  qui,  sautillant  sans  cesse,  ne  se 
repose  jamais  :  vrai  caquetage  de  pie  plutôt  que  langage 
d'homme.  Aussi  lira-ton  avec  un  bien  plus  grand  plaisir 
Christophe  Sauvai,  roman  sagement  conçu  ,  sagement  écrit, 
et  dans'un  but  excellent.  Cependant  M.  de  Bonnechose  aurait 
pu  y  jeter  un  intérêt  mieux  soutenu;  l'action  languit  parfois 
un  peu.  L'auteur,  après  avoir  entrepris  de  démontrer  com- 
bien la  raison  est  impuissante  à  diriger  l'homme  sans  le  se- 
cours de  la  religion  ,  semble  perdre  de  vue  cette  intention. 
Son  héros  ne  doit  sa  position  qu'à  des  circonstances  tout-à-fait 
indépendantes  des  idées  religieuses,  et  l'on  ne  comprend  pas 
tout  d'abord  quelle  influence  aurait  pu  avoir  la  religion  sur 
sa  vie.  Au  reste  les  opinions  de  M.  de  Bonnechose  paraissent 
en  général  vagues  et  peu  arrêtées.  Il  parle  de  liberté  et  de 
loyauté ,  de  Charles  X  et  de  la  révolution  de  juillet ,  avec  les 
mêmes  éloges  ,  le  même  enthousiasme.  Il  met  dans  la  bouche 
de  l'un  de  ses  personnages  une  prédiction  en  forme  de  satire 
contre  les  partisans  des  capacités  intellectuelles  qui  est  fort  peu 
raisonnée ,  et  ne  se  comprend  pas  de  la  part  d'un  écrivain 
aussi  distingué.  Mais,  malgré  ces  défauts,  Christophe  Sauvai 
est  remarquable  sous  plusieurs  rapports  :  le  style  en  est  sim- 
ple et  naturel ,  et  les  détails  y  sont  en  général  vrais,  sans  pré- 
tention ni  recherche. 

—  Monsieur  et  Madame  est  une  de  ces  productions  que 
M.  le  baron  de  Lamothe-Langon  fabrique  à  la  vapeur  ou  par 
quelque  autre  procédé  expéditif  de  son  invention  ;  car  il  est 
impossible  qu'une^seule  main  suffise  à  écrire  tous  les  volumes 
qu'on  publie  sous  son  nom.  Pour  ce  qui  est  de  l'esprit,  il  est 
possible  qu'il  en  possède  un  assez  vaste  pour  conduire  de  front 
l'histoire  ,  le  roman  ,  les  mémoires  ,  etc.  ,  d'autant  plus  qu'en 
général  il  le  ménage  beaucoup,  et  n'en  met  qu'une  fort  petite 
dose  dans  chacun  de  ses  livres. 


6  LITTERATURE, 

-—Le  Château  de  Saint-Germain  nous  dévoile  un  pseudo- 
nyme. C'est  à  une  femme  que  nous  devons  les  Aventures  d'un 
renégat ,  cette  peinture  si  touchante  et  si  naïve  qui  faisait  es- 
pérer mieux  que  le  roman  de  Pierre,  qui  l'a  suivi  de  près.  L 
Château  de  Saint-Germain  est  fort  supérieur  à  ce  dernier. 
C'est  une  intrigue  amoureuse  du  cardinal  Mazarin  qui  en 
forme  la  trame,  et  les  incidents  dont  l'auteur  l'a  brodée  sont 
d'un  grand  intérêt.  On  n'y  trouve  point  de  ces  exagérations 
prétentieuses  si  communes  aujourd'hui  dans  les  ouvrages 
de  nos  femmes  auteurs. 

M.  le  Midshipman  Aise'  est  le  digne  compagnon  de  Peter 
Simple  et  de  Jacob  Fidèle.  On  y  reconnaît  bien  la  même  tou- 
che originale  ,  mais  un  peu  monotone.  Ces  plaisanteries  con- 
tinuelles ,  ces  jeux  de  mots  répétés  sous  toutes  les  formes ,  ces 
calembourgs  sur  le  nom  du  héros,  fatiguent  le  lecteur,  et  ne 
sont  rachetés  ni  par  le  charme  des  détails,  ni  par  l'intérêt  de 
l'action.  D'ailleurs  ce  genre  d'esprit  perd  beaucoup  à  la  traduc- 
tion, qui  brise  ou  émousse  presque  toutes  les  pointes  de  l'o- 
riginal. 


VOYAGES.  RELATIONS  ET  MEMOIRES  ORIGINAUX,  pour  «ervir  à 
l'histoire  de  la  découverte  de  l'AtiERIQUE;  publiés  pour  la  première  fois 
en  français,  par  Henri  Ternaux.  Paris,  chez  Arthns  Bertrand,  1S37.  3  vol. 
in-S°.  19  fr.  5o  c. 

L'époque  de  la  découverte  de  l'Amérique  est  sans  contredit 
l'une  des  plus  importantes  de  l'histoire  moderne.  Lorsque  le 
génie  de  Christophe  Colomb  eut  trouvé  le  Nouveau-Monde, 
tous  les  regards  de  l'Europe  se  tournèrent  vers  cette  terre  de 
promission  ,  vers  cet  Eldorado  où  il  semblait  qu'on  n'eût  qu'à 
se  baisser  pour  ramasser  l'or  à  pleines  mains.  Etrange  aberra- 
tion de  l'esprit  humain  !  on  ne  vit  d'abord ,  dans  ce  pays  si 
riche  en  végétation  et  en  productions  de  toute  sorte,  qu'un 
brillant  joyau  d'or  et  d'argent ,  qu'une  mine  à  exploiter  pour 
remplir  les  bourses  européennes  ;  il  semblait  que  l'or  fût  la 
source  première  de  l'abondance  et  de  la  prospérité  des  Etats. 
En  ces  temps  où  la  science  de  l'économie  politique  n'était  pas 
même  née,  on  ne  voyait  pas  que  h;  métal  le  plus  précieux 
n'est  qu'un  représentant  qui  facilite  les  échanges,  mais  que 
dans  sa  valeur  intrinsèque,  il  est  moins  utile  à  l'homme  que  le 
fer  on  le  plomb.  On  ne  comprenait  pas  que,  sous  ce  rapport, 
le  seul  résultat  de  la  découverte  des  mines  du  Pérou  serait  de 
faire  baisser  la  valeur  de  l'or  en  le  rendant  plus  commun. 
Hélas!  aujourd'hui  même,  après  trois  siècles  de  travaux,  de 
révolutions  et  d'études  ,  combien  de  préjugés  tiennent  encore 


HISTOIRE.  7 

tète  à  la  science  ,  combien  d'erreurs  s'érigent  encore  en  prin- 
cipes sans  avoir  pour  excuse  l'ignorance  naïve  des  temps  passés  ! 

Le  seizième  siècle  offrait  un  singulier  mélange  de  barbarie 
et  d'idées  religieuses  qui  donnait  aux  hommes  de  cette  épo- 
que un  caractère  tout-à-fait  particulier.  Aux  motifs  d'intérêt 
ou  d'ambition  qui  poussaient  une  foule  d'aventuriers  vers  le 
Nouveau-Monde  venait  se  joindre  la  pensée,  alors  puissante, 
de  convertir  à  la  foi  catholique  les  nombreuses  peuplades  sau- 
vages qui  l'habitaient  La  découverte  de  l'Amérique  était  con- 
sidérée comme  une  conquête  sur  l'idolâtrie,  comme  un  triom- 
phe pour  le  christianisme,  qui,  dépouillant  ce  caractère  de 
douceur  et  de  support  dont,  son  fondateur  l'avait  empreint , 
revêtait  la  dure  cuirasse  et  saisissait  l'arme  de  la  persécution. 
Au  nom  d'un  Dieu  de  paix  et  de  charité,  on  portait  le  désordre, 
le  pillage  et  la  mort  chez  des  populations  paisibles,  dont  le 
culte  grossier  et  accompagné  de  superstitieuses  pratiques  était 
certainement  plus  agréable  à  l'Eternel  que  le  ctuel  fanatisme 
de  leurs  persécuteurs.  L'avidité  la  plus  insatiable  ne  reculait, 
pour  se  satisfaire  ,  devant  aucun  tourment,  et  la  religion  était 
toujours  là  pour  servir  de  prétexte  ou  d'excuse  aux  actes  les 
plus  atroces.  Chose  étrange!  les  hommes  qui  abusaient  ainsi 
de  ce  qu'il  y  a  de  plus  grand  ,  de  plus  sacré  ,  n'étaient  pas  des 
hypocrites;  ils  avaient  une  foi  bien  peu  éclairée,  bien  barbare 
sans  doute,  mais  ferme,  et  capable  aussi  de  grands  dévoue- 
mens,  de  mâles  actions.  C'était  elle  qui  leur  donnait  le  cou- 
rage d'affronter  tant  de  périls,  la  persévérance  nécessaire  pour 
surmonter  les  obstacles  innombrables  qui  s'offraient  à  eux  ,  la 
résignation  avec  laquelle  ils  supportaient  les  privations  et  les 
misères  de  tout  genre  auxquelles  ils  s'exposaient. 

Les  ouvrages  publiés  à  cette  époque  même,  les  relations  des 
premiers  voyageurs  qui  traversèrent  la  grande  mer  océane , 
peuvent  seuls  nous  offrir  un  tableau  vrai  de  ces  curieuses  ex- 
péditions, tout  à  la  fois  religieuses  ,  guerrières  et  mercantiles. 
La  collection  de  31.  Henri  Ternaux  promet  donc  d'être  fort  in- 
téressante ,  si  l'on  en  juge  surtout  d'après  les  trois  premiers 
volumes  déjà  publiés.  Ce  sont  : 

1°.  Histoire  de  la  province  de  Santa-Cruz,  que  nous  nommons 
ordinairement  le  Brésil,  par  Pero  de  Magalhancs  de  Gandavo  ; 
dédiée  au  très  illustre  seigneur  D.  Lionis  Pereira,  ancien  gouver- 
neur de  Malacca  et  de  plusieurs  parties  de  l'Inde  méridionale. 

Cette  description  du  Brésil  est  écrite  avec  une  grande  sim- 
plicité. L'auteur  débute  par  s'indigner  de  ce  qu'on  a  ôté  à 
cette  province  son  nom  primitif  pour  lui  donner  celui  d'un 
bois  de  teinture  qui  s'y  trouve.  «  On  nomme,  dit-il ,  ce  bois 
Brasil parce  qu'il  est  rouge  et  ressemble  à  de  la  braise;  et  de 
là  ce  pays  a  reçu  le  nom   de  Brésil.  31ais  afin  de  narguer  en 


*  LITIERATURK, 

cela  le  démon,  qui  a  tant  travaillé  et  travaille  tant  pour  effa- 
cer de  la  mémoire  des  hommes  et  éloigner  de  leur  cœur  la 
sainte  croix  par  laquelle  nous  avons  été  rachetés  et  délivrés  de 
sa  tyrannie  ,  il  est  bon  de  rendre  son  nom  à  cette  province  , 
et  que  nous  la  nommions  ,  comme  dans  le  principe,  province 
de  Santa-Cruz.  Joande  Barros,  cet  illustre  et  fameux  écrivain, 
le  prouve  aussi  dans  sa  première  décade,  en  parlant  de  la  même 
découverte.  En  vérité,  les  nations  chrétiennes  doivent  plus  es- 
timer un  bois  sur  lequel  s'est  opéré  le  mystère  de  notre 
sainte  Rédemption,  qu'un  boisqui  ne  sert  cpi'à  teindre  du  drap 
et  d'autres  choses  semblables.  » 

Du  reste  ,  cet  ouvrage  ,  publié  pour  la  première  fois  à  Lis- 
bonne en  1576,  est  remarquable  par  les  notions  exactes  qu'il 
renferme ,  ainsi  que  par  le  petit  nombre  d'erreurs  qui  s'y 
trouvent  mêlées. 

2°  Belle  et  agréable  narration  du  premier  voyage  de  Nicolas 
Federmann  le  jeune ,  d'Ulin  aux  Indes  de  la  mer  océane ,  et  de 
tout  ce  qui  lui  est  arrivé  dans  ce  pays  jusqu'à  son  retour  en  Espa- 
gne, écrite  brièvement,  et  divertissante  h  lire. 

L'empereur  avait  accordé  aux  frères  Welser  ,  riches  négo- 
ciants d'Augsbourg ,  la  souveraineté  de  la  province  de  Vene- 
zuela,  qu'ils  devaient  aller  conquérir  à  leurs  frais  et  dépens. 
JNicolas  Federmann  ,  un  de  leurs  agents,  fut  chargé  de  diriger 
une  des  expéditions  entreprises  dans  ce  but.  Les  négociants 
d'alors  étaient  obligés  d'avoir  des  commis  aussi  expérimentés 
dans  l'art  militaire  que  dans  les  affaires  de  négoce,  car  ils  pos- 
sédaient des  vaisseaux  de  guerre  comme  des  vaisseaux  mar- 
chands. Nicolas  Federmann  était  un  brave  soldat,  un  peu 
rude  ,  mais  habile,  qui ,  avec  une  poignée  d'hommes  bien  ar- 
més ,  prit  au  nom  de  ses  patrons  possession  de  contrées  vas- 
tes, riches  et  peuplées.  Il  raconte  en  détail  tous  les  combats 
qu'il  eut  à  livrer  ,  tous  les  obstacles  qu'il  eut  à  vaincre.  Son 
premier  soin  ,  chaque  fois  qu'il  rencontrait  quelques  nouveaux 
caciques,  était  de  les  baptiser,  puis  de  leur  faire  prêter  ser- 
ment de  fidélité  à  l'empereur.  Il  ne  perdait  pas  son  temps  à 
les  sermonner,  cal-,  dit- il,  il  était  bien  inutile  de  leur  expli- 
quer et  de  vouloir  leur  faire  comprendre  la  doctrine  catholi- 
que ,  puisqu'on  les  forçait  d'abjurer.  Dans  la  conviction  que 
tous  ces  malheureux  Indiens  idolâtres  étaient  des  suppôts  de 
Satan  ,  il  ne  craignait  pas  non  plus  de  les  exterminer  par  cen- 
taines, et  pensait  accomplir  la  volonté  de  Dieu  en  massacrant 
ces  innocentes  peuplades.  Sa  relation  présente  le  tableau  le 
plus  naïf  et  le  plus  complet  de  la  manière  dont  les  Européens 
prétendaient  porter  en  Amérique  la  civilisation  et  le  christia- 
nisme. 

3°   Véritable  histoire  description    d'un  pays   habité  par  tù 


HISTOIRE.  0 

hommes  sauvages,  nus,  féroces  et  anthropophages,  situe  dans  le 
Nouveau- Monde  nommé  Amérique,  inconnu  dans  le  pays  de  Hesse 
avant  et  depuis  la  naissance  de  Jésus  Christ,  jusqu'à  l'année 
dernière.  Hans  Staden  de  Homberg,  en  Hesse,  l'a  connu  par  sa 
propre  expérience ,  et  le  fait  connaître  actuellement  par  le 
moyen  de  l'impression. 

Ce  titre  seul  dénote  déjà  la  bonhomie  allemande ,  et  c'est 
en  effet  le  caractère  qui  distingue  essentiellement  cette  narra- 
tion. Hans  Staden  ,  digne  arquebusier,  plein  de  courage,  de 
probité  et  de  piété ,  s'élant  embarqué  sur  un  vaisseau  espa- 
gnol qui  faisait  voile  pour  l'Amérique,  fit  naufrage  et  fut  pris 
par  les  sauvages  tupinambas ,  qui  le  gardèrent  pendant  six 
mois  avec  eux.  Ce  fut  une  rude  épreuve  pour  lui ,  car  il  s'at- 
tendait toujours  à  être  mangé  ,  et  il  regarda  comme  un  miracle 
d'avoir  pu  sortir  sain  et  sauf  des  mains  de  ces  anthropophages. 
Il  lui  fallait  une  bien  forte  dose  de  résignation  religieuse  pour 
ne  pas  s'abandonner  au  désespoir.  Mais  au  lieu  de  se  laisser 
abattre  ,  il  tournait  sans  cesse  ses  regards  vers  le  ciel  avec  une 
foi  vive  ,  et  savait  profiter  de  toutes  les  chances  qui  s'offraient 
à  lui  pour  adoucir  ses  ennemis,  les  regardant  toujours  comme 
des  inspirations  divines.  Son  long  séjour  chez  les  Tupinambas 
lui  a  permis  d'observer  leurs  moeurs,  et  il  en  rapporte  une 
foule  de  détails  intéressants  sur  la  fidélité  desquels  on  peut  ci- 
ter le  témoignage  d'un  auteur  contemporain  ,  qui  en  parle  en 
ces  termes  : 

«  Ainsi  ce  livre  de  Jean  Staden  ,  qui  de  naguères  a  esté  ini- 
»  primé  en  latin,  et  désire  bien  qu'il  le  soit  en  françois,  of- 
»  fiant,  si  on  le  veut  faire,  de  bailler  ce  que  j'en  ai  jà  de  traduit 
»  et  de  l'embellir  de  choses  notables  ,  mérite  semblablement 
»  d'être  leu  de  tous  ceux  qui  désirent  savoir  au  vrai  les  cous- 
»  tûmes  et  façons  de  faire  vraiment  sauvages  des  Brésiliens. 
»  Joint  qu'il  témoignera  avec  moi  que  Thevet  a  été  superlati- 
»  vement  effronté  menteur,  tant  en  ce  qu'il  a  mis  en  général 
»  en  sa  Cosmographie  et  ailleurs  en  ses  œuvres  touchant  ce 
»  qui  se  fait  et  se  voit  en  Amérique,  que  particulièrement  de 
»  Quoniambègne ,  avec  lequel  Staden  ,  ayant  esté  à  la  guerre 
»  et  long-temps  prisonnier  sous  lui ,  combien  qu'il  le  desci  ive 
»  très  cruel  et  inhumain  envers  tous  ceux  qu'il  pouvait  attra- 
»  perde  ses  ennemis,  tant  il  y  a  toutefois  qu'il  ne  dit  pas  que 
»  cefust  un  géant,  ains  seulement  impuissant  homme,  moins 
»  qu'il  portast  des  pièces  d'artillerie  pour  les  tirer  de  dessus 
»  ses  épaules  toutes  nues  après  ses  ennemis,  comme  Thevet  l'a 
»  barbouillé  et  fait  pourtraire  en  sa  fabuleuse  Cosmographie.»- 


i<>  LITTERATURE, 

LES  APRES-DINERS  DE  S.  A.  S.  CAMBACÉRES ,  second  consul,  etc., 
ou  Révélations  de  plusieurs  grands  personnages  sur  l'ancien  régime,  le  di- 
rectoire, l'empire  et  la  restauration;  recueillies  et  publiées  par  le  baron 
E.-L.  de  Lamothe-Langon.—  Paris,  1837.  4  vol.  in-8",  3o  fi. —  COR- 
RESPONDANCE ET  RELATIONS  DE  J.  FIEVÉE  avec  Bonaparte, 
premier  consul  et  empereur,  pendant  onze'années(i8o2-i8  t3j,  publiées  par 
l'auteur.  Paris,  i83;.  3  vol.  in-8°.  22  fr.  5o  c.  —  L'EMPIRE,  ou  Dix  ans 
sous  Napoléon;  par  un  ancien  chambellan.  Paris,  iS3(i.  4  \ol.  in-8°.  3ofr. 

Ordinairement  les  idoles  renversées  n'ont  plus  d'adorateurs, 
ou  si  elles  en  conservent  quelques  uns  ,  c'e->t  dans  l'on  dire  et 
le  silence  qu'ils  pratiquent  leur  culte  muet.  Mais  il  parait  que 
Napoléon  fait  exception  à  la  règle  ,  car  les  courtisans  ne  man- 
quent pas  plus  à  sa  mémoire  ,  qu'Us  ne  manquaient  à  l'éclat 
de  son  trône.  Le  despote  est  encensé  dans  sa  tombe  , 
autant  et  plus  peut-être  qu'il  le  fut  jadis  sous  la  pourpre  im- 
périale. Cette  main  de  fer  a  si  Lien  courbé  les  hommes  sous 
son  joug  pesant,  qu'ils  ne  peuvent  se  redresser  encore,  quoi- 
qu'elle ait  disparu  déjà  depuis  quelque  temps.  La  gloire  mili- 
taire éblouit  si  bien  les  yeux  ,  qu'on  ne  veut  pas  voir  que  le 
grand  guerrier  fut  un  maître  absolu  ,  qui,  sacrifiant  l'avenir 
de  son  pays  à  ses  vues  ambitieuses,  refoula,  avec  une  brutale 
violence  ,  l'essor  que  l'esprit  humain  venait  de  prendre. 
Guerre  et  civilisation  sont  dem  contraires  diamétralement 
opposés  l'un  à  l'autre,  quoi  qu'on  ait  pu  dire,  dans  notre  siècle 
de  phiaséologie,  sur  la  mission  des  conquérans  ,  sur  la  fatale 
destinée  des  peuples ,  etc.,  etc.  Les  baïonnettes,  même  les 
plus  intelligentes,  n'ont  jamais  rien  civilisé,  et  ce  n'est  certai- 
nement pas  à  coup  de  canon  qu'on  édifie  quoi  que  ce  soit. 
Mais  un  longtemps  s'écoulera  encore  avant  que  ces  idées  aussi 
simples  que  vraies  se  fassent  jour  à  travers  tous  les  préjugés 
qui  encombrent  et  cernent  de  toutes  parts  les  avenues  du  bon 
sens.  En  attendant,  il  nous  faudra  sans  doute  subir  bien  des  plates 
apologies  de  l'empereur,  bien  deséloges  de  la  générosité  etdela 
grandeur  d'âme  de  l'homme  qui  a  jonché  l'Europe  de  cadavres, 
qui  a  porté  le  fer  et  le  feu  dans  toutes  les  contrées  ,  qui  a  semé 
partout  sur  ses  pas  le  deuil  et  la  misère. 

Dans  les  Après-dîners  de  Cambaeérès ,  et  dans  l'Empire,  ou 
Dix  ans  sous  Napoléon,  on  trouvera  beaucoup  de  ce  commérage 
de  cour  qui  a  encore  tant  d'amateurs.  Des  anecdotes  déjà  con- 
nues s'y  rencontrent  ça  et  là,  mais  il  y  en  a  aussi  de  nouvelles, 
assez  piquantes,  qui  dévoilent  les  petits  ressorts  et  les  secrètes 
intrigues  du  gouvernement  impérial. 

La  Correspondance  de  Fiéoée  offre  un  tout  autre  genre 
d'intérêt.  C'est  un  cours  de  despotisme  et  d'obscurantisme  que 
l'auteur  rédigeait  pour  l'empereur  seul.  Les  maximes  les  plus 


HISTOIRE.  i  r 

absolues  en  fait  de  gouvernement  y  sont  naïvement  exposées  . 
et  développées  avec  une  impitovable  logique  dans  toutes  leurs 
rigoureuses  conséquences.  M.  Fiévée  appelle  en  particulier 
l'attention  de  l'empereur  sur  les  principes  philosophiques,  qui, 
se  glissant  dans  les  collèges,  y  exercent,  dit  il,  l'nfluence  la 
plus  déplorable ,  et  il  prédit  que  la  jeune  génération  ,  si  l'on 
n'y  apporte  un  prompte  remède,  deviendra  bientôt  tout-à-fait 
impossible  à  gouverner;  il  fortifie  toutes  les  préventions  de 
l'empereur  contre  les  idéologistes  ,  et  en  toutes  choses,  émet 
des  opinions  directement  opposées  à  celles  qui  ont  générale- 
ment cours  en  France  depuis  cinquante  ans.  Cependant  il  affi- 
che une  complète  indépendance,  et,  en  effet,  c'est  avec  une 
assez  grande  liberté  qu'il  adresse  des  conseils  à  Napoléon  qui 
ne  les  souffrait  guère.  Il  vante  aussi  beaucoup  son  désintéres- 
sement, et  répète  souvent  qu'il  n'eut  jamais  d'ambition  ni  pour 
l'argent  ni  pour  les  honneurs.  Il  est  fâcheux  qu'avec  de  pareilles 
dispositions  et  l'ascendant  qu'il  avait  su  prendre  sur  l'esprit  de 
l'empereur  ,  il  n'ait  pas  puisé  ses  inspirations  dans  une  sphère 
plus  haute.  Mieux  eût  valu  l'ambition  d'éclairer  sa  patrie, 
d'assurer  à  ses  compatriotes  une  liberté  large,  féconde  et  pros- 
père. C'était  assurément  là  un  but  plus  noble  et  plus  digne  que 
celui  d'asseoir  un  soldat  sur  un  trôneabsolu,  et  d'étouffer  sous 
des  nuages  de  poudre  à  canon  tout  élan  du  cœur  ,  tout  mou- 
vement de  l'âme  ,   tout  essor  de  l'esprit. 


DEP.MERE  EPOQÏ  E  DE  L'HISTOIRE  DE    CITMUES  X  .    ses  derniers 

voyages,  sa  maladie,  s^  mort,  ses  funérailles,' son  caractère  el  ses   habi- 
tudes daus  l'exil;  par  M.  de  Montbel.  Paris,  i836,  Jn-8°.  3  fr.  5o  c. 

Ce  petit  écrit  est  un  panégyrique  du  roi  chassé  par  la  révo- 
lution de  i83o,  fait  par  un  courtisan  fidèle,  dont  l'affection  n'a 
été  ébranlée  ,  il  faut  lui  rendre  cette  justice  ,  ni  par  l'exil  de 
son  maître  ,  ni  par  sa  mort.  Il  renferme  du  reste  des  détails 
assez  niais  ,  et  n'est  guère  curieux  que  par  la  hardies«e  des 
opinions,  qui  témoigne  de  la  liberté  dont,  à  certains  égards 
surtout,  la  presse  jouit  maintenant  en  France. 


RELIGION,  PHILOSOPHIE, 
RELIGION,  PHILOSOPHIE,  MORALE,  ÉDUCATION. 


ESPRIT   DE  L/V   LÉGISLATION    MOSAÏQUE,    par   J.  E.    Cellerier  fils. 
Genève  et  Paris,  chez  Ab.  Cherbuliez  et  Ce.  1837.  1  vol.  iu  8°.  1 1  fr. 

Admettant  en  principe  et  comme  article  de  foi  la  divinité  de 
l' Ancien-Testament,  M.  Cellerier  a  tracé  un  tableau  de  la  lé- 
gislation établie  par  Moïse  au  milieu  du  peuple  hébreu  ,  dans 
lequel  il  cherche  à  faire  ressortir  la  portée  de  chaque  disposi- 
tion particulière,  et  son  rapport  avec  le  but  général  que  Dieu 
s'était,  dit-il,  proposé  d'accomplir  en  choisissant  le  peuple  hé- 
breu pour  objet  de  sa  protection  spéciale.  Cet  exposé  est  rempli 
d'un  vif  intérêt,  et  sera  lu  avec  plaisir  et  avec  fruit,  non  seu- 
lement par  les  théologiens,  mais  encore  par  les  gens  du  monde, 
qui  y  trouveront  une  foule  de  détails  curieux  et  un  commen- 
taire explicatif  de  maints  chapitres  obscurs  de  la  Bible. 

L'auteur  commence  par  examiner  les  antécédents  du  peuple 
juif,  son  état  d'asservissement  et  d'abjection  au  milieu  des 
Egyptiens,  son  ignorance,  son  caractère  obstiné  et  stupide,  ses 
préjugés,  ses  habitudes  ,  en  un  mot  toutes  les  considérations 
que  devait  d'abord  mûrement  peser  Moïse  avant  d'entrepren- 
dre de  le  régénérer.  Il  décrit  également  la  contrée  qu'il  de- 
vait aller  habiter,  et  nous  raconte  dans  un  style  animé  et 
plein  de  charmes  les  merveilles  naturelles  de  ce  beau  pays  de 
Chanaan  ,  promis  aux  Israélites.  «Mettons-nous,  dit-il ,  à  la 
place  du  voyageur  qui  le  parcourait  au  temps  de  Moïse  ou  un 
siècle  plus  tard;  quel  aspect  lui  présentait  alors  cette  terre  cé- 
lèbre, et  quelquefois,  de  nos  jours,  si  mal  dépeinte. 

»  De  nombreux  troupeaux  couvrent  les  montagnes  ou  par- 
quent dans  les  plaines  ;  pendant  ce  temps,  le  bœuf  trace  le  sil- 
lon ou  foule  le  grain  ;  les  chameaux  du  désert  partent  pour 
exporter  les  fruits  secs,  les  blés  et  le  baume  de  Galaad,  ou  ar- 
rivent par  la  route  de  transit  du  Jourdain  à  Tyr.  Taudis  que 
ces  laborieux  animaux  sont  charges  des  travaux  fatigans  et  des 
pénibles  transports,  l'âne,  en  général  plus  heureux  ,  aux  por- 
tes des  villes  et  sur  les  chemins  fréquentés,  sert  de  monture 
aux  femmes,  aux  vieillards,  aux  grands  personnages  et  aux 
rois.  Ce  précieux  animal  reçoit  du  climat,  ou  tient  peut-  être 
d'une  race  particulière  ,  une  taille,  un  degré  de  force  ,  un  poil 
fauve  et  brillant,  inconnus  dans  nos  contrées.  Ces  trois  qua- 
drupèdes sont  d'un  usage  distinct,  mais  continuel  et  indispen- 
sable ,  tandis  que  le  cheval,  plus  coûteux,  est  bien  moins  utile. 
Il  peut  sembler,  en  effet,  déplacé  dans  la  Palestine,  où  les  cou- 


MORALE,   KDUCATION.  i3 

trées  fertiles  sont  montueuses  et  coupées.  Il  y  serait,  pour  les 
simples  propriétaires ,  un  luxe  accablant  et  superflu;  mais, 
pour  les  chefs  et  les  grands  ,  il  serait ,  comme  pour  les  Arabes 
de  nos  jours  ,  un  instrument  d'oppression  et  de  brigandage  ; 
pour  les  rois  ,  un  signe  de  faste  et  un  emblème  guerrier  ,  d'un 
mauvais  augure  aux  yeux  des  sujets. 

»  Les  bètes  sauvages ,  chassées  de  proche  en  proche  par  les 
défrichemens  successifs ,  trouvent  encore  un  asile  dans  un  pe- 
tit nombre  de  forets  respectées  parla  main  des  laboureurs.  De 
là  sortent  la  nuit  le  loup  et  le  chakal  pour  boire  dans  les  eaux 
des  torrens  ,  le  renard  pour  chercher  sa  proie.  Là  séjournent 
des  milliers  de  vautours  prêts  à  fondre  sur  la  contrée  pour  la 
délivrer  des  cadavres  d'animaux.  D'autre  part,  les  chiens  fé- 
roces de  l'Orient  accomplissent  la  même  tâche  dans  les  villes, 
d'où  ils  ne  s'éloignent  guère  ;  au  milieu  de  leurs  courses  et  de 
Leurs  hurlemens  nocturnes,  ils  les  nettoient  de  mille  ordures 
infectes.  Le  lion  ,  l'ours,  le  tigre,  habitent  de  préférence  le  Li- 
ban et  ses  abîmes.  On  les  aperçoit  cependant  au  bord  du  Jour- 
dain ,  le  long  duquel  ils  viennent  se  désaltérer  ou  chercher 
leur  proie.  Ils  s'y  établissent  même  çà  et  là  dans  les  taillis  épais 
et  peuplés  qui  le  bordent  sur  quelques  points. 

»  En  dehors  des  forêts  primitives,  on  trouve  encore  quel- 
ques bouquets  d'arbi  es  aussi  vieux  que  le  monde,  qui,  sur 
des  hauteurs  ,  protègent  un  culte  idolâtre,  ou  bien  ombragent 
des  camps  rustiques  dans  les  vallées,  au  bord  des  eaux  ;  à  cela 
près,  la  culture  n'est  guère  interrompue  que  par  des  villes  ; 
c'est-à-dire  par  de  petites  enceintes  murées ,  placées  sur  des 
hauteurs  de  difficile  accès,  à  l'abri  des  incursions  ennemies. 
Les  coteaux  se  couvrent  de  vignes  soutenues  par  des  murs  en 
étages  successifs  ,  culture  industrieuse  ,  signe  certain  d'un  ciel 
propice,  d'une  terre  féconde  et  d'un  peuple  laborieux.  De 
rustiques  habitations  se  distinguent  aux  bouquets  de  figuiers 
entrelacés  de  vignes,  cpii  les  abritent.  Le  figuier  arrive,  en  Pa- 
lestine, à  une  taille  dont  nos  climats  ne  nous  donnent  aucune 
idée.  Le  palmier,  maintenant  inconnu  dans  cette  terre  esclave,  y 
était  assez  fréquent  et  assez  beau  pour  avoir  servi  de  symbole 
à  l'antique  Judée.  Les  bords  du  Jourdain  nourrissaient  en 
abondance  les  arbres  d'où  découlait  la  résine  précieuse,  tour  à 
tour  nommée,  de  l'une  ou  de  l'autre  des  deux  rives,  baume 
de  Galaad  ou  baume  de  Jéricho. 

»  A  côté  de  ces  objets  rians  ,  la  nature,  amie  des  contrastes, 
déploie  quelques  unes  de  ses  plus  effrayantes  scènes ,  et  cette 
oasis  presque  enchantée  est  entourée  de  spectacles  de  souffrance 
et  de  mort.  On  se  rappelle  les  déserts  de  sables  qui,  au  sud  et 
à  l'est  de  la  Palestine,  se  prolongent  jusqu'à  l'Egypte,  la  mer 
Rouge  et  l'Euphrate.  On  connaît  le  simoun  ,  ce  feu  qui  les  ba- 


u  RELIGION,  PHILOSOPHIE. 

laie  de  temps  à  autre,  tantôt  pendant  quelques  heures,  tantôt 
pendant  quelques  minutes.  Mais  un  seul  instant  lui  suffit  pour 
tuer  tous  les  êtres  organisés  qui  l'ont  senti.  Son  approehe  est 
annoncée  par  des  nuées  rougeâtres  ,  par  l'obstination  des  cha- 
meaux (dont  l'instinct  le  pressent)  à  enfoncer  leur  museau  dans 
le  sable.  A  leur  exemple,  le  voyageur  expérimenté  se  hâte  d'y 
appliquer  son  visage  pour  ne  point  respirer  ce  vent  empoi- 
sonné qui,  en  général  ,  souffle  à  un  ou  deux  pieds  au-dessus 
du  sol.  Quand  cet  invisible  incendie  a  passé ,  les  plantes  sont 
brûlées,  et  les  animaux  eux-mêmes  refusent  de  se  nourrir  des 
moissons  qu'il  vient  de  consumer.  Les  corps  des  victimes  pa- 
raissent plongés  dans  un  paisible  sommeil,  mais  les  chairs  sont 
comme  décomposées ,  et  restent  pour  ainsi  dire  aux  mains  de 
ceux  qui  veulent  déplacer  les  cadavres.  Dans  une  seule  nuit, 
au  témoignage  de  Thévenot,  en  1660,  quatre  mille  personnes 
furent  atteintes  de  ce  fléau,  et  deux  mille  en  1658.  » 

Après  le  tableau  du  sol  et  du  climat,  viennent  quelques  do- 
cumens  sur  les  divers  peuples  qui  devaient  se  trouver  limitro- 
phes des  Hébreux  ou  entretenir  quelques  relations  avec  eux. 
Ces  données  étant  établies,  l'auteur  passe  à  l'examen  des  lois 
du  Pentateuque.  Il  les  prend  une  à  une,  et  montre  comment 
tout,  jusqu'aux  moindres  dispositions  de  cette  législation  di- 
vine, était  admirablement  bien  combiné  pour  faire  des  Juifs 
un  peuple  agricole  ,  pour  les  fixer  au  sol ,  leur  interdire  la  vie 
nomade,  les  isoler  des  nations  idolâtres,  dont  ils  n'avùent  que 
trop  de  penchant  à  adopter  les  funestes  erreurs.  Maints  règle* 
mens  de  détails,  traités  avec  dédain  et  ironie  par  des  observa- 
teurs superficiels,  sont  interprétés  d'une  manière  nouvelle  par 
M.  Cellerier,  qui  y  reconnaît  également  l'intention  du  légis- 
lateur d'attacher  fortement  les  Hébreux  à  la  contrée  dont  il 
leur  avait  montré  le  chemin.  Si  Moïse  interdit  aux  Juifs  l'u- 
sage de  la  graisse  d'animaux  et  du  beurre,  et  leur  prescrit  d'em- 
ployer l'huile  pour  'apprêter  leurs  alimens ,  c'est  afin  de  les 
forcer  à  cultiver  l'olivier ,  et  de  tourner  ainsi  leur  attention 
vers  l'agriculture.  S'il  leurdéfendde  manger  certainsanimaux, 
c'est  pour  leur  rendre  impossible  la  vie  nomade  et  les  éloi- 
gner des  habitudes  de  ces  peuples  errans  dont  ces  animaux  for- 
ment justement  la  principale  nourriture.  La  circoncision,  pra- 
tiquée parmi  les  prêtres  des  Egyptiens,  au  milieu  desquels  les 
Israélites  avaient  vécu  ,  est  adoptée  par  Moïse  comme  un 
moyen  de  rehausser  les  Juifs  à  leurs  propres  yeux  ,  en  leur 
donnant  ainsi  une  marque  particulière  ,  destinée  à  les  distin- 
guer comme  une  nation  supérieure  aux  autres ,  comme  un 
peuple  de  sacrificateurs  et  de  serviteurs  de  Dieu.  Tout  est  ha- 
bilement calculé  par  le  législateur,  qui  sait  profiter  des  défauts 
comme  des  vertus  de  son  peuple  ,  qui  se  sert  des  préjugés  déjà 


MORALE,  ÉDUCATION,  l5 

existants  pour  assurer  son  empire  ,  atin  de  pouvoir,  plus  tard 
les  combattre  avec  plus  de  facilité  ;  qui  fait  concourir  tous  les 
moyens  à  son  but,  et  parvient  à  créer  avec  des  esclaves  mie 
nation  indépendante  et  libre  ;  avec  des  brutes  ingnorantes,  un 
peuple  adorateur  du  vrai  Dieu,  ennemi  de  l'idolâtrie,  et  bien- 
tôt vainqueur  de  toutes  les  nations  voisines,  jusqu'alors  plus 
avancées  que  lui  dans  la  civilisation. 

Moïse  préparait  ainsi ,  dit  M.  Cellerier,  la  route  au  christia- 
nisme ,  qui  devait  trouver  chez  les  Juifs  ie  dépôt  sacré  du 
théisme  pur,  et  féconder ,  en  les  développant  quand  le  temps 
serait  venu ,  les  germes  de  la  vraie  religion,  conservés  dans 
cette  nation  choisie  entre  toutes  pour  1  accomplissement  des 
hautes  destinées  de  l'humanité. 

Le  véritable  esprit  de  la  législation  mosaïque  est  donc  l'ac- 
tion providentielle  qui  se  manifeste  à  nos  faibles  regards  dans 
tous  les  événements  de  l'histoire  des  Juifs  dune  manière  plus 
marquée,  plus  suivie,  plus  évidente,  que  nulle  part  ailleurs. 
La  vérité  devait  arriver  au  monde  par  une  voie  lente  et  péni- 
ble, par  une  marche  graduelle  qui  semble  être  la  loi  univer- 
selle de  formation  en  toutes  choses  ,  et  qui  est  en  effet  la  plus 
conforme  à  la  haute  sagesse  de  Dieu.  Le  peuple  de  Moïse  est  le 
seul  de  l'antiquité  à  nous  connu  chez  lequel  brille  un  rayon 
de  ce  flambeau  divin.  Il  est  l'unique  chaînon  qui  nous  ratta- 
che à  ce  vieux  monde  d'Orient  dont  les  destinées  sont  encore 
un  mystère  pour  nous  Cette  seule  raison  suffirait  pour  don- 
ner une  haute  importance  à  toutes  les  recherches  qui  onfpour 
but  son  histoire,  ses  lois  ,  ses  mœurs.  Sous  ce  rapport  donc  ,  le 
livre  que  nous  annonçons  mérite  déjà  d'être  bien  accueilli  du 
publir  ;  mais  l'esprit  de  piété  haute  et  éclairée  qui  le  distin- 
gue ,  la  sage  mesure  dans  laquelle  l'auteur  a  su  concilier  la  foi 
avec  la  raison  ,  la  religion  avec  la  critiqne  historique,  lui  as- 
surent un  succès  non  moins  grand  que  celui  qu'ont  déjà  ob- 
tenu tous  les  autres  ouvrages  de  M.  le  professeur  Cellerier.  Ce 
judicieux  écrivain  possède  à  un  haut  degré  le  talent  bien  rare 
de  présenter  la  théologie  sous  une  forme  attrayante,  de  la 
faire  sortir  de  l'école  pour  s'introduire  dans  les  salons  et  les 
familles,  et  de  lui  donner  une  allure  douce  et  conciliante  qui 
obtient  les  suffrages  des  hommes  éclairés  de  toutes  les  commu- 
nions religieuses. 


t6  RELIGION.   PHILOSOPHIE, 

LA  VRAIE  PII  OENOLOGIE,  ou  l'Unité  d'un  principe  intellectuel  et  moral 
dans  l'homme,  fondée  sur  l'accord  de  l'expression  rationnelle  du  verbe  et 
de  la  conscience  du  moi,  avec  la  notion  de  l'être  universel  ;  par /.-/?.- 
M.  tercet.  Paris ,  chez  Leleux,  1 83 7.  In  8°.  1  fr.  2  5  c. 

Laphrénologie,  en  devenant  à  la  mode  en  Fiance,  ne  pouvait 
manquer  de  tomber  tout-à-fait  dans  le  matérialisme,  doctrine 
funeste  qui  ne  trouva  toujours  que  trop  de  disciples  chez  une 
nation  vive  et  légère,  ennemie  de  tout  raisonnement  abstrait 
et  trop  occupée  de  vivre  pour  avoir  le  tempsde  beaucouppen- 
ser.  C'est  en  effet  ce  qui  est  arrivé.  On  a  fait  du  génie  une 
fibre  du  cerveau  et  chacune  des  qualités  bonnes  ou  mauvaises 
de  notre  esprit  n'a  plus  eu  d'autre  cause  que  la  forme  de  telle 
ou  telle  partie  de  la  matière  renfermée  dans  notre  crâne.  On 
va  même  jusqu'à  vouloir  diriger  l'éducation  d'après  les  bosses 
que  présente  la  tète  d'un  enfant,  et  il  ne  faut  pas  désespérer 
que  de  conséquence  en  conséquence  on  arrivera  à  inventer  des 
moules  pour  modeler  le  crâne  encore  tendre  des  nouveau-nés. 
Chacun  alors  choisira  le  moule  qu'il  préférera  pour  ses  enfants, 
et  l'on  fabriquera ,  en  quelque  sorte  ,  les  hommes  de  génie  à 
volonté. 

C'est  contre  ce  matérialisme  phrénologique  que  s'élève 
M.  Gence  ,  et  sa  biochure  est  destinée  à  repousser  avec  force  de 
semblables  doctrines.  Mais,  malheureusement,  le  spiritualisme 
de  M.  Gence  est  tellement  mystique,  qu'il  est  bien  difficile  de 
comprendre  son  langage.  Peut-être  paraîtra  t-il  plus  clair  aux 
personnes  habituées  à  se  livrer  à  de  profondes  études  philoso- 
phiques ,  mais  nous  avouons  notre  complète  incapacité  à  cet 
égard.  iNous  nous  bornerons  donc  à  donner  la  table  des  ma- 
tières de  cet  opuscule ,  en  souhaitant  vivement  que  l'auteur 
réussisse  par  ses  efforts  à  réhabiliter  l'âme  contre  laquelle  le 
corps  semble  aujourd'hui  vouloir  se  révolter,  en  la  rabaissant 
au  rang  de  l'un  de  ses  organes  : 

Section  lie.  Des  modernes  sjsTènies  qui  ont  Dieu  et  l'homme 
pour  objet  :  —  spiritualisme  physico-moral.  Rationalisme,  — 
Eléments  de  la philosophie  rationnelle. 

Section  2e.  Le  verbe  ou  son  équivalent  dans  les  langues.  — 
De  l'action  d'affirmer  propre  au  verbe. —  Rétablissement  du.  verbe 
confondu  avec  le  modïficatif. 

Section  3e.  Le  moi  dans  l'homme.  ■ —  Le  moi  humain  indé- 
pendantdes  sens.  — Sur  la  craniologie,  science  destructive  de  l'unité 
du  moi.  — De  l'unité  du  moi  détruite  également  par  la  science 
dite phrénologie,  dont  la  substitution- à,  la  craniologie  est  pure- 
ment nominale.  —  De  l'unité  du.  moi  sous  le  rapport  logique.  — - 
Sur  le  somnambulisme  magnétique  et   le  svedenborgisme.  —De 


MORALE,  ÉDUCATION.  17 

limité  du  moi  intellectuel  et  moral.  —  Sur  la  psychologie  (esptrtt 
et  âme  ). 

Section  4e. Le  verbe  et  le  moi  absolu  eu  Dieu.  —  L'ontologie. 
—  Profession  de  joi  de  l'auteur. 


ESSAIS  SUR  LA  PHILOSOPHIE  DES  INDOUS,parM.  H.-  T.  Colebrooke, 
trad.  de  l'anglais  et  augmentés  de  textes  sanscrits  et  de  notes  nombreuses 
par  G.  Pauthier.  Paris,  chez  V.  Masson,  rue  de  l'Ecole-de-Médecine,  n°  4. 
1  vol.  in-8°.  8  fr. 

La  philosophie  des  Iudous  est ,  pour  les  savants  européens  , 
l'objet  d'études  profondes  et  du  plus  haut  intérêt ,  car  elle 
peut  offrir  quelques  notions  sur  l'état  de  la  science  chez  les 
peuples  d'Asie  dans  l'antiquité;  aussi  quelles  que  soient  les  dif- 
ficultés qui  entourent  le  sanctuaire  de  Brahina  quelque  aride 
que  puisse  être  une  telle  étude  ,  surtout  dans  ses  premiers  pas, 
de  hardis  travailleurs  sont  parvenus,  à  force  de  zèle  et  de  veilles , 
à  dérouler  à  nos  yeux  tout  le  tableau  des  diverses  doctrines  des 
plus  anciens  philosophes  indous.  Il  y  avait  non  seulement  à 
vaincre  les  obstacles  que  présente  une  langue  qui  ne  se  parle 
plus,  et  dont  il  fallait  reconstruire  en  l'étudiant  la  grammaire 
et  la  syntaxe  ,  mais  encore  l'obscurité  très  grande  de  la  plu- 
part des  idées,  les  subtilités  souvent  puériles  de  ces  systèmes, 
semblaient  bien  faites  pour  décourager  les  efforts  les  plus 
constants.  Cependant ,  au  milieu  des  superstitions  grossières  et 
du  mysticisme  inintelligible  qui  remplissent  une  grande  partie 
de  ces  anciens  traités ,  on  y  rencontre  des  traits  de  lumière 
qui  jettent  un  jour  brillant  sur  lespremiersàgesde  l'humanité. 
Ainsi  que  le  dit  le  traducteur  dans  sa  préface  :  «  Au  milieu  de 
ce  monde  presque  tout  nouveau  pour  nous  ,  l'Inde  ,  avec  sa 
langue  sanskrite  sisavanteet  si  métaphysique,  avec  sa  pensée 
religieuse  si  profonde  et  si  sublime ,  sa  pensée  philosophique 
si  abstraite  et  si  hardie ,  son  imagination  si  poétique  et  si  gi- 
gantesque, et  sa  nature  si  merveilleuse  et  si  féconde,  nous 
apparaît  comme  le  grand  et  antique  foyer  de  la  pensée  hu- 
maine ,  comme  le  point  central  et  rayonnant  de  ce  vaste  cercle 
d'idées  philosophiques  et  religieuses ,  d'idiomes  frappants  de 
consanguinité ,  qui  a  enveloppé  la  Haute- Asie  et  qui  a  fini  par 
embrasser  presque  tout  l'ancien  inonde.  C'est  en  effet  sur  les 
hauts  plateaux  de  l'Asie  qu'a  été  jetée  primitivement  l'énigme 
du  genre  humain  ;  c'est  de  là  que  le  grand  fleuve  de  la  civi- 
lisation est  parti  avant  de  couvrir  l'Europe  et  avant  de  laisser 
derrière  lui  de  vastes  déserts  de  sables.  » 

Les  essais  de  M  Colebrooke  sont  au  nombre  de  cinq,  savoir: 
i*   Philosophie  sa'nhhya  ;  20    Systèmes    nya'ya   et    oais'éthihaj 


i»  RELIGION,  PHILOSOPHIE, 

Traduction  de  la  sa'nkhya-ka'rika' ,  ou  vers  remémoratifs  de 
la  philosophie  sa'nkliya ,  par  Is'vara-Krichn'a;  3°  Première 
mimansa,  philosophie  qui  a  pour  ohjet  de  déterminer  le  sens 
de  la  révélation  ou  l'interprétation  des  Vêdàs  ;  4°  Philosophie 
véda'nta  i  5°    Sectes  hétérodoxes. 

Le  traducteur  a  ajouté  à  ces  essais  des  développements  fort 
importants;  entre  autres  un  essai  sur  les  Bouddhistes  qui  ren- 
ferme plusieurs  rapprochements  tirés  des  livres  chinois  ,  et  un 
spécimen  extrait  d'une  traduction  complète  du  Tao-te-Ring 
(livre  du  tao  ou  de  la  raison  primordiale  suprême  et  de  la  vertu), 
ouvrage  philosophique  de  Lao-Tseu,  dont  l'âge  remonte  après 
de  6oo  ans  avant  notre  ère.  Il  a  de  plus  donné  en  notes  les 
textes  sanscrits  les  plus  intéressants,  sur  lesquels  est  hase  le 
travail  de  M.  Colebrooke,  et  une  table  explicative  des  termes 
philosophiques  et  des  mots  sanskrits  employés  dans  le  cours 
de  L'ouvrage,  De  cette  manière,  ce  livre  a  le  double  avantage 
d'offrir  aux  savants  un  sujet  d'études,  et  aux  gens  du  monde 
une  exposition  assez  claire  de  la  philosophie  des  Indous.  Quel- 
qu'abstrait  que  soit  un  pareil  sujet,  après  avoir  vaincu  les 
premières  difficultés,  on  s'y  attache  vivement,  et  c'est  avec 
un  véritable  intérêt  qu'on  lit  le  résumé  de  ces  antiques  opi- 
nions sur  l'essence  de  l'âme  ,  sur  la  destinée  humaine  ,  sur  les 
attributs  et  la  puissance  du  Dieu  éternel  qui  est  le  créateur  de 
tout  ce  qui  existe. 


LES  VOLEURS,  physiologie  de  leurs  mœurs  et  de  leur  tangage,  par 
E.-F.  Vidocq.  Paris,  1837.  2  vol.  in-S",  ornés  du  portrait  de  fauteur. 
i5  fr. 

Dictionnaire  argotique  ,  aveedes  développements  assez  éten- 
dus sur  les  ruses  et  l'adresse  des  voleurs  ,  et  semé  d'anecdotes 
assez  curieuses.  Vidocq  publie  ce  livre  dans  le  but  d'être  utile 
aux  honnêtes  gens,  et  de  faire  servir  ses  connaissances,  très 
profondes  en  pareille  matière,  à  les  prémunir  contre  le  vol  et 
la  fraude.  Il  est  placé  de  manière  à  pouvoir  donner  de  précieux 
renseignements  à  ce  sujet,  et,  quelqu'étrange  qu'il  paraisse  de 
voir  Vidocq  faire  le  moraliste  ,  son  opinion  n'est  point  sans 
quelque  poids.  Il  a  vu  d'assez  près  les  gens  qui  peuplent  or- 
dinairement les  prisons,  pour  les  connaître  et  pour  apprécier 
quels  sont  les  meilleurs  moyens  de  les  réformer.  Ce  n'est  donc 
pas  indifférent  de  l'entendre  se  prononcer  contre  la  surveil- 
lance et  repousser  la  peine  de  mort. 


MORALE,  ÉDUCATION,  i9 

EMILIE,  ou  la  Jeune  fille  auteur,  par  mademoiselle  S.    Ullinc  Trémadeure, 
i  vol.  in-i2°,  fig.  3  fr.  5o  c.  Paris,  1837,  chez  Didier,  quai  des  Augustins. 

Parmi  les  écrivains  assez  nombreux  aujourd'hui  qui  s'oc- 
cupent de  la  jeunesse  et  travaillent  à  lui  procurer  plaisir  et 
instruction  ,  à  former  son  cœur  et  à  orner  son  esprit ,  made- 
moiselle Ulliac  Trémadeure  occupe  certainementl'unedes  pre- 
mières places.  Une  morale  pure  ,  une  raison  éclairée,  brillent 
dans  tous  ses  ouvrages  ;  mais  ce  qui  surtout  la  distingue  d'une 
manière  toute  particulière  ,  c'est  la  modestie  et  la  simplicité 

3ui  s'unissent  chez  elle  à  un  talent  très  remarquable.  Jamais 
e  prétentieuses  préfaces ,  de  pédantesques  programmes , 
jamais  de  ces  phrases  10  fiantes  si  communes  de  nos  jours 
parmi  nos  femmes  de  lettres,  qui  ne  savent  écrire  une 
page  sans  parler  de  mission,  de  régénération  sociale,  etc. 
«  La  femme  ,  providence  terrestre  du  foyer  domestique,  en 
devient  le  fléau  du  moment  qu'elle  livre  son  âme  à  l'amour 
de  la  renommée  ,  »  telle  est  la  pensée  qui  domine  chez  made- 
moiselle Ulliac,  et  il  y  a  quelque  courage  à  l'exprimer.  En  notre 
époque  de  mensonge  ,  il  faut  du  crenr  et  de  l'âme  pour  se  dé- 
clarer fidèle  disciple  delà  vérité;  et,  au  milieu  du  ridicule 
fracas  avec  lequel  on  encense  d'impudiques  idoles  ,  en  présence 
des  innombrables  sophismes  sur  lesquels  on  édifie  les  plus 
absurdes  et  les  plus  monstrueuses  théories  d'émancipation  de 
la  femme  ,  de  nouveau  système  social,  etc.,  honneur  au  noble 
et  ferme  caractère  qui  méprise  les  clameurs  de  la  foule  et  se 
renferme  dans  le  sanctuaire  sacré  de  la  famille,  cette  ancre  de 
salut  de  la  société,  qui  peut  seule  lui  offrir  repos  et  consolation 
après  les  révolutions  politiques  ou  religieuses  dont  le  monde 
est  depuis  si  long-  temps  tourmenté. 

Dans  Emilie,  mademoiselle  Ulliac  a  voulu  combattre  la  fu- 
neste influence  des  folles  idées  du  jour ,  enfantées  par  les 
Saint-Simoniens  ,  et  recueillies  après  le  décès  de  ceux-ci  par 
une  foule  toujours  prête  à  exploiter  les  systèmes  les  plus  faux 
et  les  plus  insoutenables  ,  influence  plus  générale  qu'on  ne  le 
pense,  qui  se  glisse  dans  la  plupart  des  pensionnats  et  donne  à 
l'éducation  des  jeunes  filles  la  direction  la  plus  dangereuse. 
Si  les  théories  saint-simoniennes  n'ont  pas  trouvé  d'écho  en 
ce  qui  concerne  la  participation  de  la  femme  au  pouvoir  civil 
et  politique ,  il  n'en  est  pas  de  même  pour  ce  qui  touche  le 
développement  des  facultés  intellectuelles  On  a  généralement 
accueilli  avec  un  engouement  peu  raisonné  la  pensée  de  l'é- 
mancipation de  la  femme  sous  ce  rapport,  et  former  des  femmes 
de  lettres  est  devenu  le  but  de  maints  efforts  jusque  là  trop 
mal  dirigés  pour  pouvoir  en  faire  de  bonnes  mères  de  fa- 
mille. 


ao  RELIGION,  FHiLOSOPHIE, 

Emilie  est  engagée  à  embrasser  cette  périlleuse  carrière  par 
une  dame  qui  s'intéresse  à  elle,  et  qui  pense  y  voirie  moyen  le 
plus  certain  d'assurer  à  cette  jeune  fille  un  avenir  heureux  ,  et 
de  lui  fournir  les  ressources  nécessaires  pour  soutenir  son 
grand-père  et  sa  vieille  cousine,  les  seuls  parents  qui  lui  restent 
avec  son  frère  qui  est  à  l'armée.  Le  grand-père  ire  consent  pas 
sans  peine  à  livrer  sa  petite-fille  à  tous  les  écueils  de  la  carrière 
des  lettres  ;  mais  aucun  autre  état  ne  pouvait  promettre  des 
chances  aussi  belles  de  réussite  ,  et  l'amour-propre  paternel, 
flatté  de  l'espoir  de  voir  Emilie  se  faire  un  nom  célèbre,  acheva 
bientôt  de  combattre  toutes  les  objections. 

La  jeune  fille  débuta   donc  en  essayant  ses  forces  comme 
traductrice.  Animée  de   l'ardeur  la   plus   vive ,  heureuse    de 
songer  qu'elle  allaitpouvoirenfinprocurerquelque  aisance  aux 
siens ,  elle  eut   bientôt  terminé    une  traduction.  Son  grand 
père  on  revit  le  style  ,   et   il  ne  manqua  plus  qu'un  éditeur 
pour  la  publier.  Alors  commencèrent  les  tribulations  du  mé- 
tier, les  désappointements  d'auteur.  La  plupart  des  libraires  . 
peu  capables  d'apprécier    le   mérite  d'un  ouvrage  ,  spéculent 
plutôt  sur  les  chances  qu'offre  un  nom  déjà  connu  du  public, 
et  ne  se  soucient  guère   d'encourager  les   débutans.    Emilie 
essuie    donc  plusieurs   refus  cruels  à  la  fois  pour  son  amour- 
propre  et  pour  son  creur ,  car  les  lettres  lui  semblaient  une 
ressource  certaine  contre  la  misère.  Cependant,  grâce  à  la  re- 
commandation  de   sa  protectrice ,  elle    finit  par    trouver  un 
éditeur  qui  lui  donne  3oo  francs  de  son  manuscrit;  et,  dans  sa 
joie  d'avoir  obtenu  une   pareille  somme  du  premier  produit 
de  son  travail ,  elle  oublie  toutes  les  peines  qu'il  a  fallu  pour 
cela,  et  sent  revivre   toutes  ses  brillantes  espérances.  Le  livre 
s'imprime  sans  qu'elle  songe  seulement  à  en  revoir  les  épreu- 
ves ;  il  paraît  enfin,  et  c'est  un  grand  jour  de  fête  pour  Emilie, 
pour  son  grand-père  et  sa  vieille  cousine,  lorsqu'on  leur  ap- 
porte les  exemplaires  qui  leur  appartiennent.  Mais  le  plaisir  est 
quelque  peu  empoisonné   par  la  découverte  d'une  fouie  de 
fautes  d'impression  qui  défigurent  le   style.  Vient  ensuite  la 
critique  qui    est   toujours  une  rude  épreuve  pour  l'écrivain; 
puis  le  livre,  à  peine  annoncé  par  les  journaux  ,  qui  n'ouvrent 
leurs  colonnes  qu'aux  sollicitations  de    la  camaraderie  ou  à 
l'éclat  de  beaux  deniers  comptants  ,  se  vend  fort  peu,   et  lors- 
qu'une  nouvelle  traduction  est    prête  ,   la  pauvre  Emilie  ne 
peut  trouver  à  la  placer  qu'aux  plus  dures  conditions.  Elle  se 
voit  obligée  de.  consentir  à  faire  passer  son  travail  pour  celui 
d'un  autre,  ou  du  moins  à  se  cacher  sous  des  initiales  qui  puis- 
sent faire  supposer  un  nom  plus  connu  que  le  sien.   Devant 
ses  tristes  réalités,   les   illusions  passent  vite.    Aussi    Emilie 
éprouva- t-elle un  complet  découragement;  elle  renonça  même 


MORALE,  EDUCATION.  21 

tout-à-fait  à  écrire  pendant  quelque  temps.  Mais  le  travail 
avait  développé  chez  elle  des  facultés  qui  demandaient  à 
s'exercer,  et,  malgré  sa  résolution  de  déposer  la  plume,  elle 
la  reprit  bientôt  pour  se  livrer  entièrement  à  ses  propres  in- 
spirations. Cette  nouvelle  tentative  fut  plus  heureuse.  Quel- 
ques amis  s'intéressèrent  à  elle;  on  la  produisit  dans  le  monde, 
et  bientôt  sa  réputation  s'établit  ,  son  nom  devint  célèbre. 
Alors  la  scène  changea;  les  trompettes  de  la  renommée  n'eurent 
plus  pour  elle  que  des  paroles  flatteuses  ;  elle  devint  l'auteur 
à  la  mode,  et  se  vit  comme  telle  recherchée  de  tous  ,  entourée 
d'hommages  et  d'adulations. 

C'est  bien  là  l'histoire  de  la  plupart  de  ces  brillantes  renom- 
mées de  salon  que  le  monde  élève  et  rabaisse  tour  à  tour  suivant 
sescapi-ices.  Si  mademoiselle,  Ulliac  a  oublié  quelques  traits  dans 
ce  tableau,  c'est  qu'il  ne  convenait  peut-être  pas  de  les  mettre 
sons  les  yeux  de  la  jeunesse.  Mais  il  est  facile  d'y  suppléer. 
A  côté  des  peines  sans  nombre  ,  des  humiliations  ,  des  désap- 
pointements, dont  les  abords  de  la  carrière  des  lettres  sont  tou- 
jours semés,  la  femme  surtout  y  rencontre  encore  maints 
écueils  plus  dangereux.  A  combien  d'intrigues  l'exposent  sa 
jeunesse  ,  sa  pauvreté  ,  ses  talens  ,  ses  succès  eux-mêmes  !  Dans 
ces  salons  où  brille  sa  gloire ,  elle  trouvera  des  périls  sans 
nombre.  11  faut  acheter  à  tout  prix  les  bonnes  grâces  des  jour- 
nalistes; il  faut  hanter  la  société  des  gens  de  lettres  ,  société 
souvent  assez  immorale,  composée  de  femmes  pl'usque  légères, 
d'hommes  sans  principes.  Si  nous  voulions  descendre  dans  les 
déta.ils  de  cette  existence  dont  l'éclat  est  si  séduisant,  nous 
aurions  bien  d'autres  misères  à  dévoiler,  mais  nous  préférons 
continuer  l'analyse  du  charmant   ouvrage  qui  nous  occupe. 

Emilie,  au  milieu  de  ses  triomphes,  éprouve  parfois  des  dé- 
goûts profonds  quand  elle  voit  l'intrigue  rivaliser  avec  le  talent, 
s'élever  même  au-dessus  de  lui  avec  le  secours  de  l'envie  et 
de  la  jalousie,  ses  dignes  auxiliaires.  C'est  dans  un  de  ces  1110- 
mens  d'abattement  qu'elle  consent  à  donner  sa  main  à  un 
homme  riche  et  probe  qui  la  lui  demande  T  et  met  pour  con- 
dition à  son  mariage  l'abandon  de  ses  travaux  de  plume  ;  car 
il  est  persuadé  que  la  vie  agitée  de  l'écrivain  ne  peut  con- 
venablement s'allier  avec  les  devoirs  de  la  mère  de  famille. 
Emilie  ,  tout  entière  à  sa  nouvelle  position  .  tient  d'abord 
parole ,  se  renferme  dans  son  intérieur,  et,  si  elleécrit  encore, 
n'écrit  que  pour  elle.  La  lutte  qu'elle  soutient  entre  ses  pen- 
chants et  son  devoir  est  parfaitement  bien  décrite.  Rien  déplus 
vrai  et  de  plus  naturel  que  ces  rechutes  fréquentes  de  la  pauvre 
Emilie,  qui  cherche  vainement  à  étouffer  l'inspiration  ,  à  re- 
fouler ses  pensées  ,  à  enchaîner  son  imagination.  Les  souvenirs 
de  ces  succès  enivrants  ,  de  ces  applaudissements  dont  le  passé 


sa  LEGISLATION, 

ornait  sa  vie,  viennent  encore  résonner  à  ses  oreilles,  et,  faible 
femme  ,  elle  succombe  et  sacrifie  le  bonheur  domestique  à  la 
gloire.  Dès  lors  plus  de  tranquillité,  plus  de  paix  intérieure 
pour  elle  ;  son  mari,  son  enfant  lui  deviennent  presque  étran- 
gers ;  c'est  dans  le  tourbillon  du  monde  qu'elle  va  cueillir  les 
palmes  qu'il  faut  à  sa  vaniteuse  ambition.  Voilà  donc  une  vie 
gâtée  par  les  succès  littéraires  !  Et,  si  la  carrière  des  lettres 
embrassée  par  nécessité  ne  produit  trop  souvent  que  de  tels 
résultats  ,  combien  est  fausse  la  direction  imprimée  aujour- 
d'hui à  l'éducation  des  filles,  combien  est  dangereuse  la  pensée 
de  classer  l'état  d'écrivain  parmi  ceux  qui  offrent  les  meilleures 
chances  à  l'avenir  des  jeunes  personnes  pauvres  et  intelli- 
gentes ! 

Mais  faut-il  donc  renoncer  à  cultiver  les  facultés  intellec- 
tuelles dont  tant  de  femmes  sont  douées  ?  Non  sans  doute  ; 
tout  ce  que  la  nature  place  en  nous  est  bon  à  cultiver  ;  mais , 
à  côté  de  ces  facultés  ,  elle  a  placé  aussi  chez  la  femme  des 
devoirs  plus  précieux  et  plus  importants  encore  qui  doivent 
marcher  avant  tout.  Les  lettres  sont  un  noble  délassement  qui 
élève  l'âme  et  qui  dans  l'occasion  peut  devenir  une  ressource 
fort  utile  ,  mais  elles  ne  doivent  jamais  être  l'objet  d'une  vaine 
gloire.  Concluons  donc  avec  mademoiselle  Ulliac  Trémadeure 
que  la  gloire  mondaino  est  incompatible  avec  les  devoirs  d'une 
mère  de  famille  ;  que  la  vie  agitée  de  l'écrivain  à  la  mode  tue 
le  bonheur  domestique  ,  et  que,  si  le  génie  se  rencontre  dans 
une  tète  de  jeune  fille  ,  c'est  une  raison  de  plus  d'appliquer 
tous  ses  efforts,  dans  l'éducation  ,  à  lui  faire  estimer  et  chérir 
par-dessus  tout  les  inaltérables  jouissances  de  la  vie  de  fa- 
mille. 

Il  serait  à  souhaiter  que  la  femme  ne  songeât  à  écrire  pour 
le  public,  qu'à  l'époque  où  ses  enfants,  élevés  par  ses  soins,  ne 
réclament  plus  tout  son  temps.  Son  talent  y  gagnerait  plus  de 
maturité,  et  le  public  trouverait  certainement  dans  ses  ou- 
vrages une  connaissance  plus  profonde  du  cœur  humain  ,  une 
expérience  du  monde  qu'elle  n'aurait  du  moins  ^pas  acquise 
aux  dépens  de   sa  modestie  ou  de  son  bonheur. 


LEGISLATION,  ECONOMIE  POLITIQUE,  COMMERCE,  ETC. 


ETUDES    SUR   L  ECONOMIE    POLITIQUE,    par   J.-C.-L.    Simonde    de 
Sistnondi.  Paris,  i837,t.  icT,  in-8°.  7  i'r.  5o  c. 

Ce  volume  ,  qui  fait  suite  aux  Etudes  sçciçles  du  même  au- 
teur ,  publiées  en  avril  dernier,  renferme  divers  fragments  de 


ÉCONOMIE  POLITIQUE,  ETC.  2 3 

M.  de  Sismondi  qui  ont  déjà  paru  dans  des  recueils  pério- 
diques, et  qu'il  rassemble  aujourd'hui  en  corps  d'ouvrage  , 
soit  pour  les  sauver  de  l'oubli,  soit  pour  en  former  un  tout 
qui  offre  l'exposé  de  ses  doctrines  et  serve  d'appui  à  son  sys- 
tème. On  demandera  sans  doute  quelles  sont  ces  doctrines  , 
quel  est  ce  système  ;  mais  il  n'est  pas  très  facile  de  répondre 
à  une  pareille  question.  En  économie  politique  ,  comme  en 
science  sociale,  M.  de  Sismondi  paraît  ne  pas  très  bien  savoir 
ce  qu'il  veut ,  ou  du  moins  il  ne  l'expose  point  d'une  manière 
claire  et  logique.  Ce  qui  ressort  le  mieux  de  son  Introduction", 
c'est  qu'il  s'est  déclara  l'ennemi  des  machines,  et  que,  voyant 
le  paupérisme  devenu  l'objet  de  l'attention  et  des  investiga- 
tions d'un  grand  nombre  d'économistes,  il  proclame  le  triom- 
phe de  ses  idées  à  cet  égard,  puisque,  dit-il,  les  machines 
n'ont  fait  qu'augmenter  partout  le  nombre  des  pauvres.  Mais 
il  faudrait  d'abord  savoir  si  réellement,  en  proportion  de  l'ac- 
croissement des  populations ,  le  paupérisme  a  fait  de  grands 
progrès ,  ou  bien  si  cette  prétendue  augmentation  ne  résulte 
pas  seulement  de  ce  que  la  science  a ,  depuis  peu  ,  porté  ses 
recherches  vers  cet  objet,  qui  autrefois  était  tout-à-fait  dédai- 
gné. Ensuite,  si  ce  mal  est  réel,  est-ce  bien  l'introduction  des 
machines  qui  l'a  produit  ? 

Or,  sur  le  premier  de  ces  deux  points,  M.  de  Sismondi  nous 
apprend  lui-même  que  .  dans  les  siècles  passés,  l'homme  du 
peuple  ,  le  prolétaire  ,  Le  serf,  en  un  mot  la  gent  corvéable, 
taillable  ,  etc. ,  était  considérée  comme  si  peu  importante  dans 
un  Etat,  que  personne  ne  songeait  à  s'en  occuper ,  et  que  pas 
un  seul  écrivain  ne  nous  a  laissé  sur  elle  des  documents  de  quel- 
que étendue.  On  ignore  donc  tout-à-fait  quelle  était  sa  condi- 
tion ,  et  les  rares  détails  qu'on  peut  rencontrer  à  ce  sujet  dans 
de  vieux  chroniqueurs  nous  peignent  tous  des  misères  plus  af- 
freuses encore  que  celles  qui  tourmentent  aujourd'hui  nos  clas- 
ses pauvres.  L'imprévoyance  et  le  désordre ,  suites  assez  01  di- 
naires  d'une  éducation  mauvaise  et  d'une  instruction  négligée, 
sont,  d'ailleurs,  bien  plus  souvent  que  toute  autre  chose ,  les 
causes  qui  font  la  ruine  et  le  malheur  des  ouvriers.  Ces  causes 
ont  pu  devenir  plus  intenses  depuis  l'introduction  des  machi- 
nes, parce  que,  maintes  jouissances  étant  mises  ainsi  à  la  por- 
tée d'un  plus  grand  nombre  ,  les  tentations  ont  augmenté  de 
même,  et  que,  tandis  qu'on  discutait  sur  l'utilité  ou  le  danger 
de  ces  machines,  débat  oiseux  puisque  leur  établissement  était 
un  fait  que  nul  ne  pouvait  empêcher  de  s'accomplir,  personne 
n'a  songé  à  préparer  la  classe  ouvrière  à  la  nouvelle  carrière 
quis'ouvrait  pour  elle.  Les  machines,  affranchissant  l'homme  de 
ces  travaux  purement  manuels  qui  le  réduisaient  en  quelque 
sorte  à  l'état  delà  brute,  lui  laissent  tout  ce  qui  ressort  du  do- 


24  LEGISLATION,  ' 

maine  de  l'intelligence,  et  l'obligent  ainsi  à  cultiver  ses  facultés 
intellectuelles.  De  cette  manière,  elles  opèrent  sur  toutes  les 
classes  de  la  société  ce  que  M.  de  Sismondi  regarde  mal  à  pro- 
pos comme  étant  l'apanage  d'une  seule ,  en  disant  qu'il  est 
bon  qu'il  y  ait  dans  un  Etat  des  gens  riches  qui  n'aient  rien  à 
faire  ,  afin  que,  dans  leurs  loisirs  ,  ils  puissent  cultiver  leur  es- 
prit, faire  avancer  les  lettres  et  les  arts,  qui  sans  eux  retombe- 
raient bientôt  dans  la  barbarie.  Or,  nous  le  demandons,  fut-ce 
jamais  la  richesse  oisive  qui  enfanta  le  génie  ?  N'est-elle  pas 
propre  plutôt  à  le  corrompre  et  à  le  perdre  ?  Ces  riches  oisifs, 
qui  n'ont  rien  à  faire  qu'à  rechercher  les  moyens  de  dépenser 
des  revenus  qu'ils  n'ont  pas  acquis ,  ne  sont  le  plus  souvent 
que  de  véritables  fléaux  pour  les  artistes  et  les  écrivains,  qu'ils 
forcent  de  comparaître  à  leur  tribunal  et  de  se  soumettre  aux 
capricieux  jugements  delà  mode.  M.  de  Sismondi  s'extasie  de- 
vant les  palais  des  villes  d'Italie  ,  bâtis  la  plupart  par  des  fa-* 
bricants  et  des  négociants  à  une  époque  où  il  n'existait  pas  en- 
core de  ces  puissantes  machines  qu'il  maudit ,  et  habités  au- 
jourd'hui par  d'autres  industriels  qui  n'ont  pas  de  quoi  les 
meubler  et  les  entretenir.  Mais  comment  n'a-t-il  pas  juste- 
ment vu  dans  ce  contraste  la  condamnation  du  passé?  Per- 
sonne ,  sans  doute,  ne  lui  contestera  que  les  corporations  et 
les  privilèges,  en  monopolisant  les  industries,  ne  favorisassent 
les  gros  bénéfices,  et  n'assurassent,  par  conséquent,  la  fortune 
de  ceux  assez  heureux  pour  pouvoir  s'y  livrer  ;  mais  à  côté  des 
palais  s'élevaient  des  chaumières  en  plus  grand  nombre  encore 
sans  doute.  Et  qui  nous  apprendra  ce  qu'elles  étaient?  Les 
murs  des  palais  se  taisent  à  cet  égard,  ou  plutôt  leur  silence 
est  un  enseignement  pour  qui  sait  le  comprendre.  Le  mono- 
pole de  l'industrie  amena  celui  de  la  richesse,  qui  ne  tarda  pas 
a  engendrer  celui  du  pouvoir,  et  la  liberté  fut  bientôt  étouf- 
fée; car  au  jour  du  danger  il  ne  se  trouva  plus,  d'un  côté 
que  des  riches  égoïstes ,  et  de  l'autre  que  des  pauvres  esclaves. 
D'ailleurs  que  signifie  cette  guerre  contre  les  machines,  de 
la  part  d'un  ami  sincère  de  la  liberté  et  de  la  civilisation  ? 
N'est-ce  pas  une  étrange  erreur  que  de  persister  ainsi  à  ac- 
cuser les  premiers  et  les  plus  féconds  éléments  de  ces  deux  bien- 
faits? Sans  machines,  l'homme  serait  incapable  de  sortir  de 
l'état  de  barbarie  le  plus  complet  ;  bien  plus  même ,  il  ne 
pourrait  soutenir  long  -  temps  sa  misérable  existence.  Cha- 
que pas  qu'il  fait  dans  la  civilisation  est  marqué  justement 
par  l'invention  d'une  nouvelle  machine  ;  et  qui  pourrait  tra- 
cer la  limite  où  il 'doit  s'arrêter,  qui  oserait  prétendre  inter- 
dire à  l'homme  tout  nouveau  progrès  par  le  motif  d'un  ma- 
laise momentané,  dont  fut  accompagnée  toujours  chaque  con- 
quête de  son  intelligence. 


ECONOMIE  POLITIQUE,  ETC.  ij 

Ne  nous  laissons  donc  pas  aller  au  découragement  en  pré- 
sence d'obstacles  qui  existèrent  jadis  comme-aujourd'hui  ;  pre- 
nons garde  surtout  de  faire  chorus  avec  ces  partisans  du  passéf 
prêts  à  rappeler  les  ténèbres  de  l'ignorance  pour  exploiter 
paisiblement  les  peuples  à  leur  profit.  C'est  à  peine  si  la  science 
de  l'économie  politique  commence  à  se  dégager  des  langes  qui 
enchaînaient  son  enfance,  et  déjà  vous  voulez  prononcer  la 
condamnation  de  ses  principes,  qui  n'ont  pu  encore  obtenir 
nulle  part  une  application  complète  ,  un  entier  développe- 
ment. De  tous  côtés,  la  liberté  du  commerce,  la  liberté  de 
l'industrie,  sont  entravées  par  mille  dispositions  malveillantes, 
par  mille  institutions  ennemies  ,  et  vous  les  accusez  d'impuis- 
sance pour  le  bonheur  des  hommes. 

Ah  !  ne  désertez  pas  ainsi  la  sainte  cause  de  l'humanité  !  Ces 
accusations,  qui  vous  sont  arrachées  par  le  spectacle  des  souf- 
frances de  la  classe  ouvrière ,  adressez-les  plutôt  à  ces  vieilles 
institutions  d'un  autre  âge  qui  sont  toutes  empreintes  de  l'es- 
prit de  monopole  et  de  privilège  qui  dominait  le  passé  ;  adres- 
sez-les plutôt  à  cet  égoïsme  corrupteur  qui  isole  l'homme  de 
la  société  et  lui  fait  sacrifier  sans  cesse  le  bien  du  plus  grand 
nombre  à  son  intérêt  particulier,  à  son  ambition  personnelle, 
à  toutes  les  passions  les  plus  mesquines,  les  moins  nobles.  Ne 
voyez-vous  pas  poindre  à  l'horizon  l'aurore  d'un  meilleur  ave- 
nir ?  La  propriété  industrielle  ne  tend-elle  pas,  comme  la  pro- 
priété rurale  ,  à  se  diviser?  La  grandeur  toujours  plus  gigan- 
tesque de  ses  opérations  ne  force-t-elle  pas  les  hommes  à  se 
rapprocher,  à  s'unir  pour  être  plus  forts?  Si  une  fois  l'esprit 
d'association  s'empare  des  classes  ouvrières  ,  si ,  au  lieu  de  le 
rendre  dangereux  à  l'ordre  public  en  le  forçant  à  se  cacher 
comme  un  crime,  on  lui  laisse  son  libre  développement,  en 
cherchant  seulement  à  le  diriger  sur  la  bonne  voie ,  ne  sera-t- 
il  pas  le  régénérateur  de  la  société  ,  le  souffle  de  vie  qui  doit 
ranimer  ce  corps  languissant,  le  gage  d'une  prospérité  future 
plus  grande  et  plus  générale  qu'il  n'en  exista  jamais  dans  le 
passé?  Sans  doute  l'égalité  des  biens  est  une  folle  utopie,  mais 
ce  n'en  est  pas  une  de  demander  une  répartition  plus  ration- 
nelle de  la  richesse  ,  et  par  conséquent  du  bonheur,  par  une 
division  plus  juste  et  mieux  proportionnée  des  charges , 
de  cette  part  de  sacrifices  que  'chacun  doit  faire  à  l'état  social. 
Ce  n'en  est  pas  une  d'exiger  l'égalité  absolue  devant  la  loi ,  et 
l'abolition  complète  de  tout  privilège  tendant  à  favoriser  une 
classe  ou  un  individu  delà  société  aux  dépens  des  autres.  Tant 
qu'on  n'aura  pas  obtenu  ces  deux  conditions  essentielles  de  la 
vie  sociale ,  on  cherchera  vaineinent  des  remèdes  aux  maux 
qui  tourmentent  la  plupart  des  Etats. 

Les  bornes  de  cet  article  nous  empêchent  d'examiner  en  dé- 


26  LEGISLATION, 

tail  chacun  des  neuf  essais  qui  composent  ce    volume.  Nous 
nous  contenterons  d'en  indiquer  les  titres  : 

1.  Balance  des  consommations  avec  les  productions. 

2.  Du  revenu  social. 

3.  Quelle  est  la  distribution  de  la  richesse  territoriale  qui  pro- 
cure le  plus  de  bonheur  à  la  société? 

4.  De  la  condition  des  cultivateurs  de  race  gaélique  en  Ecosse, 
et  de  leur  expulsion. 

5.  De  la  condition  de  cultivateurs  irlandais ,  et  des  causes  de 
leur  détresse. 

6.  De  la  condition  des  cultivateurs  en  Toscane. 

Ces  deux  essais  contiennent  une  foule  de  détails  du  plus 
haut  intérêt ,  auxquels  le  talent  de  l'écrivain  a  su  donner  un 
vif  attrait 

7.  Des  devoirs  du  souverain  envers  les  cultivateurs  irlandais,  et 
des  moyens  de  les  tirer  de  leur  détresse. 

8.  Des  effets  de  l'esclavage  sur  la  race  humaine. 

Nous  n'avons  pas  besoin  de  dire  que  M.  de  Sismondi  se  pro- 
nonce contre  l'esclavage  avec  toute  la  chaleur  de  son  cœur  gé- 
néreux. Il  expose  avec  beaucoup  de  force  tous  les  résultats  fu- 
nestes qu'entraîne  cette  détestable  institution  ;  il  en  montre 
tous  les  dangers,  non  seulement  pour  les  malheureux  qui  en 
sont  victimes,  mais  pour  les  intérêts  mêmes  des  maîtres  qui 
emploient  les  esclaves,  et  pour  la  liberté  du  pays  qui  les  tolère. 
«  L'esclavage,  dit-il ,  entraîne  un  pays  libre  vers  le  despo- 
tisme politique  ,  et  met  dans  un  danger  perpétuel  l'indépen-  ' 
dance  des  nations.  » 

9.  De  la  marche  à  suivre  pour  retirer  les  cultivateurs  nègres  de 
l'esclavage. 

Ce  dernier  essai  renferme  des  vues  pleines  d'une  vraie  phi- 
lanthropie, qui  méritent  de  fixer  l'attention  des  législateurs  , 
et  qui  rencontreront  sans  doute  de  vives  sympathies  pai  mi 
tous  les  amis  des  lumières.  Nous  terminerons  en  nous  associant 
aux  vœux  que  forme  l'auteur  «  pour  que  le  plus  grand  crime 
que  sanctionnent  encore  les  lois  des  nations  chrétiennes,  et  la 
plus  grande  erreur  où  les  entraîne  encore  leur  cupidité,  soient 
repoussés  d'un  commun  accord  par  elles  ;  pour  que  la  race 
d'hommes  qu'elles  ont  le  plus  fait  souffrir  obtienne  d'elle  les 
dédommagements  auxquels  elle  a  droit,  et  soit  ramenée  par  elles 
à  l'intelligence,  à  la  moralité  et  à  la  liberté  ;  pour  que  la  so- 
ciété humaine  tout  entière  enfui  s'occupe  partout  efficacement 
du  bonheur  de  la  classe  d'hommes  sur  laquelle  repose  toute 
la  société  humaine  ,  et  pour  que  le  cultivateur,  quelle  que  soit 
la  couleur  de  sa  peau  ,  trouve  dans  les  mœurs  ,  dans  les  lois  , 
dans  la  sympathie  de  tous ,  une  garantie  de   son  aisance,  de 


ÉCONOMIE  POLITIQUE,  ETC.  i- 

son  indépendance ,  de  son  avenir ,  dont  il  a  été  trop  long- 
temps privé.  » 


DE  LA  POPULATION  dans  ses  rapports  avec  la  nature  des  gouvernements. 
Paris,  1837.  x  gros  vol.  in-8°.  5  i'r. 

Je  ne  saurais  mieux  qualifier  cet  ouvrage. qu'en  disant  que 
c'est  de  l'économie  politique  à  l'envers.  L'auteur  émet  les  plus 
étranges  idées  qu'il  soit  possible  d'imaginer.  Après  avoir  établi 
que  tous  les  maux  dont  se  plaignent  les  peuples  viennent 
de  l'accroissement  continuel  de  la  population ,  il  prétend  que 
cet  accroissement  lui-même  est  dû  surtout  à  l'abandon  des 
principes  du  pouvoir  absolu  ,  à  l'établissement  des  gouverne- 
ments constitutionnels.  Il  prévoit  que  dans  l'avenir  la  popu- 
lation croîtra  toujours  en  Europe ,  et  s'écrie  avec  une  naïveté 
vraiment  curieuse  :  Quel  gouvernement  pourra  subsister  au 
milieu  de  ces  misérables  ?  Déjà  la  Suisse  lui  sert  d'exemple  ; 
selon  lui,  la  patrie  de  Guillaume  Tell  n'est  plus  aujourd  hui 
qu'une  caverne  de  brigands ,  et  sous  peu  les  puissances  de  l'Eu- 
rope devront  s'entendre  pour  anéantir  ce  repaire,  dont  l'exis- 
tence ne  saurait  plus  être  tolérée.  Quand  on  a  l'audace  d'é- 
crire de  telles  paroles ,  il  faudrait  avoir  aussi  le  courage  de  les 
signer  et  dévouer  son  nom  au  mépris  de  tous  les  hommes,  de 
quelque  parti  qu'ils  soient,  qui  ont  dans  le  cœur  quelque  sen- 
timent généreux ,  dans  l'esprit  quelque  parcelle  de  justice  et 
de  raison. 

Du  reste,  les  étranges  aberrations  de  l'auteur  indiquent 
plutôt  une  tête  un  peu  troublée-  qu'un  caractère  méchant.  Il 
ne  voit  de  salut  pour  l'humanité  que  dans  le  despotisme  d'un 
seul ,  et  regarde  l'établissement  du  tutoiement  entre  le  père 
et  ses  enfants  dans  les  familles  comme  une  des  plus  mons- 
trueuses innovations  de  cette  abom  i  nable  philosophie  moderne 
qui  travaille  à  la  ruine  de  la  société.  La  division  de  la  pro- 
priété lui  paraît  aussi  la  première  cause  de  la  misère  des  peuples. 
Enfin  la  Chine  est  son  point  favori  de  comparaison  ;  il  dit  que 
l'Europe  marche  à  grands  pas  vers  l'état  du  céleste  empire ,  et 
nous  annonce  que  le  pouvoir  absolu  viendra  bientôt ,  il  faut 
l'espérer,  nous  réunir  tous  en  une  vaste  famille,  dans  laquelle 
les  enfants  seront  les  esclaves  du  père,  et,  sans  doute,  les  pères 
ceux  du  roi ,  pour  le  plus  grand  bien  de  tous.  O  félicité  par- 
faite !  !  !  ! 


28  LÉGISLATION,  ÉCONOMIE  POLITIQUE,  ETC. 

EST-IL  PERMIS,  en  certaines  circonstances,  d'attenter  à  la  vie  du  chef  de 
l'Etat?  Dialogue  entre  Jules-César  et  Cicéron,  par  Émer  de  Vattel.  Paris, 
i837.In-8°. 

Ce  dialogue ,  extrait  des  papiers  d'Emer  de  Vattel ,  fait  partie 
d'une  nouvelle  édition  du  Droit  des  gens  de  cet  auteur ,  qui 
doit  paraître  sous  peu.  Les  éditeurs  ont  jugé  à  propos  de  le 
publier  d'abord  séparément,  car  il  leur  a  paru  être  en  quel- 
que sorte  devenu  un  ouvrage  de  circonstance.  C'est  un  mor- 
ceau remarquable  ,  dans  lequel  César  demande  à  Ciceron  quel 
bénéfice  la  république  a  retiré  de  sa  mort ,  et  celui-ci  avoue 
qu'il  s'était  à  tort  réjoui,  dans  le  premier  moment,  de  l'acte  de 
Brutus.  Après  quelques  explications  réciproques ,  tous  deux 
s'accordent  à  reconnaître  que  l'assassinat  ne  saurait  jamais  être 
excusable  ;  que  dans  aucun  cas  il  ne  cesse  d'être  un  crime 
digne  de  la  haine  et  de,  l'exécration  du  genre  humain.  Ad- 
mettre que  le  chef  d'un  Etat,  fut-il  même  un  tyran,  peut  être 
en  butte  aux  attaques  de  tous  les  mécontents  .  c'est  remettre  le 
sort  de  l'empire  entre  les  mains  du  premier  fanatique  ,  et  ex- 
poser la  société  à  de  continuels  bouleversements.  «  Qu'un  ci- 
toyen courageux  prenne  des  mesures  pour  s'opposer  aux  fu- 
reurs d'un  tyran  ,  qu'il  lève  l'étendard  contre  lui  :  toute  la 
nation  pourra  le  seconder,  si  elle  approuve  l'entreprise  ;  ou  le 
réprimer,  si  elle  est  contente  du  gouvernement,  ou  si  elle  aime 
mieux  supporter  ses  maux  que  de  s'exposer  aux  dangers  d'une 
révolution  ;  elle  décidera  de  son  propre  sort,  ce  qui  est  très 
juste.  »  Mais  nul  n'a  le  droit  de  se  mettre  au-dessus  des  lois, 
de  se  faire  juge  à  la  place  de  la  nation  ,  et  il  faut  être  insensé 
pour  oser  manifester  une  telle  prétention. 

Ces  principes  sont  si  simples  et  si  évidents,  qu'il  a  bien  fallu 
toutes  les  passions  de  l'esprit  de  parti  pour  aveugler  les  hom- 
mes au  point  de  les  leur  faire  oublier. 


CONSIDERATIONS  SUR  LA.  VIE  DES  PEUPLES,  sur  les  institutions  de 
leurs  différents  âges,  et  en  particulier  sur  celles  du  peuple  français  à  son 
entrée  dans  la  carrière  de  la  liberté,  par  C.-H.  Fèvre.  Paris,  1837.  1  vol. 
in-8°.  7  fr. 

M.  Fèvre  a  tracé  un  tableau  rapide  des  diverses  vicissitudes 
politiques  des  peuples ,  et  particulièrement  du  peuple  fran- 
çais. 11  montre  à  toutes  les  époques  les  rois  luttant  contre  les 
intérêts  populaires,  qui,  une  fois  lancés  dans  la  carrière  ,  ne 
s'arrêtent  plus,  et  marchent  d'exigence  en  exigence.  En  vain 
la  répression  la  plus  violente  est-elle   opposée  à  cette  démo- 


SCIENCES  ET  ARTS.  20 

cratie  toujours  croissante  en  nombre,  en  lumières,  en  in- 
fluence, le  torrent  n'en  suit  pas  moins  son  cours,  entraînant 
avec  lui  les  digues  qu'on  prétend  opposer  à  ses  débordements  , 
qui  n'en  sont  que  plus  terribles. 

Chaque  fois  que  les  gouvernements ,  aveuglés  par  l'instinct 
de  leur  propre  conservation  et  par  la  crainte  assez  juste  de  vois 
ébranler  les  antiques  bases  de  la  société,  ont  essayé  de  refou- 
ler l'élan  des  peuples,  d'arrêter  leur  marche,  ou  même  de  les 
faire  rétrograder ,  cette  tentative  a  bientôt  été  suivie  d'une 
réaction  impétueuse  qui  a  compromis  beaucoup  plus  grave- 
ment l'existence  de  l'ordre  social  ;  car  les  passions  se  sont  dé- 
chaînées avec  une  fureur  qui  menaçait  de  tout  détruire  ,  et  ne 
s'apaisait  qu'après  avoir  assouvi  sa  soif  de  vengeance. 

Les  sympathies  de  l'auteur  sont  toutes  pour  la  liberté  con- 
ciliée avec  ces  conditions  d'ordre  qui  ne  sauraient  s'en  sé- 
parer puisqu'elles  en  sont  elles-mêmes  un  despremiers  éléments, 
mais  développée  aussi  largement  que  possible  dans  toutes  ses 
sonséquences.  La  manière  dont  il  juge  Napoléon,  son  règne  , 
ca  gloire  ,  est  remarquable  par  la  hardiesse  et  l'indépendance 
avec  lesquelles  il  stigmatise  les  funestes  actes  de  ce  soldat  am- 
bitieux, qui,  placé  au  premier  rang  pour  assurer  le  triomphe 
de  la  liberté  et  le  bonheur  des  peuples ,  ne  comprit  rien 
à  ce  rôle  sublime ,  dédaigna  cette  noble  tâche  ,  et  ne  sut 
qu'ajouter  un  nom  de  plus  à  la  liste  de  ces  fléaux  du  monde 
qu'on  appelle  des  conquérants. 


SCIENCES  ET  ARTS. 


COURS  ÉLÉMENTAIRE  D'ASTRONOMIE  ,  à  la  portée  de  tous  les  lec- 
teurs, par  Emmanuel  de  Veley ,  professeur  de  mathématiques  à  Lau- 
sanne, etc.  3e  édition.  Lausanne ,  chez  B.  Corhaz  ;  Paris  et  Genève  ,  chez 
Ah.  Cherbuliez  et  Ce.  i836.  In-8°.  Fig.  7  fr.  5o  c. 

Le  succès  soutenu  de  cet  excellent  ouvrage  est  la  meilleure 
recommandation  auprès  du  public.  On  manquaitM'un^livre 
élémentaire  sur  cette  science  si  importante  et  si  pleine  d'at- 
traits. Les  abrégés  qu'on  avait  étaient  tous  plus  ou  moins  an- 
ciens, et  en  arrière  des  progrès  que  l'astronomie  a  faits  depuis 
une  trentaine  d'années.  M.  de  Yeley  a  fort  heureusement 
comblé  cette  lacune  en  publiant  son  cours,  dont  la  clarté 
précieuse  et  la  méthode  remarquable  font  la  meilleure  intro- 


3o  SCIENCES 

duetion  à  l'étude  de  la  science  des  astres.  S'écavtant  de  la  route 
suivie  par  ses  devanciers ,  il  fait  accompagner  chaque  exposi- 
tion de  phénomène  de  son  explication  ,  autant  du  moins  qu'on 
peut  y  arriver  par  des  notions  de  mathématiques  élémentaires. 
Cette  méthode  a  l'avantage  de  ne  jeter  aucune  obscurité  dans 
l'esprit  des  élèves,  de  les  accoutumer  à  se  rendre  compte  des 
choses  avant  de  les  adopter,  à  soumettre  les  faits  au  critérium 
de  la  raison,  et  à  se  défier  des  apparences,  souvent  trompeuses. 
Elle  doit  aussi  contribuer  fortement  à  graver  les  leçons  dans 
la  mémoire,  car  rien  n'apprend  mieux  une  chose  que  sa  dé- 
monstration mathématique. 

Après  les  notions  de  géométrie,  de  trigonométrie  et  de  dy- 
namique indispensables  pour  l'intelligence  de  ce  cours,  l'au- 
teur commence  par  examiner  les  premiers  phénomènes  célestes 
qui  frappent  nos  regards  et  attirent  notre  attention.  Ses  pre- 
miers chapitres  ont  pour  objets  le  mouvement  diurne  et  la 
figure  de  la  terre ,  le  mouvement  de  la  lune ,  ses  phases ,  ses 
éclipses,  ses  taches,  les  mouvements  réels  ou  apparents  du  so- 
leil et  des  planètes.  Puis  il  passe  à  la  description  des  instru- 
ments nécessaires  pour  observer  les  phénomènes  astronomiques, 
et  entre  dans  de  grands  détails,  soit  sur  leur  fabrication,  soit 
sur  leur  origine,  soit  sur  leur  usage  et  la  manière  la  plus  avan- 
tageuse de  s'en  servir.  Tiennent  ensuite  les  latitudes  etles  lon- 
gitudes pour  la  mesure  du  globe,  les  ascensions  droites  et  les 
déclinaisons  des  astres,  le  calcul  du  temps  vrai  et  du 
temps  moyen,  l'equatorial ,  le  parallélisme  et  l'inclinaison 
de  l'axe  de  la  terre  et  les  conséquences  qui  en  résultent 
pour  l'observation  ,  la  parallaxe  annuelle  et  les  lois  de  Klep- 
per  ;  parallaxes  horizontales  et  de  hauteur  ,  passages  de 
Vénus  sur  le  soleil,  distances  des  planètes,  distances  des  étoiles 
fixes ,  dépression  et  étendue  de  l'horizon  sensible  ;  le  système 
du  monde,  la  gravitation  universelle,  la  précession  des  équi- 
noxes  et  Limitation,  l'aberration,  enfin  les  réfractions  at- 
mosphériques. 

Ainsi  se  trouvent  passés  en  revue  tous  les  phénomènes  cpii 
constituent  les  éléments  de  l'astronomie  ;  et ,  après  avoir  étudié 
ce  cours  on  en  sait  assez,  soit  pour  suivre  avec  intérêt  la 
marche  de  la  science,  soit  pour  aller  plus  loin  et  pouvoir  com- 
prendre des  livres  plus  savants  si  l'on  veut  se  vouer  à  cette 
sublime  étude. 

Des  additions  de  l'auteur  et  des  notes  diverses  contiennent 
encore  plusieurs  morceaux  intéressants,  soitsurles  étoiles  fixes, 
le  soleil .  les  planètes  et  leurs  satellites  ,  soit  sur  les  comètes  , 
sur  les  effets  de  la  gravitation,  le  calendrier  ,  les  étoiles  mul- 
tiples, les  nébuleuses,  la  formation  des   étoiles  etc.,  etc. 

Cet  ouvrage  rendra  un  grand  service  en  contribuant  à  po- 


ET  ARTS.  3t 

pulariser  l'étude  du  ciel,  dont  l'influence  morale  est  certaine- 
ment puissante  et  ne  peut  produire  que  les  meilleurs  résultats. 
«  L'étude  de  l'astronomie,  -dit  M.  de  Veley  ,  agrandit  les  idées  ; 
sans  elle  nous  croyons  que  tous  les  corps  célestes  sont  subor- 
donnés à  la  terre  :  le  soleil  est  fait  pour  nous  éclairer,  nous 
réchauffer  ,  faire  mûrir  nos  récoltes  ;  la  lune  et  les  étoiles  sont 
destinées  à  embellir  nos  nuits  età  nous  récréer  les  yeux;  tout, 
dans  l'univers,  est  fait  pour  l'homme.  Mais  quand  noussavons 
que  le  globe  terrestre  a  neuf  mille  lieues  de  tour  ,  et  que  sa 
surface  contient  cinquante  mille  neuf  cent  vingt-sept  millions 
d'hectares  ,  nous  commençons  à  trouver  que  l'homme  occupe 
bien  peu  de  place  sur  la  terre.  Et  que  devenons-nous  à  nos 
propres  yeux  quand  nous  apprenons  que  Jupiter  ,  une  de 
ces  étoiles  faites ,  disions-nous  ,  pour  nous  réjouir  la  vue  ,  est 
une  espèce  de  terre  douze  à  treize  cents  fois  plus  grosse  que 
la  nôtre  ;  que  le  soleil,  placé  à  trente-quatre  millions  de  lieues 
de  nous,  égale  en  volume  plus  d'un  million  de  fois  notre  globe  ; 
que  toutes  les  étoiles  sont  des  soleils ,  autour  desquels  cir- 
culent des  corps  opaques;  et  que  le  soleiln'est  lui-même  qu'une 
étoile  ! —  Queile  surprise  n  éprouvons-nous  pas  quand  nous 
sommes  forcés  de  reconnaître  que  cette  étoile  que  nous  appe- 
lons le  soleil  estpresque  perdue  dans  le  nombre  infini  des  corps 
lumineux  qui  peuplent  l'espace  !..  .  Car  où  sont  les  bornes  de 
l'univers?  Quelles  sont  les  limites  qui  lui  ont  été  assignées?... 
Voilà  donc  l'homme,  qui  naguère  prenait  follement  son  horizon 
pour  les  bornes  du  monde,  le  voilà  déchu  de  la  haute  place  qu'il 
croyait  occuper  dans  la  création.  Yoilà  le  globe  même  sur  le- 
quel il  rampe  réduit  en  quelque  sorte  au  rang  des  infiniment 
petits. 

«  Mais  ce  qui  doit  relever  l'homme  à  ses  propres  yeux,  c'est 
cette  intelligence  qui  constitue  son  essence  proprement  dite. 
C'est  elle  qui  lui  fait  percer  les  profondeurs  de  l'espace ,  suivre 
les  mouvements  des  corps  célestes,  apprécier  leurs  distances, 
leurs  grosseurs,  la  quantité  de  matière  qu'ils  contiennent ,  le 
plus  ou  moins  de  poids  des  corps  placés  à  leur  surface.  Cette 
intelligence  ,  aidée  du  calcul,  qui  est  aussi  son  œuvre,  rétro- 
grade dans  les  siècles  écoulés  pour  y  suivre  les  mouvements 
des  corps  célestes  ,  et  plonge  dans  les  siècles  à  venir  ,  pour 
mettre  d'avance  sous  nos  yeux  et  réaliser  en  quelque  sorte  les 
phénomènes  que  le  ciel  présentera  un  jour  aux  habitants  de  la 
terre.  Nous  avons  ainsi  une  vue  distincte  des  états  passés  et 
futurs  de  cet  univers,  ouvrage  de  la  sagesse  éternelle  ;  et  la 
vue  de  ce  sublime  spectacle  nous  fait  éprouver  le  plus  noble 
des  plaisirs  réservés  à  la  nature  humaine.  >' 


3a  SCIENCES  ET  ARTS. 

SANTÉ  DES  FEMMES,  parle  docteur  H.  Chomet.  Paris,  i836.  In-S  >  5  fr. 

Beaucoup  de  belles  phrases ,  peu  de  bonne  science  ;  beau- 
coup de  paroles ,  peu  de  faits  ;  beaucoup  de  papier  blanc  ,  peu 
de  texte  ;  voilà  le  contenu  de  ce  petit  volume  qui  pourrait 
facilement  se  resserrer  en  une  mince  brochure  de  trois  ou 
quatre  feuilles  au  plus.  C'est  de  la  médecine  littéraire  ou  bien 
de  la  littérature  médicale  ,  je  ne  sais  laquelle  des  deux  ;  mais 
le  style  de  l'auteur  se  rapproche  plus  souvent  de  celui  d'un 
Paul  de  Kock  que  de  celui  des  maîtres  de  la  science.  Cela  n'a 
pas  empêché  qu'on  ne  fit  dan«  certaines  feuilles  l'éloge  le  plus 
pompeux  de  cet  ouvrage ,  et  bien  des  gens  sans  doute .  se 
laissant  encoie  séduire  par  ces  annonces  adroites  ,  auront 
acbeté  ce  livre ,  comptant  y  trouver  un  manuel  d'hygiène 
rédigé  de  la  manière  la  plus  complète  et  d'après  les  meilleurs 
auteurs,  ainsi  que  des  conseils  basés  sur  une  expérience  longue 
et  éclairée.  Au  lieu  de  cela,  M.  Chomet  laisse  courir  sa  plume 
facile,  mais  très  superficielle;  il  cède  à  la  tentation  de  faire  du 
style,  et  après  avoir  tracé  quelques  tableaux,  dont  les  couleurs 
ne  sont  que  trop  vives,  il  se  contente  de  donner  quelques 
directions  générales  qui  ne  contiennent  rien  de  nouveau  ,  et 
n'offrent  qu'une  fort  médiocre  utilité.  A  la  vérité,les  personnes 
qui  désirent  en  savoir  davantage  peuvent  aller  le  trouver ,  car 
sa  demeure  se  trouve  indiquée  sur  le  titre  au-dessous  de  celle 
du  libraire.  Il  arrive  souvent  que  de  semblables  publications 
ne  sont  que  des  espèces  de  cartes  d'adresse-prospectus ,  par 
lesquelles  l'auteur  cherche  à  attirer  des  clients  ;  mais  alors  il 
nous  semble  qu'elles  devraient  se  distribuer  gratuitement.  Du 
reste,  comme  nul  n'est  obligé  d'acheter  un  livre,  chaque  au- 
teur est  bien  le  maître  d'y  mettre  le  prix  qu'il  veut;  et  l'on 
doit  plutôt  s'élever  contre  les  journaux  qui  trompent  souvent 
le  public  par  des  annonces  pompeuses,  qu'ils  lui  donnent  pour 
des  analyses  raisonnées  et  impartiales.  En  agissant  ainsi ,  non 
seulement  ces  feuilles  manquent  au  véritable  devoir  de  la  cri- 
tique ,  mais  encore  elles  font  le  plus  grand  tort  à  l'auteur , 
qu'elles  risquent  de  faire  passer  pour  un  charlatan,  en  donnant 
à  ses  ouvrages  beaucoup  plus  d'importance  qu'ils  n'en  ont  réel- 
lement ,  et  qu'il  n'a  prétendu  y  mettre  lui-même. 


PARIS— Imprimerie  de  BOURGOGNE  ei  MAP.TINKT.  ru»  Jaeob, So 


BulUtut  ftittévaire 

ET  SCIENTIFIQUE 

5'  ÊLiuée.  —  gA^  2.  —  &»ueo  1837, 


LITTERATURE,    HISTOIRE. 


CENT  fables  nouvelles,  en  quatrains,  par  C.-L.  Mollevaut,  mem- 
bre de  l'Institut,  etc. —  Paris,  1836,  chez  l'auteur,  rue  St. -Dominique- 
St.-Germain,  99.  I  vol.  in- 18. 

M.  Mollevaut  a  en  quelque  sorte  ressuscité  l'apologue  des 
anciens,  dont  le  mérite  gît  surtout  dans  le  laconisme  de  l'ex- 
pression, joint  à  l'énergie  et  au  tour  ingénieux  de  la  pensée 
morale.  Dépouillé  des  ornemens  qui  donnent  tant  de  char- 
mes aux  fables,  et  permettent  au  talent  du  poète  de  se  dé- 
ployer à  son  aise,  l'apologue,  véritable  essence  du  genre, 
doit  concentrer  en  fort  peu  de  mots  l'action  et  la  morale.  Un 
quatrain  est  la  limite  étroite  que  M.  Mollevaut  s'était  assignée 
comme  la  plus  propre  à  se  graver  dans  la  mémoire.  Il  a  fallu 
resserrer  en  quatre  vers  le  fait  qui  sert  de  démonstration  et 
l'idée  morale  qui  ressort  de  ce  fait.  C'est  un  véritable  tour  de 
force  littéraire,  dans  lequel  notre  auteur  a  souvent  obtenu 
le  plus  lieureux  succès.  Après  les  vaines  tentatives  de  tant 
d'écrivains  pour  se  traîner  sur  les  traces  de  Lafontaine,  il  était 
sage  de  chercher  ainsi  une  autre  voie,  et  le  public  accueillera 
sans  doute  le  petit  recueil  de  M.  Mollevaut  avec  toute  la  fa- 
veur qu'il  mérite.  Cependant  ses  Apologues  ne  sont  pas  tous 
également  remarquables.  Quelques  critiques  peuvent  être 
adressées  à  l'auteur  ;  par  exemple  dans  celui-ci  : 

.Un  visir  fait  abattre  un  chêne  respecté. 
«Tremble,  dit  le  mourant.  —  Moi,  trembler  de  ta  haine! 
Non,  non.»  Mais  l'orgueilleux,  bieutôt  décapité, 
S'écrie  :  «  O  Mahomet  !  le  billot  est  de  chêne.  » 

La  haine  d'un  arbre  n'est  pas  une  expression  bien  juste  ni 
bien  appliquée. 
Dans  cet  autre  : 

Un  faux  jeton  criait,  en  faisant  du  tapage  : 

«  Tu  n'as  pas,  or  maudit,  notre  bruit  enchanteur.  » 


34  LITTÉRATURE, 

L'or  s' irrite,  cl  répond  :  «  Laisse  ton  bavardage  : 
Le  bruit  ne  fait  pas  la  valeur.  « 

L'idée  est  très-bonne  sans  doute,  mais  je  crois  l'exemple  mal 
choisi,  car  l'or  sonne  mieux  que  le  faux  jeton.  Mais  laissons 
ces  critiques  de  détail,  et  citons  plutôt  quelques-unes  de  ces 
petites  fables  qui  resteront  certainement  comme  des  modèles 
du  genre.  Ces  quatrains  nous  offrent  des  maximes  morales 
de  toute  sorte,  de  sages  leçons  qui  ont  le  double  mérite  d'être 
courtes  et  frappantes.  Chacun  y  trouvera  quelque  vérité  con- 
solante, quelque  salutaire  avertissement,  quelque  piquante 
épigramme.  Aux  malheureux  s'adresse  celui-ci  : 

Le  teint  frais,  le  front  liant ,  dame  Prospérité 
Insultait  les  pâleurs  de  l'humble  Adversité; 
«  Oui,  l'on  souffre  avec  moi,  lui  dit  la  vierge  pure, 
Mais  je  suis  le  creuset  où  la  vertu  s'épure.  » 

Voici  pour  les  courtisans  : 

ci  Viens,  criait  la  Faveur,  ah!  viens  donc  admirer! 
Mou  palais  est  de  marbre,  et  l'or  brille  à  la  rampe. 
—  Mais  la  porte  est  bien  basse,  eh!  comment  donc  entrer  ? 
—  Rampe.  « 

Et  voici  pour  les  rois  : 

Une  brebis  s'égare  et  fuit  loin  du  hameau. 
Le  berger,  la  frappant,  jure,  crie  et  tempête; 
«  Que  ne  me  gardais-tu  !  lui  dit  la  pauvre  bêle. 
Princes,  ne  frappez  point,  gardez  votre  troupeau.  « 

Je  ne  sais  si  je  me  trompe,  mais  il  me  semble  que  ce  laco- 
nisme, avare  de  phrases  et  riche  de  pensées,  doit  nécessaire- 
ment produire  un  heureux  contraste  au  milieu  de  la  litté- 
rature du  jour,  qui,  dans  la  poésie  surtout,  se  distingue  par 
l'abondance  des  mots  et  la  rareté  des  idées.  Par  exemple,  le 
quatrain  suivant  n'exprime-t-il  pas  la  noble  ambition  du  gé- 
nie en  regard  du  calme  de  la  vie  paisible  et  retirée,  mieux  que 
ne  le  pourraient  faire  de  longues  et  pompeuses  périphrases  ? 

Un  fier  ruisseau  disait  :  w  Point,  d'ancre  ni  de  cable! 
J'ignore  la  tempête,  et  porte  des  bateaux!  » 

La  Mer  répond  au  pauvre  diable  : 
«  Te  connais  la  tempête,  et  porte  des  vaisseaux.» 


HISTOIRE.  35 

Et  cette  même  ambition  ne  trouve-t-elle  pas  ici  une  leçon 
aussi  juste  que  bien  dite? 

Un  vaisseau,  chargé  d'or,  naviguait  plein  d'ardeur, 
Et  des  flots  et  des  vents  affrontait  la  menace; 
Un  écueil,  à  fleur  d'eau,  le  heurte  et  le  fracasse  : 
Il  se  nommait,  dit-on,  l'écucil  de  la  Faveur. 


u'écho  nu  panorama  des  LANGUES,  dans  le  système  d'unité  lin- 
guistique; par  A.  Latouche.  Tome  Ier,  lre  livraison.  —  Paris,  1830, 
chez  l'auteur,  rue  Clément,  4. —  Le  Panorama  paraîtra  le  l01  de 
chaque  mois.  Prix  :  14  fr.  pour  l'année. 

Ce  journal  est  destiné  à  faire  connaître  et  à  propager  un 
nouveau  système  sur  l'origine  des  langues,  leur  rapport  et 
leur  enseignement.  L'auteur  admet  comme  langue  primi- 
tive, ou  du  moins  comme  la  plus  ancienne  qu'on  connaisse, 
l'hébreu,  dont  il  fait  ressortir  les  analogies  avec  le  grec,  le 
latin,  le  français,  l'allemand,  l'anglais,  etc.  En  étudiant  ces 
diverses  formes  du  langage,  M.  Latouche  croit  avoir  décou- 
vert la  chaîne  qui  les  unit  tous,  la  clé  des  sons  par  lesquels 
l'homme  a  dû,  dès  les  premiers  temps,  exprimer  ses  sensa- 
sions  d'abord,  ensuite  ses  pensées. 

«  Le  langage  est  un,  partout  :  la  vue  de  l'objet  sous  telle  ou 
telle  face,  le  choix  et  le  changement  des  lettres  homopho- 
niques,  le  renversement  ou  la  transposition  des  sons  qui  con- 
stituent un  mot,  font  seuls  la  différence  des  langues.  » 

Tel  est  le  principe  sur  lequel  repose  la  méthode  de  l'auteur, 
et  d'ingénieux  exemples  viennent  à  l'appui  de  sa  théorie.  Il 
nous  montre  les  consonnes  q,  r,  n,  servant  à  exprimer  le  mot 
corne  dans  sept  langues  différentes  ;  il  cite  vingt  mots  de  di- 
vers langages  dans  lesquels  les  consonnes  bl,  pi,  fl,  vl,  expri- 
ment une  idée  de  faiblesse,  de  langueur,  de  lâcheté;  et  passe 
ainsi  en  revue  les  principales  combinaisons  de  lettres  qui  peu- 
vent lui  servir  à  asseoir  sa  méthode.  En  présence  de  ces  sin- 
guliers résultats,  il  a  conçu  la  pensée  d'une  classification  de  ; 
langues  par  leurs  racines,  divisée  en  ordres,  familles,  genres 
et  espèces,  comme  celles  dont  on  se  sert  en  histoire  naturelle. 
Cette  classification  des  racines  est  un  essai  fort  curieux,  qui 
mérite'certainement  de  fixer  l'attention  de  tous  les  amateurs 
de  linguistique,  car  pour  peu  qu'il  fût  possible  de  lui  donner 
une  base  sûre,  de  bien  marquer  ses  divisions  et  de  perfec- 
tionner son  ensemble,  on  ne  saurait  nier  les  immenses  bien- 
faits qu'en  retirerait  l'étude  des  langues. 

M.  Latouche  range  toutes  les  racines  du  langage  sous 
quatre  ordres    Le  premier  est  celui  des  liquides  r,  l,  qui  ren- 


36  LITTÉRATURE , 

ferme  neuf  familles;  le  second,  celui  des  dentales  s,  r,  d,  z, 
en  compte  sept;  le  troisième,  des  labiales  m,  b,  p,  pu,  en  con- 
tient cinq;  le  quatrième,  des  gutturales  g,q,  c,  k,  en  a  sept. 
Cette  classification  est,  dans  ce  premier  numéro  de  Y  Echo, 
appliquée  à  l'hébreu,  dont  l'enseignement  doit,  suivant  l'au- 
teur, précéder  celui  de  toute  autre  langue.  Mais  on  comprend 
facilement  que  le  système  une  fois  établi,  les  autres  langues 
viendraient  se  groùpper  d'elles-mêmes  autour  de  cette  pre- 
mière, et  que  le  chemin  serait  tout  tracé  pour  descendre  de 
l'une  à  l'autre.  Cette  idée  est  grande  et  féconde  ;  on  sent 
qu'elle  doit  se  rapprocher  de  la  vérité,  et  que  les  organes  de 
la  voix  étant  partout  les  mêmes  chez  l'homme,  il  doit  néces- 
sairement exister  en  effet  des  rapports  généraux  entre  les 
sons  divers  que  leur  ont  fait  produire  sous  différens  climats 
des  passions  qui  sont  aussi  partout  à  peu  près  les  mêmes. 
Mais  on  arriverait  à  un  résultat  plus  facile  et  plus  complet 
peut-être,  en  faisant  porter  de  pareilles  recherches  sur  plu- 
sieurs langues  antiques  qui  sont  regardées  comme  primitives, 
et  qui,  du  moins  plus  rapprochées  de  la  première  origine  du 
langage,  peuvent  fournir  sur  sa  formation  des  données  beau- 
coup plus  certaines  que  nos  langues  modernes  compliquées, 
polies  et  toujours  plus  éloignées  de  la  nature.  Le  sanskrit,  le 
chinois,  l'arabe,  l'hébreu,  demandent  à  être  étudiés  et  com- 
parés avec  soin  pour  confirmer  les  théories  de  M.  Latouche; 
mais  en  attendant  on  ne  peut  que  lui  savoir  gré  des  efforts 
qu'il  fait  pour  perfectionner  l'étude  des  langues,  si  riche  en 
résultats  utiles  pour  l'avancement  de  la  civililation. 


HISTOIRE  DE  LA  CONFÉDÉRATION  SUISSE,  par  Jean  de  Muller, 
/{.  Gloutz-Blotzheim  et  /.-./.  Hottinser;  trad.  de  L'allemand  avec  des 
notes  nouvelles,  et  continuée  jusqu'à  nos  jours  par  MM.  Ck.'Monnard 
et  L.  Vulliemin.—  Paris,  1 837,  chez  Th.  Ballimore,  rue  Hautefeuille,  20; 
Genève,  chez  Ab.  Gherbuliez  et  compe.  Tom.  1"".  I  vol.  in- 8,  7  fr. 
L'ouvrage  complet  formera  10  volumes. 

Ce  premier  volume  renferme  les  origines  de  la  nation 
suisse  et  les  commencemens  de  son  histoire  jusqu'à  l'an  1218. 
C'est  un  tableau  rapide  du  pays,  de  sa  configuration  géogra- 
phique, des  premiers  habitans  qui  en  défrichèrent  le  sol  et 
s'y  établirent  à  demeure  fixe,  des  immigrations  successives 
qui  peuplèrent  toutes  les  vallées  des  Alpes,  des  guerres  qui 
les  désolèrent  à  diverses  reprises,  et  des  institutions  qui  y  pri- 
rent naissance  sous  les  différentes  dominations  par  lesquelles 
la  Suisse  passa  avant  d'arriver  à  une  existence  indépendante. 
La  forme  fédérative  paraît  être  en  quelque  sorte  inhérente  au 


HISTOIRE.  37 

sol  do  L'Helvétie,  car  dans  les  temps  les  plus  reculés  dont  on 
ait  conserve  quelque  souvenir,  on  trouve  ses  citoyens  unis 
par  ce  lien  bienfaisant.  «  Les  Helvétiens  étaient  un  peuple 
paisible,  endurci  par  son  climat  et  son  genre  de  vie,  coura- 
geux néanmoins,  et  qu'on  appelait  riche,  parce  que  les  tor- 
rens  alpestres  charient  quelques  paillettes  d'or.  Ils  apprirent 
à  écrire  l'alphabet  grec.  Divisés  en  quatre  cantons,  ils  for- 
maient une  confédération,  Ils  jouirent  en  paix  de  la  liberté, 
jusqu'à  ce  qu'une  nation  étrangère  divisa  les  confédérés  en 
excitant  chez  quelques-uns  le  désir  de  plus  grandes  ri- 
chesses. » 

La  guerre  contre  les  Romains  entraîna  les  Helvétiens  dans 
une  longue  série  de  maux  et  de  calamités.  Ils  subirent  le  joug 
de  Rome  et  furent  en  butte  à  toutes  les  exactions  qui  pesaient 
sur  les  provinces  du  grand  empire.  Cependant,  sous  le  règne 
de  Flavius  Vespasien,  l'Helvétie  put  respirer  et  voir  de  meil- 
leurs jours:  une  longue  paix  répandit  ses  bienfaits  sur  le 
pays. 

«  L'industrie  humaine  pénétra  dans  les  Alpes,  et  observa  les 
»  arbres,  les  plantes,  lesoiseaux  indigènes,  les  poissons  de  leurs 
.»  lacs,  la  froide  demeure  des  lièvres  blancs,  les  cavernes  des 
»  marmottes,  les  diverses  espèces  de  marbre,  les  forteresses 
»  naturelles  des  chamois  et  des  bouquetins,  les  grottes  des 
»  cristaux,  où  l'on  admirait  un  morceau  de  cinquante  livres 
»  autant  qu'aujourd'hui  une  masse  de  sept  quintaux.  Les 
»  vaches  alpestres  devinrent  l'objetd'un  commerce  productif: 
»  quoique  petites  et  maigres,  elles  étaient  excellentes  pour  le 
»  travail,  et  abondantes  en  lait.  Les  fromages  des  Alpes  ac- 
»  quirent  de  la  célébrité.  On  fit  des  essais  d'agriculture;  on 
»  perfectionna  la  charrue  ;  le  vignoble  de  la  Rhétie  rivalisa 
»  avec  les  coteaux  de  Falerne  :  en  général,  les  Helvétiens 
»  honoraient  singulièrement  le  dieu  du  vin,  et  conservaient 
»  ses  dons,  sinon  dans  des  caves,  du  moins  dans  des  tonnes. 
»  Ils  rendaient  un  culte  au  soleil,  qu'ils  nommaient  Bélin,  le 
»  dieu  invincible,  et  à  sa  sœur,  la  déesse  de  la  lune,  Isis  ;  ils 
»  honoraient  les  sylphes  protecteurs  et  les  dieux  mânes.  Les 
»  règles  de  leur  sagesse  pratique  semblent  tracées  dans  ces 
»  pensées  d'une  épitaphe  :  Ils  ont  vécu  comme  nous,  nous  mour- 
»  rons  comme  eux  ;  ainsi  s'écoule  la  vie  :  Passant,  songe  à  toi.  » 
»  On  les  couchait  dans  leurs  tombeaux  avec  leurs  épées  et 
»  quelque  argent,  tournés  vers  le  lever  du  soleil,  principe  de 
»  la  résurrection  de  la  nature.  » 

Les  invasions  des  barbares  replongèrent  l'Helvétie  dans  une 
nouvelle  série  de  désastres.  Elle  ne  fut  pas  plus  que  les  autres 
contrées  de  l'Europe  exempte  de  toutes  les  misères  qui  sui- 
virent le  passage  des  Huns  et  de  tant  d'autres  peuplades  de 


38  LITTEPvATURE, 

l'Orient.  Plus  tard  elle  se  trouva  sous  la  domination  des 
Bourguignons  et  des  Ostrogoths,  puis  sous  celle  des  rois  francs 
jusqu'à  l'époque  du  démembrement  de  la  monarchie  Carlo- 
vingiemie.  Elle  fit  encore  partie  du  nouveau  royaume  de 
Bourgogne  qui  se  forma  alors,  et  passa  avec  lui  sous  la  domi- 
nation des  Empereurs,  puis  sous  la  juridiction  des  ducs  de 
Zaeringen ,  qui  gouvernaient  la  Bourgogne  et  les  évèchés  de 
Lausanne,  Genève  et  Sion  pour  l'Empire.  Cela  dura  ainsi  jus- 
qu'en 1218.  Alors  seulement  pour  là  première  fois  on  enten- 
dit parler  des  hommes  libres  des  Waldstetten,  qui,  depuis  la 
victoire  de  César,  avaient  pendant  1300  ans  vécu  ignorés, 
oubliés  et  heureux  au  milieu  de  leurs  montagnes.  Une  que- 
relle avec  un  couvent  voisin,  au  sujet  de  pâturages  que  les 
moines  prétendaient  s'approprier,  mit  pour  la  première  fois 
en  évidence  ces  paysans  simples,  mais  probes  et  courageux, 
qui  se  sont  toujours  distingués  par  leur  amour  pour  l'indé- 
pendance et  pour  leurs  antiques  institutions.  L'abbé  d'Ein- 
silden  voulut  forcer  les  pâtres  de  Schwitz  à  céder  à  ses  injustes 
prétentions;  il  les  cita  devant  la  diète  de  l'Empereur  et  les  fit 
condamner  à  renoncer  aux  pâturages  en  litige,  sous  peine 
d'être  mis  au  ban  de  l'Empire. 

Alors  les  paysans  dirent  :  «  Si  l'Empereur  veut ,  à  notre 
préjudice  et  au  mépris  du  souvenir  de  nos  pères,  donner  nos 
Alpes  à  d'injustes  moines,  la  protection  de  l'Empire  nous  est 
inutile;  à  l'avenir  nous  nous  protégerons  nous-mêmes  de  nos 
bras.  »  Par  là,  ils  tombèrent  dans  la  disgrâce  de  l'Empereur, 
et  furent  mis  au  ban;  Hermann,  évêque  de  Constance,  les 
excommunia.  Mais  eux  renoncèrent  à  la  protection  de  l'Em- 
pire; Uri  et  Unterwalden  les  imitèrent.  Ils  ne  craignaient  ni 
l'Empereur  ni  l'excommunication  ;  ils  ne  pouvaient  se  figurer 
que  la  défense  d'une  cause  juste  fût  un  péché  devant  Dieu. 
Us  firent  le  commerce  avec  Lucerne  et  Zurich,  où,  confor- 
mément aux  libertés  municipales,  le  marché  était  aussi  ou- 
vert à  des  excommuniés;  ils  obligèrent  leurs  prêtres  à  célé- 
brer le  service  religieux,  et  firent  paître  leurs  troupeaux  sans 
aide  et  sans  crainte.  » 

Ainsi  débute  cette  histoire,  si  riche  en  nobles  actes  et  en 
grandes  leçons.  On  attendra  avec  impatience  les  autres  vo- 
lumes, car  l'intérêt  ira  toujours  croissant,  et  aujourd'hui  plus 
que  jamais  peut-être  l'histoire  des  républiques  a  besoin  d'être 
étudiée  pour  vaincre  bien  des  résistances,  détruire  bien  des 
préjugés.  Les  extraits  que.  j'ai  donnés  offrent  un  échantillon 
delà  manière  dont  la  traduction  est  écrite.  Elle  a  le  rare  mérite 
d'une  grande  fidélité  unie  à  une  allure  franche  et  nullement 
.gênée.  M.  Monnard  a  voulu  conserver  autant  que  possible 
le  tour  de  phrase  concis  et  vigoureux  de  Muller.  Autant  que 


HISTOIRE.  39 

5e  génie  différent  dos  deux  langues  le  permettait,  il  a  cherché 
à  rendre  les  beautés  originales  du  style  allemand.  Quelques 

Personnes  lui  reprocheront  peut-être  d'avoir  parfois  sacrifié 
élégance  à  cette  ambition  ;  mais ,  d'un  autre  côté ,  l'his- 
toire toute  républicaine  des  pâtres  suisses  ne  comporte  guère 
le  langage  policé  des  salons;  à  des  caractères  énergiques  il 
faut  des  traits  énergiqueinent  tracés  et  c'eût  été  défigurer 
Muller  que  de  noyer  son  beau  style  dans  la  périphrase  fran- 
çaise. -     - 


HISTOlRR  DES  FLAMANDS  du  Haut-Pont  et  de  Lyzcl.—  Iles  flottantes. 
Portus  Itius.  —  Histoire  des  abayes  de  Watten  et  de  Clairmarais  etc.  ; 
par  H.  Piers,  bibliothécaire  à  Saint -Orner.  —  Saint  -  Orner,  183G. 
ln-8,  3  fr. 

Ce  volume  renferme  de  consciencieuses  recherches  histori- 
ques qui  ne  manquent  pas  d'intérêt,  quoique  les  sujets  sur 
lesquels  elles  roulent  soient  bien  restreints.  La  ville  de 
Saint-Omer,  ses  faubourgs  et  ses  environs  sont  explorés  par 
M.  Piers  avec  une  persévérante  patience.  Il  paraît  en  possé- 
der d'une  manière  complète  les  antiques  annales  et  tous  les 
souvenirs  qui  se  rattachent  à  leurs  vieux  monumens.  On 
retrouve  avec  plaisir  ces  vestiges  de  mœurs  et  d'usages  an- 
ciens que  la  centralisation  toujours  croissante  efface  insensi- 
blement dans  toutes  les  provinces  du  royaume  de  France.  Ils 
offrent  une  teinte  d'originalité  et  de  naïveté  qui  tranche 
d'une  manière  fort  piquante  avec  l'uniformité  monotone  et 
souvent  prétentieuse  des  mœurs  actuelles.  Sous  ce  rapport, 
V Histoire  des  Flamands  du  Haut-Pont  et  de  Lyzcl  renferme  des 
détails  très-curieux.  Les  habitans  de  ces  deux  faubourgs  ont 
conservé  une  physionomie  tout-à-fait  particulière,  et  quoique 
les  progrès  de  la  civilisation  aient  sans  doute  exercé  sur  eux 
une  salutaire  influence  en  faisant  disparaître  tout  ce  qui  te- 
nait à  la  barbarie  des  âges  précédens,  ils  les  ont  cependant 
laissés  dans  bien  des  choses  tels  qu'ils  étaient  il  y  a  60  ou  80 
ans.  M.  Piers  rend  hommage  à  la  pureté  et  à  la  simplicité  de 
leurs  mœurs,  à  leur  courageux  dévouement,  et  à  leur  par- 
faite probité.  Maintes  anecdotes  pleines  d'intérêt  nous  font 
connaître  des  traits  de  leur  caractère  dignes  d'être  enregistrés 
dans  les  fastes  de  l'humanité,  et  nous  racontent  des  coutumes 
et  des  jeux  dont  on  ne  trouve  des  traces  nulle  autre  part. 

A  la  suite  de  cette  histoire  vient  une  notice  sur  Saint-Mo- 
melin  et  sur  la  destruction  des  mémoires  de  Jacques  II,  perte 
due  aux  frayeurs  exagérées  d'une  femme,  sous  le  règne  de  la 
Terreur;  puis  une  histoire  de  Watten,  lieu  mémorable  où  s'é- 


40  LITTERATURE , 

leva  jadis  une  forteresse  romaine,  et  qui  fut  le  théâtre  d'évé- 
nemens  militaires  assez  importans  à  diverses  époques;  une 
petite  histoire  de  Ruminghem,  autre  village  qui  joua  aussi 
un  rôle  dans  les  faits  des  siècles  passés  ;  une  description  des 
îles  flottantes,  ces  phénomènes  naturels  dont  on  ne  trouvera 
bientôt  plus  de  vestiges  que  dans  les  livres;  une  histoire  de 
l'abbaye  de  Clairmarais,  et  enfin  une  notice  sur  le  séjour  de 
saint  Thomas  de  Gantorbéry  dans  la  Morinie. 

Ces  fiagmens  historiques  non-seulement  peuvent  contri- 
buer à  éclaircir  quelques  points  douteux,  à  rétablir  quelques 
faits  obscurs,  oubliés,  ou  mal  connus  ;  mais  encore  ils  sont  un 
excellent  moyen  de  ranimer  et  d'entretenir  les  sentimens  pa- 
triotiques si  nécessaires  à  la  conservation  des  Etats.  En  cul- 
tivant ainsi  chez  l'homme  l'amour  et  le  respect  pour  les  lieux 
qui  l'ont  vu  naître  on  l'attache  à  la  forme  politique  qui  lui 
en  garantit  la  paisible  jouissance. 


HISTOIRE  DE  LA  GUERRE  DE  MEHEMET-AL1  CONTRE  LA  PORTE 
ottomane,  en  Syrie  et  en  Asie-Mineure;  1831-1833;  ouvrage  en- 
richi de  cartes,  de  plans  et  de  documens  officiels;  par  MM.  de  Cadal- 
vène  et  E.  Barrault. —  Paris,  chez  Arthus  Bertraad.  1837.  1  gros  vol. 
in-8,  cartes,  10  fr. 

LA  Turquie,  ses  ressources,  son  organisation  municipale,  son  com- 
merce, suivis  de  considérations  sur  l'état  du  commerce  anglais  dans 
le  Levant,  par  D.  Urquhart,  secrétaire  d'amhassade  à  Constantinopîe, 
trad.  de  l'Anglais  par  X.  Raymond;  ouvrage  précédé  d'une  intro- 
duction par  M.  G.-D.  E.,  ex-membre  du  bureau  d'économie  politique 
à  Athènes.  —  Paris,  chez  Arthus- Bertrand.  1836.  2  vol.  in-8  ornés 
d'une  carte,  1G  fr. 

La  question  turque  a  passé  des  journaux  dans  les  livres, 
et  depuis  quelque  temps  les  publications  abondent  sur  ce 
sujet  important.  L'Orient  est  plus  que  jamais  visité  par  les 
voyageurs  européens;  la  Turquie  et  l'Egypte  sont  surtout 
le  but  de  leurs  excursions,  et  ces  contrées,  toujours  mieux 
connues,  sont  décrites  avec  les  plus  grands  détails.  Le  mou- 
vement de  réforme  qui  s'opère  au  milieu  d'elles  et  qui  tend 
à  les  rapprocher  de  la  civilisation  européenne,  est  sut  tout  l'ob- 
jet des  investigations  les  plus  nombreuses.  On  suit  avec  un 
vif  intérêt  ses  moindres  pas  ;  et  avec  cette  ardeur  impatiente 
qui  emporte  toujours  l'homme  vers  les  âges  futurs,  chacun 
veut  devancer  l'avenir,  deviner  ses  mystères  et  prédire  les 
conséquences  d'événemens  encore  à  peine  accomplis. 

Les  deux  ouvrages  que  nous  annonçons  nous  paraissent  foi  t 
remarquables  par  les  nombreux  détails  qu'ils  renferment  soit 
sur  l'administration  de  l'Egypte  et  de  la  Turquie,  soit  sur  les 


HISTOIRE  41 

mœurs  des  deux  peuples  et  l'influence  exercée  par  les  innova- 
tions de  Mahmoud  et  de  Méhémet-Ali.  La  guerre  de  ces  deux 
rivaux,  entre  eux,  a  déjà  montré  la  supériorité  incontestable 
de  la  nouvelle  discipline  et  de  la  nouvelle  organisation  sur 
les  vieilles  routines  de  l'empire  turc.  La  marche  triomphale 
d'Ibrahim  jusqu'aux  portes  de  Constantinople  a  prouvé  que 
le  nombre  n'était  plus  la  meilleure  garantie  de  la  victoire. 
Les  Arabes  éloignés  de  leur  patrie,  déjà  fatigués  par  des  mar- 
ches longues  et  pénibles,  mais  soumis  à  la  discipline  euro- 
péenne, commandés  par  des  chefs  habiles,  ont  mis  deux  fois 
en  complète  déroute  l'armée  ottomane  beaucoup  plus  nom- 
breuse et  défendant  ses  foyers  contre  l'invasion  ;  car  on  était 
alors  généralement  persuadé  que  le  pacha  d'Egypte  ne  s'ar- 
rêterait pas  en  si  beau  chemin,  et  n'hésiterait  pas  à  quitter 
Alexandrie  pour  Constantinople.  Le  récit  de  MM.  Cadalvène  et 
Barrault  est  fort  animé  et  rempli  de  l'intérêt  le  plus  piquant. 
Quoiqu'ils  n'aient  point  fait  partie  de  l'expédition  égyptienne, 
ils  ont  parcouru  tous  les  mêmes  lieux  et  on  recueilli  une 
foule  de  faits  de  la  bouche  même  de  gens  qui  prirent  une 
part  plus  ou  moins  active  à  cette  campagne.  A  l'aide  des  do- 
.  eu  mens  qu'ils  sont  parvenus  ainsi  à  rassembler,  ils  ont  tracé 
une  relation  assez  suivie  et  détaillée,  dans  laquelle  ils  ont 
semé  une  foule  de  traits  qui  peignent  fort  bien  les  mœurs 
encore  barbares  des  populations  de  l'Orient,  et  forment  un 
singulier  contraste  avec  les  institutions  que  leurs  souverains 
empruntent  à  notre  vieille  civilisation. 

De  son  côté,  M.  Urquhart,  dans  son  livre  intitulé  :  La 
Turquie,  nous  offre  un  tableau  fort  curieux  de  l'état  actuel 
de  l'empire  ottoman.  Il  raconte  brièvement  l'histoire  des 
réformes  opérées  par  Mahmoud,  les  résistances  qu'elles  ont 
éprouvées,  et  les  succès  que  le  sultan  est  parvenu  à  obtenir 
par  sa  persévérante'  fermeté.  Tout  ce  qu'il  rapporte  de  la 
législation  turque  et  de  ses  institutions  municipales,  est  d'au- 
tant plus  intéressant  qu'en  général  on  en  sait  fort  peu  de 
chose,  et  qu'on  y  trouve  une  raison  d'espérer  que  les  tenta- 
tives de  civilisation  porteront  fruit  dans  cette  belle  contrée  et 
ne  tarderont  pas  à  en  faire  un  pays  heureux  et  florissant. 
Après  avoir  d'abord  repoussé  comme  des  sacrilèges  les  inno- 
vations du  sultan,  les  Turcs  ont  fini  par  céder  à  la  fortune  de 
celui-ci,  et  par  y  voir  un  arrêt  de  cette  fatalité  à  laquelle  ils 
se  soumettent  toujours  avec  la  plus  complète  résignation.  Il 
est  vrai  que  si  la  volonté  puissante  qui  les  a  ainsi  domptés 
vient  à  s'éteindre,  on  peut  redouter  de  les  voir  retomber  dans 
tous  les  excès  de  leur  vieille  barbarie  ;  car  les  innombrables 
abus  de  la  tyrannique  oppression,  qui  a  si  long- temps  pesé 
sur  la  Turquie,  sont  encore  debout.  Pour  vaincre  les  résis-* 


V).  LITTÉRATURE , 

tances  religieuses  et  populaires,  Mahmoud  a  été  forcé  de  mé- 
nager les  pachas  et  les  grands,  dont  l'appui  lui  était  néces- 
saire. Il  faut  maintenant  qu'il  ait  le  temps  et  la  force  de 
détruire  toutes  ces  petites  puissances  absolues  qui  rayonnent 
autour  du  maître,  le  circonviennent  et  perpétuent  dans  tout 
i'empire  ce  monstreux  arbitraire  avec  lequel  tout  progrès  est 
frappé  de  mort.  Il  faut  qu'il  ait  le  temps  et  la  force  de  porter 
hardiment  la  réforme  dans  tous  les  détails  d'une  administra- 
tion essentiellement  vicieuse.  C'est  la  partie  la  plus  difficile 
de  sa  tâche,  et  celle  dont  dépend  la  durée  de  son  œuvre,  qui 
sans  cela  mourra  probablement  avec  lui.  M.  Urquhart  et 
l'auteur  de  l'introduction  qui  précède  son  ouvrage,  sem- 
blent ne  pas  douter  du  succès  et  prédisent  à  l'empire  otto- 
man une  ère  de  gloire  et  de  prospérité  sans  exemple.  Mais 
c'est  une  hypothèse  encore  très-hasardée,  et  qui  se  fonde  en 
partie  sur  la  prédilection  assez  marquée  que  ces  messieurs 
semblent  avoir  pour  les  Turcs.  Au  reste,  sans  partager  toutes 
leurs  espérances,  on  ne  peut  qu'en  souhaiter  vivement  l'ac- 
complissement. Ce  serait  bien  la  meilleure  solution  de  la 
question  turque. 


récits  de  L'histoire  des  peuples  axciens,  faits  aux  jeunes 
enfans,  par  G.  Hesse.  1  vol.  in-18,  75  c. 

manuel  de  chronologie  universelle,  publié  par  L.-A.  Sédillot, 
professeur  d'histoire  au  collège  royal  de  Saint-Louis,  nouvelle  édition 
revue  et  augmentée.  1  vol.  in-,18,  2  fr.  50  c  —  Paris,  1836,  chez 
E.  Ducrocq;  Genève,  chez  Ab.  Cherbuliez  et  cornp". 

Les  peuples  anciens,  dont  l'histoire  fait  le  sujet  des  récits 
contenus  dans  le  premier  de  ces  deux  petits  volumes,  sont  : 
les  Egyptiens,  les  Assyriens,  les  Lydiens,  les  Phéniciens,  les 
Syriens,  les  Perses,  les  Macédoniens,  les  Carthaginois,  les 
Chinois,  les  Indiens  et  les  Scythes.  L'auteur,  par  la  clarté 
de  sa  narration  et  la  simplicité  de  son  style,  sait  très-bien  in- 
téresser les  jeunes  enfans  auxquels  sa  collection  est  destinée. 
Pas  une  expression  nouvelle  ne  se  rencontre  sans  être  aussi- 
tôt expliquée,  en  sorte  que  les  enfans  y  puiseront  non-seule- 
ment la  connaissance  des  principaux  faits  historiques,  mais 
encore  celle  d'une  foule  de  mots  qui  leur  rendront  facile 
plus  tard  l'intelligence  de  tout  livre  d'histoire.  Sans  sortir  des 
limites  étroites  qu'il  s'est  assignées,  M.  Hesse  a  su  éviter  la 
sécheresse  ;  il  parle  aux  enfans  le  langage  qui  leur  convient,  et 
ses  explications  pleines  de  clarté  sont  rédigées  en  général  de 
manière  à  instruire  sans  fatiguer,  et  à  se  graver  promptement 
dans  la  mémoire,  à  l'aide  surtout  des  exercices  qui  se  trou- 


HISTOIRE.  43 

vent  à  la  fin  de  chaque  article.  Nous  relèverons  seulement  la 
singulière  acception  qu'il  donne  an  mot  anarchie,  en  disant 
qu'on  appelle  ainsi  la  situation  d'un  pays  sans  maure  légitime. 
Cette  phrase  renferme  deux  idées  fausses,  du  moins  pour  la 
France.  La  première,  c'est  qu'un  roi  est  le  maître  du  pays 
sur  lequel  il  règne;  la  seconde,  c'est  que  ce  roi  doit  absolu- 
ment être  légitime.  Ce  ne  sont  pas  là  les  principes  du  gouver- 
nement constitutionnel,  et  même  dans  la  monarchie  abso- 
lue, si  l'on  voulait  s'y  tenir  à  la  lettre,  on  tomberait  dans 
l'absurde;  car  il  faudrait  appeler  aussi  une  cruelle  anarchie 
tout  le  règne  de  Napoléon,  ce  qui  serait  exactement  le  con- 
traire de  la  vérité,  puisque  jamais  le  pouvoir  ne  fut  plus  con- 
centré et  plus  un  qu'à  cette  époque.  L'Académie,  dans  son 
dernier  dictionnaire,  définit  l'anarchie  comme  «  l'état  d'un 
»  peuple  qui  n'a  plus  ni  chef,  ni  autorité  à  laquelle  on 
»  obéisse,  ni  lois  auxquelles  on  soit  soumis.  » 

—  Le  Manuel  chronologique  de  M.  Sédillot  est  un  petit 
livre  bien  fait  et  destiné  à  rendre  de  grands  services  aux  éco- 
liers en  leur  épargnant  des  recherches  longues  et  difficiles. 
Outre  les  tables  de  tous  les  chefs  des  Etats,  depuis  les  temps 
.  les  plus  reculés  jusqu'à  nos  jours,  avec  l'indication  des  faits 
les  plus  saillans  et  des  principales  époques  de  l'histoire,  il 
renferme  un  petit  dictionnaire  des  noms  de  tous  les  hommes 
célèbres,  avant  et  après  Jésus-Christ,  avec  l'indication  de  leur 
patrie,  du  genre  dans  lequel  ils  se  sont  fait  remarquer,  la  date 
de  leur  naissance  et  celle  de  leur  mort.  Mais  pourquoi,  dans 
un  manuel  de  chronologie  universelle,  la  Suisse  est-elle  tout- 
à-fait  oubliée?  C'est  une  omission  à  réparer  dans  une  nou- 
velle édition  ;  car  si  la  république  helvétique  n'a  pas  une  liste 
de  princes  à  présenter,  son  histoire  fournit  une  série  d'évé- 
nemens  remarquables,  qui  n'occupent  certainement  pas  la 
dernière  place  dans  les  fastes  de  l'Europe  ;  elle  offre  de  grands 
exemples,  de  nobles  vertus,  de  beaux  caractères,  et  peut  pré- 
tendre à  occuper  un  rang  distingué  dans  le  tableau  des  pro- 
grès de  la  civilisation. 


MÉMOIRES  DE  LA  SOCIETE  ACADEMIQUE  DES  SCIENCES  ,  ARTS  ET 
belles-lettres  de  falaise,  année  1835.—  Falaise,  183G,  chez 
Brée  l'aîné,  et  Paris,  chez  Lance,  rue  du  Bouloy,  7.  1  vol.  in-8,  5  fr. 

Une  description  des  Algues  des  environs  deJFalaise,  par 
MM.  de  Brébisson  et  Godey;  unemote  sur  les  truffes,  par 
M.  de  Brébisson  ;  quelques  observations  ornithologiques  de 
M.  de  La  Fresnaye;  un  tableau  des  hauteurs  barométriques 
des  principaux  points  du' Calvados,  par  M.  Bunel,  et  un  rap- 


44  LITTERATURE, 

port  sur  l'établissement  romain  de  Jort,  par  M.  Galeron  ; 
voilà  ce  qui  compose  la  partie  scientifique  de  ces  mémoires. 
Le  reste  est  consacré  à  la  littérature,  et  l'on  y  trouve  une 
anecdote  sur  Nicolas  Poussin,  par  M.  de  Lottin  Laval  ;  le  cliâ- 
leau  de  Falaise,  par  M.  Julien  Travers,  et  une  épisode  du 
siège  du  Mont-Saint-Michel, par  M.  Ephrem  Honel  ;  ces  trois 
fragmens  sont  d'un  intérêt  assez  vif  et  d'un  style  agréable. 
Vient  ensuite  Sélim  III,  tragédie  en  cinq  actes,  par  M.  Pierre 
David.  La  tentative  de  réforme  dont  Sélim  succomba  vic- 
time, et  qui  est  aujourd'hui  si  heureusement  continuée  par 
Mahmoud,  fait  le  sujet  de  cette  pièce  écrite  froidement,  en 
vers  quelquefois  assez  rudes  ou  du  moins  peu  poétiques.  L'au- 
teur a  cherché  à  peindre  les  mœurs  turques ,  mais  son  style 
manque  d'originalité  et  d'énergie.  Les  am'ateurs  de  poésie 
trouveront  plus  de  plaisir  à  parcourir  les  divers  morceaux 
qui  terminent  le  volume,  parmi  lesquels  ceux  de  M.  Wains- 
JJesfontaines,  J.  Travers,  V.  E.  Pillet  se  distinguent  d'une 
manière  fort  remarquable.  Je  citerai  entre  autres  la  pièce 
suivante  du  premier  de  ces  trois  auteurs  : 

Où  vas-tu  ,  nacelle  rapide  ? 

Où  vas-tu,  sans  voile  et  sans  guide  ? 

Réponds  I....  mais  tu  ne  le  sais  pas; 
L'onde  t'entraîne....  et  toi,  tu  suis  le  cours  de  l'onde. 
Ainsi  l'homme,  entraîné  sur  l'Océan  du  monde , 

Ignore  le  but  de  ses  pas. 

Où  va-t-il?  —  Où  vas-tu?  —  Demandez  au  rivage 
Où  va  le  flot  qui,  chaque  jour, 
Vient  se  briser  contre  la  plage 

Et  s'en  éloigne  saus  retour? 

Demandez  au  bosquet....  Demandez  a  la  plaine 
Où  va  la  fleur  que  l'ouragan  entraîne, 
Où  va  la  feuille,  alors  que  l'aquilon 
Courbant  le  front  des  bois  sous  sa  bruyanle  haleine. 
L'abat,  et  puis  l'emporte  à  travers  le  vallon. 

Pour  toi,  nacelle  fugitive, 
L'ancre  pourrait  encore,  en  dépit  des  autans, 
Soudain  t'enchaîner  a  la  rive 
Et  te  fixer  sur  ces  flots  inconstans  ; 
Mais  nous,  pauvres  nochers,  quand  la  vague  en  furie 
Nous  emporte,...  c'est  pour  toujours! 
De  notre  esquif,  sur  la  mer  de  la  vie, 
'    0llcl'e  ancre  tutélairc  arrêterait  le  cours  ? 

Rien  n'arrête  l'homme  qui  passe  ; 
Une  voix  lui  dit  :  Marche...  et  lui,  va  son  chemin 


HISTOIRE.  45 

Et  sa  fuite  ici-bas  laisse  encor  moins  de  trace 
Que  la  barque  qui  fuit  n'en  laisse  à  la  surface 
Du  flot  qui  l'emporle  en  son  sein  ! 

Où  va-t-il?....  Où  vas-tu?....  Réponds,  pauvre  nacelle! 

Réponds! Mais  déjà  sur  les  eaux 

Tu  fuis  sans  écouter  ma  voix  qui  te  rappelle 

A  demain!....  Sur  ces  bords,  au  rendez-vous  fidèle. 

Je  reviendrai  te  demander  aux  flots. 
Je  reviendrai,....  mais  de  ma  voix  plaintive 
Demain,  la  mort  peut-être  aura  glacé  les  cris!.... 

Demain,,  nacelle  fugitive, 

Peut-être  l'algue  de  la  rive 

Couvrira-t-elle  mes  débris! 


RELIGION,    PHILOSOPHIE,    MORALE,    EDUCATION. 


LA  bible,  traduction  nouvelle  avec  l'hébreu  en  regard,  avec  les 
points-voyelles  et  les  accens  toniques,  et  des  notes  philologiques, 
géographiques  et  littéraires,  par  S.  Cahen.  Tome  VIII,  contenant  les 
livres  des  Rois  ;  prix  :  G  fr.,  chez  l'auteur,  à  Paris,  Vieille-rue-du 
Temple,  78;  et  chez  Cherbuliez,  libraire,  rue  St.-André-des-Arts,  68. 

Nous  avons  déjà  eu  occasion  de  faire  connaître  le  travail 
de  M.  Cahen  ;  et  le  jugement  que  nous  en  avons  porté  a  été 
confirmé.  Des  préjugés  défavorables  avaient  accueilli  cet  ou- 
vrage ;  mais  les  continuels  efforts  du  nouveau  traducteur,  à 
améliorer  son  travail,  à  rendre  les  notes  de  plus  en  plus  in- 
structives et  curieuses  et  surtout  sa  persévérance  à  avancer 
toujours,  toutes  ces  causes  réunies  ont  affaibli  bien  des  pré- 
jugés, et  il  n'y  a  qu'une  voix  maintenant  sur  l'utilté  et  l'op- 
portunité de  cette  remarquable  production. 

Dorénavant  si  l'on  veut  connaître  où  en  sont  les  travaux 
bibliques  en  Allemagne,  quelle  est  sur  tel  passage  difficile 
l'opinion  des  rabbins  du  moyen-âge  et  celle  des  hébraïsans, 
parmi  les  Israélites  modernes,  on  n'a  qu'à  lire  la  Bible  de 
M.  Cahen  qui  résume  tous  ces  travaux  ;  et,  certes,  c'est  un 
un  service  important  rendu  aux  étudians  français  et  aux 
hommes  qui  ont  plus  de  désir  de  s'instruire  que  de  loisir 
pour  le  satisfaire;  c'est  un  service  important,  disons-nous, 
que  leur  rend  M.  Cahen,  que  de  leur  épargner,  ce  qui  est  en- 
core plus  précieux  que  l'argent,  le  temps. 


46  RELIGION,    PHILOSOPHIE, 

ANTONIO  GIOVIAN1 ,  par  Mm*  Manine  Souvestre.  —  Brest,  1836.  2  vol. 
in-12,  fig.,  6  fr. 

«  L'habitude  de  céder  à  ses  désirs,  prise  dès  l'enfance,  est 
»  la  source  de  presque  toutes  nos  fautes.  Le  premier  et  le  plus 
»  important  emploi  que  l'enfant  doive  faire  de  sa  volonté  est 
»  donc  contre  lui-même.  »  Telle  est  la  vérité  morale  déve- 
loppée dans  ce  charmant  conte  qui,  écrit  avec  un  talent  fort 
remarquable,  sera  lu,  je  crois,  par  les  païens  avec  autant  de 
plaisir  que  par  les  enfans.  La  scène  est  Naples  ;  l'époque,  le 
règne  de  Murât.  Antonio  est  un  petit  paysan,  gardeur  de 
chèvres,  rempli  d'intelligence  et  de  gentillesse.  Malheureu- 
sement deux  vilains  défauts  gâtent  son  caractère.   C'est  une 
faiblesse  très-grande  qui  le  porte  à  céder  à  tous  ses  désirs,  à 
satisfaire  toutes  ses  fantaisies,  et  une  habitude  du  mensonge 
dont  il  use  sans  ménagement  pour  pallier  ses  sottises.  Un 
écureuil  appartenant  à  un  voisin,  avait  séduit  Antonio  par  la 
vivacité  et  l'amabilité  de  ses  petites  manières.  Chaque  fois 
qu'en  allant  conduire  ses  chèvres  au  pâturage,  il  passait  devant 
la  boutique  du  propriétaire  de  ce  joli  petit  animal,  il  éprou- 
vait une  forte  tentation  de  se  l'approprier.  Enfin  la  violence 
de  ce  désir  devint  telle,  qu'Antonio  succomba,  et,  profitant  de 
l'absence  du  maître,  il  grimpa  un  jour  jusqu'à  la  fenêtre  sur 
laquelle  était  la  cage  et  s'empara  de  l'écureuil.  C'était  un  vol, 
mais  l'enfant ,  tout  entier  à  la  joie  de  posséder  enfin  ce  qu'il 
avait  convoité  si  longtemps,  ne  songea  à  l'énormitédesa  faute 
que  pour  en  détourner  de  lui  les  fâcheuses  conséquences  par 
le  mensonge.  Une  fable  fut  bientôt  imaginée  pour  expliquer 
comment  cet  écureuil  se  trouvait  entre  ses  mains.  Il  l'avait 
pris  dans  la  forêt  voisine,  et  ce  n'était  même  qu'après  être 
resté  à  l'affût  pendant  plusieurs  heures  qu'il  avait  réussi  à 
s'en  emparer.  Mais  il  se  trouve  que  le  jour  où  il  disait  avoir 
fait  cette  belle  chasse,  un  assassinat  se  commettait  à  l'endroit 
même  où  il  prétendait  s'être  caché  pour  guetter  l'écureuil. 
Le  cadavre  d'un  officier  français  avait  été  trouvé  dans  une 
clairière  de  la  forêt  voisine.  Antonio  fut  donc  appelé  comme 
témoin  ;  car  il  devait  nécessairement  avoir  vu  ce  qui  s'était 
passé,  si  réellement  il  avait  bien  été  ce  jour-là,  dans  la  forêt, 
à  l'affût  pendant  plusieurs  heures.  Notre  petit  menteur  est 
d'abord  effrayé  à  l'idée  des  suites  qu'entraîne  après  lui  son 
premier  mensonge  ;  mais  son  amour  propre  recule  devant  un 
désaveu,  et  le  désir  de  voir  Naples,  où  on  le  conduira  sans 
doute  pour  déposer  devant  le  tribunal,   le  pousse  à  broder 
une  nouvelle  fable  encore  plus  coupable  que  l'autre,  puis- 
qu'elle com])romet'l'e\istenced'un  homme.  En  effet,  les  dé- 


MORALE,  ÉDUCATION.  47 

lails  circonstanciés  inventés  par  Antonio,  donnent  une  grande 
force  à  son  témoignage,  et  lorsqu'on  lui  demande  le  signale- 
ment de  l'assassin,  il  désigne  celui  d'un  homme  qu'il  a  ren- 
contré dans  la  forêt,  et  qui  s'est  adressé  à  lui  pour  demander 
son  chemin.  Or,  cet  homme  qu'il  fait  ainsi  condamner  à 
mort  par  ses  mensonges  se  trouve  être  le  bienfaiteur  de  sa 
mère,  et  quand  le  malheureux  Antonio  le  découvre,  il  se 
sent  frappé  d'un  coup  terrible,  saisi  d'un  affreux  désespoir. 
Voilà  donc  où  l'a  conduit  la  déplorable  faiblesse  avec  laquelle 
il  avait  cédé  d'abord  à  ses  désirs  en  s'emparant  d'un  écureuil 
qui  ne  lui  appartenait  point  !  Quelle  suite  de  mensonges  ac- 
cumulés pour  cacher  une  première  faute!  Quel  terrible 
exemple  des  écueils  contre  lesquels  on  va  se  heurter,  dès 
qu'on  s'écarte  du  droit  chemin,  dès  qu'on  abandonne  un  in- 
stant la  franchise  et  la  probité  ! 

Antonio  est  anéanti  par  la  pensée  que  sa  fausse  déposition 
va  coûter  la  vie  à  son  bienfaiteur.  Une  fièvre  violente  s'em- 
pare du  pauvre  enfant.  Heureusement,  à  cet  âge,  la  nature 
forte  et  vigoureuse,  reprend  bientôt  le  dessus.  Le  remords 
.développe  subitement  en  lui  une  énergie  et  une  résolution  di- 
gnes d'un  homme  fait.  Il  a  commis  une  grande  faute,  un 
crime  même  :  car  c'en  est  un  que  le  faux  témoignage  ;  eh  bien, 
pendant  qu'il  en  est  temps  encore,  il  réparera  cette  faute,  il 
sauvera  l'existence  qu'il  a  compromise,  et  donnera  sa  propre 
vie  plutôt  que  de  laisser  mettre  à  mort  un  innocent,  qui  n'a 
contre  lui  d'autre  charge  que  son  accusation  menteuse. 

Ce  changement  produit  dans  le  caractère  d'Antonio,  est 
plein  de  vérité  et  de  naturel ,  quelque  prompt  qu'il  puisse 
paraître,  car  il  est  de  ces  positions  qui,  par  l'impression  puis- 
sante qu'elles  produisent,  font  passer  presqu'instantanément 
l'enfance  à  l'âge  viril.  Il  est  d'ailleurs  peint  avec  une  simpli- 
cité qui  frappe  d'autant  plus,  que  l'auteur  se  borne  à  racon- 
ter sans  déclamations  ni  phrases,  et  sait  jeter  sur  tout  son 
récit  une  teinte  de  profonde  sensibilité  qui  émeut  vivement 
parce  qu'elle  vient  du  cœur.  Avec  quel  intérêt  ne  s'attache- 
t-on  pas  alors  à  toutes  les  démarches  de  ce  méchant  enfant, 
qu'on  ne  regardait  n«aguères  qu'avec  un  sentiment  de  peine 
et  de  répugnance  !  Avec  quelle  anxiété  ne  le  suit-on  pas  chez 
chacun  des  juges  auxquels  il  court  faire  l'aveu  de  sa  four- 
berie ?  Et  combien  ne  sent-on  pas  son  cceur  serré  lorsqu'on  le 
voit  repoussé  par  le  plus  grand  nombre  sans  avoir  pu  se  faire 
entendre,  honteusement  chassé  par  le  président  du  tribunal, 
qui  refuse  d'ajouter  foi  à  sa  nouvelle  version. 

Mais  un  recours  en  grâce  auprès  du  roi  lui  reste  encore. 
C'est  le  dernier  moyen  qui  puisse  sauver  le  bienfaiteur  de  sa 
mère.   Il  part  aussitôt  pour  aller  implorer  la  clémence  d'. 


48  RELIGION,    PHILOSOPHIE, 

Murât;  il  parvient  à  pénétrer  jusque  chez  la  reine  ;  il  lui  fait 
en  sanglottant  le  récit  de  ses  détestables  mensonges  ;  il  l'inté- 
resse par  son  désespoir.  Mais  le  roi  refuse  de  faire  grâce  ;  la 
seule  concession  qu'on  obtienne  de  lui,  c'est  que  l'on  pourra 
essayer  de  faire  évader  le  condamné.  Cette  idée  remplit  An- 
tonio de  joie,  et  la  reine  charge  un  agent  dévoué  et  sûr  de 
cette  mission  dangereuse.  Celui-ci  se  sert  d'Antonio  pour  exé- 
cuter son  projet,  et  l'enfant  rachète  son  crime  par  le  zèle 
chaleureux  et  l'admirable  dévouement  avec  lesquels  il  par- 
vient à  remplir  sa  tâche,  à  soustraire  à  l'échafaud  cette  tête 
innocente  qu'il  avait  risqué  d'y  faire  rouler,  pour  n'avoir  pas 
su  se  passer  d'un  écureuil  qui  excitait  sa  convoitise. 

Une  sèche  analyse  ne  peut  pas  dire  tous  les  détails  gra- 
cieux de  -cette  jolie  composition  ;  elle  ne  saurait  donner 
qu'une  idée  assez  imparfaite  de  la  manière  dont  l'auteur  a 
envisagé  son  sujet,  et  nous  conseillons  à  nos  lecteurs  de  ne 
pas  s'en  tenir  là.  Ils  trouveront  dans  Antonio  Giovanni,  non- 
seulement  un  bon  livre  d'éducation,  mais  un  excellent  ou- 
vrage de  littérature.  Une  seule  chose  m'a  paru  mériter  peut- 
être  quelque  critique.  C'est  l'intérêt  trop  vif  qu'inspire  Antonio 
repentant,  l'héroisme  trop  séduisant  qu'il  déploie. 

J'ai  toujours  trouvé  quelque  danger  à  ces  peintures  si  at- 
trayantes de  pécheurs  repentans.  Elles  enthousiasment  la  jeu- 
nesse, et  n'est-il  pas  à  craindre  que,  pour  avoir  l'occasion  d'un 
semblable  héroïsme,  elle  ne  soit  parfois  tentée  d'imiter  d'a- 
bord les  fautes  afin  de  pouvoir  ensuite  les  réparer? 


LE  SPECTACLE  DE  LA  NATURE  ET  DE    L'INDUSTRIE    HUMAINE  ,    OU 

les  chefs-d'œuvre  de  Dieu  et  des  hommes,  répandus  sur  la  surface 
de  la  terre;  par  Ch.  Delattre.  —  Paris,  1837.  2  vol.  in-12  avec  10  gra- 
vures, prix  :  7  fr.  ;  par  la  poste,  9  fr.  :  chez  Mllc  Désirée  Eymery,  édi- 
teur de  la  Bibliothèque  d'éducation,  quai  Voltaire,  15,  à  l'entresol. 

Ce  livre  est  de  ceux  qu'on  place  le  plus  volontiers  entre 
les  mains  des  cnfans,  car  il  est  destiné  à  éveiller  en  eux  les 
sentimens  les  plus  nobles  et  les  plus  purs,  à  élever  leur  âme 
par  la  contemplation  des  œuvres  de  la  nature,  et  à  leur  faire 
admirer  la  puissance  du  Créateur  dans  le  génie  de  l'homme 
et  dans  les  prodiges  de  l'industrie  humaine. 

,Le  premier  volume,  qui  traite  des  OEuvrcs  de  Dieu,  ren- 
ferme un  cours  de  sciences  naturelles  et  d'explication  des 
phénomènes  les  plus  curieux,  mis  à  la  portée  des  enfans.  La 
clarté  brille  dans  ce  petit  exposé,  écrit  d'un  style  animé  et 
coloré.  Mais  cependant  il  ne  s'adresse  qu'aux  jeunes  gens 


MORALE,  ÉDUCATION.  49 

de  12  à  15  ans,  car  des  enfans  moins  avancés  ne  seraient 
guère  en  état  de  le  comprendre. 

Apres  avoir  retracé  rapidement  l'histoire  de  la  création  et  des 
révolutions  du  globe,  d'après  les  livres  saints  et  les  découvertes 
modernes  de.  la  science,  M.  Delattre  passe  en  revue  les  di- 
verses parties  de  la  terre,  et  décrit  toutes  les  particularités 
remarquables  que  présente  chaque  contrée.  Les  merveilles 
naturelles  de  tous  les  climats ,  les  principales  beautés  des 
trois  règnes  de  la  nature,  sont  offertes  à  l'admiration  de  la 
jeunesse;  on  lui  fait  ainsi  parcourir  les  montagnes,  et  leurs 
glaciers  et  leurs  volcans,  les  vallées  et  leur  riche  végétation  ; 
on  la  transporte  tour-à-tour  au  milieu  des  glaces  éternelles  du 
pôle,  et  sous  les  rayons  brûlans  du  soleil  de  l'équateur  ;  on  lui 
montre  partout  les  productions  de  la  nature,  parfaitement 
adaptées  au  climat  qu'elles  sont  destinées  à  habiter,  et  on 
lui  inspire  par  là  une  profonde  vénération  pour  la  sagesse  et  la 
puissance  du  Créateur.  Des  considérations  morales,  fort  bien 
déduites  du  sujet,  font  ressortir  les  divers  rapports  qui  lient 
entre  eux  les  différens  phénomènes  naturels,  et  conduisent  à 
former  d'ingénieuses  hypothèses  sur  le  but  de  la  création. 

Le  second  volume  contient  une  esquisse  de  l'histoire  de  l'art 
et  de  l'industrie,  depuis  les  temps  les  plus  anciens  jusqu'à  nos 
jouis.  C'est  un  tableau  du  développement  successif  de  l'es- 
prit humain  aux  diverses  époques  de  l'histoire.  Les  grands 
monumens  de  l'architecture  de  tous  les  peuples  y  trouvent 
leur,  place,  et  leur  description  est  accompagnée  de  données 
historiques  et  de  détails  de  mœurs  du  plus  grand  intérêt.  Les 
prodiges  du  commerce  antique,  qui  avait  fondé  au  milieu  des 
déserts  de  l'Asie  des  villes,  des  palais,  et  ceux  de  l'industrie 
moderne,  qui  semble  promettre  un  si  brillant  avenir  à  la 
civilisation,  sont  également  présentés  de  la  manière  la  plus 
propre  à  exciter  la  curiosité  et  à  fixer  l'attention  des  jeunes 
gens.  L'industrie  humaine  et  ses  bienfaisans  travaux  méri- 
tent bien  mieux  que  la  guerre  et  ses  désastreuses  conquêtes 
d'être  offerte  à  l'admiration  de  nos  enfans.  Rien  n'est  plus 
contraire  à  l'esprit  de  notre  époque  que  cette  brillante  au- 
réole de  gloire  dont  on  entoure  le  front  des  grands  guerriers, 
dans  la  plupart  des  livres  destinés  à  la  jeunesse.  La  défense 
de  la  patrie  peut  seule  légitimer  la  guerre  qui,  sans  cela, 
n'est  que  le  meurtre  et  le  pillage  exécutés  sur  une  grande 
échelle.  Les  plus  fameux  conquérans  furent  des  fléaux  pour 
l'humanité,  tandis  que  chaque  découverte  de  la  science,  cha- 
que progrès  de  l'industrie,  ont  augmenté  la  somme  des  jouis- 
sances, ont  amélioré  d'une  manière  réelle  et  durable  la  con- 
dition de  toutes  les  classes  de  la  société. 


50  RELIGION,  PHILOSOPHIE, 

BIBLIOTHÈQUE  UNIVERSELLE  D'ÉDUCÀTIONj 

CONTES  AIX  JEUNES  NATURALISTES,  par  Mllc  UUiuc-Trèmadeuie . 
1  vol.  in-12,  fig.  3  fr.  50  c—  récréations  morales,  par  M.meGuizot. 
1  vol.  in-12.  fig.  3  fr.  50  c—  théâtre  des  Marionnettes  ,  par 

Mmc  Laure  Bernard.  1  vol.  in-12,  fig.  3  fr.  50  c.  —  Paris,  1837, tenez 
Didier;  Genève,  chez  Ah.  Cherbuliez  et  comp". 

Dans  les  Contes  aux  jeunes  Naturalistes,  mademoiselle  Ulliac 
a  fort  bien  réussi  à  mêler  d'intéressantes  notions  d'histoire 
naturelle  à  des  récits  amusons,  de  manière  à  présenter  la 
science  sous  la  forme  la  moins  sévère,  et  à,  offrir  en  même 
temps  l'application  en  maintes  circonstances  de  la  vie,  d'une 
foule  de  connaissances  qui,  ainsi  apprises,  s'oublientbeaucoup 
moins.  Les  animaux  domestiques,  leurs  mœurs,  leur  usage, 
forment  le  sujet  de  ce  volume,  qui  sera  suivi,  il  faut  L'espérer, 
de  plusieurs  autres;  car  l'histoire  naturelle  est  un  champ  fé- 
cond où  l'on  peut  faire  d'abondantes  récoltes  sans  craindre  de 
l'épuiser.  Les  trois  premiers  contes  de  cette  jolie  série,  sont  : 
Manette  ou  la  fâche  noire,  Pyramide  ou  le  Cheval  du  lancier,  et 
Jacquot  ou  la  Basse-cour  de  ma  grand' tante.  L'auteur  se  plaît 
à  faire  ressortir  l'instinct  admirable  qui  sert  de  guide  aux 
animaux,  et  qui,  développé  par  l'éducation  et  les  soins  affec- 
tueux de  l'homme,  produit  souvent  des  résultats' fort  curieux. 
Pyramide  surtout  est  un  petit  récit  du  plus  grand  intérêt, 
très-bien  fait  sous  tous  les  rapports.  Mademoiselle  Ulliac  a 
rendu  avec  beaucoup  de  vérité  cette  intimité  qui  s'établit 
entre  le  soldat  et  son  cheval  lorsqu'ils  ont  long-temps  vécu 
ensemble  dans  les  camps,  courant  les  mêmes  dangers,  suppor- 
tant les  mêmes  privations,  éprouvant  en  quelque  sorte  l'un  et 
l'autre  les  mêmes  peines  et  les  mêmes  misères.  L'esquisse  du 
vieux  militaire  est  tracée  avec  un  naturel  parfait;  ons'attache 
volontiers  à  lui,  on  suit  avec  intérêt  tous  les  épisodes  de  sa 
narration  lorsqu'il  raconte  ses  campagnes,  et  plus  d'une  foison 
verse  une  larme  sur  ses  infortunes  si  peu  méritées,  on  éprouve 
une  vive  svmpathie  pour  les  élans  de  son  cœur  généreux, 
comme  pour  les  sages  raisonnemens  de  son  excellent  bon 
sens.  Et  ce  vieux  cheval  arabe  qui  a  suivi  son  maître  depuis  les 
Pyramides  et  a  partagé'  pendant  vingt  ans  toutes  les  vicissi- 
tudes de  son  existence  errante  ;  avec  quel  intérêt  ne  lit-on  pas 
tous  lrsdétails  qui  nous  peignent  si  bien  son  caractère  intelli- 
gent, ce  mélange  de  licite  naturelle  et  de  docilité  acquise,  son 
attachement  pour  le  lancier  qui  le  traite  eu  enfant  chéri,  et  ne 
saurait  avoir  un  plaisir  sans  le  partager  avec  Pyramide.  En 
vérité,  ce  conte  trouvera  une  foule  de  lecteurs,  jeunes  ou 
vieux,  et  je  suis  bien  persuadé  surtout  qu'il  séduira  tous  les 


MORALE,    ÉDliCATloN  ,i 

petits  garçons.  Pyramide  et  son  lancier  ne  tarderont  pas  à  ob- 
tenir un  succès  tout  populaire  dans  les  pensions  et  les  collèges. 

—  Les  Récréations  morales  de  madame  Guizot  offrent  un 
choix  de  contes  cliarmans  pour  la  jeunesse,  qui  ne  pourra  y 
puiser  que  les  meilleurs  principes  et  y  rencontrer  des  exem- 
ples excellens  à  suivre.  Madame  Guizot  sait  admirablement 
bien  faire  des  applications  claires  et  faciles  à  saisir,  de  manière 
à  présenter  aux  cnfans  des  leçons  morales  qui  les  intéressent 
vivement  et  dont  ils  peuvent  cependant  fort  bien  comprendre 
la  portée.  C'est  donc  avec  un  vif  plaisir  qu'on  verra  multiplier 
les  éditions  des  livres  qu'a  laissés  cette  femme  si  remarquable, 
et  l'on  saura  gré  à  l'éditeur  de  les  mettre  ainsi  à  la  portée  de 
toutes  les  bourses,  car  jusqu'à  présent  leur  prix  élevé  avait 
restreint  leur  succès  et  leur  heureuse  influence  dans  des 
limites  assez  étroites.  M.  Didier  a  fort  bien  compris  que  de 
semblables  ouvrages  sont  destinés  à  devenir  tout-à-fait  popu- 
laires, et  à  remplacer  ceux  qui  depuis  long-temps  composaient 
la  bibliothèque  des  enfans  et  qui  ne  sont  plus  du  tout  enhar- 
monie avec  les  principes  de  l'éducation  actuelle.  Aussi,  non- 
seulement  il  en  a  considérablement  diminué  les  prix  en  adop- 
tant un  format  plus  compacte,  quoique  très-élégant,  mais 
encore  il  publie  tous  ces  contes  en  volumes  in-18,  qui  se  ven- 
dent séparément  à  très-bon  marché.  Il  fait  de  même  pour  ceux 
de  mademoiselle  Ulliac  Trémadeure,  en  sorte  que  ces  char- 
mantes et  utiles  productions  ne  tarderont  pas  à  se  répandre 
dans  toutes  les  classes  de  la  société,  où  elles  ne  peuvent  que 
produire  le  plus  grand  bien.  L'éducation  prise  ainsi  au  sérieux 
et  dirigée  vers  le  but  du  perfectionnement  moral  est  certaine- 
ment la  véritable  route  qui  conduit  un  peuple  à  la  liberté  et 
au  bonheur. 

—  Le  Thédlrc  des  marionnettes  fait,  il  faut  le  dire,  une  assez 
triste  figure  à  côté  des  deux  volumes  précédens.  Nous  aurions 
mieux  aimé  ne  pas  le  voir  paraître  dans  la  Bibliothèque  d'édu- 
cation; nou  pas  que  nous  voulions  rejeter  ce  genre  d'amuse- 
ment qui  est  sans  doute  fort  innocent,  et  peut  encore  servir 
à  fixer  l'attention  des  enfans  et  à  leur  offrir  d'utiles  lerons; 
mais  madame  Laure  Bernard  nous  a  paru  n'avoir  pas  su  em- 
ployer ce  moyen  d'une  manière  très-convenable.  Ses  petites 
scènes  renferment  plus  de  prétention  dramatique  qu'il  n'en 
faut  pour  un  tel  objet.  Elle  semble  chercher  plus  à  frapper 
par  du  patbos  ou  de  la  charge,  qu'à  instruire  en  se  fusant 
comprendre.  Elle  suit  l'ornière  tracée  par  Séraphin,  et  c'est 
justement  ce  qu'il  faudrait  éviter.  Aussi  conseillerons-nous 
aux  personnes  qui  désireraient  procurer  à  leurs  enfans  le  plai- 
sir des  marionnettes,  de  prendre  plutôt  pour  répertoire  de 
leur  théâtre,  les  œuvres  de  madame  Guizot,  de  mademoiselle 
Ulliac,  et  de  dialoguer  quelques-uns  de  ces  jolis  contes  qui 


52  LEGISLATION , 

font  toujours  éprouver  aux  enfans  un  plaisir  nouveau,  parce 
que  tout  y  est  vrai,  naturel,  parce  qu'ils  s'y  reconnaissent  eux 
et  leurs  compagnons  de  jeux  ou  d'études,  parce  qu'enfin  la 
morale  y  est  si  bien  alliée  au  sujet,  à  l'action,  qu'il  est  impos- 
sible qu'elle  échappe  à  leur  jeune  intelligence. 


LEGISLATION,    ECONOMIE   POLITIQUE,    COMMERCE, 


LES  classes  OUVRIÈRES;  moyens  d'améliorer  leur  sort  sous  le  rap- 
port du  bien-être  matériel  et  du  perfectionnement  moral  ;  par  Emile 
Beres;  ouvrage  couronné  par  l'Académie  française,  par  la  Société  de 
la  morale  chrétienne  et  par  celle  d'agriculture,  sciences  et  arts  de 
Maçon.  —  Paris,  chez  Charpentier.  1836.  1  vol.  in-8.  7  fr. 

Venir  en  aide  aux  classes  ouvrières,  soulager  leurs  souf- 
frances, assurer  leur  avenir  sans  avoir  recours  aux  institu- 
tions de  bienfaisance,  voilà  le  noble  but  auquel  M.  Emile 
Bères  a  consacré  son  talent  et  sa  plume.  Dès  les  premières 
pages  de  son  livre,  il  se  déclare  franchement  l'adversaire  des 
sociétés  de  charité  et  des  hôpitaux.  Les  unes  humilient  le 
pauvre,  détruisent  en  lui  le  sentiment  de  l'honneur  et  lui  of- 
frent trop  souvent  un  oreiller  de  paresse  sur  lequel  il  s'endort 
dans  l'oisiveté  et  la  misère  ;  les  autres  peuvent  de  plus  con- 
tribuer à  affaiblir  les  liens  de  famille  ou  d'amitié  en  leur  ôtant 
les  occasions  de  se  développer,  de  faire  acte  de  dévoûment  et 
de  puiser  une  nouvelle  vie  dans  ces  épreuves  salutaires.  De 
semblables  principes  étonneront  par  leur  hardiesse,  mais  leur 
vérité  se  fera  jour  petit  à  petit,  et  finira  par  luire  aux  yeux 
de  tous. 

Le  malaise  des  classes  ouvrières  est  un  fait  incontestable  ;  il 
est  tellement  évident  chez  toutes  les  nations  européennes  ;  il 
s'est  manifesté  avec  tant  d'énergie  à  chaque  occasion  de  ré- 
volte ou  de  désordre,  que  personne  ne  saurait  songer  à  le 
nier.  C'est  donc  plutùt  sur  la  cause  du  mal  que  la  discussion 
a  roulé  entre  les  divers  écrivains  qui  ont  abordé  cette  grande 
question.  L'introduction  des  machines  dans  l'industrie  et 
leur  emploi  toujours  plus  étendu,  a  été  surtout  accusée  par 
la  plupart;  d'autres  ont  prétendu  qu'une  longue  paix  favori- 
sait trop  l'accroissement  de  la  population  ;  d'autres  enfin  ont 
crié  haro  sur  les  progrès  de  la  civilisation  elle-même  qui,  di- 
sent-ils, ont  semé  l'ambition  et  le  goût  du  luxe  dans  toutes  les 
classes.  Tandis  qu'on  débattait  ainsi,  s'attaquant  à  des  faits 
sur  l'accomplissement  desquels  nous  ne  pouvons  exercer  près- 


caauVOMIE  POLITIQUE,  ETC.  â3 

qu'aucune  influence,  le  mal  n'a  fait  qu'empirer  sans  qu'on 
y  ait  porté  le  moindre  soulagement. 

M.  Emile  Bères  n'a  point  suivi  la  même  route;  ces  causes 
qu'on  allait  chercher  si  loin,  il  a  cru  les  trouver  tout  près  de 
lui,  il  les  a  découvertes  dans  l'examen  attentif  de  ce  qui  se 
passe  chaque  jour  dans  les  petits  détails  de  la  vie  ordinaire. 
Est-il  surprenant  que  l'ouvrier  soit  misérable,  lorsque  de  son 
modique  salaire,  qui  constitue  tout  son  avoir,  les  impôts  lui 
ravissent  la  meilleure  part;  lorsqu'il  ne  peut  boire  un  verre 
devin,  consommer  une  livre  de  viande  ou  une  once  de  sel, 
sans  payer  au  fisc  le  quart,  le  tiers  ou  la  moitié  de  la  valeur 
de  l'objet?  Doit-on  s'étonner  si  des  maladies  viennent  l'épui- 
ser et  lui  ôter  tout  moyen  d'existence,  lorsqu'on  le  voit  ainsi 
forcé  de  se  priver  souvent  d'une  nourriture  que  rendent  né- 
cessaire à  sa  santé  les  travaux  pénibles  auxquels  il  se  livre, 
ou  bien  exposé  à  toutes  les  fraudes  dangereuses  que  l'avidité 
inspire  aux  débitans  de  produits  grèves  par  l'octroi?  Enfin 
est-il  surprenant  qu'il  soit  malheureux,  quand,  après  avoir 
fait  si  peu  pour  lui  procurer  une  bonne  éducation,  une  ins- 
truction convenable,  on  l'exploite  comme  un  esclave  qu'on 
n'a  pas  acheté  et  qu'on  remplacera  facilement,  on  l'accable 
de  travail  et  l'on  marchande  son  salaire  sans  lui  permettre 
même  d'en  discuter  les  conditions  !  Paria  de  la  société  qui 
n'a  pour  lui  que  peines,  fatigues,  puis  mépris  ou  pitié  humi- 
liante, parce  qu'il  travaille  de  ses  mains  à  la  nourrir  ou  à  la 
vêtir,  l'ouvrier  ne  peut  qu'être  souvent  porté  à  se  révolter 
contre  elle,  à  enfreindre  ses  lois,  ou  à  chercher  dans  un  stu- 
pide  abrutissement  l'oubli  de  maux  qu'il  ne  peut  éviter.  La 
société  peut  être  juste  suivant  ses  loi3,  quand  elle  le  punit 
ou  l'abandonne,  mais  elle  n'est  certainement  pas  équitable, 
car  elle  a  entre  les  mains  les  moyens  de  détruire  le  mal  dans 
sa  racine,  et  il  ne  lui  manque  que  la  volonté  de  le  faire.  Sui- 
vons M.  Bères  dans  l'exposé  de  ces  moyens,  qui  nous  offriront 
le  plan  le  plus  judicieux  d'une  régénération  complète  et  effi- 
cace de  la  classe  ouvrière,  l'espoir  le  mieux  fondé  d'une 
prospérité  future,  où  les  biens  et  les  charges  de  la  société, 
plus  également  répartis,  effaceront  petit  à  petit  ces  contrastes 
si  révoltants  qu'offrent  de  nos  jours  les  chaumières  misérables 
de  nos  pauvres  laborieux  et  honnêtes,  à  côté  des  palais  somp- 
tueux de  tant  de  riches  oisifs  et  corrompus. 

L'autorité  aura  d'abord  maintes  mesures  à  prendre  pour 
contribuer  à  cette  œuvre  utile.  C'est  à  elle  à  donner  l'exem- 
ple. Elle  est  une,  et  par  conséquent  peut  agir  avec  bien  plus 
de  facilité  et  de  promptitude;  son  influence  d'ailleurs  déter- 
minera bientôt  le  mouvement.  Qu'elle  avise  donc  sans  retard 
aux  ressources  à  créer  pour  remplacer  les  impôts  qui  frap^ 


54  LEGISLATION  , 

pent  sur  les  besoins  de  première  nécessité.  Elle  les  trouvera 
bien  vite,  si  elle  veut  les  chercher  dans  des  modifications 
économiques  à  apporter  aux  diverses  branches  de  l'Admi- 
nistration. 

Outre  cela,  il  faudrait  une  surveillance  rigoureuse  sur  la 
vente  et  la  préparation  des  substances  alimentaires,  car  c'est 
une  condition  nécessaire  de  la  santé  publique.  Il  faudrait 
surtout  une  activité  plus  grande  dans  l'exécution  des  mesu- 
res destinées  à  assainir  les  quartiers  insalubres  des  villes  ma- 
nufacturières. L'entassement  des  ouvriers  et  de  leurs  familles 
dans  des  rues  sales  et  étroites,  où  L'air  circule  à  peine ,  est 
une  des  principales  causes  des  maladies  qui  les  assaillent.  Il 
serait  bon  également,  de  surveiller  plus  qu'on  ne  le  fait 
l'exercice  de  certaines  professions  dangereuses  pour  la  santé 
des  ouvriers.  Des  établissemens  d'alimentation  économique, 
par  le  moyen  de  la  gélatine  par  exemple,  et  des  institutions 
financières  dans  l'intérêt  des  classes  ouvrières,  devraient 
aussi  être  fortement  encouragées  par  le  gouvernement,  car 
ce  serait  le  plus  sûr  moyen  de  soulager  et  de  préserver  en 
même  temps. 

M.  Bères  voudrait  de  plus,  qu'on  excitât  le  zèle  des  ou- 
vriers par  des  récompenses  convenablement  distribuées  ,  par 
des  distinctions  honorables ,  par  une  protection  toute  pater- 
nelle et  par  l'assurance  de  trouver  dans  sa  vieillesse  un  asile 
contre  les  infirmités,  des  invalides  gagnés  par  lui  à  aussi 
juste  titre  certainement  que  par  les  soldats,  et  d'une  manière 
plus  utile  au  pays. 

Les  chefs  d'industrie,  propriétaires  et  maîtres  exercent  sur 
les  ouvriers  une  influence  directe,  qui  a  les  conséquences  les 
plus  importantes  pour  leur  sort.  Ils  peuvent  contribuer  puis- 
samment à  leur  amélioration  et  à  leur  bonheur,  soit  en  ap- 
portant plus  de  justice  dans  la  fixation  des  salaires,  et  dans 
celle  des  heures  de  travail ,  soit  en  surveillant  avec  sollici- 
tude la  conduite  des  ouvriers  et  en  introduisant  de  bons  ré- 
glëmeris  dans  les  fabriques.  Il  faut  que  les  relations  de  chefs 
à  ouvriers  prennent  un  caractère  de  bienveillance  et  d'égalité, 
plus  prononcé  et  perdent  toujours  davantage  ce  qu'elles  peu- 
vent avoir  conservé  de  commun  avec  celles  qui  existent  de 
maîtres  à  esclaves. 

Enfin  les  ouvriers  eux-mêmes  doivent  faciliter  l'œuvre  en 
remplissant  leurs  devoirs  avec  assiduité,  et  en  observant  cer- 
taines règles  d'ordre  et  d'hygiène,  auxquels  ils  ne  sont  cpie 
trop  enclins  à  se  soustraire.  Le  choix  des  vètemens  ,  les  soins 
du  corps,  l'attention  d'assortir  autant  que  possible  le  choix 
d'Un  métier  aux  dispositions  du  corps,  sont  autant  de  pré- 
cautions propres  à  conserver   la  santé.  En   réfléchissant  un 


ECONOMIE  POLITIQUE,  ETC.  65 

peu,  ils  comprendront  aussi  combien  il  leur  est  nuisible  de 
fêter  le  lundi ,  de  fréquenter  les  foires  et  les  marchés ,  de 
chômer  les  jours  de  fêtes  supprimées. 

A  coté  de  ces  considérations  intéressantes  sur  les  améliora- 
tions dont  est  susceptible  l'état  matériel  des  classes  ouvrières, 
la  troisième  partie  de  ce  volume  en  contient  d'autres  d'un 
ordre  plus  relevé ,  sur  les  moyens  de  travailler  à  leur  perfec- 
tionnement moral.  Depuis  quelques  années,  on  a  générale- 
ment compris  les  bienfaits  de  l'instruction  pour  toutes  les 
classes  de  la  société;  mais  on  n'a  fait  encore  que  bien  peu  de 
chose,  car  il  ne  suffit  pas  d'enseigner  à  lire,  à  écrire,  à  comp- 
ter ;  il  faudrait  encore  chercher  à  inculquer  dans  le  cœur 
des  principes  solides,  des  règles  de  conduite  pour  toute  la 
vie»;  il  faudrait  procurer  aux  ouvriers  des  lectures  utiles, 
morales  et  capables  en  même  temps  de  les  intéresser.  C'est 
une  littérature  populaire  à  créer,  car  il  n'existe  que  bien  peu 
de  livres  encore  qui  remplissent  ce  but,  la  plupart  de  ceux 
qu'on  a  faits  jusqu'ici  ont  le  grand  défaut  d'être  écrits  par 
des  auteurs  qui  connaissaient  fort  peu  le  public  auquel  ils 
s'adressaient;  d'être  rédigés  pour  des  lecteurs  déjà  instruits, 
tandis  qu'il  faudrait  les  mettre  à  la  portée  de  gens  qui  ont 
tout  à  apprendre,  et  ne  possèdent  même  pas  cette  foule  de 
notions  que  la  conversation  habituelle  de  leurs  parens  rend 
familières  aux  enfans  des  classes  aisées.  Des  bibliothèques  à 
l'usage  des  ouvriers  seraient  un  excellent  moyen  de  leur  of- 
.  frir  des  distractions  honorables ,  de  les  détourner  des  excès 
qu'entraîne  trop  souvent  le  défaut  de  jouissances  intellectuel- 
les. Dans  ce  même  but,  des  fêtes  populaires  organisées  sur 
un  plan  sage  et  libéral  pourraient  produire  un  vrai  bien. 
Le  grand  jour  de  la  place  publique  est  plus  favorable  aux 
bonnes  mœurs  et  aux  bonnes  pensées,  que  l'atmosphère 
chaude  et  épaisse  du  cabaret  La  Suisse  offre  à  cet  égard 
d'heureux  exemples  à  imiter. 

Les  salles  d'asile ,  les  écoles  industrielles  offriront  égale- 
ment des  ressources  efficaces  pour  contribuer  à  l'œuvre  de 
régénération  morale.  M.  Emile  Bères  termine  en  donnant 
un  excellent  modèle  de  leçons  de  morale  populaire.  Ce  mor- 
ceau intitulé  :  Entretiens  ditn  maître  d'école  sur  las  vices  et  les 
vertus  des  classes  ouvrières,  demanderait  à  être  imprimé  à  part 
et  répandu  en  grand  nombre  dans  le  public,  car  il  contient 
d'excellens  conseils  présentés  avec  la  plus  grande  simplicité. 
A  la  fin  du  volume  se  trouvent  divers  documens,  modèles  de 
règleniens,  de  livrets,  décrets  et  lois  les  plus  nécessaires  aux 
ouvriers. 

La  distinction  accordée  à  ce  livre  par  l'Académie  Française 
et  par  deux  sociétés  particulières  sera  vivement  approuvée,  car 


56  SCIENCES  ET  ARTS. 

on  ne  peut  qu'applaudir  à  la  philanthropie  éclairée  qui  pré- 
side à  tous  1rs  détails  de  ces  utiles  recherches.  Mais  il  ne  suf- 
fit pas  non  plus  de  décerner  des  prix  à  de  semhlahles  travaux  ; 
c'est  ne  faire  que  la  moitié  de  ce  qu'on  doit.  Il  faut  appli- 
quer à  la  pratique  ces  excellentes  théories,  et  ne  pas  attendre 
pour  la  réparer  que  la  maison  tombe,  car  on  pourrait  bien 
périr  enseveli  sous  ses  ruines.  Les  académies  instituées  pour 
apprécier  les  travaux  des  savans  et  des  moralistes,  n'ont-elles 
pas  le  droit  d'exiger  que  l'Administration  écoute  leurs  juge- 
mens  et  en  profite  ? 


SCIENCES    ET    ARTS. 


NOUVEAU  SYSTÈME  DE  PHYSIOLOGIE  VEGETALE  et  de  botanique, 
fondé  sur  les  méthodes  d'observation  qui  ont  été  dévelopées  dans  le 
nouveau  système  de  chimie  organique,  accompagné  d'un  atlas  de 
60  planches  d'analyses  dessinées  d'après  nature  et  gravées  en  taille 
douce;  par  F.-V.  Raspail.  —  Paris,  1837.  2  vol.  in-8  et  atlas,  30  fr 

L'observation ,  trop  souvent  négligée  par  les  faiseurs  de 
systèmes  et  de  nomenclatures,  l'observation  est  la  base  sur' 
laquelle  reposent  tous  les  travaux  de  M.  Raspail.  C'est  avec 
le  microscope  qu'il  interroge  la  nature  et  cherche  à.  sonder 
ses  mystères ,  en  découvrant  son  action  dans  les  plus  petites 
parcelles  de  matière  organisée.  Cette  sage  direction  donne 
une  grande  importance  à  ses  paroles  et  ne  permet  pas  qu'on 
rejette  sans  examen  les  idées  neuves  qu'il  émet ,  quoiqu'el- 
les puissent  paraître  bien  hardies  ,  et  soient  sans  doute  en- 
tre-mêlées de  plus  d'une  erreur.  Dans  une  série  de  théorè- 
mes qui  s'enchaînent  les  uns  aux  autres  ,  il  suit  pas  à  pas  tous 
les  phénomènes  de  la  végétation  en  essayant  d'expliquer 
leurs  causes  et  leurs  effets.  Il  trace  ainsi  l'histoire  de  tous  les 
organes  et  les  ramène  tous  à  une  même  origine,  à  un  type 
primitif  et  commun  qui-  est  une  vésicule  organique  à  parois 
ligneuses ,  imperforées  visiblement  et  incolores  ,  que  tapisse 
une  vésicule  colorée,  glutineuse,  et  qui  engendre,  dans  son 
sein,  un  système  de  deux  spires  de  nom  contraire,  ou  de 
plusieurs  spires  en  nombre  pair,  mais  s'accouplant  par  paires. 

«  Cette  vésicule  ,  au  contact  de  l'air  ,  s'aimante  pour 
ainsi  dire,  acquiert  deux  pôles  opposés,  deux  directions  op- 
posées; l'une  vers  le  zénith,  et  l'autre  vers  le  nadir;  l'une 
vers  la  lumière,  et  l'autre  vers  l'obscurité;  l'une  vers  l'at- 
mosphère, et  l'autre  vers  les  entrailles  <le  la  terre.  C'est  une 


SCIENCES  ET  ARTS.  57 

cellule  allongée  dans  le  sens  vertical;  le  bout  supérieur  de- 
vant fournir  la  plumule,  le  bout  inférieur  la  radicule. 

»  La  vésicule  aspire  l'air  et  l'élabore  en  liquide,  puis  le  li- 
quide en  organes  ;  mais  cette  dernière  élaboration  est  déter- 
minée par  le  concours,  par  la  rencontre,  par  l'accouplement 
de  deux  agens  de  noms  contraires ,  de  deux  spires  de  direc- 
tion contraire. 

»  De  cet  accouplement  naissent  ou  des  organes  internes , 
c'est-à-dire  des  organes  qui  se  développent  dans  l'intérieur 
de  la  vésicule  génératrice ,  ou  des  organes  externes ,  c'est-à- 
dire  des  organes  qui  se  développent  bors  de  la  paroi  de  la 
vésicule  génératrice. 

»  Les  vésicules  internes  ,  en  continuant  ce  double  dévelop- 

Î)ement,  donnent  lieu  à  la  formation  du  tissu  cellulaire,  par 
eurs  générations  internes,  et  à  celle  du  système  vasculaire  , 
par  leurs  générations  externes.  De  cette  série  toujours  crois- 
sante de  développemens  résulte  l'accroissement  en  longueur 
et  en  diamètre  de  la  cellule  génératrice  ,  qui  passe  ainsi  peu 
à  peu  à  la  dénomination  de  tige  et  de  tronc. 

»  Les  organes  externes ,  engendrés  par  l'accouplement  des 
spires,  sur  la  paroi  de  la  vésicule  génératrice,  prennent  la 
direction  du  milieu  dans  lequel  ils  se  trouvent  plongés.  Sur 
la  portion  souterraine  de  la  vésicule  génératrice,  ils  deviennent 
racines  ;  sur  la  portion  aérienne,  ils  deviennent  rameaux. 

»  La  racine  et  le  rameau  s'organisent  également  dans  le 
-sein  d'une  gemmation  qui ,  en  restant  close  ,  eût  été  dans  les 
airs  un  ovaire,  et  sous  la  terre  une  bulbe.  Le  développement 
ultérieur  de  l'embryon  que  recèle  la  gemmation  aérienne, 
ainsi  que  la  gemmation  souterraine ,  est  le  produit  de  tout 
autant  de  fécondations  que  l'on  y  voit  succéder  d'organes  ;  le 
développement  de  cbacun  de  ces  organes  équivaut  à  la  ger- 
mination. Ce  qui  distingue  la  germination  de  l'épanouisse- 
ment de  la  gemmation,  c'est  que  l'une  a  lieu  sur  le  bourgeon 
détacbé  de  la  plante ,  et  l'autre  sur  le  bourgeon  qui  est  resté 
adbérant  à  la  tige. 

»  Tout  organe  clos  fait  l'office  d'ovaire,  il  subit  la  fécon- 
dation ;  une  fois  ouvert ,  s'il  ne  s'atrophie  pas  ,  il  fait  l'office 
d'étamine  ;  il  féconde  l'organe  qu'il  recèle ,  et  qui  va ,  par  le 
même  mécanisme,  former  le  deuxième  chaînon  des  généra- 
tions futures. 

»  Dans  le  principe  de  leur  apparition  ,  il  n'est  pas  un  seul 
organe  qui  ne  soit  réduit  à  la  simplicité  du  globule;  d'un  au- 
tre côté ,  il  n'est  pas  un  globule  qui  ne  soit  apte  à  devenir 
toute  espèce  d'organes.  Pour  apparaître  sur  une  paroi ,  il 
faut  qu'il  ait  été  conçu;  pour  se  développer,  il  faut  qu'il  ait 
été  fécondé. 


58  SCIBMCES  ET  ARTS 

»  Avant  la  fécondation ,  il  était  organisé  ;  après  la  fécon- 
dation ,  il  devient  un  organe  ,  et  dès-lors  son  accroissement 
peut  être  indéfini,  sans  qu'il  soit  apporté  la  moindre  modi- 
fication à  son  type. 

»  Un  individu  n'est  qu'un  organe  isolé  de  l'organe  mater- 
nel; il  est  tout  entier  dans  chacune  de  ses  parties;  car  cha- 
cune d'elles  est  apte  à  devenir  individu  à  son  tour. 

»  La  disposition  des  organes,  soit  rudimentaires,  soit  déve- 
loppés, soit  souterrains,  soit  aériens,  soit  externes,  soit  inter- 
nes, résulte  du  nombre  et  de  la  vitesse  des  spires  de  nom 
contraire,  qui  les  engendrent  en  s'accouplant.  Avec  deux 
spires  d'inégale  vitesse,  on  obtient  la  disposition  en  spirale, 
par  trois,  quatre,  cinq,  etc.  rangs,  selon  que,  tandis  que  l'une 
des  spires  décrit  un  tour,  l'autre  en  décrit  trois,  quatre, 
cinq,  etc.  Avec  deux  paires  de  spires,  on  obtient  la  disposi- 
tion opposée  croisée;  avec  un  plus  grand  nombre  on  obtient 
des  verticilies  alternes  d'autant  de  pièces  qu'on  admet  de 
paires  de  spires.  » 

Tel  est  le  résumé  du  nouveau  système  que  l'auteur  pré- 
sente sous  le  titre  de  Théorie  spiro-vésicidairc,  et  qu'il  pense 
applicable  aussi  bien  aux  animaux  qu'aux  plantes. 

Il  appuie  ses  raisonnemens  sur  une  masse  imposante  de 
faits  et  d'expériences  qui  ne  demandent  qu'à  être  vérifiés. 
Quelle  que  soit  l'opinion  qu'on  professe  sur  les  principales 
questions  soulevées  par  l'auteur,  on  ne  peut  qu'admirer  un 
travail  aussi  consciencieux  ;  c'est  de  la  vraie  science  profonde, 
utile,  sans  préjugés  d'aucune  espèce,  qui  cherche  la  vérité 
avec  ardeur,  et  ne  recule  devant  aucune  peine  pour  en  ap- 
procher, ne  fût-ce  que  d'un  seul  pas. 

Cette  histoire  des  organes  des  plantes  est  rendue  plus  inté- 
ressante encore  et  plus  intelligible  parles  nombreuses  plan- 
ches de  l'atlas,  qui  renferment  des  analyses  faites  dans  le  plus 
grand  détail  et  avec  une  perfection,  soit  de  dessin  soit  de  gra- 
vure, qui  ne  laisse  rien  à  désirer.  Une  seule  plante  fournit 
quelquefois  jusqu'à  16  sujets  de  figures.  L'analyse  est  pous- 
sée aussi  loin  que  possible,  et,  persuadé  que  la  grandeur  et 
la  puissance  de  la  nature  se  manifestant  surtout  dans  les  ob- 
jets les  plus  petits  et  les  plus  simples,  c'est  là  que  l'auteur 
veut  la  prendre  sur  le  fait  et  prétend  soulever  un  coin  du 
voile  mystérieux  derrière  lequel  s'accomplit  son  oeuvre.  Avec 
une  rare  patience  et  une  persévérance  admirable,  il  est  ainsi 
parvenu  à  rectifier  mainte  idée  fuisse  et  à  enrichir  la  science 
d'une  foule  de  découvertes  précieuses. 

\piès  la  description  des  organes  et  des  phénomènes  qui  s'y 
.Accomplissent,  M.  Raspai!  passe  à  X  Organophrsic  ou  physi- 
que de  /'organisation  végétale.  Cette  partie  est  divisée  en  deux 


SCIENCES  ET  ARTS.  59 

sections  :  l'une  traite  des  influences  actuelles  sur  la  végétation, 
l'autre  des  influences  antédiluviennes.  Dans  la  première, 
l'auteur  cite  les  nombreuses  expériences  sur  l'influence  de  la 
lumière  et  des  ténèbres,  de  l'eau,  de  l'air,  du  terrain,  des  en- 
grais, sur  les  influences  météorologiques  et  perturbatrices,  et 
l'effet  qu'elles  exercent,  soit  sur  la  végétation  en-  général, 
soit  sur  ebaque  organe  en  particulier.  Il  discute  les  erreurs 
qu'ont  pu  commettre  les  Senebier,  de  Saussure,  Spallanzani 
et  autres  expérimentateurs  dont  il  apprécie  les  utiles  tra- 
vaux ,  mais  qui  se  laissèrent  trop  souvent  dominer  par 
l'état  de  la  science  à  leur  époque,  et  ne  surent  pas  secouer  ses 
ebaînes  en  présence  des  faits  nouveaux  que  la  nature  leur 
révélait. 

La  seconde  section  nous  offre  un  tableau  largement  tracé, 
de  l'origine  des  êtres  organisés,  des  créations  spontanées,  filles 
de  l'air  et  de  l'eau,  des  pbénomènes  géologiques  dont  la  terre 
conserve  tant  de  traces  pour  l'observateur  attentif. 

Ici  M.  Raspail  se  montre  également  hardi  novateur.  Sans 
s'inquiéter  des  théories  reçues  et  adoptées  par  d'autres ,  il 
examine  les  faits  et  raisonne  d'après  eux  seulement.  Il  ar- 
rive ainsi  à  des  conclusions  tout-à-fait  différentes,  et  ren- 
verse entièrement  le  système  géologique  de  Cuvier.  Pour  lui, 
il  n'y  a  pas  eu  divers  bouleversemens,  suivis  chacun  d'une 
nouvelle  création  instantanée.  Un  seul  déluge  a  aussi  bien 
pu  amener  les  résultats  que  nous  voyons.  La  nature,  procé- 
dant toujours  de  la  manière  la  plus  simple,  lui  paraît  avoir 
dû  établir  des  lois  d'une  action  plus  lente  et  plus  régulière, 
dont  il  trouve  d'ailleurs  la  preuve  dans  tous  les  phénomènes 
qui  se  passent  aujourd'hui  sous  nos  yeux.  Enfin  si  dans  le 
bassin  de  Paris,  et  sur  quelques  autres  points  qui  ont  été 
fouillés,  bien  superficiellement  encore,  il  est  vrai,  on  n'a  pas 
rencontré  d'hommes  fossiles  ;  il  ne  saurait  y  voir  une  raison 
de  prononcer  que  l'homme  n'existe  que  depuis  ce  bouleverse- 
ment, car  la  terre  est  vaste  et  nous  ne  sommes  pas  au  bout  des 
découvertes  que  recèle  son  sein. 

La  nouvelle  classification  que  propose  notre  auteur,  divise 
les  végétaux  en  deux  grandes  classes  :  les  plantes  nocturnes, 
qui  ne  croissent  que  la  nuit,  et  n'élaborent  pas  la  matière 
verte  ;  et  les  plantes  diurnes,  qui  ne  croissent  que  le  jour,  et 
se  distinguent,  à  tous  les  âges,  parleurs  tissus  herbacés. 

Cette  première  division,  un  peu  hasardée  peut-être,  lui 
paraît  préférable  à  celle  de  la  méthode  dite  naturelle,  fondée 
sur  la  présence  et  le  nombre  de  cotylédons  difficiles  à  recon- 
naître et  à  constater.  Mais  nous  laisserons  à  de  plus  habiles 
la  tâche  de  discuter  le  mérite  de  cette  nouvelle  classification, 
dont  nous  avouons  ne  pas  avoir  bien  compris  toute  l'utilité 


60  SCIENCES  ET  ARTS. 

et  qui  devra  être  l'objet  d'une  critique  sérieuse  et  pro- 
fonde. 

M.  Raspail  termine  son  travail  par  la  technologie,  ou  ap- 
plication pratique  des  principes  physiologiques  à  la  culture 
des  végétaux,  à  l'industrie,  à  l'économie  animale,  etc.  On  y 
trouvera  plusieurs  procédés  nouveaux,  signalés  à  l'attention 
des  industriels  et  maintes  données  précieuses  pour  la  pra- 
tique, qui  pourra  en  retirer  des  résultats  avantageux  et 
utiles. 

De  pareils  ouvrages  sont  utiles  à  la  science  ,  en  provoquant 
la  discussion,  et  quand  on  lit  dans  la  préface  de  l'auteur  tous 
les  obstacles  qu'il  a  eu  à  vaincre,  tous  les  déboires  qu'il  a 
dû  subir  de  la  part  des  établissemens  qui  semblent  surtout 
destinés  à  encourager  et  aider  les  jeunes  sa  vans,  on  est 
presque  tenté  d'excuser  les  jugemens  un  peu  acerbes  qu'il 
porte  sur  les  académies  et  les  académiciens.  Mais  il  ne  faut 
pas  oublier  qu'en  tout  temps,  avec  ou  sans  académies,  tout 
homme  qui  apporta  quelque  idée  nouvelle  à  ses  semblables, 
fut  en  butte  à  l'envie,  au  soupçon  et  à  la  haine. 

Il  ne  faut  pas  oublier  surtout  que  les  meilleures  institu- 
tions seront  toujours  accompagnées  d'abus,  et  qu'il  est  inutile, 
et  souvent  même  dangereux,  de  se  livrer  à  l'amertume  de  re- 
proches violens,  d'accusations  passionnées  qui  nuisent  aux 
sa  vans,  sans  faire  nul  bien  à  la  science. 


MÉMOIRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  DES  SCIENCES  NATURELLES  DE  NEU- 
CHATEL.  Tome  Ier.  —  Neuchâtel,  1836;  Paris,  chez  Ab.  Cherbuliez 
et  compe.  1  vol.  in-4  orné  de  planches  dont  plusieurs  coloriées.  Prix  : 
20  fr.  pour  la  Suisse. 

La  Suisse  fut  toujours  la  patrie  des  sciences  naturelles.  Ses 
montagnes  offrent  des  trésors  aux  botanistes,  aux  géologues, 
aux  minéralogistes  ;  on  y  peut  faire  d'abondantes  récoltes 
d'objets  qui  ne  se  trouvent  pas  ailleurs.  La  nature  y  déploie 
un  luxe  de  productions  diverses  qu'on  ne  pourrait  recueillir 
qu'en  des  climats  différens  ;  des  vallées  fertiles  et  chaudes 
servent  souvent  de  base  à  des  montagnes  dont  la  cime,  per- 
due dans  les  cieux,  est  couverte  de  neiges  éternelles.  Cette 
richesse,  qui  frappe  tous  les  observateurs,  excite  aussi  leur 
zèle  et  augmente  leur  nombre,  en  répandant  le  goût  de  l'his- 
toire naturelle  dans  toutes  les  classes.  Aussi  presque  tous  les 
Cantons  suisses  ont-ils  leurs  sociétés  savantes  qui  se  livrent 
à  des  travaux  importons,  et  dont  plusieurs  publient  des  re- 
cueils d'un  haut  intérêt. 


SCIENCES  ET  ARTS.  G! 

La  Société  des  sciences  naturelles  de  Neuthâtel,  qui  est 
fondée  depuis  4  ans  seulement,  fait  paraître  le  premier  vo- 
lume de  ses  mémoires,  et  se  place  déjà  au  premier  rang.  Elle 
rivalise,  pour  l'importance  des  mémoires  et  l'exécution  des 
planches  epui  les  accompagnent,  avec  la  Société  de  physique 
et  d'histoire  naturelle  de  Genève,  dont  la  collection  attire  l'at- 
tention des  savans  et  devient  de  plus  en  plus  remarquable. 
Cette  noble  émulation  entre  les  sociétés  savantes  des  divers 
Cantons  suisses,  est  un  signe  du  mouvement  scientifique 
qui  anime  cette  contrée,  et  une  preuve  que  la  confédération 
est  beaucoup  plus  favorable  que  la  centralisation,  aux  pro- 
grès de  la  science  comme  à  beaucoup  d'autres  choses. 

Comparez  ces  recueils  à  ceux  qui  se  publient  en  France 
hors  de  Paris,  et  vous  serez  effrayés  de  la  distance  à  laquelle 
la  capitale  laisse  la  province  en  arrière  d'elle,  et  vous  com- 
prendrez tout  le  danger  de  cette  espèce  de  pompe  aspirante 
qui  dessèche  tout  le  pays  au  profit  d'une  seule  ville. 

Le  premier  volume  des  Mémoires  de  la  Société  des  sciences 
naturelles  de  Neuchdtel  renferme  : 

i°  Le  Réglemeot  de  la  Société. 

2°  Pxésumc  des  travaux  de  la  section  de  phvsique,  chimie  et  ma 
thématiques,  et  de  celle  d'économie  rurale,  de  technologie  et 
de  statistique;  par  M.  de  Joannis. 

3°  Résumé  des  travaux  de  la  section  d'histoire  naturelle  et  de 
celle  des  sciences  médicales,  pendant  l'année  i833-j834;  par 
M.  Agassiz. 

4°  Description  de  quelques  espèces  de  Cyprins  du  lac  de  Neuchâ- 
tel,  qui  sont  encore  inconnues  aux  naturalistes;  par  M.  Agassiz. 

Dans  ce  mémoire,  après  quelques  considérations  générales 
sur  les  difficultés  que  présente  l'étude  de  la  famille  des  cy- 
prins, dont  les  espèces  très-nombreuses  ne  diffèrent  souvent 
les  unes  des  autres  que  par  des  caractères  fort  peu  saillans, 
l'auteur  donne  le  tableau  de  toutes  les  espèces  européennes, 
et  passe  à  la  description  de  celles  du  lac  de  Neuchàtel  qui 
sont  nouvelles.  Celles-ci  sont  au  nombre  de  trois,  savoir  :  le 
Leuciscus  rodens,  connu  en  Suisse  sous  le  nom  de  Ronzon. 
«  C'est  un  petit  poisson  de  forme  élégante  qui  passe  la  belle 
saison,  en  troupes,  sur  les  bords  de  nos  lacs  et  dans  nos  ri- 
vières, et  qui,  à  l'approche  de  l'hiver,  regagne  les  grandes 
profondeurs.  »  Il  a  été  confondu  par  plusieurs  naturalistes 
avec  divers  autres  cyprins  dont  on  doit  le  séparer,  à  cause 
des  différences  qu'il  présente  soit  dans  sa  forme  extérieure, 
soit  dans  sa  structure  interne;  le  Leuciscus  maialis,  appelé 
vulgairement  Poissonnet,  et  auquel  l'auteur  applique  la  dé- 
nomination de  maialis,  parce  qu'il  fraie  en  mai  et  n?  ▼» — ** 


û-2  SCIENCES  ET  ARTS. 

pas  sur  les  côtes  de  nos  lacs  avant  le  commencement  «.le  ce 
mois  ;  enfin  le  Leuciscus  prasinus,  connu  sous  le  nom  de  ven- 
geron,  et  qui,  dans  presque  tous  les  ouvrages  qui  traitent  des 
poissons  de  la  Suisse,  a  été  confondu  avec  le  Leuciscus  rut/lus 
dont  il  se  distingue  par  sa  forme  plus  allongée  et  ses  écailles 
plus  grandes. 

5°  Mémoire  sur  le  terrein  crétacé  du  Jura,  par  M.  Auguste  de 
Mo  ni  molli  a. 

L'auteur  traite  d'une  manière  assez  approfondie  la  ques- 
tion du  calcaire  jaune  qui  excite  depuis  long-temps  l'atten- 
tion des  géologues.  Il  donne  un  tableau  des  principaux,  fos- 
siles qui  s'y  trouvent  et  émet  quelques  hypothèses  sur  les 
révolutions  qui  ont  contribué  à  la  formation  de  ce  calcaire  tel 
qu'on  le  trouve  adossé  aux  montagnes  de  la  ebaîne  jurassique. 

(S0  Essai  sur  le  calcaire  lithographique  des  environs  de  la  Chaux- 
de-Fonds,  par  A.-C.  Nicolet. 

M.  Nicolet  exprime  la  pensée  que,  malgré  l'imperfection 
du  calcaire  lithographique  trouve  jusqu'à  présent  dans  le 
Jura,  il  ne  faut  pas  désespérer  d'en  découvrir,  par  de  nou- 
velles recherches,  une  carrière  qui  pourra  fournir  aux  be- 
soins de  la  Suisse,  et  y  faire  prospérer  Fart  delà  lithographie, 
qui  jusqu'à  présent  y  est  resté  fort  en  arrière  des  progrès 
qu'il  a  faits  en  d'autres  contrées. 

n°  Note  relative  aux  variations  du  niveau  du  lac  de  Neuchâtel, 
pendant  les  années  1817  a  i834> 

Cette  note  est  accompagnée  d'un  tableau  dressé  par  les  soins 
de  l'auteur  et  de  plusieurs  autres,  contenant  les  observations 
de  M.  L.  Coulon  sur  le  même  sujet. 

S0  Observations  sur  quelques-unes  des  mœurs  des  animaux  do- 
mestiques, par  M.  Allamand  fils,  de  Fleurier. 

Sujet  curieux  qui  demande  à  être  plus  développé  que  ne 
l'a  fait  l'auteur;  mais  il  ne  s'arrêtera  sans  doute  pas  à  ce  court 
mémoire  et  donnera  suite  à  ses  observations,  car  une  fois 
qu'on  aborde  cette  partie  de  l'histoire  naturelle,  on  ne  peut 
qu'être  captivé  et  entraîné  par  les  résultats  intéressans  qu'on 
obtient.  La  vache  est  l'animal  sur  lequel  M.  Allamand  nous 
donne  le  plus  de  détails  peu  connus  ou  nouveaux. 

90  Observation  sur  un  anévrisme  faux  consécutif,  guéri  par  la 
ligature  de  l'artère  crurale,  par  le  docteur  de  Caslellane,  mé- 
decin et  chirurgien  de  l'hôpital  Pourtalès. 

io°  Observation  d'hydrophobie,  parle  docteur  Borel. 

On  verra  avec  plaisir  figurer  ces  mémoires  ici,  car  il  est  à 


SCIENCES  ET  ARTS.  03 

désirer  qu'un  recueil  soit  ouvert  à  cette  foule  d'observations 
importantes,  que  la  pratique  des  hôpitaux  fournit  à  nos  mé- 
decins et  chirurgiens.  Peut-être  vaudrait-il  encore  mieux  que 
des  recueils  spéciaux  se  créassent  dans  ce  but;  mais  en  atten- 
dant, on  doit  savoir  gré  aux  sociétés  qui  accordent  dans  leurs 
mémoires  une  place  aux  plus  remarquables  de  ces  observa- 
tions, qui  du  moins  ainsi  ne  seront  pas  perdues  pour  la  science, 
comme  il  arrive  trop  souvent. 

ii°  Mouvement  de   la   population  du   pays  de   Xeucliâtel ,   par 
M.  Aug.  de  Montinollin  père. 

Ces  notions  de  statistique,  quoique  sur  une  bien  petite 
échelle,  offrent  de  l'intérêt,  car  ce  sont  toujours  quelques'ma- 
tériaux  de  plus  pour  servir  de  base  à  cette  science  si  impor- 
tante et  encore  si  peu  avancée. 

12°  Description  de  quelques  animaux  nouveaux  ou  peu  connus, 
qui  se  trouvent  au  musée  de  Neuchâtel,  par  M.  L.  Coulon  fils. 

Les  animaux  décrits  dans  ce  mémoire  sont  :  quatre  espèce^ 
d'écureuils,  dont  une  seulement  parait  être  nouvelle  ;  c'est  le 
Sciuriis  httmcralis,  ou  écureuil  à  épaules  noires,  origiuaire  de 
l'île  de  Java  ;  les  trois  autres,  déjà  décrites,  n'avaient  pas  en- 
core été  figurées,  et  M.  Coulon  en  donne  des  planches  colo- 
riées, exécutées  avec  un  grand  soin;  enfin  une  perruche  à 
longs  brins,  que  l'auteur  pense  être  le  Palaeonnis  Bcngalcnsis 
et  qui  est  remarquable  par  la  beauté  de  son  plumage. 

1 3°  Notice  sur  ies  fossiles  du  tercein  crétacé  du  Jura  neuchâtelois  , 
par  L.  Agassiz. 

Ce  travail,  dont  la  première  partie  seulement  est  publiée, 
renferme  la  description  des  Eclùnidcs,  au  nombre  de  douze 
espèces,  dont  huit  entièrement  nouvelles. 

i4°  Notice  sur  l'élévation  du  lac  de  Neuchâtel  au-dessus  de   la 
mer,  par  M.  Osterwald. 

i5°  Mémoire  sur  la  formation  de  la  surface  actuelle  du  globe, 
par  H.  Ladame. 

Savante  dissertation  qui  tend  à  ramener  aux  principes 
mathématiques  la  théorie  du  refroidissement  de  la  terre  et 
des  soulèvemens,  de  manière  à  pouvoir  donner  les  lois  de  la 
distribution  des  montagnes  et  des  continens,  et  fixer  la  durée 
des  époques  géologiques. 

i6°  Prodrome  d'une  monographie  des  radiaires  ou  échinodermes. 
par  L.  Agassiz. 

Le  Bulletin  bibliographique,  qui  vient  à  la  suite,  contient, 
un  mémoire  de  Ch.  Lyell  sur  les  preuves  d'une  élévation 


04  SCIENCES  LT  ARTS. 

graduelle  du  soi  dans  certaines  parties  de  la  Suède,  extrait 
des  transactions  philosophiques  de  la  Société  royale  de  Lon- 
dres, et  traduit  par  M.  P.  L.  A.  Coulon.  Ce  morceau,  du  plus 
haut  intérêt  par  les  documens  curieux  qu'il  renferme  et  l'ex- 
cellente description  qu'il  offre  du  sol  de  la  Suède,  des  terrains 
qui  le  composent,  et  des  fossiles  qu'on  y  trouve,  est  aussi 
suivi  d'une  analyse  rapide  de  Monographia  generis  Mcloes  au- 
rtoribus  Doct.  J.  F.  Bratult  et  ÎV.  E.  ÈricAson,  et  de  Gênera 
dyticeorum  auctore  doct.  G.  F.  Erichson,  par  M.  Ch.  Godet. 


TRAITÉ    HISTORIQUE    ET  PRATIQUE   DES  MALADIES  EP1ZOOTIQUES 

des  Bêtes  à  corne  et  à  laine ,  ou  sur  la  Picote  et  la  Clavelée  ;  par 
M.  Dupùy.  —  Paris,  1837,  In-8,  7  fr.  50  c. 

Ouvrage  complet  et  bien  rédigé,  qui  pourra  rendre  de 
grands  services  aux  agriculteurs  qui  se  livrent  à  l'élève  du  bé- 
tail. Il  serait  à  désirer  de  voir  de  semblables  livres  se  multi- 
plier et  se  répandre  dans  toutes  nos  campagnes,  où  trop  sou- 
vent encore  l'ignorance  et  la  superstition  s'opposent  à  l'emploi 
des  meilleurs  moyens  pour  combattre  les  épidémies  de  ce 
genre. 

ESSAI  SUR  LA  théorie  DES  AFFUTS  et  des  voitures  d'artillerie ,  par 
J.-C.  Migout  et  C.-L.  Bergery.  —  Paris,  1837.  1  vol.  in-8.  5fr. 


EXPERIENCES  SUR  LES  ROUES  HYDRAULIQUES  à  aubes  planes,  et 
sur  Jes  roues  hydrauliques  à  augets,  par  A.  Morin.  —  Paris,  1837. 
In-4,  fig.,  9  fr. 


HISTOIRE  DE  L'ART  MODERNE  EN  ALLEMAGNE,   par  le  comte  Atha- 
nase  Raczynski.  —  Paris,  1837.  3  vol.  grand  in-4  et  atlas. 

Le  premier  volume  de  ce  magnifique  ouvrage  est  en  vente, 
prix  :  100  fr.  Il  est  orné  de  77  gravures  sur  bois  d'une  exé- 
cution bien  supérieure  à  tout  ce  qu'on  a  fait  en  ce  genre 
jusqu'ici,  d'un  frontispice  gravé,  de  2  lithographies,  et  ac- 
compagné d'un  atlas  de  11  grandes   planches  gravées   sur 


Dt    l'imvMMBRIB  de  BEAU,  ».  SAmT-GERMi.IN-BN-i.AYI. 


JhiUitm  Kittévaire 

ET  SCIENTIFIQUE 

5"  &U*U.  —  aA^  3.  —  cAbaw  1837. 


LITTERATURE,     HISTOIRE. 


LA  camaraderie  ou  la  Courte-Échelle,  comédie  en  cinq  actes    et  en 
prose,  par  M.  Eugène  Scribe.  —  Paris,  1837,  in-8,  à  fr. 

Suffit-il  défaire  représenter  une  pièce  sur  le  Théâtre  Fran- 
çais et  d'inscrire  pompeusement  sur  le  titre  :  Comédie  en  cinq 
actes ,  pour  que  cette  pièce  soit  une  véritable  comédie?  Je 
ne  le  pense  pas  ;  et  je  crois  ne  pas  me  tromper  en  disant  qu'il 
faut  de  plus  qu'on  y  trouve  des  caractères  vrais  et  fortement 
dessinés;  une  action  bien  conçue,  bien  conduite;  des  inten- 
tions comiques  puisées  dans  la  nature  et  dirigées  vers  un  but 
moral;  enfin,  un  ensemble  qui  prouve  que  l'auteur  a  observé 
et  bien  observé  l'époque  qu'il  a  voulu  peindre.  Or,  je  ne 
vois  rien  de  tout  cela  dans  la  pièce  de  M.  Scribe ,  qui  res- 
semble à  un  long  vaudeville  dans  lequel  l'auteur  a  oublié  les 
couplets ,  bien  plus  qu'à  une  comédie  en  cinq  actes. 

La  camaraderie  est  sans  doute  l'un  des  travers  les  plus  saillans 
du  présent  siècle.  De  quelque  coté  qu'on  se  tourne  ,  on  la 
trouve  sousuneformeousous  une  autre. Elle  a  envahi  presque- 
toute  la  presse  périodique ,  elle  encombre  les  avenues  du 
pouvoir ,  elle  fait  loi  dans  la  plupart  des  salons.  Courbez  la 
tête  sous  son  joug  ,  et,  fussiez-vous  un  sot ,  elle  fera  de  vous 
un  homme  de  génie;  restez  en  dehors ,  gardez  votre  indé- 
pendance, et,  eussiez-vous  les  talens  les  plus  remarquables, 
toutes  les  routes  vous  sont  fermées,  vous  ne  rencontrez  par- 
tout qu'obstacles,  nul  ne  s'informe  qui  vous  êtes,  nul  ne 
prend  garde  à  vous.  Mais  cette  assurance  mutuelle  de  gloiiv 
et  de  succès  s'exerce-t- elle  comme  M.  Scribe  nous  la  peint, 
s'affiche-t-elleavec  une  impudente  franchise,  s'organise- t-ellr 
réellement  en  société  ,  et  trace-t-elle  ainsi  d'avance  ses  plans? 
Non,  pas  précisément;  car  le  public  ne  se  laisserait  pas  long- 
temps mener  par  le  nez  dune  pareille  manière,  et  M.  Scribe  a 
fait  une  caricature  plutôt  qu'un  portrait  ressemblant.  Tous 
ses  personnages  sont  exagérés.  Son  héros  est  un  jeune  avo- 

5 


66  LITTERATURE, 

rat,  qui,  api  es  avoir  Ion  g- temps  hésité,  et  convaincu  enfin 
que  son  talent  et  son  indépendance  ne  le  mèneront  jamais  ;i 
rien  ,  se  décide  à  entrer  dans  la  camaraderie.  Aussitôt  il  est 
accueilli,  fêté,  prôné  comme  le  plus  grand  esprit  du  siècle. 
Il  s-'agit  de  l'élection  d'un  député,  et  c'est  sur  lui  que  se 
portent  les  suffrages  des  camarades.  Mais  diverses  intrigues 
surviennent  à  la  traverse  ,  et  font  changer  à  plusieurs  repri- 
ses leurs  batteries. Des  influences  prépondérantes  agissent  tour- 
à-tour,  et  à  chaque  nouveau  candidat,  la  camaraderie  exé- 
cute aussitôt  un  changement  de  front  brusque  et  rapide  qui 
peut  faire  rire  sur  la  ccène,  mais  qui  tient  plus  de  la  farce 
que  de  la  haute  comédie.  Les  caractères  sont  sans  dignité 
et  sans  force.  Un  seul ,  celui  du  docteur  ,  se  soutient  assez 
bien  ;  il  est  le  membre  le  plus  actif  de  la  coterie ,  et  sou  dé- 
vouement absolu  aux  ordres  d'une  protectrice  qui  change 
de  résolution  au  gré  de  ses  caprices  ,  donne  lieu  à  des  qui- 
proquos assez  plaisans.  Mais  tous  les  autres  camarades  sont 
de  sots  personnages  dont  le  dialogue  est  semé  de  lieux  com- 
muns qui  courent  les  rues.  La  comédie  doit  avoir  des  pa- 
roles plus  graves  ,  des  attaques  plus  vives  pour  cette  lèpre  de 
notre  époque  ,  pour  ce  mensonge  officieux  qui  prend  à  tâche 
de  corrompre  les  mœurs  et  le  goût,  d'avilir  les  lettres,  d'a- 
planir le  chemin  devant  l'intrigue  et  de  décourager  la  pro- 
bité unie  au  talent.  L'auteur,  surtout,  ayant  à  peindre  l'in- 
fluence de  la  camaraderie  sur  les  élections  ,  devait  frapper 
d'autant  plus  fort  que  l'abus  est  plus  révoltant  et  entraîne 
des  conséquences  désastreuses  pour  l'avenir  du  pays.  Mais 
M.  Scribe  est  trop  habitué  aux  allures  badines  du  vaude- 
ville, pour  pouvoir  s'élever  beaucoup  plus  haut  ;  et  il  y  a 
certainement  moins  de  vraie  comédie  dans  les  cinq  actes  de 
sa  pièce  que  dans  les  petites  scènes  électorales  des  proverbes 
de  Leclercq. 

Les  traits  que  Molière  décochait  contre  les  tartufes  de 
son  temps,  contre  les  pédantes  et  les  beaux  esprits,  contre 
les  marquis  et  les  précieuses  qui  se  mêlaient  alors  de  vouloir 
régenter  la  cour  et  la  ville  ,  étaient  mieux  acérés  et  plus  vi- 
goureusement lancés.  Non-seulement  ils  excitaient  les  rires 
«les  spectateurs ,  mais  ils  portaient  coup  et  clouaient  sur  la 
sellette  les  adversaires  contre  lesquels  ils  étaient  dirigés;  tan- 
dis que  la  camaraderie  de  M.  Scribe  ne  clouera  personne  et 
demeurera  sans  influence  ni  résultat.  Je  me  trompe,  elleaura 
pour  résultat  de  procurer  d'excellentes  recettes  à  son  auteur, 
dont  le  nom  est  déjà  depuis  long-temps  en  possession  de  la 
laveur  publique.  Tout  autre  qui  l'eût  faite  n'aurait  obtenu 
■ans  doute  aucun  succès,  mais  pour  lui  les  rires  etles  applau- 
dissemens    des  spectateurs  sont  toujours  prêts  avant  même 


HISTOIRE.  67 

que  la  toile  soit  levée.  H  y  a  de  l'engouement  dans  cette  ad- 
miration peu  raisonnée  ;  il  faut  avouer  cependant  que  les 
charmans  et  nombreux  vaudevilles  de  M.  Scribe  expliquent 
et  justifient  quelque  peu  ce  privilège.  Le  public  français  ne 
compte  jamais  avec  ceux  qui  savent  l'amuser.  Or,  il  suffit  de 
peu  de  chose  pour  le  faire  rire,  et  cette  facile  indulgence  de- 
vient un  écueil  contre  lequel  avortent  bien  des  talens,  qu'une 
critique  plus  sévère  et  plus  éclairée  aurait  pu  développer  et 
faire  grandir. 


OEUVRES  de  MOLIÈRE,  avec  les  notes  de  tous  les  commentateurs; 
2me  édition  publiée  par  M.  L.  Aimé-Martin.  —  Paris,  Lefèvre.  1837. 
Tomes  III  et  IV.  2  vol.  in-8. 

Le  Numéro  de  janvier  du  Bulletin  littéraire  a  déjà  parlé  de 
cette  belle  édition  de  Molière,  mais  j'y  reviens  avec  un  nou- 
veau plaisir;  car  on  ne  saurait  trop  vivement  apprécier  le 
mérite  d'un  travail  qui  a  pour  but  de  nous  rendre  Molière 
tout  entier  avec  les  intentions  comiques  de  chaque  scène  ,  de 
chaque  parole ,  et  avec  les  allusions  de  l'époque  qui  ajoutaient 
encore  à  l'effet,  et  qui  donnent  seules  la  clé  d'une  foule  de 
traits  incompréhensibles  aujourd'hui  sans  commentaire.  Il 
est  d'autant  plus  utile  d'appuyer  là-dessus,  que  beaucoup  de 
gens  rejettent  les  commentaires  avec  dédain  ou  indifférence, 
et  n'attachent  aucun  prix  à  des  recherches  intéressantes  ce- 
pendant par  elles-mêmes  aussi  bien  que  par  les  résultats 
qu'elles  produisent.  Il  est  vrai  qu'on  a  souvent  abusé  du  titre 
de  commentateur.  Bien  des  écrivains  ont  prétendu  se  faire  une 
renommée  de  littérateurs  érudits  en  glosant  à  tort  et  à  tra- 
vers sur  les  moindres  phrases  d'un  auteur  du  grand  siècle,  en 
épiloguant  à  tout  propos  ,  et  en  dissertant  à  perte  de  vue  sur 
quelques  misérables  subtilités  grammaticales.  Mais  ce  défaut , 
trop  commun  en  effet,  est  justement  la  raison  qui  doit  faire 
accueillir  avec  empressement  le  Molière  de  M  .  Aimé-Martin 
qui,  dans  les  notes  de  tous  les  commentateurs,  a  choisi  avec 
tact  et  avec  goût  celles  qui  méritaient  d'être  conservées,  et  les 
a  complétées  par  un  travail  rédigé  dans  le  véritable  esprit  qui 
doit  présider  à  de  semblables  recherches.  M.  Aimé-Martin  a 
fort  bien  compris  que  le  meilleur  commentaire  d'un  livre  est 
l'histoire  de  son  auteur  et  le  tableau  de  l'époque  qui  l'a  vu 
paraître.  C'est  donc  à  ces  deux  sources  qu'il  a  été  puiser,  cher 
chant  dans  la  vie  privée  de  Molière  ainsi  que  dans  les  mœurs 
du  xvnme  siècle  la  solution  de  tout  ce  que  ses  comédies  pou- 
vaient  offrir  de  problématique,  l'explication  de    tous    les 


68  LIT!  KR Ail* F.  , 

passades  difficiles  à  comprendre  ,  et  plus  d'une  lois  la  clé  de 
maints  traits  de  génie  que  Molière  avait  l'art  d'emprunter  à  la 
nature  pour  les  transporter  sur  la  scène. 

C'est  ainsi  que  dans  le  Mysanthrope  ,  le  commentateur 
retrouve  les  caractères  des  principaux  sujets  de  la  troupe  de 
Molière,  celui  de  l'auteur  lui-même  ,  et  maints  incidehs  de 
leurs  relations  réciproques  dont  le  souvenir  s'est  conservé. 
(Test  ainsi  que  dans  lesFàcheux,  il  nous  montre  les  seigneurs 
de  la  cour  venant  eux-mêmes  fournir  des  modèles  à  Molière, 
et  tenant,  en  quelque  sorte,  à  honneur  d'être  joués  par  lui, 
sans  doute  pour  plaire  au  maître  ;  il  cite,  à  ce  sujet,  des  faits 
curieux  qui  ajoutent  un  chapitre  de  plus  à  l'histoire  des  cour- 
tisans du  grand  Roi.  Dans  le  Tartufe,  c'est  l'époque  tout  en- 
tière qui  est  mise  en  scène,  c'est  le  vice  le  plus  généralement 
répandu  alors  qui  fournit  le  sujet;  c'est  l'hypocrisie,  la  fausse 
dévotion,  l'abominable  morale  des  Jésuites  que  l'auteur  at- 
taque hardiment,  démasque  devant  le  public,  et  livre  à  la  ri- 
sée et  au  mépris  delà  foule.  Quand  on  se  reporte  au  temps  où 
Molière  vivait,  on  est  vivement  frappé  de  sa  courageuse  au-' 
dace  ;  car,  aujourd'hui  même  que  l'on  ose  tant  de  choses,  quel 
écrivain  serait  assez  hardi,  quel  directeur  de  théâtre  assez  in- 
dépendant, pour  arracher  le  masque  aux  tartufes  du  jour? 
Et  quand,  au  milieu  de  notre  siècle  corrompu,  deux  hommes 
se  rencontreraient  dans  une  pareille  intention,  leurs  géné- 
reux efforts  ne  viendraient-ils  pas  se  briser  devant  les  impi- 
toyables ciseaux  de  la  censure?  Molière  prenait  ses  modèles 
autour  de  lui,  dans  la  haute  société,  à  la  cour  même.  Si  quel- 
que vice  ou  quelque  ridicule  le  frappait,  aussitôt  il  s'emparait 
du  personnage,  quel  qu'il  fût,  qui  lui  offrait  ce  type,  et  le  tra- 
duisait sur  la  scène  sans  crainte  ni  hésitation.  Dans  Tartufe, 
on  reconnaît  une  foule  de  traits  puisés  dans  la  vie  de  hauts 
et  puissans  seigneurs. 

L'hypocrisie  était  alors  de  mode,  et,  dans  les  grandes  fa- 
milles surtout,  elle  consommait  la  ruine  de  ses  victimes  au 
point  de  les  réduire,  commeOrgon,  à  tout  attendre  de  la  bonté 
du  roi.  En  attaquant  avec  tant  de  vigueur  les  faux  dévots, 
Molière  s'exposait  donc  à  de  violentes  persécutions.  Mais, 
avec  une  adresse  et  un  art  parfait,  il  s'assurait  en  même  temps 
une  haute  protection  par  les  éloges  justes  et  vrais  qu'il  sait 
faire  du  roi;  par  l'habileté  avec  laquelle  il  enchâsse  dans 
le  dialogue  plusieurs  mots  spirituels  attribués  à  Louis  XIV; 
enfin  par  l'admirahle  rôle  qu'il  lui  réserve  dans  son  dé- 
nouement, en  proclamant  qu'à  lui  seul  appartient  le  droit 
de  condamner  et  de  punir  les  hypocrites  qu'il,  sait  mieux 
que  personne  deviner  et  démasquer.  Molière  sentait  qu'il 
avait    absolument  besoin    de  l'appui   du   roi ,   et   c'est  par 


histoire.  f»i> 

!a  flatterie  la  plus  délicate  et  en  même  temps  la  plus  con- 
forme à  la  vérité  qu'il  s'assure  cette  protection,  indispensable 
au  succès  de  sa  pièce.  M.  Aimé-Martin  signale  dans  ses  no- 
ies tous  les  traits  de  cette  haute  satire  contre  les  mœurs  de 
l'époque,  et  il  exprime  la  plus  vive  admiration  pour  les  in- 
nombrables beautés  qu'elle  renferme.  «  Oui,  une  noble  pen- 
»  sée  ,  s'écrie-t-il  en  terminant,  une  pensée  sublime  in- 
»  spira  le  dessein  du  Tartufe.  Mais  comment  Molière  va-t-il 
»  tenter  une  aussi  vaste  entreprise?  comment  fera-t-il  res- 
»  sortir  d'une  peinture  enjouée  et  comique,  une  leçon  si  im- 
»  portante  et  si  grave?  C'est  ici  surtout  qu'il  faut  admirer  les 
»  ressources  du  génie.  Chacun  de  ses  principaux  personnages 
»  représentera  une  classe  de  la  société.  C'est  le  monde  qu'il 
•>  met  en  scène  ;  il  le  partage  en  hypocrites ,  en  crédules  et 
»  en  honnêtes  gens.  La  douce  piété  de  Cléante  est  le  flambeau 
»  qui  doit  nous  guider  dans  la  route  de  la  vertu.  La  faiblesse 
»  d'Orgon  a  sou  tvpedans  la  multitude;  mais  cette  multitude 
»  se  laisse  toujours  dominer  par  les  charlatans  et  les  fripons, 
»  et  c'est  au  milieu  de  ces  derniers  que  l'auteur  ira  chercher 
»  le  Tartufe.  Autour  de  ces  trois  personnages  se  groupent  les 
»  ligures  secondaires;  elles  sont  la.  pour  animer  les  passions, 
»  et  pour  en  faire  jaillir  le  comique  :  ainsi  l'insolence  de  Do- 
»  rine  déconcerte  l'hypocrite,  et  met  en  scène  la  timidité  de 
»  Marianne  et  la  faiblesse  d'Orgon;  ainsi  le  caractère  inconsi- 
»  xléré  de  Damis  contraste  avec  la  prévovante  douceur  d'El- 
»  mire,  et  la  coquetterie  de  celle-ci  avec  la  parfaite  innocence 
»>  de  Marianne  :  enfin  les  chastes  amours  de  Valère  font  mieux 
»  ressortir  les  désirs  effrontés  de  Tartufe.  Au  milieu  du  choc 
»  de  tant  de  passions,  un  homme  seul  se  montre  animé  de  l'a- 
»  mour  pur  de  la  vertu.  L'auteur  place  habilement  Cléante 
»  entre  l'impiété  d'un  fourbe  qu'il  ne  peut  confondre,  et  la 
»  crédulité  d'un  homme  faible  qu'il  ne  peut  éclairer;  mais 
»  il  ne  l'oppose  à  personne  dans  l'action  :  son  but  n'était  pas 
»  d'en  tirer  des  contrastes ,  mais  de  nous  présenter  un  modèle. 

»  Il  est  remarquable  que  l'éloge  du  roi  prononcé  par 
»  l'exempt  est  comme  le  résumé  de  la  sagesse  de  Cléante  : 
»  ainsi  Molière  prête  quelque  chose  de  divin  à  cette  sagesse, 
»  qui  paraîtrait  impuissante,  si,  en  la  rendant  propre  au  cœur 
»  du  prince,  il  ne  la  faisait  éclater  dans  sa  justice  et  sa  clé- 
»  mence. 

»  Il  est  remarquable  aussi  que  Molière  loue  la  sagesse  du 
»  roi  pour  se  couvrir  de  sa  protection;  car  son  but  n'était  pas 
»  seulement  de  rendre  hommage  à  cette  sagesse,  mais  de 
»  montrer  aux  hypocrites  un  ennemi  qu'ils  fussent  obligés  de 
»  respecter. 

»  Si  donc  le  but  de  la  comédie  est   d'instruite  en  divertis- 


70  LITTÉRATURE, 

»  sant,  si  elle  doit  corriger  les  vices  par  le  ridicule,  peindre 
»les  mœurs,  développer  les  caractères,  toucher  les  cœurs, 
»  éclairer  les  esprits,  rien  ne  manque  à  ta  gloire,  ô  Molière  ! 
»  non -seulement  tu  as  rempli  toutes  les  conditions  de  ton 
»  ait,  mais  tu  as  agrandi  son  empire,  en  faisant  de  Tartufe 
»  la  leçon  des  peuples  et  des  rois.  » 

A  côté  de  ce  sublime  chef-d'œuvre,  on  retrouve  des  traces 
du  génie  de  Molière  jusque  dans  les  farces  de  Pourceaugnac  et 
du  Bourgeois-Gentilhomme.  Après  avoir  frappé  sur  les  tra- 
vers de  la  Cour,  c'est  aux  ridicules  de  la  bourgeoisie  et  de  la 
finance  qu'il  s'adresse  puis  il  attaque  le  corps  médical  et  son 
pédantesque  charlatanisme  ;  il  poursuit  les  précieuses  et  les 
savantes,  et  finit  par  exercer  ainsi  une  véritable  influence  sur 
les  mœurs  de  son  siècle  dont  il  devient  le  réformateur.  Le 
premier,  et  le  seul  peut-être,  il  a  su  donner  à  la  comédie  ce 
haut  et  noble  caractère  qu'il  est  si  difficile  de  ne  pas  laisser 
dégénérer  en  licence  ou  en  personnalités  dangereuses.  Aussi 
sa  gloire,  loin  de  diminuer,  va-t-elle  toujours  croissant.  Plus 
on  l'étudié,  mieux  on  le  comprend,  et  plus  on  l'admire.  Un 
travail  tel  que  celui  de  M.  Aimé -Martin  jette  un  nouvel 
éclat  sur  cette  grande  renommée;  et,  séduit  par  l'attrait  de 
ces  notes  si  judicieuses  et  si  intéressantes,  on  se  sent  en- 
traîné à  relire,  avec  un  plaisir  plus  vif  que  jamais,  ces  admi- 
rables pièces  de  théâtre  qu'on  a  déjà  lues  et  relues  vingt  fois. 


liE  chaxsox  de  rolaxd  ou  de  Roncevaux ,  du  XU°  siècle,  publiée 
pour  la  première  fois  d'après  le  manuscrit  de  la  bibliothèque  Bod- 
léienne  à  Oxford,  par  Francisque  Michel.  —  Paris,  1837.  1  vol.  in-8, 
papier  vélin,  30  fr. 

Ce  volume,  imprimé  avec  un*  très-grand  luxe  et  tiré  seule- 
ment à  200  exemplaires,  renferme  le  roman  de  Roncevaux, 
ouvrage  qui  était  très- répandu  au  moyen  âge  et  y  jouissait 
d'une  grande  renommée.  Le  sujet  du  poème  est  la  défaite  de 
l'arrière-garde  de  Charlemagne,  dans  les  Pyrénées,  en  778, 
alors  qu'il  revenait  de  l'Espagne  qu'il  avait  conquise.  Depuis 
long-temps,  on  attendait  cette  publication  ,  déjà  annoncée 
plusieurs  fois.  M.  de  Musset  en  avait  promis  une  édition,  qui 
n'a  jamais  paru. M.  Bourdillon  s'en  occupait,  disait-on,  égale- 
ment; maïs  M.  Francisque  Michel  a  eu  le  bonheur  de  pou- 
voir, le  premier,  reproduire  en  son  entier  ce  vieux  monument 
de  notre  antique  littérature.  Il  a' enrichi  son  édition  d'une 
description  des  manuscrits  où  se  trouve  la  Chanson  de  Ro- 
land, d'observations  sur  le  texte,  d'un  glossaire  el  d'un  in- 
dex; enfin,  d'appendices  nombreux  offrant  «les  extraits  et  des 


IUST01R-E. 


analyses  fie  tous  les  poèmes  des  diverses  littératures  étran- 
gères qui  ont  rapport  à  la  bataille  de  Roncevaux. 


AKT   POÉTIQUE  d' Horace ,  traduit  vers  pour  vers  par  3Joltei.au/,  de 
1'Iustitut,  etc.  I  vol.  in-18. 

Le  mérite  d'une  traduction  gît  surtout  dans  sa  fidélité,  à 
condition  toutefois  que  celle-ci  se  trouve  autant  que  possible 
unie  à  l'élégance  du  style  et  surtout  ne  violente  jamais  le 
génie  de  la  langue;  car  l'exemple  de  M .  de  Chateaubriand  nous 
montre  dans  quelles  tristes  aberrations  peut  entraîner  le  sys- 
«ème  de  la  traduction  littérale  ou  mot- à- mot.  Mais  la  fidé- 
lité ne  consiste  pas  à  se  traîner,  en  esclave,  à  la  suite  de  chaque 
mot  d'un  auteur;  ce  sont  ses  pensées  surtout  qu'il  faut  ren- 
dre, sans  les  fausser  ni  les  tordre,  et  sans  les  noyer  dans  de 
misérables  périphrases.  Pour  bien  traduire  un  poème  vers 
pour  vers,  il  faut,  ainsi  que  le  dit  très-justement  M.  Molle- 
vaut, «  embrasser,  en  maître,  son  ensemble  et  ses  parties, 
connaître  à  fond  la  langue  et  le  mérite  de  l'original,  et  tout 
ce  que  peut  lui  offrir,  en  compensation,  le  génie  de  la  muse 
française  qui  s'attache  aux  grandes  pensées,  aux  formes  har- 
dies, aux  coupes  heureuses,  aux  brillantes  images,  à  l'har- 
monie imitative  ,  aux  expressions  enflammées,  omet  sans 
crainte  un  détail  oiseux,  et  le  remplace,  s'il  est  possible,  par 
un  trait  de  génie  sans  compter  servilement  jusqu'au  dernier 
mot,  ouvrage  d'une  critique  fausse  ou  ignorante.  » 

La  tache  du  traducteur  ainsi  tracée  n'est  pas  facile  à  ac- 
complir. Il  faut  avoir  assez  d'inspiration  pour  comprendre 
entièrement  celle  de  l'original,  et  cependant  demeurer  tou- 
jours maître  de  ses  émotions, de  ses  élans;  car  on  a  un  sentier 
à  suivre  et  non  à  chercher,  on  doit  rendre  des  pensées  déjà 
exprimées,  et  non  eu  exprimer  de  nouvelles.  L'imagination 
du  poète,  alliée  pour  ainsi  dire  à  l'exactitude  du  copiste,  con- 
stitue un  talent  assez  rare  cpie  M.  Mollevaut  paraît  posséder  à 
un  haut  degré.  Le  succès  avec  lequel  il  est  parvenu  à  tra- 
duire de  cette  manière  l'art  poétique  d'Horace,  le  place  cer- 
tainement au  premier  rang  ;  car  la  concision  de  la  langue  la 
tine,  sa  syntaxe  complaisante  qui  lui  permet  de  se  jouer  des 
mots  et  de  les  ranger  en  quelque  sorte  à  son  gré  dans  l'ordre 
qui  convient  le  mieux  au  poète ,  enfin  sa  prosodie  large  et 
harmonieuse  qui  n'est  pas  entravée  par  les  liens  de  la  rime, 
étaient  autant  d'obstacles  qui  rendaient  la  tâche  encore  plus 
difficile.  M.  Mollevaut  a  vaincu  tous  ces  obstacles  avec  plus 
ou  moins  de  bonheur,  il  a  forcé  la  langue  française» à  se  plier 
à  ces  formes  si  différentes  des  siennes,  et  si  quelquefois  il  n'a 


72   /  LITTERATURE, 

pu  éviter  des  phrases  un  peu  étranges,  en  général  l'harmonie 
et  l'élégance  régnent  dans  sa  traduction  qui  demande  seule- 
ment à  être  lue  avec  intelligence,  de  manière  à  éclaircir,  par 
les  inflexions  de  la  voix,  ce  que  peut  présenter  d'insolite  ou 
d'obscur  le  laconisme  que  le  poète  a  été  obligé  d'admettre. 
Quelques  citations  viendront  à  l'appui  de  cet  éloge. 

Maxima  pars  vatum,  patcr,  et  juvenes  pâtre  digni, 
Decipimur  specie  recti.  Brevis  esse  laboro, 
Obscurus  fio  :  seclantem  levia,  nervi 
Deficiunt  animique  :  professus  grandia  turget  : 
Serpil  huini,  tutus  niniium  timidusque  procellae. 
Qui  variare  cupit  rem  prodigaliter  unain, 
Delphinum  sylvis  appingit,  fluclibus  aprum  : 
In  vitium  ducit  culpae  fuga,  si  caret  arte. 

Souvent  l'amour  du  beau  nous  entraîne  au  naufrage  : 
Pour  être  court  je  sue,  et  mon  vers  n'est  qu'obscur  : 
Je  perds  les  nerfs  et  l'âme  à  force  d'être  pur; 
Mon  style,  pour  grandir,  et  s'enfle  et  se  répète; 
Je  rampe  sur  le  sol,  si  je  crains  la  tempête, 
Et  mets,  pour  varier  mon  poème  aux  abois, 
Un  sanglier  dans  l'onde,  un  dauphin  dans  les  bois: 
Sans  l'art,  lu  fuis  la  faute,  et  tombes  dans  le  vice. 

Ce  fragment  offre  dans  ces  huit  vers  un  spécimen  assez 
complet  de  l'art  avec  lequel  le  traducteur  a  su  lutter  avec 
l'original,  soit  en  laissant  de  côté  les  détails  inutiles,  et  en  pro- 
fitant de  la  place  que  cela  lui  donnait  pour  exprimer  la  pen- 
sée de  l'auteur  avec  les  développemens  indispensables,  soit 
en  le  suivant  pas  à  pas  toutes  les  fois  que  cela  se  pouvait  sans 
nuire  à  l'harmonie.  On  y  trouve  également,  dans  le  dernier 
vers,  un  exemple  des  difficultés  que  présente  un  pareil  tra- 
vail. Pour  bien  rendre  le  latin,  il  eût  fallu  dire  :  Sans  l'art, 
tu  fuis  la  faute  pour  tomber  dans  un  vice ,  ou  plutôt,  faute 
d'art,  la  fuite  de  la  faute  conduit  dans  le  vice. 

Mais  de  semblables  minuties  méritent  à  peine  d'être  rele- 
vées par  la  critique  la  plus  sévère,  et  on  les  oublie  volontiers 
en  lisant  des  morceaux  tels  que  les  suivans  : 

L'enfant. qui  déjà  parle,  et  court  d'un  pied  certain, 
Joue,  avec  ses  égaux,  pour  un  rien  rit  et  pleure, 
Enfle,  abaisse  son  ire,  et  change  comme  l'heure. 
Le  jeune  homme,  enfin  libre,  aime,  en  ses  vifs  ébats,        ' 
La  meute,  les  coursiers  et  le  bruit  des  combats;    . 
Prodigue,  Apre  aux  conseils,  de  cire  pour  le  vice, 
Lent  appréciateur  de  l'utile  service. 


HISTOIRE.  73 

Il  désire,  et  soudain  rejette  son  désir. 

L'âge  et  le  cœur  virils,  songeant  moins  au  plaisir. 

Cherchent  l'or,  les  amis,  aux  honneurs  sacrifient  ; 

Dans  la  peur  du  remords,  des  fautes  se  méfient. 

Le  vieillard,  en  ses  maux  ne  peut  se  réjouir; 

11  désire,  il  possède,  et  tremble  de  jouir; 

Glacé,  lent  et  timide  en  tout  ce  qu'il  opère, 

Il  craint  pour  l'avenir,  et  toujours  il  espère; 

Difficile  et  grondeur,  il  vante  1  âge  ancien, 

Blâme  l'âge  nouveau,  car  il  n'est  plus  le  sien. 

Ce  tableau  des  divers  âges  de  l'homme  est  plein  de  charme, 
et,  quoique  traduit  exactement  vers  pour  vers,  on  n'y  sent 
point  la  gêne,  il  est  certainement  plus  fiançais  que  maintes 
poésies  modernes  qui  ne  sont  cependant  pas  traduites  du  la- 
tin. J'en  dirai  autant  de  celui-ci  : 

Du  style  et  de  l'esprit  le  Grec  a  la  puissance  : 

Avide  de  la  gloire,  avant  tout  il  l'encense. 

Dans  Rome  la  jeunesse  apprend  de  toutes  parts.— - 

Quoi  donc  ?  —  à  diviser  un  as  jusqu'en  cent  parts.  — 

«  Qui  de  cinq  enlève  un,  que  restera-t-il  ?  —  Quatre. — 

»  Très-bien!  Tes  intérêts  tu  les  sauras  débattre. — 

»  Un  et  cinq  combien?  —  Six.  —  Quel  ûlrc  intelligent  !  » 

O  rouille  de  leur  âme!  ô  soin  de  leur  argent  ! 

L'huile  de  cèdre  unie  au  cyprès  qui  conserve 

Ne  gardera  jamais  l'ouvrage  de  leur  verve. 

Voilà  des  vers  où  la  pensée  n'est  pas  enfouie  sous  une 
foule  d'images  pompeuses,  de  mots  inutiles,  de  phrases  tour- 
mentées. Nos  jeunes  poètes  ne  feraient  pas  mal,  je  crois, 
d'étudier  un  peu  plus  leur  Horace.  Ils  y  trouveraient,  si  ce 
n'est  le  secret  d'en  faire  de  pareils,  du  moins  des  conseils  ex- 
cellens  à  suivre. 

Au  courtisan  qu'il  veut  ne  pas  juger  en  vain  , 
Un  roi  donne,  avec  art,  la  torture  du  vin  : 
Toi,  si  tu  fais  des  vers,  si  tu  les  veux  sans  tache, 
Grains  la  peau  du  renard  qui  sur  l'ami  s'attache. 
Si  de  Quintilius  on  consultait  le  goût  : 
«  Ce  vers,  cet  autre  vers,  corrigez  les,  surtout. 

—  Trois  fois  je  lai  tenté,  j'ai  rayé  sous  ma  plume. 

—  Pas  assez!  remettez  ces  lourds  vers  sur  renclume.  » 
Voulait-on  se  défendre,  et  ne  point  corriger, 

Lui,  sans,  par  de  vains  mots,  en  maître  s'ériger, 
Vous  laissait,  se  coulant  le  long  du  péristyle, 
Admirer,  sans  rival,  et  vous  et  votre  style. 


74  LlTTÉttATUHJi, 


l,A  PIEKKE  l>E  TOUCHE,  par  M11'  S.  Ulliac-Trémadeure.  1  vol. 
in-12,  6  fr. 

LA  PIERRE  DE  touche,  par  l'auteur  de  Valida.  1  vol.  in-8, 15  fr. 

Le  Bulletin  littéraire  a  déjà  dit  quelques  mots  au  sujet  du 
conflit  qui  s'est  élevé  entre  ces  deux  pierres  de  touche,  mais 
un  procès  devant  décider  la  question  de  contrefaçon,  il  n'a  pas 
jugé  devoir  anticiper  sur  le  jugement.  Aujourd'hui  le  tribu- 
nal a  prononcé  et  a  déclaré  qu'il  n'y  avait  pas  contrefaçon, 
puisqu'il  n'existait  pas  le  moindre  rapport  entre  ces  deux  li- 
vres qu'on  ne  pourrait  jamais  confondre  l'un  avec  l'autre. 
Sans  nous  arrêter  à  considérer  si  c'était  bien  là  en  effet  la 
question  qu'il  y  avait  à  résoudre,  nous  nous  inclinons  devant 
l'arrêt  et  nous  l'appuyons  de  toute  notre  force.  En  effet,  il 
n'existe  pas  le  plus  léger  point  de  ressemblance  entre  les  deux 
Pierres  de  Touche.  La  première,  celle  de  mademoiselle  Ulliac- 
Trémadeure,  est  un  excellent  livre  de  morale  ;  l'autre,  celle  de 
l'auteur  de  Valida,  est  un  détestable  roman  profondément 
immoral.  Dans  la  première,  la  pierre  de  touche  est  la  con- 
science, et  ce  guide  précieux  conduit  au  bonheur  un  jeune 
homme  plein  de  persévérance  et  de  courage,  qu'il  soutient  et 
protège  au  milieu  des  écueils  de  la  vie;  c'est  un  modèle  à  of- 
frir à  la  jeunesse,  qui  ne  pourra  y  puiser  que  les  plus  beaux  et 
les  plus  nobles  principes,  et  en  même  temps,  c'est  une  compo- 
sition pleine  d'intérêt  qui  se  distingue  par  une  simplicité  et 
une  pureté  de  style  rares  aujourd'hui. 

Dans  la  seconde,  la  pierre  de  touche  c'est  l'argent  ;  et  l'é- 
trange société  dans  laquelle  nous  introduit  l'auteur,  offre  un 
hideux  mélange  des  vices  les  plus  bas,  des  passions  les  plus 
honteuses.  Dès  le  premier  chapitre,  nous  trouvons  le  héros 
couché  au  bord  d'un  fossé ,  sur  une  grande  route.  C'est  un 
misérable  jeune  homme  obligé  de  se  cacher,  parce  qu'après 
avoir  déshonoré  de  la  manière  la  plus  infâme  une  jeune  fille, 
il  a  tué  son  père  qui  lui  en  demandait  raison.  Ce  vagabond 
inconnu  est  accueilli  à  bras  ouverts  par  une  jeune  dame  no- 
ble, qui  s'est  éprise  de  lui  en  le  voyant  couché  sur  le  bord  de 
la  route,  dans  sa  blouse  de  charretier.  Elle  l'héberge  dans 
son  château,  lui  donne  des  vêtemens,  et  dès  la  première  en- 
,  trevue  avec  lui  laisse  voir  qu'elle  l'adore  déjà.  Comme  il  parle 
de  s'en  aller,  et  fait  sonner  bien  haut  ses  sentimens  d'honneur 
et  de  délicatesse,  la  duchesse  lui  demande  une  preuve  de  dé- 
vouement, et  comme  il  s'écrie  :  «  Mettez-moi  à  l'épreuve,  vous 
»  verrez  si  je  sais  comprendre,  si  je  sais  agir?  » 

«  Louisiane,  épouvantée  du  feu  qui  animait  les  regards  et 


HISTOIRE.  7$ 

les  paroies  de  son  hôte,  et,  croyant  à  son  tour  pouvoir  sur- 
prendre son  secret  par  une  question  étourdissante,  lui  dit  du 
plus  grand  naturel  : 

«  Avez-vous  déjà  assassiné  quelqu'un  ? 

»  L'inconnu  se  troubla  et  rougit. 

»  Non....,  pas —  précisément,  »  répondit-il,  en  hésitant 
un  peu.  »  Mais  il  n'est  pas  à  cela  près,  et,  plus  tard,  lorsqu'il 
apprend  que  la  duchesse  est  mariée,  il  lui  propose  tout  sim- 
plement de  tuer  ce  mari  pour  ùter  tout  obstacle  à  leur  union. 
La  duchesse  n'accepte  pas,  mais  elle  ne  refuse  pas  non  plus  pré- 
cisément, et  elle  abandonne  bientôt  la  maison  conjugale  pour 
suivre  son  amant,  auquel  il  faut  qu'elle  prodigue  l'or  pour 
contenter  son  avidité.  Alors  arrivent  des  idées  de  repentir;  la 
duchesse  s'enferme  dans  un  couvent,  se  livre  à  la  dévotion, 
sans  cependant  renoncer  pour  cela  aux  joies  de  ce  monde  ; 
car  elle  sait  très-bien  arranger  des  rendez-vous  avec  son  Amé- 
dée  et  allier  l'amour  avec  le  cloître.  Cependant  des  circon- 
stances d'argent  la  rapprochent  de  son  mari,  elle  renonce  enfin 
à  l'amant  qui  depuis  long-temps  ne  songeait  plus  à  elle,  et  ou- 
blie dans  le  tourbillon  du  grand  monde  l'homme  à  la  blouse 
du  fossé  de  la  grande  route. 

Mais  un  jour  elle  se  rend  avec  une  amie  à  Bicètre  pour  as- 
sister au  départ  de  la  chaîne,  digne  récréation  de  grande 
daine,  en  vérité!  et,  au  milieu  des  forçats qu'on'ferre  et  qu'on 
enchaîne,  elle  reconnaît  Amédée.  Scène  pathétique,  touchante 
reconnaissance  !  émotion  sublime  !  Son  amour  renaît  aussitôt 
dans  toute  sa  force,  elle  dit  adieu  à  Paris,  à  ses  salons,  à  son 
luxe.  Elle  part  pour.  Brest,  elle  réussit  à  faire  évader  son 
amant,  et  s'embarque  avec  lui  pour  l'Amérique,  où  elle  pos- 
sède une  terre  que  son  oncle  lui  a  laissée  en  mourant.  Amé- 
dée convoite  déjà  la  possession  de  cette  terre,  il  presse  la  du- 
chesse de  l'épouser  comme  elle  le  lui  a  promis.  Mais  un  autre 
obstacle  survient,  l'oncle  a  laissé  un  fruit  de  ses  amours  avec 
une  négresse;  c'est  une  jeune  mulâtresse  qui  remet  à  la  du- 
chesse une  lettre  de  l'oncle  par  laquelle  il  demande  à  sa  nièce 
d'assurer  à  sa  fille,  après  en  avoir  joui  sa  vie  durant,  la  pro- 
priété de  sa  terre.  Amédée  furieux  de  ce  contre-temps  trouve 
bientôt  le  moyen  de  tout  arranger,  il  séduit  la  mulâtresse  et 
empoisonne  la  duchesse. 

Ainsi  finit  cette  monstrueuse  production,  ce  dévergondage 
d'immoralité  où  sont  entassés  à  plaisir  tous  les  crimes  les  plus 
atroces  et  dont  le  style  sautillant  et  léger  contraste  avec  la 
noirceur  des  actes,  avec  la  perversité  des  personnages.  Ce  livre 
est  écrit  comme  un  feuilleton,  et  plusieurs  passages  nous  ont 
rappelé  ce  fameux  Chemin  de  Traverse  dont  l'apparition  fut  si- 
gnalée, l'an   dernier,  par  le  journal  des  Débats,  comme  un 


76  LITTÉRATURE, 

événement  littéraire  de  la  plus  haute  importance,  et  dont  nul 
ne  parle  aujourd'hui,  tant  sont  passagères  les  gloires  mondai- 
nes, les  célébrités  de  la  camaraderie,  les  splendeurs  du  char- 
latanisme ! 

Il  est  donc  bien  certain  que,  sous  aucun  rapport  quelcon- 
que, on  ne  saurait  confondre  ensemble  les  deux  Pierre-de- 
Touche.  Ainsi  qu'on  le  voit,  tout  diffère  entre  elles  :  but, 
moyens ,  principes  ,  style,  tout  est  diamétralement  opposé. 
L'une  est  faite  pour  épurer  l'âme  ,  anoblir  l'esprit ,  réchauffer 
le  cœur.  L'autre  ne  nous  fait  voir  que  les  impuretés  de  la 
corruption,  les  turpitudes  de  la  débauche,  les  extravagances 
d'une  imagination  sans  frein.  C'est  donc  avec  raison  que  le 
tribunal  a  déclaré  qu'on  ne  pouvait  absolument  pas  prendre 
la  Pierre  de  Touche  de  l'auteur  de  Valida,  pour  une  contre- 
façon de  la  Pierre  de  Touche  de  mademoiselle  Uiliac-Tréma- 
deure.  Quant  à  la  question  de  l'identité  du  titre,  elle  a  été 
d'autres  fois  jugée  différemment  ;  ainsi  un  tribunal  défendit  à 
M.  de  Montémont  de  prendre  pour  sa  traduction  de  Walter- 
Scott  les  titres  que  M.Defauconpret  avait  donnés  à  plusieurs 
des  romans  de  cet  auteur.  On  comprend  alors  que,  indépen- 
damment de  l'intérêt  qu'elle  avait  à  n'être  pas  confondue  avec 
l'auteur  de  Valida,  mademoiselle  Ulliac-Trémadeure  a  pu  se 
croire  fondée  à  poursuivre.  Malheureusement,  pour  elle,  il 
paraît  cpi'il  existait  déjà  d'anciens  ouvrages  portant  ce  même 
titre  ;  ouvrages  d'un  genre  fort  différent  sans  doute  du  sien, 
mais  qui  ne  sauraient,  je  crois,  en  différer  davantage  que  cette 
histoire  d'un  quasi -assassin  et  d'une  femme  impudique  qui 
forme  le  sujet  du  roman  nouveau. 


Épisodes    VEXDÉENS,   par  A.-C.  O (de  la  Loire-Inférieure).  — 

Paris,  chez  Schwartz  et  Gagnot.  1837.  1  vol.  Ln-8,  6  fr. 

Ce  volume,  inspiré  par  les  souvenirs  de  la  guerre  civile, 
renferme  diverses  scènes  de  l'intérêt  le  plus  vif.  La  lutte  que 
soutint  la  Vendée  contre  les  armées  républicaines  fut  ri- 
che en  incidens  héroïques,  en  aventures  romanesques,  en 
dévouemens  sublimes.  Dans  les  deux  camps,  les  circonstan- 
ces iirent  surgir  de  grands  caractères,  et  les  romanciers  peu- 
vent y  trouver  une  mine  féconde  à  exploiter.  Malheureu- 
sement la  plupart  de  ceux  qui  jusqu'à  présent  ont  été  y 
chercher  les  sujets  de  leurs  compositions,  étaient  trop  pré- 
occupés par  des  préjugés  et  des  passions  politiques  pour  eu 
tirer  tout  le  parti   possible.  Rien   n'est  plus  Contraire  à  fin- 


HISTOIRE.  77 

spiration  ,  à  toute  œuvre  d'imagination  ou  de  poésie.  L'au- 
teur des  Episodes  Vendéens  a  complètement  échappé  à  un 
semblable  reproche.  Son  ouvrage  est  tout  littéraire;  l'histoire 
et  la  politique  n'y  jouent  qu'un  rôle  secondaire,  ou  du  moins, 
si  elles  y  forment  le  nœud  de  l'intrigue,  elles  n'en  absorbent 
pas  tous  les  développemens,  et  nulle  part  l'on  ne  rencontre 
cette  injuste  partialité  qui ,  oubliant  que  tous  les  hommes 
sont  également  sujets  à  se  laisser  dominer  par  les  passions, 
prétend  mettre  toutes  les  vertus  d'un  côté  et  tous  les  vices 
de  l'autre.  Ces  épisodes  se  refusent  à  l'analyse,  car  ils  sont 
détachés  les  uns  des  autres;  et  leur  principal  mérite  réside 
soit  dans  la  vérité  des  tableaux,  soit  dans  maintes  situations 
dramatiques  qui  ne  peuvent  être  séparées  de  la  narration. 
Le  style  est  simple,  sans  emphase  ni  affectation.  L'auteur 
a  très-bien  senti  qu'avec  des  élémens  tels  que  ceux  qu'il 
employait,  toute  déclamation  ne  servirait  qu'à  atténuer  l'ef- 
fet et  diminuer  l'intérêt.  On  ne  saurait  que  l'encourager  dans 
cette  voie  où  il  débute  avec  bonheur.  Au  milieu  de  la  foule 
de  romans  insipides ,  qui  se  succèdent  sans  relâche  et  ali- 
mentent à  la  fois  les  cabinets  de  lecture  et  les  boutiques 
d'épiciers ,  on  est  heureux  de  rencontrer  quelqu'un  de  ces 
rares  volumes  qui  surnagent  et  méritent  d'être  distingués. 
On  se  sent  alors  porté  à  les  juger  avec  indulgence,  parce 
qu'ils  ont  le  mérite  de  demeurer  vrais  et  naturels;  et  c'est 
avec  plaisir  que  la  critique,  sans  les  soumettre  trop  sévère- 
ment à  son  creuset ,  les  signale  au  bon  goût  des  lecteurs  dé- 
goûtés de  tant  d'inepties  et  d'extravagances,  quon  leur  vante 
effrontément  en  criant  au  chef-d'œuvre. 


le  poxtificat  DE  GRÉGOIRE  vu  (XIe  siècle),  roman  épique,  par 
V.  Philippon  de  la  Madelaine.  2  vol.  in-8,  15  fr.  —  PITIÉ  POl'R 
ELLE,  par    Couailhac.    2   vol.   in-8,  15  fr.  —  PCBLIC.VTIOXS    BIT 

FIGARO  :  Un  Homme  à  marier,  par  Paul  de  Kock.  In-8,  2  fr.  50  c. 
Un  Ménage  à  bord,  histoire  conjugale  du  capitaine  Lenoir,  par 
M.  Pitre-Chevalier.  —  Paris,  1837.  In-8,  2  fr.  50  c. 

Le  Pontificat  de  Grégoire  VII  est  un  roman  tout-à-fait 
chevaleresque,  où  les  moines,  les  chevaliers,  les  ménestrels 
remplissent  la  scène  et  jouent  les  principaux  rôles.  Les  intri- 
gues et  les  agitations  qui  précédèrent  et  suivirent  l'élection  du 
Souverain  Pontife,  forment  le  sujet  de  l'action  qui  est  fort 
animée,  je  dirai  même  embrouillée;  car  les  incidens  y  abon- 
dent, s'y  croisent  en  tous  sens,  de  telle  façon  qu'on  perd 
souvent  de  vue  la  marche  des  événemens  et  le  but  de  l'au- 


78  LITTERATURE, 

teur.  Il  a  voulu  peindre  l'époque  ;  et  le  désordre  de  ces  temps 
d'anarchie  féodale,  de  querelles  intestines,  de  guerres  san- 
glantes et  impies  se  reflète  peut-être  assez  bien  dans  cps  pages 
où  l'empereur  Henry  d'Allemagne  et  le  moine  Hildebrand , 
plus  tard  Grégoire  VII ,  luttent  ensemble  avec  acharnement, 
se  disputant  la  domination  de  la  vieille  Rome ,  qui  finit  par 
échapper  à  l'Empire  pour  devenir  le  siège  temporel  de  la 
puissance  des  Papes.  Mais  j'avoue  que  ie  style  pompeux 
adopté  par  l'auteur,  me  paraît  fort  peu  propre  à  exciter  et 
soutenir  l'intérêt.  J'aimerais  beaucoup  mieux  que  ce  roman 
fût  moins  épique.  Cette  forme  poétique,  adaptée  à  la  prose, 
ressemble  trop  à  de  la  prétention ,  et  M.  Philipon  de  la 
Madelaine  ,  qui  paraît  apprécier  dignement  le  talent  de  Wal- 
ter-Scott ,  quoiqu'il  ait  la  singulière  fantaisie  de  placer 
Mme  Cottin  à  côté  du  grand  romancier  'écossais ,  M.  Phi- 
lipon,  dis-je,  aurait  dû  étudier  le  style  toujours  simple, 
toujours  yrai ,  toujours  naturel  du  maître.  Il  aurait  dû  sur- 
tout renoncer  à  ces  allégories ,  que  l'auteur  se  voit  obligé 
d'expliquer  dans  sa  préface  et  d'expliquer  encore  dans  ses 
notes ,  parce  que  sans  cela  personne  n'y  comprendrait  rien. 
Ainsi  l'on  trouve  dans  son  livre ,  un  certain  grand  vilain 
serpent  qui  y  occupe  beaucoup  trop  de  place  et  représente, 
dit-il,  la  religion  d'Odin.  Ce  sont  là  de  ces  emblèmes  sym- 
boliques qui  sont  tout-à-fait  déplacés  dans  un  roman.  L'his- 
toire du  serpent  monstrueux  peut  exister  dans  les  vieilles 
chroniques,  mais  c'est  comme  fable  superstitieuse  et  non 
comme  allégorie. 

—  M.  Couailhac  paraît  avoir  du  goût  pour  les  titres  bi- 
zarres. Il  sait  sans  doute  que  l'enseigne  attire  les  chalands, 
et  il  cherche  à  frapper  par  l'originalité  de  celles  qu'il  inscrit 
sur  sa  boutique  littéraire.  Son  premier  roman  était  intitulé  : 
Avant  l'Orgie,  celui-ci  c'est  :  Pitié  pour  Elle.  Quelque  malin  cri- 
tique pourrait  bien  s'écrier  :  Pitié  pour  lui  !  car  si  l'héroïne 
du  roman,  pauvre  femme  victime  de  l'inconstance  d'un  mari 
léger  qui  l'abandonne  et  la  livre  en  quelque  sorte  à  un  séduc- 
teur, mérite  la  pitié,  il  faut  avouer  que  le  roman  lui-même 
n'est  pas  moins  pitoyable  sous  plus  d'un  rapport.  Ce  sont  de 
ces  petites  intrigues,  de  ces  commérages,  de  ces  roueries  de 
grand  monde  qu'on  a  déjà  rencontrées  dans  maints  autres  vo- 
lumes de  cette  espèce.  Le  style  vaut  mieux  que  l'action,  il  est 
coulant  et  facile.  J'ajouterai  qu'à  la  fin  de  ce  roman  l'auteur 
a  fait,  en  quelques  pages,  une  assez  bonne  satire  contre  la 
corruption  des  mœurs  en  France.  Son  séducteur  voyage  dans 
diverses  contrées  de  l'Europe,  comptant  triompher  partout 
comme  à  Paris  ;  mais,  6  désappointement  cruel  !  il  ne  trouve 
partout  que  refus,  que  mépris,  que  tristes  mésaventures. 


HISTOIRE.  7!) 

A  la  suite  de  Pitié  pour  Elle,  sont  deux  autres  courtes  nou- 
velles, dont  l'une  roule  sur  la  conspiration  qui  éclata  et  fut 
aussitôt  réprimée  en  Russie  après  la  mort  d'Alexandre. 

—  Figaro  s'est  établi  fabricant  de  romans.  Les  pointes,  les 
lazzis,  les  calemhourgs,  qui  faisaient  jadis  sa  fortune,  ont 
déserté  totalement  de  chez  lui  ;  et ,  peur  se  consoler  de  cette 
perte,  il  s'est  mis  à  débiter  des  romans  en  détail  et  en  gros. 
Pauvre  Figaro  !  qu'est  devenu  ton  esprit  ?  Chaque  jour  ses 
colonnes  offrent  au  lecteur  une  scène,  un  chapitre  de  roman; 
et  quand  un  ouvrage  est  complet  on  le  réunit  en  un  volume 
qui  se  vend  à  un  prix  fort  modique.  Mais  quels  romans  que 
ceux  ainsi  fabriqués  au  jour  le  jour!  On  dit,  il  est  vrai,  que 
la  célèbre  Clarisse  Harlow  parut  de  cette  manière  et  tint  en 
haleine  toute  l'Angleterre  pendant  une  année.  Mais  il  n'est 
pas  certain  d'abord  que  Richardson  n'eût  pas  fait  d'avance 
sou  roman  tout  entier,  puis  une  correspondance  souffre  bien 
mieux  ce  mode  de  publication,  et  enfin  les  Richardson  ne 
sont  pas  communs.  Aussi  les  premiers  volumes  que  Figaro 
nous  donne  sont-ils,  sous  tous  les  rapports,  de  médiocres 
compositions,  bonnes  tout  au  plus  pour  figurer  dans  les 
feuilletons  d'un  petit  journal.  L' Homme  à  marier,  de  Paul 
de  Rock,  est  un  épisode  qui,  renfermé  dans  les  étroites  limi- 
tes d'une  scène  de  5  ou  6  pages,  aurait  pu  être  fort  plaisant, 
parce  que  l'auteur  excelle  à  peindre  les  ridicules  et  les  tra- 
vers de  la  bourgeoisie  parisienne  ;  mais  délayé  dans  un  vo- 
lume, il  perd  tout  son  prix  et  n'est  plus  que  trivial  sans 
gaîté.  Un  Ménage  à  bord  vaut  encore  moins  peut-être,  quoi- 
que l'auteur  semble  croire  qu'il  marche  sur  les  traces  de 
Fénimore  Cooper,  dans  la  route  du  roman  maritime.  C'est 
une  plaisanterie  dont  les  traits  ne  sont  pas  toujours  d'un 
goût  bien  pur  ni  d'un  esprit  bien  fin.  Le  mérite  le  plus 
réel  de  ces  deux  volumes  est  de  se  vendre  à  bon  marché ,  en 
comparaison  au  moins  des  autres  romans  du  jour;  car  du 
reste  une  semblable  littérature  est  toujours  trop  chère. 


les  HÉBERARD,  légende  des  Baronies,  par  A.  liarginet.  2  vol.  in-8. 
15  fr. —  LES  PARASITES  ,  roman  de  mœurs,  par  Jules  Lacroix. 
2  vol.  in-8,  15  fr.  —  LES  MÉANDRES  ,  romans  et  nouvelles,  par  Léon 
Gozlan.  2  vol  in-8,  15  fr.  —  LE  FILS  DU  BANQUEROUTIER ,  esquisse 
de  mœurs,  par  L.  Àrthaud.  2  vol.  in-8, 15  fr.  —  LA  RUE  AUX  OURS, 
par  M,ne  Mêlante  Valdor.  —  Paris,  1837.  In-8,  7  fr,  50  c. 

Les  romans,  dont   la  publication  s'était  un  peu  ralentie 
depuis  quelque  temps,  ont  tout-à-coup  redoublé  d'activité, 


80  LITTÉRATURE , 

et  nos  écrivains  paraissent  vouloir  être  aussi  féconds  cette 
année  que  la  précédente.  Quand  on  veut  les  passer  tous  en 
revue ,  il  ne  faut  pas  s'amuser  en  route,  car  on  n'en  vien- 
drait jamais  à  bout.  Mais  heureusement  la  plupart  ne  valent 
pas  la  peine  d'être  analysés ,  et  les  auteurs  ne  se  mettant 
guère  en  frais  d'imagination ,  soit  pour  trouver  quelque 
sujet  nouveau,  soit  pour  varier  les  moyens  d'intrigue,  qui  en 
a  lu  deux  ou  trois,  les  connaît  tous;  un  coup-d'ceil  suffit 
pour  reconnaître  à  quelle  espèce  ils  appartiennent. 

—  Les  Héberard  sont  du  genre  historique  ainsi  que  le  titre 
l'indique.  C'est  dans  le  xvue  siècle  que  l'auteur  a  été  pui- 
ser ses  personnages  et  son  sujet.  Il  montre  une  imagination 
féconde  en  moyens  d'intrigues,  en  incidens  de  toute  sorte , 
capables  d'exciter  la  curiosité  du  lecteur.  Mais  la  marche  de 
l'action  est  souvent  entravée ,  et  l'intérêt  languit  parfois  au 
milieu  d'un  luxe  de  détails  fatigans.  Les  descriptions  et  les 
dialogues  abondent;  c'est  le  faible  de  tous  les  écrivains  qui 
essayent  de  suivre  la  route  tracée  par  Walter-Scott.  Mal- 
heureusement cette  richesse,  si  belle  dans  les  œuvres  du 
romancier  écossais ,  devient  souvent  un  défaut  chez  ses  imi- 
tateurs, qui  ne  savent  pas  garder  une  juste  mesure,  et  tom- 
bent trop  facilement  clans  les  longueurs  et  les  minuties.  Ils 
dressent  en  quelque  sorte  l'inventaire  de  chaque  lieu  où  ils 
placent  une  scène  de.  leur 'roman ,  tandis  que  Walter-Scott 
décrit  à  grands  traits  l'ensemble  des  tableaux.  Us  font  dis-  • 
courir  leurs  personnages,  tandis  que  Walter-Scott  laisse  par- 
ler les  siens. 

—  Les  Parasites  de  M.  Jules  Lacroix  appartiennent  au 
genre  forcé  et  faux  que  cet  écrivain  cultive  de  préférence; 
mais  ils  sont  encore  bien  inférieurs  à  tous  ses  autres  ouvrages. 
C'est  une  dégoûtante  histoire  de  tous  les  raftinemens  de  l'é- 
goïsme  porté  au  plus  haut  degré.  Les  parasites  que  l'auteur 
met  en  scène  sont  des  sangsues  qui  sucent  jusqu'à  la  der- 
nière goutte  de  sang  de  la  victime  qu'elles  exploitent,  et  cela 
avec  une  effronterie  sans  pareille.  Il  me  semble  que  les  tra- 
vers et  les  vices  de  la  société  sont  déjà  assez  révoltans,  sans 
qu'il  soit  nécessaire  de  les  regarder  avec  des  verres  grossis- 
sans,  et  c'est  une  triste  manière  d'amuser  le  public,  que  de 
lui  peindre  de  telles  monstruosités. 

—  Quant  aux  Méandres,  quelle  que  soit  la  renommée  que 
les  journaux  ont  faite  à  M.  Léon  Gozlan,  je  n'hésite  pas  à  dire 
que  c'est  un  vrai  salmigondis,  où  l'on  chercherait  vainement 
une  pauvre  petite  étincelle  de  bon  sens  ou  de  talent.  L'au- 
teur paraît  prendre  le  bavardage  pour  de  l'esprit.  Il  est  vrai 
qu'il  n'est  pas  le  seul,  et  qu'on  a  vu  plus  d'une  fois  le  public 
s'y  tromper  de  même.  Mais  M.  Gozlan  est  moins  pardonnable 


HISTOIRE  81 

qu'un  autre,  car  il  a  montré  qu'il  pouvait  faire  mieux.  La 
plupart  des  iragmens  qui  remplissent  ces  deux  volumes  pa- 
raissent avoir  été  écrits  pour  des  feuilletons  de  journaux  ; 
ils  roulent  sur  maints  sujets  divers,  et  la  marine,  entre  autres, 
v  joue  un  rôle  assez  long,  mais  fort  peu  intéressant. 

—  Le  Fils  du  Banqueroutier  est  une  esquisse  de  mœurs  dont 
je  ne  me  souviens  pas  d'avoir  rien  à  dire.  J'en  demande  par- 
don à  l'auteur,  mais  je  ne  sais  comment  cela  se  fait,  j'ai  iu 
son  livre,  et  rien  ne  m'a  frappé,  car  il  ne  m'en  est  rien  resté 
du  tout. 

—  Madame  Mélanie  Valdor,  qui  a  fait  un  ou  deux  petits 
ouvrages  d'éducation  assez  remarquables,  me  parait  se  four- 
vover  complètement  sur  la  route  du  roman.  La  Rue  aux  Ours 
n'offre  ni  vraisemblance,  ni  intérêt,  ni  talent  d'imagination. 
C'est  un  sujet  rebattu,  qui  n'est  rajeuni  ni  par  des  incidrns 
heureux,  ni  par  de  gracieux  détails.  Le  style  est  simple,  sans 
prétention,  mais  c'est  en  vérité  le  seul  mérite  du  livre.  L'hé- 
roïne est  la  fille  d'un  marchand  de  perles  de  la  rue  aux  Ours, 
riche  négociant,  mais  qui  vit  avec  la  plus  grande  simplicité, 
et  élève  sa  Clotilde  à  l'ombre  de  son  obscure  boutique.  Un  cou- 
sin, François,  qui  aide  M.  Duparc  dans  son  commerce,  est 
destiné  à  devenir  l'époux  de  Clotilde  qu'il  aime  tendrement. 
Mais  un  beau  cavalier,  qui  vient  à  passer  le  long  de  la  rue  aux 
Ours,  dérange  tous  ces  beaux  projets.  L'innocente  et  timide 
Clotilde  ne  peut  l'apercevoir  sans  en  être  éprise,  et  bientôtelle 
se  laisse  enlever  par  lui,  séduire  et  emmener  dans  les  îles, 
où  il  l'abandonne.  Cependant  le  bon  François  devient  furieux 
de  se  voir  ravir  ainsi  sa  fiancée,  et  il  jure  une  haine  éternelle 
à  tous  les  aristocrates.  Or  il  faut  savoir  que  tout  ceci  se  passait 
à  l'époque  de  la  première  révolution,  et  durant  la  période  de 
la  Terreur  François  trouve  à  satisfaire  largement  son  désir  de 
vengeance.  Cependant,  attendri  par  les  supplications  de  Clo- 
tilde qui  est  revenue  en  France,  il  sauve  la  vie  de  son  rival, 
à  condition  que  celui-ci  réparera  ses  torts  en  épousant  Clotilde. 
Et  ils  ne  vécurent  pas  tous  bien  Leureux,  vu  que  François 
regretta  toujours  Clotilde,  et  que  Clotilde  finit  par  regretter 
François. 

Un  autre  conte,  intitulé  la  Tour  sans  Venin,  se  trouve  à  la 
suite  de  la  Rue  aux  Ours;  c'est  l'histoire  assez  peu  intéressante 
d'un  marquis  émigré  qui  revient  prendre  possession  de  ses 
terres,  et  qui  se  fait  de  mauvaises  affaires  avec  ses  pavsans. 


Sa  LITTÉRATURE, 


i,A  chine,  par  J.-F.  Drwis,  ancien  président  do  ta  "Compagnie  des 
Indes  en  Chine;  trad.  de  l'anglais  par  A.  Piciiard;  revu  et  augmenté 
d'un  appendice  par  Bazin  aine. —  Paris,  1837.  2  vol.  in-8,  fig.,  15  fr. 

M.  J.-F.  Davis  a  tracé  un  tableau  complet  du  céleste  em- 
pire, qu'un  long  séjour  dans  les  établissemens  de  la  Compa- 
gnie des  Indes  lui  a  permis  d'étudier  d'une  manière  ap- 
profondie. Il  donne  les  détails  les  plus  curieux  et  le*  plus 
circonstanciés  sur  les  mœurs,  les  usages,  le  caractère  du  peu- 
ple chinois.  Son  livre  est  plein  d'intérêt;  l'esprit  observateur 
s'y  allie  au  savoir,  et  l'on  y  trouve  la  description  la  plus  com- 
plète de  cette  singulière  nation,  qui  nous  apparaît  en  quelque 
sorte  comme  un  reste  fossile  d'une  civilisation  antédiluvienne. 
Il  combat  et  détruit  bien  des  fausses  idées  répandues  sur  la 
Chine,  et  paraît  faire  avec  assez  de  justice  la  part  du  bien  et 
du  mal  dans  l'organisation  civile  de  cette  contrée. 

L'appendice  de  M.  Bazin  contient  plusieurs  fragmens  de 
littérature  chinoise  de  différens  genres  qui  ne  manquent  pas 
de  mérite  malgré  leur  étrange  caractère. 


CIXQ  MOIS  AUX  ÉTATS-l'XIS  DE  L'AMÉRIQUE  DU  SOUD  ,  depuis  le 
29  avril  jusqu'au  23  septembre  183j;  journal  de  voyage  de  M.  Ra- 
mon  de  la  Sâgra ;  trad.  de  l'espagnol  par  M.  René  Baissas.  —  Paris, 
1837.  In-8,  fig.,  7  fr.  50  e. 

Ce  volume  renferme  une  foule  de  détails  fort  intéressans 
sur  la  civilisation  des  Etats-Unis,  sur  les  mœurs,  l'industrie, 
le  caractère  des  habitans,  sur  les  institutions  de  tout  genre 
qui  y  existent.  M.  Ramon  de  la  Sagra  mérite  d'autant  plus 
de  confiance,  qu'il  n'est  pas  allé  en  Amérique  avec  un  système 
arrêté  d'avance  ,  pour  ou  contre  l'état  de  choses  qui  régit 
Flnion.  Il  rapporte  tout  simplement  les  impressions  diverses 
qu'il  a  éprouvées  en  étudiant  le  pays,  et,  si  on  le  voit  se.  dé- 
clarer paitisan  de  la  démocratie  américaine,  cela  n'inspire  ni 
surprise  ni  défiance,  car  on  le  suit  pas  à  pas  à  mesure  qu'il 
avance  dans  srs  observations,  et  l'on  comprend  comment  ii 
r»st  amené  à  admirer  les  beaux  résultats  qui  se  déroulent  sous 
ses  veux,  liien  plus,  on  est  entraîné,  bon  gré  malgré,  à  parta- 
ger son  admiration,  car  on  reconnaît  que,  tandis  qu'on  perdait 
ers  Europe  un  temps  précieux  à  discuter  sans  connaissance  de 
cause  ni  d'effet,  la  valeur  de  la  foi  nie  gouvernementale  adop- 
tée par  les  Américains,  ceux-ci  en  ont  développé  librement 
tous  les  heureux  résultats,  et  y  ont  trouvé   la  solution  d'une 


HISTOIRE  83 

foule  de  questions  qui  touchent  aux  plus  chers  intérêts  des 
nations,  au  bonheur  du  peuple  et  à  son  perfectionnement. 
M.  Ramon  de  la  Sagra  donne  des  renseigneinens  nombreux 
sur  les  prisons  des  Etats-Unis,  sur  le  système  pénitentiaire 
qui  y  est  en  vigueur,  sur  les  établissemens  qui  ont  pour  ob- 
jet d'offrir  un  asile  et  du  travail  aux  condamnés  libérés.  Il 
parle  avec  beaucoup  de  détails  des  écoles  destinées  à  répandre 
l'instruction  et  ses  bienfaits  dans  toutes  les  classes  de  la  so  • 
ciété,  il  nous  montre  les  citoyens  américains  travaillant  sans 
relâche  à  augmenter  la  prospérité  du  pays  et  à  perfectionner 
les  institutions  qui  le  régissent.  Son  livre  offre  un  tableau 
animé  de  la  marche  rapide  de  ce  jeune  peuple  sur  la  route  de 
la  civilisation.  Il  est  fâcheux  que  la  forme  du  journal  ait  été 
adoptée  par  l'auteur,  car  c'est  celle  qui  offre  le  moins  d'in- 
térêt à  une  lecture  suivie.  Le  style  de  la  traduction  aurait 
aussi  demandé  à  être  plus  soigné.  Il  est  souvent  incorrect  et 
négligé. 


HISTOIRE  DE  FRANCE,  depuis  la  fin  du  règne  de  Louis  XVI  Jusqu'à 
Tannée  182.">,  précédée  d'un  discours  préliminaire  et  (l'une  intro- 
duction historique  sur  la  monarchie  française  et  les  causes  <|ui  ont 
amené  la  dévolution  ;  par  l'abbé  de  Montgaillard  ;  ouvrage  faisant 
suite  aux  histoires  de  France  puhliées  jusqu'à  ce  jour.  3"1U  édition, 
!  j  vol.  grand  in-18,  15  fr. —  Paris,  chezSchwartz  etGagnot,  libraires, 
place  Saint-Germain -l'Auxerrois,  20. 

ANNALES  françaises,  ou  complément  de  Pfiîstoir'é  de  Frajacc  pu- 

hliée,  en  1827,  sous  le  nom  de  l'abbé  de  Montgaillard;  histoire  en- 
tièrement refondue,  etc.  par  le  comte  Maurice  Montgaillard.  — 
Paris,  Delaunay.  1836.  In-8. 

Il  est  peu  d'histoires  de  la  révolution  française  qui  offrent 
un  intérêt  aussi  piquant  que  celle-ci.  M.  Montgaillard  ra- 
conte les  événemens  et  peint  les  hommes  avec  une  verve  spi- 
rituelle et  entraînante  qui  attache  le  lecteur,  le  captive  et  lui 
fait  en  quelque  sorte  oublier  ce  que  ses  jugemens  peuvent 
avoir  de  trop  passionné.  Il  y  a  certainement  beaucoup  de 
causticité  dans  son  esprit,  et  il  ne  faut  pas  lui  demander  la 
froide  impartialité  de  l'historien.  C'est  un  témoin  de  la  tour- 
mente révolutionnaire  qui  raconte  ce  qu'il  a  vu,  et  semble 
écrire  sous  l'influence  de  chacun  des  faits  qu'il  rapporte.  L'é- 
motion du  moment  guide  sa  plume;  c'est  jour  par  jour  qu'il 
inscrit  les  souvenirs  de  cette  terrible  époque,  en  sorte  qu'on  le 
voit  toujours  sous  l'impression  des  circonstances,  et  s>  n  livre 
en  reçoit  une  teinte  dramatique  très-prononcée.  Comment, 
pu  effet,  demeurer  calme  et  impassible  en  présence  des  san- 
gl ans  trophées  de  la  Terreur?  Comment  juger  de  sang-froid  la 


M  LiTTfcttATlJRE, 

lièvre  chaude  qui  agitait  et  transportait  tout  un  parti  nom- 
breux et  redoutable?  Plus  on  considère  la  Révolution,  plus 
on  s'aperçoit  combien  il  est  encore  difficile,  et  même  impos- 
sible, que  nous  en  ayons  une  histoire  tout-à-fait  impartiale. 
Les  hommes  qui  en  ont  traversé  toutes  les  phases  ne  peuvent 
que  nous  offrir  le  reflet  de  ses  agitations,  de  ses  contrastes,  de 
ses  grandeurs  et  de  ses  excès.  Ils  n'ont  pu  y  jouer  un  rôle  sans 
en  partager  plus  ou  moins  les  passions;  et  le  tableau  qu'ils 
nous  en  donneront  sera  toujours  vivement  coloré.  Mais  je  ne 
saurais  dire  que  cela  soit  un  mal  ;  en  faisant  la  part  de  l'esprit 
de  parti,  il  restera  toujours  dans  leur  œuvre  cependant  quel- 
que chose  de  vrai,  et  l'on  v  puisera  sans  doute  une  connais- 
sance plus  approfondie  de  ces  temps  si  curieux  à  étudier. 

M.  de  Mon tga illaid  se  pose  en  quelque  sorte  comme  le 
critique  des  hommes  et  des  choses  pendant  la  période  révo- 
lutionnaire. Appartenant  par  sa  famille  à  la  noblesse,  émigré 
d'abord  avec  celle-ci ,  puis  rentré  en  France  lorsqu'il  vit 
qu'elle  trahissait  sa  pairie  en  appelant  l'étranger  pour  l'enva- 
hir, il  s'est  trouvé  fort  bien  placé  pour  juger  les  partis.  Son  es- 
prit caustique  n'en  épargne  aucun.  Il  lance  contre  tous  de 
violentes  accusations.  Mais  en  vérité,  au  milieu  du  délire  qui 
semblait  s'être  alors  emparé  de  toutes  les  têtes,  il  n'était 
guère  possible  à  l'homme  indépendant  et  chaleureux  déjouer 
un  autre  rôle.  On  peut  lui  reprocher  trop  de  vivacité  dans  ses 
attaques,  trop  de  précipitation  dans  quelques-uns  de  ses  juge- 
mens,  mais  on  conviendra  aussi  que  dans  tout  le  cours  de  la 
révolution  il  ne  se  présenta  peut-être  pas  un  homme  dont  la 
conduite  fût  entièrement  irréprochabble  et  méritât  une  com- 
plète apologie.  Le  bon  sens  était  étouffé  sous  les  passions, 
foulé  aux  pieds  par  les  partis.  Cette  raison,  dont  on  proclamait 
le  règne,  semblait  avoir  abandonné  la  terre  pour  aller  sans 
doute  recevoir  du  haut  des  cieux  les  hommages  de  la  répu- 
blique, le  culte  de  son  dictateur.  Dans  l'épouvantable  mêlée 
qui  suivit  le  bond  impétueux  par  lequel  le  peuplé  français 
voulut  arriver  tout  d'un  coup  à  ia  liberté,  on  cherche  vaine- 
ment quelque  arbre  sain  et.  solide,  dont  les  branches  offrent 
une  voie  de  salut  pour  échapper  au  torrent  dont  les  flots 
bourbeux  entraînaient  tout  sur  leur  passage.  Les  idées  les 
plus  giandes,  les  plus  généreuses  se  trouvaient  alliées  dans  le 
même  esprit  aux  théories  les  plus  monstrueuses.  La  probité 
d'un  Robespierre,  la  philanthropie  d'un  Saint-Just,  n'étaient 
pas  des  phénomènes  isolés.  De  tels  contrastes  se  retrouvaient 
sous  mille  formes  diverses  dans  les  individus  de  toutes  les 
classes,  et  jusque  dans  les  niasses  populaires.  Les  idées  répu- 
blicaines, jetées  au  milieu  de  l'ignorance  populaire  et  de  la 
barbarie  des  mœurs,  avaient  produit  cette  fermentation  uni- 


MISTOiKl'.  8i 

verselle.  C'était  le  feu  du  volcan  inonda  ut  ses  alentours  de 
cendres  et  de  débris. 

La  verve  de  notre  auteur  semble  inépuisable  et  s'exerce 
sans  retenue.  Peu  de  personnages  éminens  échappent  à  ses 
traits  acérés.  Il  n'a,  je  crois,  des  paroles  louangeuses  que 
pour  deux  ou  trois  hommes  :  Washington,  Lafayette,  Napo- 
léon. Ce  dernier  nom  fait  une  singulière  figure  à  côté  des 
autres.  C'est  le  despote  en  présence  des  deux  plus  grands 
citoyens  de  cette  époque.  Mais  M.  de  Montgaillard  a  partagé 
l'admiration  aveugle  qu'inspirait  l'éclat  militaire  de  Bona- 
parte, et,  fatigué  du  désjordre  révolutionnaire,  il  saluait  avec 
acclamation  l'établissement  de  l'Empire,  qui  venait  cepen- 
dant détruire  une  à  une  toutes  les  conquêtes  de  la  liberté,  si 
chèrement  achetées. 

Dans  les  Annales  françaises  qu'il  se  propose  de  publier  en 
12  ou  13  volumes  in-8°,  et  dont  il  vient  défaire  paraître  le 
discours  préliminaire,  il  refondra  toute  cette  histoire,  et  la 
complétera  ,  dit-il,  par  l'addition  de  notes  et  de  fragmens 
nombreux.  En  attendant,  le  public  saura  gré  aux  éditeurs  de 
l'ancienne  édition  d'en  avoir  baissé  le  prix  de  manière  à  la 
mettre  à  la  portée  de  toutes  les  bourses.  MM.  Schwarz  et 
Gagnot  se  trouveront  bien  sans  doute  de  cette  opération,  et 
cette  piquante  galerie  historique  obtiendra  un  succès  tout 
populaire. 

Un  tel  ouvrage,  tenant  du  pamphlet  presque  autant  que  de 
l'histoire,  devait  donner  lieu  à  de  nombreuses  récriminations. 
Aussi  son  auteur  débute-  t-il  dans  ses  annales  par  répondre  à 
maintes  attaques  dont  il  a  été  l'objet.  Du  reste,  la  plupart, 
étant  anonymes,  ne  méritaient  guère  d'être  relevées,  et  puis- 
que M.  dé  Mon  tgaillard  prépare  une  nouvelle  édition  de  cette 
histoire,  il  fera  bien  peut-être  d'adoucir  ce  qu'il  v  a  de  trop 
acerbe  dans  ses  jugemens,  de  modérer  la  causticité  de  son  es- 

Î>rit,  de  donner  enfin  à  son  livre  une  forme  et  une  allure  plus 
ùstoriques. 


GÉOGRAPHIE  ANCIENNE  comparée  avec  la  géographie  moderne;  par 
MM.  Meissas  et  Michelot.  —  Paris,  chez  Hachette.  1837  In -12, 
2  fr.  50  c. 

Ce  petit  ouvrage,  destiné  à  l'enseignement  des  collèges'', 
est  rédigé  avec  une  grande  clarté,  et  ses  auteurs  ont  heu- 
reusement évité  cette  s'eheresse ,  qui  ne  se  rencontre  que 
trop  souvent  dans  la  plupart  des  abrégés  de  géographie.  Pro- 
fitant de  tous  les  travaux  des  géographes  anciens ,  et  des 
Lumières  nouvelles  que  les  investigations  des  voyageurs  mo- 


SG  UTTKKATURL, 

dernes    ont    répandues    sur    rMvets    points    obscurs,    ils    re- 
construisent   l'ancien    inonde  tel    que  le    connaissaient    les 
Grecs  et  les   Romains,  en  ayant  soin  de  donner  toujours, 
autant  du  moins   que  cela  se  peut,  le   nom  moderne  à  côté 
du   nom  antique    pour    toutes  les    villes  dont  on     connaît 
bien    exactement  la  position  et  l'bistoire;    le  nom  latin    s'y 
trouve  aussi" de  manière   à  faciliter  toutes  les  recherches  et 
à  aider   les  écoliers  dans    l'intelligence   des  auteurs   classi- 
ques. Des  notions  historiques   courtes,  mais  bien  rédigées, 
jettent  un  intérêt  véritable   sur    tous  ces  détails  ordinaire- 
ment si  vides,  et  si  peu  attrayans.  Ce  qu'on  sait  de  la  fon- 
dation des  vdles,   de  leur   destinée    et  des  causes  de   leur 
chute,  est  raconté  rapidement.    MM.  Meissas   et  Micbelot 
ont  eu  le  rare  talent  de  vaincre  les  difficultés  que  présente 
la  tâche  de   resserrer  un  grand  tableau  dans  un  petit  cadre. 
Les  innombrables  peuplades  diverses  qui  couvraient  autre- 
fois   l'Europe,  et   sur   la  plupart  desquelles   nous  n'avons 
d'autres  renseignemens  que  quelques  passages  plus  ou  moins 
obscurs   des  historiens    romains,  offraient   un    dédale  dont 
ils  se  sont  tirés  avec  bonheur.   L'Asie  n'est  pas  moins  bien 
traitée;  ils  nous  en  offrent  un  tableau  complet,  en  mention- 
nant les  principaux  faits  de   l'Histoire-Sainte  qui  s'y  ratta- 
chent.   Enfin    ils  ont  rassemblé  toutes  les   notions  que  les 
anciens  possédaient,  et  que  leurs  écrits  fournissent  sur  l'A- 
frique, cette  troisième  partie  du  monde  dont  ils  connaissaient 
diverses  contrées  mieux  peut-être  que  nos  géographes  moder- 
nes, mais  sur  les  régions  centrales  de  laquelle  ils  n'avaient 
que  des  informations  vagues  et  mêlées  de  fables.  Le  volume 
est  terminé  par  une  table  alphabétique  des  noms  antiques 
des  lieux  et  des  peuples,  qui  peut  servir  en  quelque  sorte 
de    petit   dictionnaire   géographique.   Aujourd'hui    que  l'on 
dirige  de  si  bonne   heure  l'attention    des  jeunes  gens  vers 
l'étude  de  l'histoire,  une  telle  géographie  manquait,  et  l'on 
en  sentait  vivement  le  besoin.  Aussi  celle  de  MM.  Meissas 
et  Micbelot  peut-elle    à    bon  droit    compter  sur   un   grand 
succès  qu'elle  mérite  d'ailleurs  sous  tous  les  rapports. 


mvmei.   DE   1.1    liMili:   anglaise,    ou   moyen   d'apprendre  cette 
•  langue  sans  maître,  par  Je  seul  secours  de  la  prononciation  écrite  en 

regard  de  plusieurs  milliers  de  phrases;  par  M.  l'ryrot.  —  Paris,  1 837. 

1  vol.  in- 10,  3  fr: 

Comme  recueil  de  phrases   graduées   pour    l'étude  de  la 
langue   anglaise,    ce   petit   volume   est    certainement  très- 


MORALE,    EDUCATION.  87 

i  ecoinmandable.  Mais  la  prononciation  dune  langue  quel- 
conque s'écrit  toujours  d'une  manière  fort  incomplète,  et 
polir  l'anglais  surtout,  qui  n'a  presque  pas  de  sons  bien  dé- 
cidés ,  bien  francs ,  il  est  de  toute  impossibilité  de  l'ap- 
prendre sur  des  livres.  La  langue  parlée  ne  s'apprend 
qu'en  parlant,  et  on  peut  bien  défier  qui  que  ce  soit  do 
parvenir  jamais  à  exprimer  en  français  la  double  lettre  th. 
et  les  mille  et  une  intonations  diverses  des  voyelles  a,  c,  i 
anglaises.  Ce  sont  de  vaines  tentatives  qui  ne  servent  qu'à 
donner  à  l'élève  de  fausses  idées  sur  la  prononciation,  et  le 
préparent,  s'il  veut  étudier  tout  seul  d'après  ce  système, 
à  ne  pouvoir  ni  comprendre  les  Anglais  ni  être  compris 
d'eux. 


RELIGION,     PHILOSOPHIE,     MORALE,    EDUCATION. 


RIOGRAPHIE  SACRÉE,  par  Athnnase  Coquerel,  pasteur  de  l'Église 
réformée  de  Paris.  2""  édition  augmentée  d'un  Essai  historique  et 
critique  sur  les  dates  de  la  Bible.  —  Valence,  chez  Marc-Aurel  frères; 
Paris,  chez  Ah.  Cherbuliez  et  comp*".  1837.  1  gros  vol.  in-8,  10  fr. 

Cette  nouvelle  édition,  qui  n'a  qu'un  seul  volume  au  lieu 
de  quatre ,  et  ne  coûte  que  le  tiers  de  ce  que  coûtait  l'an- 
cienne, popularisera  cet  excellent  ouvrage,  dans  lequel  on 
remarque  le  talent  de  style  et  la  raison  éclairée  qui  distin- 
guent l'auteur  et  lui  ont  depuis  long-temps  assuré  une  juste 
renommée  dans  le  public  protestant.  La  Biographie  sacrée 
renferme  des  notices  plus  ou  moins  étendues  ,  mais  toujours 
rédigées  de  la  manière  la  plus  intéressante  sur  tous  les  per- 
sonnages dont  il  est  question  dans  la  Bible.  Chaque  nom 
est  accompagné  de  l'indication  des  textes  qui  eu  font  men- 
tion. Ub  pareil  livre  est  non-seulement  indispensable  pour 
tous  les  théologiens  auxquels  il  facilitera  bien  des  recher- 
ches ,  évitera  de  longs  travaux;  mais  il  offre  encore  une 
lecture  pleine  d'attrait  aux  personnes  pieuses  qui  désirent 
posséder  une  connaissance  approfondie  des  livres  saints 
L'Essai  sur  les  dates  de  la  Bible  est  conçu  dans  un  esprit 
de  critique  haute  et  sage.  M.  Coquerel,  considérant  la  Bi- 
ble comme  une  inspiration  et  non  comme  une  histoiie, 
ne  pense  point  qu'il  soit  utile  de  chercher  à  laite  concor- 
der ses  dates  avec  celle  de  l'histoire  profane,  ni  d'entrer  en 
discussion  à  ce  sujet  avec  les  adversaires  du  christianisme. 


88  R£LIG10N,  PHILOSOPHIE, 

Après  avoir  examiné  avec  une  érudite  exactitude  tous  les 
documens  chronologiques  que  présentent  les  diverses  par- 
ties de  la  Bible  ,  il  n'hésite  pas  à  déclarer  que  toute  tenta- 
tive de  ce  genre  serait  vaine,  et  pour  le  prouver  il  dresse  un 
tableau  comparatif  des  dates  les  plus  anciennes  de  l'histoire 
profane  telles  que  les  derniers  travaux  des  savans  les  ont 
admises,  et  de  l'indication  du  nombre  d'années  écoulées 
entre  ces  époques  et  celle  du  déluge,  selon  les  Septante  et 
selon  la  chronologie  vulgaire.  Il  admet  que  les  bornes  de  la 
science  historique  reculeront  encore,  que  les  érudits  pour- 
ront un  jour  découvrir  sur  les  ruines  éparses,  dans  les  di- 
verses parties  du  monde,  l'histoire  de  ces  antiques  civili- 
sations qui  ont  disparu  sans  laisser  presque  aucun  souvenir: 
«  Des  découvertes  inespérées  vont  faire  revivre  sous  nos 
»  yeux  des  civilisations  perdues  de  vue  dans  la  nuit  des 
»  siècles,  cachées  sous  la  racine  des  forêts,  le  sable  des  dé- 
»  serts  ou  la  poussière  de  quelque  immense  nécropole  ;  de 
»  nouveaux  hiéroglyphes  seront  lus  un  jour  comme  ceux 
»  des  Pharaons;  l'Inde  ou  la  Chine,  Persépolis  et  ses  ca- 
»  ractères  cunéiformes,  l'Etrurie  et  sa  langue  si  étrangement 
»  oubliée  par  les  Romains,  qui  avaient  tant  de  raisons  de 
»  s'en  souvenir,  entroir,  liront  à  nos  regards  les  ténèbres 
»  de  leur  passé  ;  supposez  même  que  le  Nouveau-Monde 
»  doive  un  jour  avoir  son  archéologie ,  les  mines  à  peine 
»  explorées  de  Palenqué  et  de  Mithla  fourniront  des  dy- 
»  nasties  mexicaines  ou  aztèques  aussi  longues  que  celle  de 
»  Manéthon  ;  les  dynasties  des  Pharaons  vont  se  trouver 
»  vraies  jusqu'à  la  première,  jusqu'à  celle  de  Menés,  le 
»  successeur  des  dieux;  bien  plus,  quelque  nouveau  Callis- 
»  thène  rendra  au  jour  des  observations  astronomiques 
»  antérieures  à  toute  histoire,  des  éclipses  antédiluviennes, 
»  des  conjonctions  antéadamiques;  et  un  zodiaque  incontes- 
»  table,  remplissant  les  espérances  que  l'on  avait  hnpru- 
»  demment  conçues  lors  de  l'apparition  de  celui  de  Dende- 
»  rah  ,   représentera  l'état  du  ciel  à  une  époque  antérieure 

»  à  toutes  les  chronologies alors,  selon  notre  système, 

»  l'incrédulité,  à  l'aide  de  ces  armes  nouvelles,  n'élèvera 
»  que  des  plaintes  sans  fondement  contre  la  Bible;  nous 
•>  lui  répondrons  avec  tranquillité  qu'il  n'y  a  point  de  chro- 
»  nologie  sacrée,  et  que  la  révélation  est  aussi  désintéressée 
»  dans  ces  découvertes  historiques,  que  dans  les  progrès  de 
»  la  géologie ,  quoique  Moïse  ait  compté  six  époques  de 
»  l'organisation  de  notre  planète  ;  ou  dans  les  calculs  de  l'as- 
tronomie, quoique  Josué  ait  poussé  un  cri  sublime  qui 
»  lui  a   valu  une    victoire.  » 


MORALE,  ÉDUCATION.  89 


CHARLES,  ou  l'Ouvrier  vertueux,  suivi  de  trois  Nouvelles,  morales  et 
instructives,  par  Mme  Césarie  Furrenc. —  Paris,  chez  Dcnn,  rue 
Pavée-St.-André-des-Arts,  5.  1  vol.  in-12,  flg.,  3  fr.  50  c. 

«  Sans  le  travail  et  la  vertu  il  n'est  point  de  bonheur.  » 
Cette  vérité  banale  doit  être  l'inévitable  refrain  de  toute 
éducation  ;  car  dans  l'enfance,  si  l'on  est  vertueux  par  in- 
stinct ou  par  imitation  ,  travailler  semble  toujours  une  peine 
dont  on  désire  être  dispensé. 

Mme  Césarie  Farrenc  a  donc  pris  à  tàcbe  de  prouver  à 
ses  jeunes  lecteurs  que  ie  travail  est  le  plus  sur  garant  du 
bonheur;  que  lui  seul  peut  permettre  à  l'homme  d'exer- 
cer les  plus  belles  facultés  de  son  esprit,  de  développer  les 
plus  nobles  ressources  de  son  génie,  et  lui  fournir  les  occa- 
sions et  les  moyens  de  se  livrer  aux  sentimens  généreux 
de  son  cœur,  de  se  dévouer  d'une  manière  utile  à  ses  sem- 
blables. Ses  contes  offrent  tous  des  jeunes  gens,  chez  les- 
quels l'amour  du  travail  a  produit  d'excellens  résultats 
en,  les  plaçant  dans  une  heureuse  position  et  les  mettant 
à  même  de  rendre  de  grands  services  à  leurs  païens ,  de 
devenir  de  bonne  heure  les  soutiens  de  leur  famille.  Le 
meilleur  esprit  anime  ces  petits  récits,  dont  la  trame  est 
simple  et  sans  aucune  teinte  romanesque.  Mais  on  regret- 
tera que  l'auteur  n'ait  pas  su  les  animer  de  couleurs  un 
peu  plus  vives,  leur  donner  un  intérêt  plus  piquant,  et  fon- 
dre d'une  manière  plus  intime  l'intention  avec  le  sujet.  Ces 
lieux  communs  de  morale  qu'on  retrouve  nécessairement 
partout,   ont   besoin   d'être  déguisés  autant   que   possible, 

Îuésentés  d'une  manière  neuve,  et  l'on  doit  surtout  éviter 
e  ton  déclamatoire  qui  n'a  nulle  prise  sur  les  enfans  ,  car 
ils  ne  l'écoutent  ni  ne  l'entendent;  les  plus  étourdis  sautent 
à  pieds-joints  par-dessus  tous  les  passages  de  ce  genre,  les 
autres  les  lisent  sans  y  rien  comprendre,  ce  qui  est  encore 
pis.  Les  faits  parlent  bien  mieux  au  cœur  de  l'enfance,  et 
l'action  qui  remplit  leurs  yeux  de  larmes  les  persuade  et 
les  frappe  cent  fois  plus  que  la  plus  touchante  déclamation. 


LE  ROBUVSON  SUISSE;  histoire  d'une  famille  suisse  jetée  par  un  nau- 
frage dans  une  île  déserte,  par  M.  Hyss,  avec  la  suite  donnée  par 
lui-même;  nouvelle  traduction  de  l'allemand  par  Mme  Elise  Voiart.  — 
Paris,  chez  Didier,  1837.  2  vol.  in-12,  fig.,  8  fr. 

De  toutes  les  nombreuses  imitations  auxquelles  l'immens.' 
succès  du  R  obi  tison  Criisoé  a  donné*  naissance  ,  aucune    nci 


90  RELIGION,   PHILOSOPHIE, 

s'est  approchée  du  modèle  autant  que  celle-ci.  C'est  que 
son  auteur  ne  s'est  pas  servilement  traîné  sur  les  traces  de 
Foé;  il  a  simplement  cherché  à  faire  une  application  diffé- 
rente du  principe  moral  qui  avait  servi  de  base  à  cette  admi- 
rable production.  L'auteur  anglais  nous  montre  quelles  res- 
sources l'homme  isolé  au  milieu  de  la  nature  peut  trouver 
dans  une  résignation  courageuse,  quelle  force  et  quelle  con- 
solation il  puise  dans  les  sentimens  religieux,  et  comment  se 
réalise  cette  parole  que  le  Créateur  semble  avoir  gravée  dans 
tout  ce  qui  nous  entoure  ici-bas  :  Aide-toi,  je  t'aiderai.  M.Wyss 
substitue  à  l'homme  seul  une  famille,  et  les  relations  d'affec- 
tion, de  soumission  respectueuse  et  de  tendresse  maternelle 
viennent  aussitôt  animer  la  scène  et  féconder  le  principe,  en 
lui  fournissant  des  développemens  plus  larges,  des  applica- 
tions plus  en  rapport  avec  la  vie  commune,  et  en  suscitant 
une  foule  d'incidens  d'où  ressortent  des  leçons  mieux  à  la 
portée  des  jeunes  lecteurs  auxquels  le  livre  est  destiné.  Les 
"détails  de  cette  vie  de  travail  et  de  lutte  amusent  la  jeunesse, 
qui  s'intéresse  vivement  à  ces  petits  Robinsons  de  son  âge,  don  t 
elle  partage ,  en  imagination ,  toutes  les  fatigues  et  tous  les 
plaisirs;  elle  écoute  avec  une  sorte  de  respect  les  sages  pré- 
ceptes que  leur  inculquent  ces  païens,  dont  la  plus  chère 
occupation  est  de  faire  concourir  toutes  les  circonstances  au 
progrès  de  leur  éducation  morale;  elle  puise  ainsi  à  la  fois 
dans  cette  lecture  les  principes  les  plus  purs  et  une  foule  de  no- 
tions de  toutes  sortes,  dont  l'acquisition  est  toujours  précieuse. 
Le  seul  reproche  qu'on  ait  pu  adresser  avec  raison  à 
M.  Wyss,  c'est  de  n'avoir  pas  respecté  les  zones  géographi- 
ques que  la  nature  semble  avoir  assignées  à  ses  diverses  pro- 
ductions. Entraîné  par  le  désir  de  compléter  autant  que 
possible  les  leçons  d'histoire  naturelle  qu'il  semait  dans  son 
récit,  il  a  accumulé  dans  l'île  inconnue  les  animaux,  les  plan- 
tes, les  minéraux  de  presque  toutes  les  régions  du  globe.  Mais 
c'est  un  défaut  contre  lequel  il  est  facile  de  mettre  en  garde 
les  enfans  en  les  en  prévenant  une  fois  pour  toutes;  et  d'un 
autre  côté,  il  a  su  en  tirer  un  admirable  parti  pour  leur  offrir 
un  tableau  magnifique  des  œuvres  si  variées  du  Créateur.  Les 
jouissances  nombreuses  et  souvent  faciles  que  se  procurent  ses 
naufragés,  contrastent  aussi  avec  les  dures  privations  et  les 
pénibles  travaux  de  Robinson-Crusoé.  Mais  il  ne  s'est  pas  pro- 
posé un  but  philosophique  aussi  élevé  que  celui  qui  a  con- 
duit la  plume  du  penseur  anglais.  Wvss  n'a  voulu  faire  qu'un 
ouvrage  d'éducation,  capable  d'instruire  et  de  former  la  jeu- 
nesse tout  en  l'amusant,  et  ce  but  est  certainement  atteint, 
car  peu  de  livres  de  ce  genre  ont  obtenu  un  succès  aussi  popu- 
laire. 


MORALE,  EDUCATION.  91 

Ce  fut  madame  de  Montolieu  qui,  la  première,  fit  connaître 
en  France  le  Robinson  Suisse;  l'auteur  n'en  avait  encore  pu- 
blié que  la  première  partie.  La  traductrice  essaya  d'v  ajouter 
une  suite,  tentative  malheureuse,  car  elle  métamorphosa  ce 
récit  simple  et  instructif  en  un  roman  assez  plat.  M.  Wiss  re- 
prit alors  la  plume  et  termina  lui-même  son  œuvre.  Depuis 
deux  ans,  plusieurs  nouvelles  traductions  complètes  ont  paru, 
mais  aucune,  jusqu'ici,  ne  s'était  distinguer  par  le  mérite  du 
style,  et  c'est  avec  plaisir  qu'on  accueillera  celle  de  madame 
Voïart,  connue  d'une  manière  si  avantageuse  dans  le  monde 
littéraire.  Sa  plume  élégante  et  facile  redonnera  en  quelque 
sorte  au  Robinson-Suisse  le  mérite  de  la  nouveauté,  et  pro- 
bablement sa  traduction  ne  tardera  pas  à  être  adoptée  de  pré- 
férence à  toute  autre. 


«=>«  ife-s 


LEGISLATION,    ECONOMIE   POLITIQUE,   COMMERCE. 


DE  L'ÉTAT  ACTUEL  DES  PRISONS  E.\  FRANCE,  considéré  dans  jes 
rapports  avec  la  théorie  pénale  du  Code;  par  L.-M.  Morrau- Chris- 
tophe, sous-préfet,  ancien  inspecteur-général  des  prisons  de  la  Seine. 
Paris,  1837.  In-8.  7  fr.  50  c—  DU  système  cellulaire  DÉ  mit 

pour  la  rét'oime  de  nos  prisons,  par  L. -.!.-,!.  Narquet-l "as.selot , 
directeur  de  la  maison  centrale  de  Loos.  Paris,  1837.  ln-8. 

Voici,  je  crois,  15  à  20  ans  qu'on  s'occupe  en  France  de  la 
réforme  des  prisons.  Brochures  journaux ,  livres,  concours, 
rien  n'a  été  négligé  pour  éclaircir  la  question.  On  a  eu  un 
journal  des  prisons  ;  des  Sociétés  pour  l'amélioration  des  pri- 
sons ;  des  philanthropes  amateurs  voyageant  de  prisons  en 
prisons, criant  contre  les  abus,  recueillant  les  plaintes,  publiant 
des  tableaux  déchirans  de  l'état  abject  dans  lequel  on  laissait 
croupir  les  malheureux  prisonniers.  Ensuite  sont  venu.-, 
des  rapports  sur  les  maisons  pénitentiaires  établies  en  pays 
étrangers  ;  on  a  aussitôt  envoyé  des  commissaires  visiter  ce> 
prisons-modèles  en  Angleterre,  puis  en  Amérique,  puis  en 
Suisse.  Enfin,  les  architectes  se  sont  présentés  à  leur  tour 
munis  de  plans  et  de  devis,  et  en  attendant  que  l'on  puisse 
réformer  le  système  des  réglemens  intérieurs,  on  leur  a  per- 
mis de  changer  celui  des  murailles.  Mais  de  tout  ce  mouve- 
ment qu'est-il  résulté  pour  les  prisonniers?  pas  grand'chose 
jusqu'àprésent.  Livres,  journaux  et  brochures  sont  entassés 
dans  les  bibliothèques;  les  concours  se  sont  lassas;  les  philan- 


02  LÉGISLATION , 

thropeô  ont  fait  leur  chemin  ;  les  commissaires  voyageurs  ont 
trouvé  à  leur  retour  île  belles  places  toutes  prêtes  à   les  rece- 
voir; dévastes  édifices  fort  coûteux  se  sont  élevés  ;  mais  de 
prisons  pénitentiaires,  la  Fiance  n'en  possède  pas  encore  une 
seule  qui  mérite  complètement  ce  nom.  C'est  là  l'histoire  de 
bien  des  questions  soit  de  législation,  soit  d'économie  politi- 
que, soit  d'autre  chose.  On  parle  beaucoup,  on  discute,  on 
écrit,  ou  s'agite;  chacun  cherche  à  s'en  faire  un  marchepied 
pour  grimper;  puis  l'intérêt  particulier  une  fois  satisfait,  l'in- 
térêt général  s'en  tire  comme  il  peut,  personne  ne  lui  vient 
en  aide  dès  qu'il  s'agit  d'application  et  par  conséquent  de 
dévouement,  d'abnégation,  d'efforts  et  de  désintéressement. 
Paris  a  vu  bâtir  une  grandeprison  dans  ces  dernières  années. 
Ce  devait  être  un  pénitencier-modèle,  et,  pour  essai,  l'on  y  a 
transféré  les  jeunes  détenus.  Jusque  là  c'est  fort  bien  sans 
doute,  et  l'on  ne  saurait  qu'applaudir  à  l'idée  de  commencer 
une  telle  expérience  par  ces  pauvres  enfans  qui  plus  que  les  au- 
tres prisonniers  sont  susceptibles  d'être  réformés  par  le  travail 
et  ont  besoin  de  substituer  des  habitudes  d'ordre  et  d'activité 
à  la  paresse  et  au  vagabondage.  Mais,  comme  pour  détuire 
aussitôt  tout  espoir  de  succès,  l'esprit  avide   de  spéculation 
s'est  glissé  dans  l'établissement,  et^a  frappé  de  mort  tout   le 
système  nouveau.  Au  lieu  d'inspecteurs  éclairés  et  philan- 
thropes, capables  d'influer  heureusement  sur  le  moral  de 
ces  jeunes  êtres,  dégradés  par  une  mauvaise  éducation  ou  de 
déplorables  exemples  ,  ce  sont ,  dit-on ,  des  entrepreneurs  qui 
sont  les  maîtres  du  travail,  moyennant  une  somme  qu'ils 
pavent  pour  chaque   enfant   à  1  administration.    Intéressés 
grandement  à  les  faire  travailler  le  plus  possible,  et  se  sou- 
ciant fort  peu,  soit  de  leur  instruction,  soit  de  leur  régénéra- 
tion morale  ,  ilsexigentde  ces  pauvres  malheureux  12  heures 
de  travail  par  jour,  et  ne  les  envoient  à  l'école  qu'une  fois 
tous  les  deux  jours,  pendant  deux  heures,  après  le  travail , 
c'est-à-dire  ,  exténués  de  fatigue  et  plus  disposés  au  sommeil , 
qu'ils  peuvent  à  peine  vaincre,  qu'à  l'étude,  dont  on  ne  sait 
ainsi  leur  faire  sentir  ni  le  mérite  ni  l'utilité  î 

11  y  a  cependant  des  inspecteurs  de  prisons ,  fort  large- 
ment rétribues,  qui  ont  publié  d'excellens  ouvrages  remplis 
des  documens  les  pbis  intéressans  sur  tous  les  avantages  des 
pénitenciers  d'Amérique.  Serait-ce  donc  qu'ils  ne  voient  rien 
qu'avec  un  télescope,  et  que  la  philanthropie  n'a  de  prix  pour 
eux  qu'autant  qu'il  faut  traverser  les  mers  pour  la  cultiver? 
En  présence  de  tels  résultats  ,  on  comprend  l'opposition 
que  rencontre  le  svstème  de  la  réforme  dès  prisons  chez  de 
consciencieux  directeurs  qui  font  leur  devoir  avec  zèle,  et.  em- 
ploient tous  leurs  efforts   à  coi  j -iger  âun*  leur  administration 


ÉCONOMIE  PO Li'liQUE,  ETC.  93 

particulière  les  vices  de  l'ancien  système.  M.  Marquet-Vas- 
selot  est  ainsi  très-fondé  à  rejeter  l'autorité  de  ces  inspecteurs 
géneraiïx  dont  il  a  pu  sans  doute  plus  d'une  fois  apprécier 
soit  la  portée,  soit  les  connaissances  pratiques  en  pareille  ma- 
tière. Mais  il  se  laisse  entraîner  trop  loin  par  sa  défiance  et  ses 
préventions  contre  le  système  cellulaire;  elles  ne  paraissent 
ni  justes  ni  soutenables.  Pourquoi  rejeter  les  faits  énoncés 
dans  l'excellent  ouvrage  de  M.  Lucas  ?  que  signifie  cette  excla- 
mation? Soyons  donc  français!  31.  Marquet-Yasselot  rejette- 
rait-il un  progrès  ,  une  amélioration  ,  par  l'unique  motif  que 
son  origine  est  anglaise,  américaine,  ou  suisse?  Ce  ne  serait 
pas  raisonner  alors,  ce  serait  simplement  montrer  le  bout  de 
l'oreille  de  la  vanité  française. 

—  M.  Moreau-Gliristophe  laisse  bien  percer  aussi  quelque 
peu  ce  sentiment  de  vanité  nationale,  mais  c'est  d'une  ma- 
nière moins  exclusive.  Il  revendique  seulement  pour  la 
France  la  première  idée  des  maisons  pénitentiaires,  qu'il  a 
trouvée  dans  les  écrits  d'un  auteur  français  qui  vivait  bien 
long-temps  avant  qu'on  y  songeât  en  Angleterre  ou  en  Amé- 
rique. Les  Français  ont  tout  inventé  et  n'ont  jamais  su  rien 
utiliser.  C'est  une  cbose  convenue;  ainsi  soit-il  !  Mais,  au 
moins,  M.  Moreau- Christophe  ne  rejette  point  l'application 
que  les  étrangers  ont  su  faire  de  cette  idée,  et,  comme  il  a  été 
aussi  inspecteur-général,  son  opinion  à  cet  égard  mérite  d'être 
prise  en  considération.  Son  livre  offre  une  statistique  curieuse 
des  prisons  de  France;  on  y  trouve  une  foule  de  faits  peu 
connus  et  du  plus  haut  intérêt. 

Les  détails  nombreux  qu'il  donne  sur  le  régime  actuel  des 
prisons  et  sur  les  tristes  résultats  qu'il  enfante,  sont  les  meil- 
leurs argumens  en  faveur  de  la  réforme,  surtout  lorsqu'on 
les  rapproche  de  l'effrayant  calcul  de  M.  Lucas  ,  qui  nous 
apprend  que  chaque  année,  en  France,  c'est  un  total  de 
56,000  individus  que  la  société  envoie  à  l'enseignement  des 
prisons,  et  que  l'enseignement  des  prisons  lui  renvoie.  Le  ta- 
bleau tracé  par  M.  Moreau  expose  à  nu  tous  les  vices  de  la 
vieille  organisation  de  ces  établissemens,  qui  semblent  en 
vérité  avoir  été  destinés  à  corrompre  plutôt  qu'à  régénérer. 
Il  passe  en  revue  les  trois  ordres  de  prisons,  civiles,  crimi- 
nelles et  militaires,  et  toutes  les  diverses  catégories  qui  les 
subdivisent.  Or,  parmi  ces  nombreuses  maisons  de  détention, 
c'est  une  chose  triste  à  dire,  il  n'y  en  a  pas  une  seule  digne  du 
peuple  qui  se  vante  de  marcher  à  la  tète  de  la  civilisation. 


94  LEGISLATION  , 


ItECHEP.C.KKS   HISTOKiQEES  ET   STATISTIQUES  SUH  LA  POPULATION 

de  tiEXÈVE ,  son  mouvement  annuel  et  sa  longévité,  depuis  le  x  vie 
siècle  jusqu'à  nos  jours,  1549-1833;  par  Ed.  Mollet,  docteur  en 
droit,  etc.  —  Paris,  1837.  In-8,  4  fr.  Se  trouve  à  Paris  et  à  Genève, 
chez  Ab.  Cherbuliez  et  compc.,  libraires. 

Cette  monographie  statistique,  si  je  puis  m'exprimer  ainsi , 
bien  qu'elle  ne  concerne  qu'une  petite  population  de  27  à 
30  mille  âmes,  est  néanmoins  du  plus  vif  intérêt  par  les  faits 
et  les  nombreux  tableaux  comparatifs  qu'elle  renferme,  ainsi 
que  par  les  résultats  curieux  qu'elle  fournit.  M.  Mallet  est  par- 
venu, au  moyen  des  documens  qu'il  a  pu  rassembler,  à  retra- 
cer, d'une  manière  assez  complète,  la  marche  de  la  popula- 
tion et  ses  vicissitudes  diverses  dans  la  petite  ville  de  Genève, 
pendant  un  espace  d'environ  trois  siècles.  Mais  il  s'est  plus 
particulièrement  étendu  sur  les  vingt  dernières  années,  c'est- 
à-dire,  de  1814  à  1833,  époque  qui  a  été  surtout  l'objet  de 
ses  études  et  qui  est  certainement  la  plus  intéressante,  puis- 
qu'elle se  lie  au  présent ,  nous  offre  l'état  actuel  de  la  popula- 
tion genevoise ,  et  peut  fournir  de  curieuses  données  sur  ses 
rapports  avec  l'état  de  liberté  et  d'indépendance  dans  lequel 
cette  ville  a  justement  passé  ces  vingt  ans. 

Le  mouvement  de  la  population  peut  en  quelque  sorte 
servir  de  mesure  à  la  prospérité  et  aux  progrès  d'un  pays. 
Tant  qu'un  peuple  s'avance  sur  la  route  de  la  civilisation  ,  on 
voit  la  vie  s'allonger  chez  lui ,  et  le  nombre  proportionnel  des 
décès  diminuer  ;  sauf  toutefois  les  perturbations  qu'amènent 
les  épidémies.  Dès  qu'il  rétrograde,  au  contraire,  les  décès 
augmentent,  la  vie  s'accourcit,  la  population  tend  à  décroî- 
tre; et  cela  est  si  vrai  cpie,  dans  les  tables  de  mortalité,  les 
années  marquées  par  des  guerres  et  des  discordes  civiles  sont 
faciles  à  reconnaître.  Du  xvie  siècle  jusqu'à  la  lin  du  xvnie, 
Genève  éprouva  la  vérité  de  ce  fait.  Sauf  les  obstacles  suscités 
soit  par  la  peste,  qui  à  plusieurs  reprises  régna  dans  la  ville, 
soit  par  la  guerre  contre  la  Savoie  qui  dura  bien  des  années  et 
s'opposa  long-temps  au  rétablissement  de  l'ordre,  de  la  sécu- 
rité, et  à  la  prospérité  de  la  petite  république,  elle  viteonstam- 
ment  sa  population  s'accroître  dans  une  progression  plus  ra- 
pide que  celle  du  nombre  des  décès.  En  sorte  que,  «  tandis 
qu'au  xvie  siècle  il  mourait  annuellement  un  individu  sur 
vingt-cinq,  il  n'en  meurt  plus  au  xvuie  qu'un  sur  trente- 
quatre.  » 

En  1814,  Genève,  rendue  à  sa  nationalité  indépendante, 
offre  bientôt  des  résultats  plus  frappa  ns  dans  la  marche  de  sa 
population.  Pour  les  bien  apprécier  ,  suivons  M.  Mallet  dans 
les  divisions  de  son  ingénieux  travail. 


ECONOMIE  POLITIQUE,  ETC.  95 

11  dresse  d'abord  le  tableau  «les  naissances,  et  en  examiné  les 
diverses  parties.  La  diminution  progressive  du  nombre  des 
enfans  naturels  est  un  fait  reniai  quable  qui  prouve  l'amélio- 
ration des  mœurs;  car,  sous  l'empire  français,  il  y  avait  à  Ge- 
nève un  sixième  d'en  fans  naturels,  et  aujourd'hui  il  n'y  en  a 
plus  que  7  à  8  p.  0J0.  Une  diminution  assez  sensible  se  fait  sen- 
tir également  sur  les  morts-nés  et  indique  probablement  les 
progrès  dans  l'art  des  accoucbemens.  Un  tableau  des  couches 
doubles  présente  les  résultats  de  recherches  assez  curieuses. 
Les  mariages  et  divoices  fournissent  à  l'auteur  l'occasion 
d'examiner  quel  est  l'âge  moyen  matrimonial  le  plus  avanta- 
geux pour  une  population.  Cette  question  ne  peut  être  résolue 
que  d'une  manière  relative,  en  ayant  égard  au  climat  du  pavs. 
à  son  état  de  civilisation  et  de  prospérité.  Genève  parait  pen- 
cher vers  les  mariages  tardifs  ou  du  moins  d'âge  mùr,  car  le 
plus  grand  nombre  des  époux  se  trouve  dans  la  période  de  .30 
à  40  ans  pour  les  deux  sexes. 

De  ces  diverses  données,  M.  ÎMallet  fait  ressortir  le  chemin 
que  la  population  de  Genève  a  parcouru  depuis  trois  siècles  . 
«  Douée,  dit-il,  dans  l'enfance  de  sa  civilisation  d'une  fé- 
condité prodigieuse,  qu'accompagnait  une  excessive  morta- 
lité, elle  a,  petit  à  petit,  vu  diminuer  l'une  et  l'autre,  et 
corrélativement  sa  population  accroître,  sa  prospérité  aug- 
menter d'une  manière  surprenante.  Dans  les  dix  dernières 
années  du  xvnf  siècle,  un  mariage  produisait  encore  cinq  en- 
fans  et  plus;  la  vie  probable  n'arrivait  pas  à  20  ans,  et  Ge- 
nève comptait  à  peine  17,000  habitans.  Vers  la  lin  du  xvnie, 
il  n'y  avait  guère  plus  de  trois  enfans  par  mariage,  la  vie  pro- 
bable dépassait  32  ans,  et  Genève  avait  atteint  le  chilbe  de 
26,000  habitans.  Aujourd'hui,  un  mariage  ne  produit  plus 
que  2  3/4  enfans,  la  vie  probable  est  de  45  ans,  et  Genève, 
qui  dépasse  27,000  âmes  ,  est  arrivé  à  un  haut  degré  de  civili- 
sation et  de  prospérité  matérielle.  Maintenant,  le  terme  de 
la  diminution  des  naissances  parait  atteint,  et  il  est  difficile 
d'admettre  comme  probable  un  abaissement  ultérieur  un  peu 
fort  dans  le  chiffre  déjà  si  faible  des  naissances.  La  population 
semble  avoir  fait  son  effort,  et  s'est  accrue  dans  son  étroite  en- 
ceinte, de  telle  sorte  que  la  reproduction  ne  tend  plus  aujour- 
d'hui qu'à  réparer  les  pertes  occasionées  par  la  mortalité.  » 

Qui  expliquera  ce  singulier  phénomène  ,  dans  lequel  on  re- 
connaît encore  la  sage  prévoyance  de  la  nature  qui  semble 
avoir  ainsi,  par  une  loi  d'équilibre,  mis  des  bornés  à  l'accrois- 
sement indéfini  de  la  population?  C'est  encore  un  de  ces  mys- 
tères dont  l'homme  est  entouré  ici-bas  et  contre  lesquels  il  ne 
peut  manquer  de  se  heurter  dès  qu'il  veut  approfondir  une 
science  quelconque. 


96  LEGISLATION , 

Genève  est  la  viUe  qui  élève  le  plus  grand  nombre  d'enfans, 
parmi  celles  qui  ont  été  l'objet  de  recherches  statistiques. 
Mais,  par  une  bizarre  compensation,  c'est  aussi  celle  où  l'on 
voit  le  moins  d'hommes  qui  passent  90  ans.  A  mesure  que  la 
vitalité  des  enfans  augmentait,  le  nombre  des  centenaires  a 
diminué  jusqu'à  être  réduit  à  0;  les  20  années  explorées  par 
M.  Mallet  n'en  offrent  pas  un  seul. 

Les  tables  de  décès  et  leur  comparaison  ont  conduit  l'auteur 
à  d'intéressantes  digressions  sur  la  détermination  de  la  vie 
probable  et  de  la  vie  moyenne,  sur  les  calculs  par  lesquels  on 
peut  les  établir  et  sur  la  différence  qui  existe  entr'elles.  Ayant 
travaillé  sur  une  période  de  vingt  années,  pour  lesquelles  il 
avait  les  documens  les  plus  exacts  et  les  plus  complets,  il  a  pu 
hasarder  quelques  essais  de  théorie  statistique,  et  cela  avec 
d'autant  plus  de  raison,  que  Genève  peut  être  considérée 
comme  un  modèle  en  petit  du  vaste  mouvement  social.  «  Ge- 
nève étant  très-avancée  en  civilisation ,  l'état  actuel  de  sa 
population  peut  faire  conjecturer  l'état  futur  des  grandes 
masses;  elle  peut,  transparente  ruche  d'abeilles,  servir  au 
philosophe  pour  étudier  avec  un  verre  grossissant  la  marche 
graduelle  de  l'ensemble.  » 

A  la  suite  de  ce  mémoire  se  trouve  une  notice  sur  les  an- 
ciennes pestes  de  Genève,  dans  laquelle  M.  Mallet  compare 
les  détails  statistiques  qu'il  a  pu  rassembler  à  ce  sujet  avec 
ceux  publiés  sur  l'épidémie  du  choléra  de  Paris  ,  en  1832. 

Il  résulte  de  cette  curieuse  comparaison  que  la  peste  est, 
jusqu'à  trente  ans,  plus  pernicieuse  que  le  choléra,  tandis  que, 
passé  cet  âge,  la  mortalité  pestilentielle  devient  toujours  plus 
inférieure  à  la  mortalité  cholérique.  «  Le  règne  du  premier 
»  de  ces  fléaux  finit  quand  celui  de  l'autre  commence.  » 

Il  est  fâcheux  que  l'absence  totale  de  documens  sur  la  na- 
ture des  maladies  souvent  diverses  que  nos  ancêtres  compre- 
naient toutes  sous  la  dénomination  de  peste,  ait  empêché  que 
ce  travail  comparatif  fut  poussé  plus  loin  ,  car  il  aurait  sans 
doute  amené  des  résultats  du  plus  haut  intérêt. 


LA  propagande  russe  A  paris  :  examen  des  fragmens  et  considé- 
rations de  M.  le  Baron  d' Eckstcin  sur  le  passé,  le  présert  et  l'avenir 

-  de  l'Espagne;  par  Augustin  Chaho.  —  Paris,  chez  Mmc  Goullct;  Ge- 
nève, chez  Ah.  Cherbuliez  et  comp-c.  1837.  In-8,  1  fr.  50  c. 

Le  gros  et  lourd  volume  de  M.  d'Eckstein  a  excité  la  verve 
de  M.  Cbaho  ,  et  lui  a  inspiré  une  vigoureuse  satire  contre  les 
nuages  mystiques  sous  lesquels  le  noble  baron  cache  ses  pen- 


ÉCONOMIE  POLITIQUE,  ETC.  97 

sées  anti-sociales.  M.  Chaho,  dans  sa  brochure,  donne  car- 
rière à  son  esprit  qui  nous  a  paru  vif  et  mordant.  Il  repousse 
les  accusations  absurdes  lancées  contre  la  civilisation,  et  dé- 
fend l'Espagne  contre  les  attaques  de  M.  d'Eckstein.  Le  sui- 
vant pas  à  pas  dans  toutes  ses  divagations,  il  l'accable  des  sar- 
casmes les  plus  sanglans  ;  il  le  fustige  sans  pitié  et  le  dénonce 
en  quelque  sorte  au  mépris  et  à  l'indignation  du  public. 

C'est  attacher,  il  nous  semble,  une  bien  grande  importance 
à  un  livre  obscur  qui  n'a  pas  eu  le  moindre  retentissement,  et 
qui,  s'il  était  capable  de  faire  quelque  mal,  porte  avec  lui  son 
contre-poison  le  plus  sûr  dans  l'ennui  profond  que  sa  lecture 
occasionne.  Qu'importent  les  aberrations  volontaires  ou  non 
d'un  esprit  nébuleux,  qui  parle  le  plus  souvent  un  langage 
incompréhensible,  et  se  renferme  habituellement  dans  un 
cercle  de  pensées  étranges  qui  ne  sauraient  trouver  dans  le 
public  aucun  écho  sympathique?  M.  Chaho  pouvait  mieux 
employer  son  temps  et  son  talent  d'écrivain.  Mais  il  a  cédé 
à  un  mouvement  d'indignation.  Il  a  cru  découvrir,  au  milieu 
de  ce  fatras,  des  intentions  de  propagande  russe.  Il  a  vu,  dans 
l'auteur  des  Fragmcns  et  Considérations  sur  l'Espagne,  un 
agent  de  cette  haute  police  qui,  du  fond  de  l'Europe  septen- 
trionale étend,  dit-on ,  ses  réseaux  et  son  action  sur  presque 
toutes  les  contrées  du  monde;  un  successeur  de  Kotzebue  qui, 
lui  aussi,  calomniait  la  société  française,  et  semblait  avoir 
voué  sa  plume  à  l'œuvre  du  despotisme  et  de  la  barbarie. 
M.  d'Eckstein  lui  est  apparu  comme  un  enfant  du  nord  ap- 
pelant les  Cosaques  et  les  Tartares  à  la  conquête  de  ces  belles 
contrées  du  midi,  dont  il  prend  plaisir  à  leur  décrire  tous  les 
charmes,  toutes  les  jouissances,  afin  d'exciter  leurs  désirs  et 
de  hâter  leur  marche.  C'est,  selon  M.  Chaho,  une  nouvelle 
invasion  de  barbares  qui  menace  l'Europe  méridionale  d'un 
sort  pareil  à  celui  qu'éprouva  jadis  l'empire  romain. 

On  conçoit  qu'avec  une  pareille  conviction,  notre  jeune  écri- 
vain n'ait  pu  retenir  sa  colère  qui  devient  alors  juste  et  com- 
préhensible. Mais  on  ne  peut  s'empêcher  de  reconnaître  aussi 
qu'il  y  a  chez  lui  une  forte  prévention  contre  tout  ce  qui  est  du 
nord.  Pour  repousser  les  accusations  d'ignorance  etde  barbarie 
adressées  à  la  nation  espagnole,  il  récrimine  par  de  sembla- 
bles accusations  contre  les  peuples  de  races  Scandinave,  mos- 
covite ou  germaine.  On  dirait,  à  l'entendre,  qu'au-delà  de  la 
France  il  n'y  a  plus  au  nord  que  barbares  ,  et  la  docte  Alle- 
magne et  les  lumières  de  la  Suède,  de  la  Norvège  et  du  Da- 
nemarcksont  assimilées  par  lui  aux  Cosaques  et  aux  Pandours. 
C'est  avec  peine  qu'on  voit  ces  préjugés  nationaux  maîtriser 
hii  bomme  d'un  esprit  aussi  éclairé,  aussi  supérieur,  qui  ne 
devrait  pas  oublier  que  dans  toute  discussion,  si  l'on  veut  ob- 


ft8  LEGISLATION, 

tenir  quelque  avantage  sur  son  adversaire,  il  ne  faut  jamais 
laisser  la  passion  étouffer  la  voix  de  son  propre  bon  sens. 
Si  réellement  il  existe  une  propagande  russe  qui  ait  pour 
but  l'envahissement  de  l'Europe  et  la  destruction  de  notre 
civilisation  moderne,  les  peuples  intermédiaires  entre  la  Rus- 
sie et  la  France  ont  le  même  intérêt  à  la  repousser;  et  les 
appeler  barbares,  les  blesser  dans  leur  orgueil  national, 
c'est  indisposer  d'avance  des  alliés  dont  on  ne  pourra  se  pas- 
ser dans  le  moment  du  danger.  Heureusement  toutes  ces 
hypothèses  sont  bien  éloignées  de  la  réalité.  Les  guerres  de 
conquête  deviennent  de  plus  en  plus  difficiles  en  Europe. 
Ce  fut  à  des  espérances  de  liberté  que  la  République,  et  en- 
suite Napoléon  durent  la  plus  grande  partie  de  leurs  succès, 
et  ces  mêmes  peuples,  qui  avaient  accueilli  le  drapeau  trico- 
lore comme  un  signe  libérateur,  déçus  dans  leur  espoir,  irri- 
tés par  les  vexations  les  plus  despotiques,  furent  de  nouveau 
séduits  par  l'appât  de  l'indépendance  ,  et  se  levèrent  en 
masse  contre  la  France  à  la  voix  de  leurs  princes,  qui  leur 
promettaient  des  chartes  et  des  libertés.  Voilà  les  mobiles 
qui  pourront  encore  une  fois  peut-être  agiter  l'Europe  d'un 
bout  à  l'autre,  mais  les  vociférations  des  barbares  et  leur  rage 
aveugle  seraient  impuissantes  aujourd'hui  pour  conquérir  et 
surtout  pour  fonder  un  empire  durable.  Notre  civilisation 
actuelle  ne  ressemble  guère  à  cette  civilisation  antique,  dans 
laquelle  la  classe  la  plus  nombreuse  était  celle  des  esclaves, 
qui,  loin  de  courir  à  la  défense  de  la  patrie,  avaient  tout  in- 
térêt à  y  appeler  la  guerre,  le  désordre  et  le  pillage.  D'ail- 
leurs l'empire  romain ,  successivement  agrandi  par  la  con- 
quête, composé  d'innombrables  provinces  qui  ne  connais- 
saient de  Rome  que  ses  proconsuls  avides  et  leurs  exactions 
de  toute  sorte,  manquait  de  l'esprit  national  qui  fait  la  puis- 
sance des  états,  et  se  trouva  sans  force  morale  pour  résister 
à  ces  peuplades  guerrières  dont  le  nombre  toujours  croissant 
finit  par  accabler  ses  légions. 


DE  LA  RÉEOBME  ANGLAISE  et  de  ses  suites  probables,  par  M.  de  Pradt. 
Paris,  1837.  In-8,  5  fr. 

La  réforme  anglaise  n'a  pas  le  don  de  plaire  à  Monseigneur 
l'ancien  archevêque  de  Malines.  C'est  très-fàcheux,  en  vérité, 
mais  pour  lui,  plus  que  pour  elle,  je  pense,  car  >dle  ne  s'en 
soucie  guère.  Ces  prophètes  politiques  qui  s'en  vont  disser- 
tant à  l'infini  sur  les  résultats  probables  d'événemens  non 
encore  accomplis,  et  dont  nul  ne  peut  prévoir  les  incidens  et 


SCIENCES  ET  ARTS.  99 

les  circonstances  dont  ils  pourront  être  accompagnés,  sont 
souvent  curieux  par  l'aplomb  avec  lequel  ils  prononcent  leurs 
sentences  pour  ou  contre  tel  ou  tel  système.  En  vain,  les 
laits  viennent-ils  contredire  leurs  prévisions,  ils  ne  se  décon- 
certent pas  pour  si  peu,  et,  confians  dans  l'amour  du  public 
pour  tout  ce  qui  a  quelque  apparence  de  merveilleux,  ils  re- 
commencent à  nouveaux  frais  dès  que  l'occasion  s'en  pré- 
sente. M.  de  Pradt  a,  plus  que  nul  autre  écrivain  du  même 
genre,  profité  de  cette  faiblesse  humaine  ;  on  se  rappelle  ses 
nombreux  écrits  à  propos  de  tous  les  événemens  politiques  de 
quelque  importance,  et  le  brillant  succès  qu'ils  ont  presque 
tous  obtenu.  Il  est  juste  d'ajouter  que  M.  de  Pradt  a  fait 
preuve  d'un  talent  remarquable,  soit  par  son  style,  soit  par  la 
sagacité  qu'il  a  souvent  montrée  dans  son  appréciation  des 
faits  et  de  leurs  conséquences.  Mais  il  a  aussi  souvent  erré,  et 
aujourd'hui,  je  crois,  plus  que  jamais.  Il  prétend  que  la  ré- 
forme est  tout-à-fait  intempestive  en  Angleterre;  qu'elle  n'y 
était  ni  urgente  ni  nécessaire  ,  et  qu'elle  ne  tardera  pas  à  je- 
ter, cette  contrée  dans  les  bouleversemens  révolutionnaires. 
Il  prononce  maintes  accusations  d'impuissance  et  d'incapa- 
cité contre  les  assemblées  parlementaires.  Selon  lui,  celles-ci 
n'ont  jamais  rien  fait  de  bon,  tandis  qu'une  main  ferme  et 
puissante,  un  despote,  grand  roi  ou  grand  empereur,  crée  tou- 
jours les  choses  les  plus  grandes  et  les  plus  nobles.  De  sembla- 
bles assertions,  qui  conduisent  directement  à  l'adoration  du 
pouvoir  absolu,  n'ont  pas  besoin  d'être  réfutées;  tout  homme 
qui  raisonne  en  comprendra  facilement  la  portée,  et  par  con- 
séquent le  cas  qu'il  doit  en  faire. 

Mais  du  reste ,  M.  de  Pradt  dit  n'avoir  pris  la  plume  que 
dans  l'intérêt  même  de  l'Angleterre.  Il  ne  partage  point  la 
sotte  jalousie  qui  inspire  à  tant  de  gens  une  haine  absurde  con- 
tre ce  pays  de  civilisation  et  d'industrie,  dont  les  habitans  ont 
porté  par  toute  la  terre,  avec  eux,  les  germes  du  progrès,  du 
travail,  de  la  prospérité  et  de  la  liberté. 


-"^"sra^gjjtQv^a* 


100  SCIENCES  ET  ARTS. 

SCIENCES     ET    ARTS 


ESSAI  ET  EXPÉRIENCES  SUR  LE  TIRAGE  DES  VOITURES  ,   et  sur   IjC 

frottement  de  seconde  espèce,  suivis  de  considérations  sur  les  di- 
verses espèces  de  roues,  la  police  du  roulage  et  la  construction  des 
routes;  par  M.  /.  Dupuis.  ln-8,  fig. 

Recherches  savantes  et  consciencieuses,  dont  l'administra- 
tion devrait  profiter  pour  travailler  à  améliorer  les  routes  et  à 
réprimer  les  abus  dangereux  qu'entraîne  trop  souvent  l'in- 
fraction des  réglemens  de  police  au  sujet  du  chargement  des 
voitures,  de  la  largeur  des  roues,  etc.  etc. 


TRAITÉ  l>E  L'ART  DE  LA  CHARPEXTERIE  ,    par  A.-R.  £/»r.  Tom.  1er- 
—  Paris,  1837.  In-4  et  atlas  de  50  pi.,  3G  fr. 

Bel  ouvrage  exécuté  avec  soin,  et  qui,  lorsqu'il  sera  terminé, 
offrira  le  traité  le  plus  complet  sur  cette  matière. 


RIRLIOGRAPH1E  ENTOMOLOGIQUE  ,  par  A.  Percheron.  —  Paris,  1837. 
2  vol.  in-8,  14  fr. 

Cet  ouvrage,  fruit  de  recherches  nombreuses,  contient  l'in- 
dication, par  ordre  alphabétique  de  noms  d'auteurs  :  l°des 
ouvrages  entomologiques  publiés  en  France  et  à  l'étranger, 
depuis  les  temps  les  plus  reculés  jusques  et  y  compris  l'an- 
née 1834;  2°  des  monographies  et  mémoires  contenus  dans 
les  recueils,  journaux  et  collections  académiques  françaises  et 
étrangères.  L'auteur  y  a  joint  d'intéressantes  notices  sur  les 
ouvrages  périodiques,  les  dictionnaires  et  les  mémoires  de  so- 
ciétés savantes  qui  concernent  l'entomologie.  Enfin,  une  ta- 
ble méthodique  et  chronologique  des  matières  facilite  toutes 
les  recherches  dans  cette  bibliographie,  dont  la  publication 
semble  fort  opportune  en  ce  moment,  où  les  travaux  d'un 
grand  nombre  de  savans  sont  dirigés  vers  cette  partie  de  l'his- 
toire naturelle. 


UMtRlE    DE    BEAU,    A    BAINT-GERmW— ï 


Bulktin  iTtttirair* 

ET  SCIENTIFIQUE. 

5e  ÊLuuée.  —  oA^  4.  —  (SUtf  1837. 


LITTERATURE,    HISTOIRE. 


LETTRES  D'UN  VOYAGEUR,  par  Georges  Sand.  —Paris,  1837;  2  vol. 
in-8,  16  fr. 

Georges  Sand,  cet  homme-femme,  ou  si  vous  aimez  mieux 
cette  femme-homme,  dont  tous  les  écrits  ont  le  privilège 
d'être  regardés  comme  autant  de  chefs-d'œuvre  que  la 
critique  ose  à  peine  effleurer ,  quitte  aujourd'hui  le  roman 
pour  se  lancer  dans  la  métaphysique,  la  religion,  la  philo- 
sophie. Il  est  vrai  qu'au  dire  de  ses  admirateurs,  Indiana, 
Valentine,  Lélia,  etc.  n'étaient  déjà  que  d'ingénieuses  fictions 
sous  lesquelles  se  cachait  l'audacieux  novateur  pour  ébranler 
sourdement  les  colonnes  de  l'ordre  social,  en  attendant  qu'il 
se  sentît  de  force  à  les  étreindre  et  à  les  briser  dans  ses  bras. 
Que  de  fois  n'a-t-on  pas  répété  que  ces  romans  préparaient 
une  révolution  complète  dans  les  mœurs,  ouvraient  un  nou- 
vel avenir  aux  femmes  ,  et  anéantissaient  à  tout  jamais  la 
famille,  vieille  ruine,  disait-on,  que  le  premier  pas  de  l'hu- 
manité sur  la  route  du  progrès  ferait  crouler  ! 

Les  Lettres  d'un  Voyageur  ne  sont  donc  que  la  suite  de  ce 
grand  œuvre,  auquel  Georges  Sand  a  consacré  sa  plume  et  son 
talent,  comme  ces  dignes  alchimistes  du  temps  passé  qui 
vouaient  leur  fortune  et  leur  existence  à  la  recherche  de  la 
pierre  philosophale.  Après  avoir  soufflé  leur  feu  et  rougi  leur 
creuset  pendant  trente  ou  quarante  ans,  de  tous  leurs  efforts 
il  ne  restait  le  plus  souvent  que  quelques  scories  brillantes  , 
mais  informes  et  inutiles.  Et  que  d'explosions  dangereuses 
ils  avaient  causées,  combien  de  fois  ils  avaient  aspiré  des  ex- 
halaisons perfides,  que  de  poisons  mortels  devaient  leur  nais- 
sance à  leurs  continuels  et  hardis  essais  de  mixtions  ! 

Les  voyages  ne  sont,  pour  Georges  Sand,  qu'un  prétexte 
pour  divaguer  à  son  aise  à  propos  de  tous  les  incidens  de  la 
route,  et  pour  faire  de  l'art,  comme  on  dit,  à  propos  de  bottes. 
Ne  lui  demandez  donc  pas  des  descriptions  de  pavs ,  des  ob- 


Wi  LITTÉRATURE, 

servations  de  mœurs.  Ce  qui  l'occupe  exclusivement,  pariout 
et  en  toute  circonstance,  c'est  sa  propre  personne,  c'est  ce  cjni 
la  concerne  ou  se  rapporte  directement  à  elle,  et  ce  qui  la  met 
en  scène  de  la  manière  la  plus  capable  d'intéresser  ce  public 
parisien  dont  elle  ne  veut  pas  être  oubliée  un  seul  instant. 
Ne  cherchez  donc  pas  dans  ses  Lettres  l'Italie  ni  la  Suisse. 

De  Venise  elle  n'a  vu  que  la  gondole  dans  laquelle  elle 
pose  nonchalamment  étendue  en  face  des  rameurs,  dont  les 
formes  athlétiques  et  les  mâles  figures  font  d'autant  mieux 
ressortir  la  grâce  de  ses  attraits  féminins.  En  Suisse,  l'amphi- 
théâtre des  montagnes  n'est  pour  elle  qu'une  espèce  d'enca- 
drement qu'elle  relègue  au  fond  du  tableau,  afin  que  rien  ne 
nuise  à  l'effet  qu'elle  veut  seule  produire.  Au  milieu  des  Al- 
pes, au  pied  du  Mont-Blanc,  devant  la  mec  de  glace,  à  Cha- 
mouni  en  un  mot,  elle  n'a  vu  que  la  chevelure  de  Litz,  la 
figure  d'Hermann  et  sa  blouse  crottée.  Et  voilà  l'écrivain 
qu'on  proclame  un  grand  poète ,  qu'on  ose  placer  à  côté ,  je 
crois  même  au-dessus  de  Jean-Jacques  Rousseau  ! 

Mais,  dira-t-on ,  Georges  Sand  n'a-t-il  pas  un  admirable 
style  ,  une  imagination  forte  ,  une  grande  profondeur  de 
pensée? 

Pour  le  style  et  l'imagination ,  d'accord  ;  si  toutefois  vous 
n'entendez  par  le  style  que  l'harmonie  des  mots  et  la  sou-, 
plesse  des  phrases,  par  l'imagination  que  la  puissance  d'in- 
venter des  scènes  hors  de  nature,  des  idées  qui  sont  hostiles 
à  tout  ce  qui  existe.  Sans  doute  il  se  trouve  dans  ses  œuvres 
telle  page  plus  harmonieuse  à  l'oreille  que  maintes  poésies . 
et  l'auteur  paraît  tenir  si  fortement  à  être  original  qu'il  n'i- 
mite pas  même  la  nature.  Mais  qu'est-ce  qu'un  livre  bien  écrit 
s'il  est  mal  pensé,  et  que  signifie  une  imagination  forte  qui 
n'enfante  que  des  monstruosités  ou  des  niaiseries?  Ce  peut 
être  de  l'art  ou  du  savoir-faire  littéraire,  mais  à  coup  sûr  ce 
n'est  pas  du  génie.  Le  sophisme  a  certainement  quelquefois 
beaucoup  d'attrait,  surtout  lorsqu'il  est  manié  par  une  main 
habile.  Ainsi  Rousseau,  exerçant  son  esprit  à  plaider  en  fa- 
veur de  l'état  sauvage  contre  la  civilisation,  séduit  par  son 
éloquence  et  gagne  sa  cause  en  entraînant  ses  juges.  Mais 
c'est  qu'une  fois  entré  dans  la  carrière ,  il  marche  d'un  pas 
ferme  vers  son  but  et  suit  logiquement  les  conséquences  du 
premier  principe  posé.  Si  je  puis  m'exprimer  de  la  sorte,  il 
raisonne  même  en  déraisonnant,  et  ne  se  contente  pas  de  je- 
ter en  l'air  des  traits  qui  frappent  au  hasard.  On  n'endosse 
pas  l'habit  du  sophiste  par  caprice  comme  une  robe  de  bal 
ou  une  parure  à  la  mode.  Il  faut  quelque  cbose  de  plus  que 
il-  l'esprit  pour  se  poser  en  adversaire  de  ce  qui  est  généra- 
lement regardé  connue  h-  vrai  et  le  bon.  Ce  ne  sont  pas  quel- 


HISTOIRE.  10."? 

ques  formes  antiques  adaptées  à  notre  langage  du  jour  qui 
suffisent  pour  lui  donner  une  allure  inspirée.  Cette  origina- 
lité recherchée  et  acquise  n'est  qu'un  charlatanisme  sans  va- 
leur. 

Il  règne  dans  toutes  ces  lettres  une  forte  teinte  de  mysan- 
thropie  et  de  sarcasme,  qui  contraste  d'une  bizarre  manière  à 
côté  des  futilités  dont  s'occupe  souvent  l'esprit  de  l'auteur, 
faisant  de  la  poésie  avec  le  moindre  petit  brin  d'herbe ,  et 
affectant  parfois  un  ton  de  viveur  qui  sent  l'estaminet. 

Et  cependant,  pour  peu  que  l'on  creuse  l'œuvre  de  Georges 
Sand,  au-dessous  de  cet  extérieur  brillant,  moqueur,  auda- 
cieux, on  trouvera  l'expression  triste  et  tourmentée  d'une 
âme  en  peine,  qui,  après  s'être  en  quelque  sorte  placée  au  ban 
de  la  société  en  foulant  aux  pieds  ses  lois,  n'a  rien  trouvé  de 
mieux  à  faire  que  de  se  révolter  contre  elle  et  de  l'accuser  de 
tous  ses  malheurs.  Lutte  insensée,  où,  malgré  tout  son  esprit, 
l'écrivain  brisera  vainement  sa  plume  contre  la  cuirasse  du 
corps  social. 

Notre  critique  est  vive  et  peu  courtoise  sans  doute,  mais 
les  attaques  de  Georges  Sand  contre  la  société  sont  rudes 
aussi,  et  je  ne  vois  pas  pourquoi  la  défense  ménagerait  da- 
vantage ses  coups.  D'ailleurs,  je  ne  crains  pas  que  ma  fran- 
chise soit  suspectée  d'esprit  départi  ou  de  cotterie  ;  en  dehors 
de  ce  qu'on  appelle  le  monde  littéraire  ,  penseur  obscur  ren- 
fermé dans  mon  intérieur  ,  et  n'écrivant  que  d'après  mes  pro- 
pres convictions,  je  suis  le  premier  à  reconnaître  que  nous  ne 
vivons  pas  ici-bas  dans  le  meilleur  des  mondes  possibles,  et 
que  dans  notre  état  social  on  rencontre  à  chaque  pas  mille 
abus  repoussans,  qui  froissent  et  qui  heurtent.  Mais  la  ré- 
volte et  le  sarcasme  me  semblent  de  bien  pitoyables  moyens 
de  réforme ,  et,  l'homme  paraissant  un  être  essentiellement 
destiné  à  vivre  en  société,  je  ne  puis  concevoir  qu'on  prétende 
commencer  cette  réforme  en  détruisant  la  famille,  qui  est  la 
condition  première  de  toute  civilisation  et  de  tout  bonheur. 
Il  est  vrai  qu'à  la  lin  dés  Lettres  d'un  Voyageur,  Georges  Sand, 
s'adressant  à  M.  Nisard,  et  répondant  aux  diverses  critiques 
dont  ses  ouvrages  ont  été  l'objet,  déclare  qu'il  n'a  jamais  eu 
l'intention  d'attaquer  le  mariage  même  et  de  refaire  une 
nouvelle  charte  constitutionnelle.  On  acceptera  avec  plaisir 
sans  doute  cet  aveu  qui  prouve  en  faveur  du  bon  sens  de  l'é- 
crivain; mais  alors  que  signifient  tant  de  belles  pages  décla- 
matoires, tant  d'amères  dérisions,  tant  d'accusations  passion- 
nées que  sa  plume  a  semées  dans  tous  ses  écrits?  Ce  n'est  donc 
plus  que  du  papier  bon  à  jeter  au  feu.  Georges  Sand  avoue 
que  le  mariage,  tel  que  l'enseignent  l'Evangile  et  le  Code,  est 
une  excellente  institution  ,  et  convient  avec  M.  Nisard  qu'on 


104  LITTÉRATURE, 

ne  doit  pas  faire  d'un  cas  exceptionnel  la  base  d'une  con- 
damnation sans  appel  contre  l'état  social  tout  entier.  Puis, 
s'apercevant  peut-être  que  par  cette  concession  il  donne  des 
armes  à  ses  adversaires,  il  fait  aussitôt  ses  réserves,  en  ajou- 
tant que  l'indulgence  excessive  accordée  aux  vices  et  aux  dé- 
sordres chez  l'homme  justifie  l'inconduite  chez  la  femme.  Il  y 
a  certainement  quelque  chose  de  vrai  dans  cette  thèse;  mais 
je  pense  seulement  qu'on  ne  doit  pas  la  poser  ainsi.  Il  faut 
demander  à  la  société  plus  de  sévérité  pour  l'homme,  récla- 
mer l'égalité  des  deux  sexes  devant  le  tribunal  de  la  morale  ; 
mais  frapper  aussi  de  la  réprobation  la  plus  complète  là 
femme  qui  se  croit  autorisée  par  les  vices  de  son  mari  à  se 
livrer  au  désordre ,  à  rompre  les  liens  de  la  famille  ,  à  se  cons- 
tituer femme  libre  dans  le  sens  Saint-Simonien. 

Il  y  a  du  reste  ample  provision  d'esprit  chez  Georges  Sand, 
et  la  plupart  de  ses  défauts  viennent  de  l'adulation  désor- 
donnée dont  ses  amis  l'entourent.  Plus  d'une  fois  sans  doute 
il  lui  est  arrivé  de  se  faire  l'aveu  de  sa  propre  faiblesse ,  de 
reconnaître  le  vide  de  tout  ce  semblant  de  philosophie  qui 
veut  en  vain  cacher  le  malaise  d'une  âme  en  proie  au  doute  le 
plus  pénible. 

«  Mais,  »  nous  avoue-t-il  lui  même  dans  une  de  ses  lettres, 
«  mon  orgueil ,  d'abord  souffrant  et  abattu  ,  se  releva  ,  et  dé" 
»  cida  que ,  pour  être  éreinté ,  je  n'en  étais  pas  moins  un  bon 
»  marcheur  et  un  rude  casseur  de  pierres 

»  Et  je  repris  ma  route,  en  boitant  et  tombant ,  disant  tou- 
»  jours  que  je  marchais  bien,  que  les  chutes  n'étaient  pas  des 
»  chutes,  que  les  pierres  n'étaient  pas  des  pierres  ;  et  quoique 
»  plusieurs  se  moquassent  de  moi  avec  raison,  plusieurs  au- 
»  très  me  crurent  sur  parole,  parce  que  j'avais  ce  que  les 
»  artistes  appellent  de  la  poésie  ,  ce  que  les  soldats  appellent 
»  de  la  blague.  » 

On  ne  saurait  donner  une  appréciation  plus  juste  du  ta- 
lent et  des  succès  de  Georges  Sand.  Ce  petit  fragment  prouve 
que  l'écrivain  se  connaît  encore  mieux  que  personne. 


DE  PRÈS  ET  DE  LOIN,  roman  conjugal,  par  P.  L.  Jacob.  — Paris, 
chez  Magen  ;  1837,  2  vol.  in-8.  15  fr. 

Roman  anti-conjugal  plutôt;  car  il  est  fait  pour  donner  une 
triste  idée  du  mariage.  Il  est  vrai  heureusement  que  tous  les 
époux  ne  ressemblent  pas  à  ceux  que  l'auteur  met  en  scène, 
et  que  l'amour  ne  se  montre  pas  toujours  aussi  aveugle  dans 
les  unions  qu'il  forme.  Mais  on  reconnaîtra  dans  l'exemple 


HISTOIRE.  10j 

qu'il  a  choisi  un  type  dont  l'espèce  n'est  pas  raie  non  plus, 
et  pour  cette  fois  du  moins  M.  P.  L.  Jacob  a  copié 
la  nature  avec  une  grande  vérité  :  j'ajouterai  qu'en  adop- 
tant pour  ce  roman  la  forme  épistolaire  il  a  donné  à  son  style 
un  charme  tout  nouveau,  une  allure  plus  rapide  et  plus 
agréable. 

Félicie  est  une  femme  romanesque,  à  imagination  exal- 
tée, sentimens  mystiques ,  poésie  vaporeuse.  Un  amour  vio- 
lent et  partagé  l'unit  à  Georges,  homme  de  bourse,  qui  n'a 
d'enthousiasme  que  pour  le  cours  de  la  rente,  et  ne  s'abstrait 
que  dans  le  calcul  des  marchés  à  terme.  On  devine  déjà  quels 
désappointemens  éclairera  le  flambeau  de  l'hymen,  dès  que 
l'amour  soulèvera  un  coin  du  bandeau  qui  les  aveugle  tous  les 
deux.  La  passion  de  la  jeune  femme  quoique  partagée  n'est 
point  comprise,  et  elle  ne  tarde  pas  à  s'en  apercevoir.  A  ses 
élans  romantiques  son  positif  mari  demeure  sourd,  et  ne  ré- 
pond bientôt  plus  que  par  des  signes  d'ennui  ou  des  sourires 
moqueurs.  Après  quelque  temps  consacré  à  savourer  le  bon- 
heur de  s'appartenir,  de  vivre  seuls  dans  toutes  les  délices  de 
l'amour,  Georges  regrette  le  monde  et  veut  y  rentrer  en  en- 
traînant sa  femme  avec  lui.  Il  retrouve  avec  une  joie  non 
déguisée,  ces  salons  brillans  où  il  rencontre  d'anciennes  liai- 
sons, des  femmes  qui  lurent  ses  amies,  des  camarades  avec  les- 
quels ilamené  joyeuse  vieautrefois.  Félicie  comprend  aussitôt 
que  ce  cœur  déjà  usé  n'est  pas  fait  pour  partager  ses  sentimens 
poétiques,  et  une  seule  soirée  suffit  pour  dissiper  toutes  les 
brillantes  illusions  de  son  âme  pure  et  naïve.  Eu  rentrant  au 
logis,  Georges  lui  fait  une  scène  violente  sur  la  froideur  dédai- 
gneuse avec  laquelle  elle  a  repoussé  les  avances  qui  lui  étaient 
faites  par  l'une  des  anciennes  amies  de  son  mari.  Dès  ce  mo- 
ment tout  bonheur  est  détruit  entre  les  deux  époux;  la  ja- 
lousie se  glisse  dans  le  cœur  de  Félicie,  et  après  avoir  essayé 
en  vain  de  ramener  Georges,  en  faisant  un  appel  à  son  amour, 
elle  reconnaît  avec  désespoir  combien  était  trompeuse  la  pré- 
tendue sympathie  qui  les  avait  unis  l'un  à  l'autre.  Une  sépa- 
ration lui  paraît  l'unique  moyen  d'éviter  de  plus  grands  mal- 
heurs. Alors  commence  la  correspondance  entre  Félicie  et 
Georges;  ils  ne  se  voient  plus;  ils  s'écrivent  et  vivent  chacun 
chez  soi,  évitant  toutes  les  occasions  de  se  rencontrer.  Les  let- 
tres de  la  jeune  femme  sont  empreintes  d'un  douloureux  sen- 
timent; cette  séparation  qu'elle  a  voulue  lui  pèse,  et  cepen- 
dant, malgré  les  conseils  d'une  cousine  qui  vient  s'interposer 
comme  médiatrice,  elle  ne  sacrifie  aucune  de  "ses  idées,  aucun 
de  ses  scrupules  exagérés  à  la  paix  du  ménage.  Quant  au  mari, 
il  reprend  dabord  avec  joie  sa  liberté  et  sa  vie  de  garçon,  il 
confie  ses  mésaventures  conjugales  à  un  vieil  ami,  qui  fut 


10(5  LITTÉRATURE, 

toujours  ennemi  déclaré  du  mariage,  puis,  après  avoir  joui 
pendant  quelque  temps  de  cette  existence  agitée,  la  lassitude 
le  gagne,  il  se  prend  à  regretter  sa  femme,  et  une  circonstance 
fortuite  lui  fait  faire  les  premiers  pas  vers  un  rapprochement 
que  Félicie  accepte  avec  transport  comme  le  retour  du  bon- 
heur. Hélas!  si,  de  loin,  l'amour  semblait  effacer  toutes  les 
incompatibilités  de  ces  deux  caractères,  de  près,  l'amour  est 
bientôt  de  nouveau  chassé  par  elles.  Cette  fois  c'est  Georges 
qui  devient  jaloux  d'un  jeune  homme,  que  les  malheurs  et  les 
charmes  de  Félicie  ont  vivement  touché.  Une  nouvelle  sépa- 
ration ne  tarde  pas  à  avoir  lieu,  mais  plus  complète  et  plus 
sérieuse  que  la  précédente.  Georges  quitte  Paris  et  va  s'enfer- 
mer dans  la  solitude,  loin  du  monde,  dans  un  village  de  Tou- 
raine.  Félicie  abandonnée  à  son  chagrin  se  trouve  en  butte  aux 
attentions  de  ce  rival,  auquel  son  mari  semble  en  quelque  sorte 
laisser  le  champ  libre.  Fidèle  à  son  devoir  et  à  la  vertu,  elle 
résiste  aux  dangers  d'un  fatal  entraînement;  mais  elle  ne  peut 
demeurer  tout-à-fait  insensible  à  un  amour  si  noble,  si  dés- 
intéressé, si  pur ,  tel  en  un  mot  que  son  imagination  l'avait 
rêvé.  Cependant  le  monde ,  toujours  prêt  à  juger  et  à  con- 
damner sur  de  simples  apparences  ,  accuse  bientôt  la  jeune 
femme  de  légèreté;  de  méchans  propos  sont  semés  de  toute 
part;  on  les  entend  même  répéter  tout  haut  dans  un  lieu  pu- 
blic. Alors  le  sentiment  de  l'honneur  réveille  Georges,  chez  le- 
quel d'ailleurs  semblait  aussi  depuis  quelque  temps  renaître 
son  ancienne  passion  pour  Félicie.  Il  reprend  la  route  de  Pa- 
ris, et  vient  encore  une  fois  essayer  si  cet  amour  qui  de  loin  le 
maîtrise  pourra  enfin  lui  faire,  de  près,  trouver  le  bonheur. 

Un  triste  dénouement  empêche  la  solution  de  ce  problème 
difficile.  Félicie  succombe  au  milieu  de  ces  luttes  pénibles; 
son  corps  était  trop  frêle  pour  supporter  les  émotions  de  son 
âme  exaltée.  Elle  meurt  victime  d'une  union  mal  assortie 
qu'un  amour  aveugle  lui  avait  fait  contracter.  Il  y  a  de  l'in- 
térêt et  beaucoup  de  vérité  dans  ce  roman.  De  près  et  de  loin, 
offre  un  tableau  fort  bien  tracé  de  ces  mariages  assez  com- 
muns dans  le  monde,  dont  les  époux  s'adorent  tant  qu'ils  sont 
éloignés  l'un  de  l'autre,  et  ne  peuvent  pas  vivre  heureux  huit 
jours  ensemble.  C'est  le  résultat  d'observations  justes  et  sages; 
l'auteur  a  su  se  tenir  dans  les  limites  du  réel,  sans  rien  exa- 
gérer, et  je  rends  ici  hommage  à  son  incontestable  talent  avec 
d'autant  plus  déplaisir  qu'il  ne  m'est  arrivé  que  trop  souvent 
d'avoir  à  lui  adresser,  en  d'autres  occasions,  des  critiques  qui 
ont  pu  paraître  sévères  au  milieu  des  fastidieuses  et  hanales 
louanges  de  presque  toute  la  pressé. 


HISTOIRE.  107 

k.m a.xï,  roman,  Souvenir»  de  la  restauration,  par  Antony Rénal.  I  vol. 
in-8,  7  fr.  50  c.  —  LA  vertu  porte  malheur!  roman,  par  P. 
Duperrier,  t  vol.  in-8,  7  fr.  50  c.-EMMA  de  lisaxa  ,  par  A.  Du- 
bois. 1  VOl.  in-8,  7  fr.  50  C  — UNE  SOIRÉE  CHEZ  Mlnfc  GEOFFRIX, 
par  la  duchesse  d'Abranlès.  1  vol.  in-8,  7  fr.  50  c. —  LES  tem- 
pliers, par  M.  /.  Brisset.  2  vol.  in-8,  9  fr.  —  LES  reistres  , 
chroniques  des  guerres  de  religion,  par  Victor  Boireau.  2  vol. 
in-8,  15  fr.  —  «XQ  ET  PAS  UXE  !  par  Alexandre  Corby.  1  vol.  in-8, 
6  fr.  —  MENSOXGE,  par  Raymond  Bûcher. — Paris,  1837  ;  2  vol. 
in-8,  15  fr. 

—  Dans  Ema/iy,  je  ne  saurais  dire  quel  est  le  plus  mau- 
vais de  la  forme  ou  du  fond,  du  style  ou  des  pensées.  C'est 
une  macédoine  de  misérables  intrigues,  d'ignobles  amours, 
d'exagérations  ridicules,  écrite  dans  un  langage  tellement 
embrouillé  qu'à  chaque  page  on  rencontre  des  phrases  qu'on 
lit  inutilement  trois  ou  quatre  fois  sans  pouvoir  parvenir  à 
les  comprendre.  Il  est  vrai  que  pour  beaucoup  de  gens  c'est 
en  cela  justement  que  consiste  le  sublime.  M.  Antony  Rénal 
peut  donc  espérer  de  trouver  des  lecteurs,  et,  en  attendant,  la 
camaraderie  lui  vient  en  aide;  car  je  lis,  dans  un  journal, 
c[u£ma/ij  est  une  production  fort  remarquable,  un  roman 
qui  sort  de  ligne,  et  place  son  auteur  parmi  nos  meilleurs 
écrivains. 

—  La  Vertu  porte  malheur  et  Emma  de  Lisana  sont,  ou  du 
moins  paraissent  être  deux  compositions  d'écoliers  à  peine 
sortis  du  collège  ,  et  fort  inhabiles  à  manier  la  plume ,  à 
nouer  les  intrigues  ,  à  observer  et  à  peindre  la  société. 

—  Madame  la  duchesse  d'Abrantès  exploite  un  nom  et 
une  position  qui  suffisent  souvent,  il  est  vrai,  pour  assurer 
à  l'écrivain  qui  les  possède  une  réputation ,  comme  on  dit 
aujourd'hui ,  pyramidale.  Elle  n'est  sans  doute  pas  dépour- 
vue de  tout  talent ,  et  possède  certainement  plusieurs  des 
qualités  qui  constituent  le  bon  écrivain;  son  esprit  est  vif  et 
piquant,  son  style  animé,  facile,  son  imagination  féconde; 
mais  elle  fait  trop  le  métier,  elle  travaille  trop  vite,  se  re- 
pose sur  la  faveur  accordée  par  le  public  à  ses  premiers  vo- 
lumes, et  nous  donne  le  plus  souvent  du  bavardage,  des  ca- 
quets de  salons  sans  nulle  valeur  littéraire.  On  a  déjà  plus 
d'une  fois  écrit  sur  Madame  Geoffrin  ;  si  tous  les  bons  mots 
qu'on  lui  attribue  lui  appartenaient,  en  vérité,  sa  vie  en- 
tière se  serait  passée  à  jouer  à  la  répartie.  Madame  d'A- 
brantès ne  nous  apprend  pas  grand'  chose  de  nouveau  sur 
elle,  et  la  peinture  qu'elle  fait  de  la  société  qui  se  rassem- 
blait autour  de  cette  femme  célèbre,  n'est  ni  séduisante,  ni 
bien  vraisemblable.  En  lisant  ce  roman  on  pourrait  croire 
que  l'esprit  consiste  à  dire,  sans  retenue,  tout  ce  qui  vous 


108  LITTÉRATURE, 

passe  par  la  tète,  et  que  l'art  de  la  conversation  n'est  qu'un 
feu  roulant  de  quiproquos  et  de  bêtises  sans  rime  ni  raison. 
—  Les  Templiers  de  M.  Brisset ,  et  les  Reistres  de  M.  Boi- 
reau,  sont  deux  essais  de  romans  historiques  qui  ne  me  pa- 
raissent pas  fort  heureux.  M.  Brisset  aurait  dû  s'inspirer  de 
l'admirable  talent  de  Walter  Scott  dans  son  Ivanhoé,  où  il 
trace  avec  tant  d'énergie  les  portraits  de  quelques-uns  de  ces 
hommes  qui  ne  cachaient  que  trop  souvent  sous  leur  man- 
teau religieux  des  âmes  hautaines  et  orgueilleuses  ,  des  cœurs 
durs  et  haineux ,  des  passions  violentes.  Il  aurait  pu  puiser 
dans  un  pareil  modèle  tout  ce  qu'il  fallait  pour  intéresser 
ses  lecteurs,  tandis  qu'au  contraire  la  marche  qu'il  a  suivie 
me  paraît  peu  propre  à  atteindre  ce  but.  Quant  à  M.  Victor 
Boireau ,  on  reconnaîtra  en  lui  un  studieux  écrivain ,  qui 
étudie  avec  patience  et  amour  les  vieilles  chroniques,  et  cher- 
che à  en  extraire  un  portrait  fidèle  des  mœurs  qu'il  veut 
f teindre ,  des  époques  qu'il  veut  décrire.  Les  guerres  de  re- 
igion,  qui  ont  si  long-temps  agité  la  France,  paraissent  être 
le  but  favori  de  ses  études.  Elles  offrent  une  mine  riche  à 
exploiter  pour  le  romancier  comme  pour  l'historien  ;  mais 
l'auteur  des  Reistres  ferait  mieux  peut-être  de  nous  donner 
ses  recherches  historiques  sous  une  autre  forme  que  celle  du 
roman.  Il  est  mal  habile  à  nouer  des  intrigues,  à  conduire 
une  action,  à  faire  parler  et  agir  ses  personnages.  Son  livre, 
plus  riche  qu'il  ne  le  faudrait  peut-être  en  érudition  et  en 
documens ,  pèche  par  la  forme,  qui,  dans  des  ouvrages  de 
ce  genre,  est  cependant  la  première  et  indispensable  con- 
dition de  succès.  Du  reste ,  il  défend  les  troupes  allemandes 
de  ces  temps  de  discorde  civile  contre  les  attaques  trop  gé- 
nérales et  trop  violentes  auxquelles  elles  ont  été  en  butte  ,  et 
son  opinion,  à  cet  égard,  semble  se  rapprocher  plus  que 
toute  autre  de  la  vérité.  Mais  un  roman  n'est  pas  et  ne  peut 
pas  être  une  thèse  d'histoire  ;  c'est  le  sortir  tout  à  fait  de  sa 
sphère  et  d'une  manière  fort  peu  avantageuse. 

— Cinq  et  pas  Une!  c'est  vraiment  jouer  de  malheur,  monsieur 
Corby  ;  mais  aussi  pourquoi  votre  héros  adresse-t-il  si  mal  ses 
passions?  pourquoi  arrive-t-il  toujours  sur  les  brisées  d'autrui, 
et  prétend-il  enlever  aux  autres  leurs  femmes  ou  leurs  maî- 
tresses ,  quand  il  y  a  tant  de  cœurs  libres  dans  le  monde 
qui  eussent  sans  doute  accueilli  son  amour  avec  joie?  Pour- 
quoi surtout  ne  varie-t-il  pas  davantage  ses  moyens  d'atta- 
que ?  cette  monotonie  n'est  point  amusante,  je  vous  assure. 
Il  s'enflamme  pour  la  première  femme  qu'il  voit,  il  l'adore, 
il  veut  être  payé  de  retour;  puis,  au  moment  où  il  se  croit 
au  comble  du  bonheur,  arrive  le  mari  qui  fait  tapage,  le  pro- 
voque et  succombe  dans  la  lutte.   Il  s'enflamme  pour  une 


HISTOIRE.  10:) 

seconde,  il  l'adore,  il  veut  être  payé  de  retour  ;  puis,  au  mo- 
ment où  il  se  croit  au  comble  du  bonheur,  arrive  le  mari 
(jui  fait  tapage,  et  il  faut  déloger  bien  vite.  Il  s'enflamme 

pour  une  troisième,  il  veut ;  mais  le  lecteur  me  dispense 

sans  doute  de  pousser  plus  loin  cette  analyse,  qui  finirait  par 
ressembler  à  certaine  histoire  d'un  chevrier  et  de  ses  chè- 
vres que  Sancho  Pança  raconte  à  Don  Quichotte.  Tant  y  a  en- 
fin que  Cinq  et pas  Une  !  Puis  le  désespoir  s'empare  de  lui, 

et  il  descend  dans  la  tombe  pour  se  reposer  de  ses  exploits. 
—  Le  Mensonge,  de  M.  Raymond  Bucker,  l'un  des  écri- 
vains qui  se  cachèrent  jadis  sous  le  pseudonyme  de  Michel 
Raymond,  aurait  pu  être  une  fort  bonne  vérité  s'il  avait  su 
se  tenir  en  garde  contre  l'exagération  ,  prendre  dans  la  na- 
ture les  modèles  de  ses  personnages  et  ne  pas  leur  donner  à 
tous  des  caractères  d'exception  dont  le  nombre  est  heureu- 
sement loin  d'être  considérable  dans  le  monde.  On  regret- 
tera d'autant  plus  ce  défaut,  que  le  sujet  choisi  par  l'auteur 
était  digne  du  talent  dont  il  a  fait  preuve  d'autres  fois.  Il 
n'est  que  trop  vrai  que  le  mensonge  est  un  trait  caractéris- 
tique de  notre  époque.  Une  civilisation  faussée  par  l'ab- 
sence de  tout  principe  moral  l'a  glissé  partout,  et  tous  les 
rapports  sociaux  en  sont  plus  ou  moins  entachés  !  Un  ta- 
bleau bien  tracé  de  tous  les  maux  enfantés  par  cette  triste 
corruption  offrirait  le  plus  haut  intérêt,  et  en  même  temps 
la  plus  belle  leçon  ;  mais  en  présence  de  celui  de  M.  Rav- 
mond  Bucker  on  n'éprouve  qu'un  sentiment  de  répulsion 
et  de  dégoût.  C'est  une  peinture  dont  l'ensemble  peut  être 
bien  conçu,  mais  dont  les  couleurs  sont  fausses  et  le  dessin 
monstrueux. 


LES  ASSASSINS,  par  Amédée  Pommier.  —  Paris,  chez  Delaunay,  1837; 
in-8,  1  fr.  50  c. 

Satire  violente ,  mais  en  général  énergique  et  bien  versi- 
fiée; les  travers  politiques  et  moraux  de  notre  époque  ont 
allumé  chez  l'auteur  une  verve  digne  quelquefois  de  Juvénal. 
En  vérité,  on  ne  se  douterait  guère  que  c'est  le  même  écri- 
vain auquel  on  doit  la  République  ou  le  Livre  de  Sang,  et  pour 
moi,  qui  ne  lui  ai  pas  ménagé  la  critique  lorsqu'il  publia  ce 
premier  ouvrage,  je  reconnais  avec  d'autant  plus  de  plaisir  les 
progrès  immenses  qu'il  a  faits  et  je  l'en  félicite  vivement.  Si 
l'on  trouve  encore  dans  ses  vers  quelques  chutes  malheu- 
reuses comme  celle-ci  : 

Dussé-je  partager  le  sort  de  Kotzebue, 
Je  serai  trop  content  si  ma  voix  contribue 


MO  LinÉRATUKE, 

A  couvrir  de  mépris  ces  obscurs  garnemens 
Qui  menacent  de  mort  tous  les  gouvernemens. 

ou  quelques  termes  trop  crus  et  peu  poétiques  tels  que 
ceux-là  : 

Des  butors,  sans  motifs  à  leur  entêtement, 
Sur  sa  tête  sacrée  acharnés  bêtement. 

Ces  défauts  sont  fort  rares,  et  le  ton  général  de  sa  poésie'est 
bien  celui  qui  convient  au  sujet.  Elle  respire  une  indignation 
vive,  une  exaspération  d'bonnète  homme  contre  les  turpitu- 
des du  siècle,  et  l'on  pardonnera  volontiers  quelques  passages 
un  peu  trop  exagérés,  en  songeant  qu'une  satire  va  toujours 
plus  loin  que  la  vérité.  Les  tentatives  répétées  de  régicides, 
qui  depuis  quelques  années  sont  venues  semer  le  trouble  et 
la  terreur  en  France ,  apparaissent  sur  le  premier  plan  et 
comme  le  sujet  principal  qu'a  voulu  traiter  M.  Amedée 
Pommier. 

Et  qui  pourrait  souffrir  que  la  société, 
Toujours  au  bord  du  gouffre  et  dans  l'anxiété, 
Périclitât  sans  cesse  au  gré  du  premier  drôle 
Qui  se  croit  un  Brulus  et  veut  jouer  un  rôle  ! 
Ce  n'est  donc  point  assez  qu'en  juin  et  qu'en  avril, 
L'émeute  audacieuse  ait  tout  mis  en  péril, 
Et  que  ,  contre  les  lois  dressant  des  barricades  , 
Elle  ait  fait  feu  sur  nous  de  ses  mille  embuscades; 
Il  faut  qu'incessamment  des  complots  effrénés 
Noircissent  de  brouillards  nos  cieux  rassérénés; 
II  faut  que,  coup  sur  coup,  notre  histoire  enregistre 
Quelque  jour  de  malheur,  quelque  date  sinistre, 
Et  que  la  nation,  par  d'obscurs  ennemis, 
Voie  à  chaque  moment  son  salut  compromis  ! 

Mais  il  ne  se  borne  pas  à  stigmatiser  les  obscurs  conspira- 
teurs dont  les  espérances  déçues,  les  désappointemens  cruels  , 
et  quelquefois  la  soif  de  la  vengeance,  ont  fait  des  assassins. 
Sa  juste  colère  s'adresse  avec  raison  à  cette  immoralité  pro- 
fonde, suite  naturelle  de  l'absence  totale  de  principes  chez  la 
plupart  des  hommes  qui  prétendent  réformer  ,  diriger  ,  gou- 
verner même  la  société. 

La  jeunesse  surtout,  donnant  contre  l'écueil  , 
S'est  livrée  avec  rage  au  démon  de  l'orgueil. 
Mlle  croit  tout  savoir;  avant  d'être  pubère, 
Sur  les  plus  hauts  sujets  hardiment  délibère  -, 


HISTOIRE.  III 

Pour  sa  présomption  ne  voit  rien  de  sacré  , 

Et  prétend  repétrir  l'univers  à  son  gré. 

Des  écoliers  d'hier  ,  réformateurs  imberbes  , 

Nous  embrassant  en  bloc  dans  feurs  mépris  superbes, 

Et  prenant  en  pitié  l'âge  et  les  cheveux  blancs, 

Veulent  de  l'Eternel  rectifier  les  plans. 

Vous  voyez  des  morveux  qui  sortent  de  la  coque 

Vous  parler  de  leurs  droits,  des  besoins  de  l'époque; 

Le  monde  social  est  sans  secret  pour  eux  ; 

Ils  savent  les  moyens  de  rendre  l'homme  heureux, 

Et,  précoces  penseurs,  dès  leur  adolescence, 

De  Dieu ,  des  lois ,  de  tout ,  ont  pénétré  l'essence. 

Le  dirai-je?  trouvant  que  les  excès  sont  beaux, 

Partout  des  Byrons  nains  ,  de  petits  Mirabeaux  , 

Plagiaires  du  vice  à  défaut  du  génie, 

Comme  on  cherche  l'honneur  cherchent  l'ignominie  , 

Affichent  la  débauche  et  l'immoralité  , 

Et ,  flétrissant  la  vie  avant  maturité  , 

Pareils  à  l'arbrisseau  qu'en  serre  ou  fait  éclore  , 

Usent  les  passions  qu'ils  n'ont  pas  même  encore. 

Il  nous  montre  ces  jeunes  gens  entraînés  ainsi  trop  souvent 
au  crime  ;  car  ,  n'ayant  trouvé  nul  autre  moyen  de  faire  par- 
ler d'eux  ,  de  passer  à  la  postérité  ,  de  se  créer  un  nom  , 

de  leur  obscurité 

Ils  s'élancent  d'un  coup  à  la  célébrité  , 
Trouvent  sous  le  couteau  la  mort  plus  poétique  , 
Et  font  sur  l'échafaud  une  fin  dramatique. 

L'exemple  de  Lacenaire  vient  se  placer  de  lui-même  sous 
la  plume  du  poète,  qui  trouve  des  paroles  pleine  d'énergie  et 
de  vérité  pour  maudire  l'engouement  dont  le  public  parut 
saisi ,  et  dont  la  presse  encouragea  et  augmenta  encore  le 
scandale  en  publiant  jusqu'aux  moindres  paroles  de  ce  misé- 
rable. 

Oui,  j'en  rougis  pour  nous,  dans  cette  même  France, 
Qui  pour  la  poésie  a  tant  d'indifférence, 
Où  souvent  l'écrivain  de  talent  et  d'honneur. 
Malgré  tous  ses  efforts,  n'obtient  pas  un  prôneur  , 
Un  scélérat  infâme  a  vu  ses  rapsodies 
Reproduites  partout  et  partout  applaudies  , 
Et  ces  graves  journaux,  dont  l'intraitable  orgueil 
Daigne  à  peine  a  notre  art  accorder  un  coup-d'œil  , 
Qui  pour  parler  de  vers  ont  trop  d'autres  matières, 
Ont  pourtant  consacré  des  colonnes  entières 
Aux  bribes  sans  couleur  d'un  méchant  coupleliei 
Qui  du  sicairc  seul  savait  bien  le  métier. 


112  LITTÉRATURE, 

Ainsi  pour  faire  lire  ou  fragment  ou  volume 
Contre  le  lire-point  il  faut  troquer  sa  plume, 
Et  chez  nous  désormais  ,  de  l'esprit,  du  talent, 
Le  meurtre  et  léchafaud  sont  un  équivalent. 

Fiesehi  et  la  stupide  admiration  qu'excita  chez  maintes 
personnes  son  insolente  audace  ,  trouvent  également  leur 
place  dans  cette  satyre,  que  l'auteur  termine  par  le  vœu  fort 
raisonnable  de  ne  plus  voir  de  vils  assassins  transformés  en 
criminels  d'état,  trôner  en  quelque  sorte  sur  la  sellette  de  la 
Chambre  des  Pairs,  y  être  traités  avec  une  considération  et  une 
importance  qui  flattent  leur  vanité  ,  et  offrir  en  quelque  sorte 
un  appât  de  renommée  à  certaines  ambitions  déçues  ,  que  le 
crime  épouvante  moins  que  l'obscurité. 


LES  athexéenses,  choix  de  poésies ,  par  Paillet ,  (de  Plombières), 
président  de  l'Athénée  des  arts,  sciences  et  belles  lettres  de  Paris,  etc. 
—  Paris,  chez  Krabbe,  1837;  1  vol.  grand  in-8. 

Les  poésies  que  renferme  ce  volume  ont  été  lues  par  l'auteur 
dans  diverses  séances  pupliques  de  l'Athénée  ,  et  il  dit  avoir 
été  encouragé  à  les  publier  par  l'accueil  flatteur  que  leur  ont 
fait  les  nombreux  auditeurs  qui  remplissaient  la  salle  Saint- 
Jean.  Je  ne  doute  pas  qu'à  la  lecture  elles  n'obtiennent  éga- 
lement un  succès  durable ,  car  elles  se  font  remarquer  pour 
la  plupart  par  un  style  pur  et  harmonieux  ,  ainsi  que  par  une 
verve  spirituelle  et  un  talent  qui  s'élève  parfois  assez  haut. 
Pour  premier  mérite  ,  et  ce  n'en  est  pas  un  petit  selon  moi  , 
voici  un  poète  qui  chante  sans  pleurer,  qui  inédite  sans  sou- 
pirer, qui  s'indigne  sans  blasphémer,  et  ne  prêche  pas  le  dés- 
espoir et  le  suicide  en  sablant  le  Champagne  avec  de  joyeux 
compagnons.  Au  milieu  des  lamentations  de  nos  Jérémies 
actuels  à  la  lyre  mélancolique,  à  la  voix  monotone,  les  Atlté- 
néennes  se  distingueront  déjà  d'une  manière  fort  avantageuse 
par  le  seul  effet  du  contraste  qu' elles  produisent.  On  y  re- 
trouvera avec  plaisir  une  muse  qui  n'a  pas  toujours  les  yeux 
rouges  et  gros  de  larmes ,  qui  sait  encore  sourire  gaîment,  et 
s'armer  dans  l'occasion  du  fouet  de  la  satire  pour  en  fusti- 
ger avec  énergie  les  barbes  de  bouc,  les  cyniques  excès  et  la 
cadavéreuse  pâleur  de  notre  jeunesse,  ainsi  que  les  folles  ex- 
travagances de  la  littérature  moderne.  M.  Paillet  de  Plom- 
bières est  un  vétéran  dans  la  carrière  poétique  ;  et  à  lui  per- 
mis, plus  encore  qu'à  tout  autre,  de  juger  et  de  condamner  les 
travers  de  notre  époque.  D'ailleurs  il  n'est  pas  exclusif  dans 
sesjugemens,  et  on  ne  saurait  l'accuser  de  partialité  ;  car  ses 


HISTOIRE  113 

traits  piquans  atteignent  les  ridicules  partout  où  il  en  voit.  S'il 
porte  des  coups  vigoureux  aux  exagérations  romantiques,  il 
n'épargne  pas  non  plus  l'esprit  étroit  etsecdel'ultra-classique. 
La  première  pièce  du  recueil ,  et  celle  qui  lui  sert  en  quel- 
que sorte  d'introduction ,  est  un  discours  entre  le  poète  et 
l'éditeur.  Faire  un  poème  estime  œuvre  difficile,  sans  doute; 
mais  lorsqu'il  est  achevé ,  l'auteur  n'est  pas  au  bout  de  ses 
peines,  car  il  ne  l'a  pas  fait  pour  le  garder  dans  son  porte- 
feuille ;  et  s'il  veut  qu'il  soit  imprimé ,  il  faut  trouver  un  édi- 
teur qui  s'en  charge.  Or,  nous  ne  sommes  plus  à  cet  âge  d'or 
des  lettres,  où  des  libraires  ricbes  et  instruits  venaient  en  aide 
aux  jeunes  auteurs,  favorisaient  leur  début  et  protégaient  le 
développement  des  talens  dont  ils  avaient  reconnu  le  germe 
dans  leur  œuvre  d'essai.  Aujourd'hui  il  y  a  encore  des  éditeurs 
riches  ,  sans  doute  ;  mais  ils  ont  en  général  plus  d'or  que 
de  savoir ,  et  sont  plus  instruits  dans  l'art  de  calculer  les 
piles  d'écus  que  dans  la  connaissance  des  livres.  La  littéra- 
ture n'est  pour  eux  qu'un  commerce  dans  les  intérêts  du- 
quel ils  spéculeront  volontiers  sur  le  mauvais  goût  du  public, 
s'ils  y  trouvent  quelque  chose  à  gagner.  Avez- vous  un  nom 
connu?  pouvez-vous  compter  sur  quelques  journalistes  pour 
faire  le  succès  de  votre  livre?  Voilà  les  questions  qu'ils  adres- 
sent à  l'auteur  qui  leur  offre  un  manuscrit,  que  du  reste  ils 
ne  se  donneront  pas  la  peine  de  lire.  Que  si  l'auteur  insiste 
et  demande  qu'on  examine  son  œuvre ,  dont  le  mérite  doit 
seul  faire  la  destinée ,  voici  ce  qu'on  lui  répondra  : 

Au  reflet  de  l'argent  chez  nous  tout  se  colore  , 
Moi ,  j'ai  de  la  fortune  ;  aussi  chacun  m'honore  , 
Me  parle  chapeau  bas,  d'un  ton  respectueux; 
Je  nie  vois  entouré  de  courtisans  nombreux; 
J'ai  salon  ,  j'ai  voiture  :  au  gré  de  mon  envie  , 
Dans  des  plaisirs  sans  fin  je  dépense  ma  vie  ; 
Et  ce  rare  bonheur  dont  je  suis  enivré  , 
Savez -vous  le  talent  qui  me  l'a  procuré? 
Celui  du  gain  ,  celui  d  un  marchand  qui  calcule 
L'influence  des  noms  sur  un  public  crédule, 
Et  met  un  livre  au  jour,  sans  s'informer  jamais 
Si  tel  ouvrage  est  bon  ,  médiocre  ou  mauvais. 
Il  se  vendra,  c'est  tout,  là  finit  ma  science. 
Moi,  juger  un  écrit!  ce  serait  conscience; 
Q'uai-je  appris  ?  Mais  du  moins  au  génie  indigent 
Je  puis  avec  orgueil  dire  :  J'ai  de  l'argent. 
L'esprit  et  le  savoir  méritent  qu'on  les  loue, 
J'en  conviens;  mais,  s'il  faut  ici  que  je  l'avoue, 
Je  plains  les  écrivains  qui  se  sout  figuré 
Qu'au  bonheur  le  talent  avait  un  droit  sacré. 


114  LITTERATURE, 

La  gloire  pourrait  seule  embellir  votre  vie  , 
Dites-vous;  je  veux  bien  seconder  votre  envie  , 
Je  vais,  en  peu  de  mots  ,  sans  me  croire  indiscret  , 
Des  réputations  vous  dire  le  secret  : 
Que  fait-on,  quand  on  veut  un  succès  littéraire  ? 
On  s'assure  d'abord  du  zèle  d'un  libraire, 
Puis,  dans  chaque  journal,  un  ami  fié  voué 
Tient  tout  prêt  un  article  où  vous  êtes  loué  ; 
Venant  même  au  secours  de  sa  paresse  extrême  , 
Cet  article  obligeant ,  vous  l'écrivez  vous-même. 

—  Qui  ?  Moi!  j'aurais  le  front....  — De  grâce  calmez-vous, 
Tous  les  jours,  nous  voyons  ces  choses  parmi  nous  ; 
Ainsi  des  noms  nouveaux  la  France  est  informée  , 

Et  de  nos  immortels  grandit  la  renommée. 

—  Ah!  monsieur  l'éditeur,  ce  discours  me  confond. 

—  Faites  tout  bonnement  ce  que  les  autres  font, 
Payez  tout,  y  compris  les  journaux,  les  affiches, 
L'annonce  d'apparat ,  réservée  aux  plus  riches, 
Les  dîners ,  les  cadeaux  en  vermeil ,  en  bon  vin  , 
Enfin  tout  ;  vos  écrits  alors  seront  divins, 
Votre  nom  tout-à-coup  sortira  des  ténèbres, 

Et  viendra  resplendir  parmi  les  noms  célèbres.... 

C'est  bien  cela  ;  rien  de  plus  vrai  que  cette  scène  ,  et  la  ti- 
rade du  libraire  offre  le  tableau  le  plus  frappant  de  la  réalité, 
de  ce  qui  se  dit  et  se  fait  tous  les  jours  dans  Paris.  On  en  est 
venu  à  ce  point  de  dévergondage  ,  que  la  renommée  se  prête, 
se  vend  et  s'achète  comme  une  marchandise.  Et  le  public  , 
averti  pourtant,  se  laisse  ainsi  bénévolement  duper  tous  les 
jours  sans  accabler  de  son  mépris  ces  misérables  et  honteuses 
intrigues  de  la  camaraderie  !  En  présence  de  cette  ridicule  et 
triste  comédie,  on  est  tenté  de  partager  la  mauvaise  humeur 
de  ce  vieillard  de  la  petite  Procence  qui  regrette  le  bon  vieux 
temps  ,  et  de  s'écrier  avec  lui  : 


Quel  trésor  qu'un  bon  livre  !  on  le  lit,  on  en  cause; 
J'aimais  a  savourer  tour  a  tour  vers  et  prose. 
Les  écrits,  selon  moi,  sont  tous  creux  aujourd'hui; 
Lire  un  pareil  fatras!  c'est  à  mourir  d'ennui  ! 
Autrefois,  la  Gazette  et  le  fameux  Mercure 
Traitaient  la  politique  et  la  littérature. 
On  admirait  surtout  le  style  de  Fréron, 
Homme  d'un  grand  mérite  et  qui  donnait  du  bon. 
Deux  journaux  suffisaient  a  toute  une  semaine. 
Chaque  matin,  chez  nous,  il  en  pleut  par  douzaine. 
Mais  imprimés  si  fin  ,  mais  si  longs  ,  si  mauvais! 
Qui  les  lit  perd  son  temps  et  ses  \  eux  et  ses  frais. 


HISTOIRE.  115 

Comme  on  le  voit ,  notre  auteur  ne  réussit  pas  mal  dans  la 
satire.  Ce  volume  renferme  diverses  poésies  de  ce  genre  qui 
n'en  sont  pas  les  moins  remarquables.  Le  Dialogue  entre  un 
journaliste  et  un  auteur,  les  Paroles  d'une  huître,  les  Charlatans 
sont  remplis  d'une  critique  franche  et  forte  qui  brille  égale- 
ment par  l'esprit  et  la  raison.  Le  dernier  de  ces  morceaux 
ainsi  que  le  Perruquier  politique  et  la  Tabatière  et  la  pipe,  nous 
montrent  que  31.  Paillet  sait,  quand  il  le  veut,  plier  avec 
beaucoup  de  grâce  le  vers  alexandrin  aux  formes  légères  du 
genre  badin.  IJn  seul  reproche  peut  lui  être  adressé;  c'est 
d'alonger  parfois  un  peu  trop  ses  pièces,  et  d'affaiblir  ainsi 
leur  sel  en  le  délayant. 

Plusieurs  fragmens  de  poème  d'un  ordre  plus  sérieux  et 
plus  élevé,  prouvent  que  l'auteur  aspire  au  génie  épique; 
et  cette  ambition  ,  quelque  téméraire  qu'elle  puisse  paraître, 
n'est  peut-être  pas  tout-à-fait  dénuée  de  fondement.  Mil- 
tiade ,  Milton  mourant,  le  Passage  du  Bagauda ,  contiennent 
de  beaux  morceaux  ,  des  vers  heureux  ,  de  l'énergie  sans  exa- 
gérations de  style  ni  de  pensée.  Ainsi  3Iilton  dit  avec  beau- 
coup de  vérité  et  un  grand  bonheur  d'expression  : 

D'un  joug  plus  écrasant  le  peuple  est  menacé  , 
Quand  il  rappelle  un  maître  après  l'avoir  chassé. 

et  cette  allocution  du  fils  de  3Iiltiade  est  pleine  d'un  sen- 
timent noble  et  énergique  : 

«  Mon  père,  dors  en  paix  au  sein  de  nos  aïeux  ,*> 
A-t-il  dit ,  «  c'est  ton  fils  qui  te  ferme  les  yeux  ; 
»  Il  fera  plus;  il  veut  qu'à  tes  mânes  célèbres  , 
»  On  ne  refuse  point  quelques  honneurs  funèbres; 
»  Il  accepte  ta  dette.  Approchez,  magistrats! 
«  Miltiade  n'est  plus,  et  voici  mes  deux  bras  ; 

»  D'un  père  ,  d'un  héros,  je  demande  les  chaînes 

»  Ah  !  pour  lui  tout  le  sang  qui  coule  dans  mes  veines  !...  *> 

3Iais  ,  dans  l'épopée  plus  encore  qu'ailleurs ,  l'auteur  doit 
se  tenir  en  garde  contre  sa  facilité  ,  éviter  les  longueurs  , 
les  détails  superflus ,  car  il  ne  faut  jamais  oublier  que  l'at- 
tention du  lecteur  a  besoin  d'être  constamment  soutenue  et 
excitée,  soit  par  des  situations  fortes  et  énergiquement  tra- 
cées ,  soit  par  l'intérêt  d'une  action  qui  ne  languit  point  et 
qui  fait  oublier  la  monotonie  de  nos  vers  rimes. 

31.  Paillet  parle  d'un  poème  de  Regulus  qui  a  été  dit- 
il,  l'œuvre  de  toute  sa  vie,  mais  qui  n'est  point  encore  achevé, 
et  dont  il  n'a  publié  que  des  fragmens.  La  littérature  fran- 
çaise a  déjà  vu  échouer  bien  des  tentatives  d'épopée,  et  Fou 


I  io  LITTERATURE, 

peut  dire  qu'il  faut  un  véritable  courage  pour  essayer  de 
remplir  cette  lacune  que  Voltaire,  avec  tout  son  génie,  n'a 
pu  combler  ,  et  que  beaucoup  de  gens  regardent  comme  in- 
bérente  au  génie  de  la  langue  française.  Je  souhaite  vive- 
ment que  le  Régulus  de  M.  Paillet  puisse  obtenir  ce  beau 
triomphe  ;  mais  je  pense  que  pour  le  juger  il  faut  attendre 
de  le  connaître  dans  son  entier. 


LE  ROMAN   DES    romans,  par  A.   Creuzé  de  Lesser.  —  Paris,  1837; 
2  vol.  in-8,  lôfr. 

N'allez  pas  croire  à  la  vue  de  ce  titre  que  ce  soit  la  perle 
des  romans,  le  roman  par  excellence  ;  l'auteur  a  soin  de  nous 
en  prévenir  dans  sa  préface  ,  son  amour-propre  ne  l'aveugle 
pas  à  ce  point,  et  il  n'avait  même  pas  besoin  de  nous  le  dire, 
car  on  le  sait  trop  homme  d'esprit  pour  commettre  semblable 
méfait.  Son  roman  est  le  résultat  des  romans,  voilà  ce  que  si- 
gnifie son  titre.  De  trois  jeunes  filles  ,  amies  de  pension,  plus 
ou  moins  impressionnables,  deux  se  nourrissent  de  ces  œuvres 
d'imagination  qui  pullullent  dans  les  cabinets  de  lecture  et 
qui,  passant  de  main  en  main  dans  toutes  les  classes  de  la  so- 
ciété, y  sèment  souvent  les  plus  mauvais  principes,  ou  du 
moins,  en  général,  n'y  répandent  que  de  rares  bons  grains 
perdus  au  milieu  de  l'ivraie.  La  troisième,  au  contraire,  élevée 
d'une  manière  plus  sérieuse,  fuit  la  frivolité,  et  préfère  les 
livres  graves  et  utiles.  Ces  trois  héroïnes  se  marient ,  et  leurs 
destinées  sont  en  rapport  avec  l'influence  plus  ou  moins  forte 
exercée  sur  elles  par  leurs  lectures.  L'une ,  douée  d'un  ca- 
ractère léger  et  de  passions  vives ,  s'abandonne  avec  plus  de 
fougue  à  toutes  les  exagérations  de  la  sensiblerie.  Le  premier 
caprice  de  son  cœur  se  change  à  ses  yeux  en  un  violent  amour, 
dont  rien  ne  peut  arrêter  la  fougue.  En  vain  ses  païens  veu- 
lent-ils lui  faire  entendre  la  voix  de  la  raison;  elle  n'écoute 
rien,  et  les  obstacles  qu'on  prétend  lui  opposer  ne  servent  qu'à 
la  pousser  à  un  acte  de  désespoir.  Elle  cherche  à  s'asphyxier , 
et  enfin  elle  obtient  la  main  de  celui  qu'elle  aime.  Mais  cet 
amour  s'évanouit  bientôt  pour  faire  place  à  d'autres.  Les  mo- 
dèles de  coquettes  et  de  femmes  galantes  qui  fourmillent  dans 
nos  romans  modernes,  ont  tourné  cette  jeune  tète  sans  expé- 
rience. 

La  seconde  des  trois  amies  ,  bien  moins  exagérée  dans  ses 
sentimens ,  est  plutôt  victime  de  la  faiblesse  d'une  mère  qui 
la  pousse  à  contracter  un  mariage  peu  propre  à  la  rendre  heu- 
reuse. Mais  du  moins  elle  reste  pure  dans  son  malheur  ,  et  si 
des  lectures  romanesques  ont  pu  contribuer  à  gâter  sa  desti- 


HISTOIRE.  117 

née  ,  elles  n'ont  jamais  terni  l'éclat  de  son  honneur ,  elles 
n'ont  pas  corrompu  son  cœur  ni  souillé  son  âme. 

Quant  à  la  troisième  ,  qui  s'est  sagement  abstenue  de  ces 
malheureux  livres,  dont  1  influence  a  été  si  funeste  à  ses  deux 
compagnes ,  nous  la  voyons  contracter  ce  qu'on  appelle  un 
mariage  de  convenance  ,  et  y  trouver  le  bonheur. 

L'auteur  nous  donne  ainsi  à  entendre  que  les  mariages  d'in- 
clination sontpresque  toujours  malheureux,  tandis  que  lorsque 
la  raison  unie  au  calcul,  remplace  l'amour  dans  l'union  con- 
jugale, on  y  jouit  d'un  bonheur  assuré.  Cette  conclusion  est, 
je  crois,  totalement  fausse  en  principe,  quoique  souvent  il 
arrive  que  les  faits  semblent  la  confirmer.  Sans  doute,  si  on 
prend  pour  guide,  dans  le  choix  de  l'être  avec  lequel  on  veut 
s'unir  pour  la  vie  ,  une  passion  aveuglé  ,  un  délire  des  sens , 
auxquels  on  donne  mal  à  propos  le  nom  sacré  d'amour,  il  est 
bien  certain  qu'on  risque  fort  de  se  préparer  de  cruels  désap- 
pointemens,  lorsque  l'ivresse  sera  passée.  Mais  d'un  autre  côté, 
il  n'est  pas  moins  faux  d'avancer  que  ce  qu'on  appelle  mariage 
de  Convenance ,  soit  la  source  certaine  de  la  félicité  conjugale; 
car  le  plus  souvent,  rien  ne  convient  moins  au  bonheur  que 
de  semblables  unions,  où  l'on  ne  calcule  que  les  avantages  d'ar- 
gent ou  de  position  sociale ,  sans  le  moindre  égard  à  la  sympa- 
thie des  caractères.  Ne  serait-il  pas  absurde  de  prétendre  que 
l'amour  est  de  trop  entre  deux  êtres  qui  s'unissent  pour  la  vie 
entière ,  qui  se  doivent  support ,  soutien  ,  affection  ,  qui  sont 
destinés  à  former  une  famille  et  à  élever  des  enfans  dans  la 
pratiquede  touteslesvertus  sociales,  dont  le  sanctuaire  ne  sau- 
rait être  que  dans  des  cœurs  chauds  et  généreux  ! 

Mais  malgré  la  tendance  quelque  peu  sophistique  de  cette 
conclusion,  on  lira  volontiers  le  Roman  des  romans.  M.  Crcuzé 
de  Lesser  n'a  aucun  des  défauts  de  nos  romanciers  du  jour. 
Son  style  est  assez  simple,  et  l'action  de  son  récit  l'est  encore 
plus.  Rien  de  forcé ,  rien  d'exagéré ,  tout  est  possible  et  vrai- 
semblable. Peut-être  a-t-il  parfois  un  peu  trop  de  prétention 
à  l'esprit  et  s'abandonne-t-il  trop  facilement  à  des  digressions 
qui  n'ont  pas  de  rapport  avec  son  sujet.  Mais  aujourd'hui 
chaque  homme  n'a-t-il  pas  ses  préoccupations  politiques,  reli- 
gieuses ou  philosophiques  qui  le  distraisent  et  le  font  souvent 
dévier  de  la  ligne  droite  ? 


mémoires  historiques  de  S.  A.  R.  Madame,  Duchesse  de  Berry , 
depuis  sa  naissance  jusqu'à  ce  jour,  publiés  par  Alfred  Nettement. 
—  Paris,  1837;  3  vol.    in-8,  22  fr.  50c. 

mémoires  SUR  s.A  reine   hortexse  et   la   famille  Impériale ,   par 

9 


liS  LITTÉRATURL  , 

M'"1    Cochelet   (  M""'  Farquin),  lectrice  de  la  Reine.  — Paris,  1837; 
2  vol.  in-8,  16  fr. 

Les  circonstances  ont  établi  quelques  rapports  entre  les  po- 
sitions des  deux  princesses  déchues  dont  les  mémoires  font  le 
sujet  de  cet  article.  Mais  ce  qui  en  a  établi  davantage  encore 
et  nous  a  décidés  à  les  rassembler  ici,  c'est  le  sort  commun 
qu'elles  ont  de  voir  leurs  noms  et  leurs  malheurs  exploités 
par  la  spéculation  littéraire.  Aujourd'hui  qu'on  est  de  tous 
côtés  en  quête  de  moyens  capables  d'aiguillonner  un  public 
endormi  dans  cette  apathie  qui  suit  toutes  les  commotions 
politiques ,  c'est  une  véritable  bonne  fortune  de  pouvoir  lui 
jeter  ainsi  des  titres  qui  réveillent  chez  les  uns  des  souvenirs, 
chez  les  autres  des  espérances  ,  chez  tous  un  sentiment  de  cu- 
riosité. Peu  importe  ce  qui  se  trouve  dans  les  volumes  ;  car 
avant  que  les  acheteurs,  alléchés  par  les  pompeuses  annonces 
des  journaux,  aient  eu  le  temps  de  les  ouvrir ,  l'éditeur  a 
vendu  son  édition  et  se  met  déjà  en  recherche  de  quelque 
nouvelle  célébrité  à  exploiter.  Les  dupes  n'ont  même  pas  le 
droit  de  se  plaindre;  car  chaque  fois,  elles  se  laissent  re- 
prendre au  même  appât ,  et  il  est  arrivé  que  le  libraire  qui 
avait  ainsi  inondé  la  France  des  plus  pitoyables  productions  de 
ce  genre,  s'est  vu  hautement  proclamé  le  protecteur  éclairé  des 
lettres,  le  soutien  de  la  littérature,  le  Mécène  de  notre  siècle  I 

—  lies  Mémoires  de  la  duchesse  de  Berry  ne  sont  qu'un  long 
panégyrique  ,  rempli  de  flagorneries  assez  plates  ,  d'anecdotes 
niaises  ou  déjà  connues.  C'est  l'œuvre  d'un  courtisan  qui  ne 
voit  dans  l'histoire  d'un  pays  que  les  intérêts  d'une  seule  fa- 
mille. Il  y  règne  un  certain  ton  d'étiquette  qui  nuit  même 
beaucoup  à  ce  que  pouvaient  présenter  d'intéressant  les  évé- 
nemens  des  dernières  années.  On  a  publié  sur  l'expédition  de 
la  Duchesse  en  Vendée  des  ouvrages  bien  supérieurs  sous 
tous  les  rapports  ;  et  pour  ce  qui  est  du  reste  de  sa  vie ,  il 
n'offre  absolument  rien  de  remarquable. 

—  Mademoiselle  Cochelet  n'a  pas  mieux  réussi  dans  ses  ef- 
forts pour  attacher  le  lecteur  au  récit  de  tous  les  petits  riens 
qui  composaient  la  vie  de  la  reine  Hortense,  comme  celle  d'un 
grand  nombre  d'autres  femmes.  En  vain  nous  raconte-t-elle 
jusqu'aux  moindres  détails  de  toilette  ,  jusqu'aux  plus  légères 
indispositions  avec  les  traitemens  suivis,  jusqu'aux  dents  ar- 
rachées à  la  princesse  ,  qui  montrait ,  dit-elle ,  un  courage 
vraiment  héroïque.  Elle  ne  parvient  pas  mieux  que  ses  pré- 
décesseurs, dans  cette  noble  tâche,  à  faire  de  la  reine  Hortense 
un  grand  personnage  historique  ,  et  avec  la  meilleure  volonté 
du  monde ,  il  est  impossible  de  trouver  le  moindre  intérêt  dans 
ces  deux  volumes. 


HISTOIRE.  119 

lettres  sur  i.'islanoe  ,  par   X.  Màrmïer'—  Pari»,   1837;  1  vol. 
in-8,  7  fr.  50  c. 

M.  X.  Marinier  faisait  partie  de  la  commission  organisée 
par  M.  le  ministre  delà  marine,  qui  s'embarqua  au  mois  de 
mai  dernier  sur  la  Recherche,  pour  aller  explorer  l'Islande, 
étudier  ses  mœurs,  son  climat,  son  histoire.  Le  mandat  par- 
ticulier de  M.  X.  Marinier  était  de  recueillir  quelques  dé- 
bris de  l'antique  littérature  islandaise,  et  des  documens  sur 
l'état  actuel  des  lettres  dans  cette  contrée,  dont  les  habitans, 
en  lutte  continuelle  avec  la  nature  qui  semble  les  avoir  traités 
en  marâtre,  n'ont  ni  le  temps  ni  les  moyens  de  communi- 
quer avec  le  reste  de  l'Europe.  Le  résultat  de  cette  mission 
paraît  avoir  rempli  les  vues  de  l'Académie  française,  qui  a 
ainsi  donné  lieu  à  la  publication  d'un  excellent  livre,  tel 
que  le  public  n'est  plus  guère  habitué  à  en  voir  produire 
par  nos  jeunes  écrivains  du  jour.  Les  Lettres  sur  l'Islande  of- 
frent un  tableau  plein  d'intérêt,  dans  lequel  le  talent  d'ob- 
servation s'unit  à  la  science  dans  un  but  grave,  sérieux,  et 
cependant  d'un  vif  attrait  pour  la  plupart  des  lecteurs.  Ce 
n'est  pas  de  l'art  prétentieux  et  vide,  ce  n'est  pas  du  style 
pompeux,  des  phrases  à  effet,  sans  pensée  ni  conviction.  En 
un  mot,  ce  n'est  pas  de  cette  littérature  de  feuilleton  qui  en- 
vahit tout  aujourd'hui,  et  nous  écrase  sous  son  lourd  papil- 
lonnage.  M.  Marinier  savait  d'avance  qu'il  ne  trouverait 
pas  à  faire  en  Islande  une  ample  moisson  de  vieux  manus- 
crits; presque  tous  ses  monumens  ont  été  transportés  à  Co- 
penhague, et  en  vain  le  voyageur  irait-il  de  chaumière  en 
chaumière  pour  découvrir  une  malheureuse  strophe,  une 
pauvre  saga  oubliée.  Mais  l'aspect  d'une  contrée,  la  vie  et 
les  usages  de  ses  habitans  sont  plus  précieux  que  de  sem- 
blables fragmens  pour  l'intelligence  de  sa  littérature.  Ils  le 
sont  surtout  dans  un  pays  comme  celui-là,  où  l'on  rencontre 
à  chaque  pas  les  traces  de  quelque  bouleversement  naturel, 
où  l'homme  a  sans  cesse  à  défendre  sa  vie  et  ses  propriétés 
contre  les  volcans  ou  les  glaces.  Pour  bien  comprendre  la 
poésie  des  Scaldes,  ses  chants  graves,  son  harmonie  austère, 
il  faut  voir  ce  sol  labouré  par  les  phénomènes  géologiques, 
qui  l'ont  frappé  de  stérilité,  cette  terre  aride  et  volcanique 
où  l'on  ne  trouve  que  cendres  et  lave,  où  il  ne  croît  pas  une 
fleur,  pas  une  herbe,  et  qui  a  pour  limites,  à  l'horizon,  d'un 
côté  la  mer  orageuse,  de  l'autre  des  montagnes  de  glace. 

Au  milieu  de  cette  triste  solitude),  sont  épais  çà  et  là  de 
rares  habitans,  honnêtes  et  industrieux ,  qui  mènent  la  vie 
la  plus  misérable,  s'exposent  aux  plus  grands  dangers  ,  se 
livrent  aux  travaux  les  plus  pénibles  pour  se  procurer  de 


120  LITTÉRATURE, 

grossiers  alimens,  qu'ils  sont  toujours  prêts  à  partager,  clans 
une  franchise  cordiale  et  bienveillante,  avec  le  voyageur  qui 
vient  réclamer  un  asile  sous  leur  toit  hospitalier.  Mais  si  la 
nature  a  été  avare  de  ses  dons  pour  les  Islandais,  par  un 
système  de  compensation,  qui  se  trouve  établi  partout  où  les 
hommes  ont  à  combattre  un  climat  rude,  un  sol  ingrat,  la 
lutte  a  développé  leurs  facultés  intellectuelles  à  un  haut 
degré  !  Il  est  bien  remarquable  que  notre  auteur  trouve  dans 
toutes  ces  misérables  chaumières  islandaises  quelques  livres, 
une  Bible,  des  sagas  que  les  paysans  lisent  en  famille  et  qu'ils 
échangent  le  dimanche  à  l'église  avec  ceux  de  leurs  voisins 
qui  ne  les  ont  pas  encore  lus  et  qui  en  ont  d'autres  à  leur 
prêter.  Le  goût  de  l'instruction  est  répandu  partout ,  et 
comme  il  ne  peut  y  avoir  d'écoles  publiques  dans  un  pays 
ou  les  habitations  sont  disséminées  à  travers  champs  et  éloi- 
gnées les  unes  des  autres,  dans  chaque  famille  la  mère  est 
l'institutrice  de  ses  enfans.  Pendant  les  longues  soirées  d'hi- 
ver, ceux-ci  apprennent  à  lire,  à  écrire  ;  le  prêtre  surveille 
cette  éducation  et  en  fournit  les  moyens  en  distribuant  aux 
pauvres  femmes  de  pêcheurs  des  livres  élémentaires.  Nos 
heureuses  contrées,  plus  avancées  sous  bien  des  rapports  sur 
la  route  de  la  civilisation,  auraient  encore  des  leçons  et  des 
modèles  à  prendre  chez  ces  paysans  à  demi  sauvages,  qui 
n'ont  cependant  ni  universités  ni  collèges. 

M.  Marinier  retrace  rapidement  l'histoire  de  la  républi- 
que islandaise  qui  tomba,  en  1264,  sous  le  joug  de]  la  Nor- 
vège. Depuis  cette  époque,  l'Islande  n'oflre  plus  aucun  inté- 
rêt historique  ,  et  ses  annales  ne  présentent  que  le  triste 
tableau  «  de  tous  les  fléeaux  qui  l'ont  traversée  sans  relâche, 
»  de  tous  les  volcans  qui  ont  déchiré  ses  entrailles,  de  toutes 
»  les  maladies  qui  ont  décimé  sa  population .  »  Tremblernens  de 
terre,  pestes,  glaces,  éruptions  de  volcan,  épidémies,  famines, 
rien  n'y  manque,  et  de  100,000  habitans  qui  formèrent  une 
fois  sa  population,  elle  a  été  successivement  réduite  à  50,000. 

Dans  le  temps  de  sa  prospérité,  l'Islande  a  eu  ses  scaldes, 
comme  le  moyen-àge  a  eu  ses  minnesinger  en  Allemagne, 
ses  trouvères  en  Normandie.  Ses  poètes  chantaient  aussi 
pour  conseiller  les  chefs  ,  pour  enflammer  le  courage  des 
guerriers.  L'origine  de  leurs  chants  remonte  jusqu'au  temps 
de  la  migration  des  peuples,  et  nous  montre  ainsi  la  poésie 
déjà  en  honneur  chez  ces  nations  venues  d  Orient,  que  les 
Romains  appelaient  barbares,  parce  qu'ils  ne  comprenaient 
ni  leurs  langues,  ni  leurs  mœurs,  ni  leurs  lois. 

Les  antiques  sagas  sont  de  précieux  monumèns,  non-seu- 
lement comme  poésie,  mais  encore  comme  tradition.  Ce  sont 
en  eïïet les  seuls  documens  qui  restent  sur  l'histoire  ancienne 


HISTOIRE.  121 

de  ces  pays  du  Nord,  dont  elles  chantent  les  héros  et  les 
grands  faits  d'armes,  de  même  que  les  deux  Edda  nous 
présentent  l'ensemble  de  leur  mythologie. 

La  littérature  a  continué  d'être  cultivée  dans  la  solitude 
des  chaumières  islandaises;  mais  son  caractère  a  changé  avec 
les  destinées  du  pays.  La  poésie  a  quitté  l'allure  héroïque 
qui  ne  saurait  plus  lui  convenir,  pour  prendre  une  teinte 
sentimentale  et  mélancolique  plus  en  rapport  avec  l'existence 
isolée  et  obscure  des  poètes.  Les  travaux  de  patience  et  d'é- 
tude l'ont  emporté  sur  ceux  de  l'imagination.  Les  sciences 
ont  eu  d'ardens  et  habiles  explorateurs,  guidés  bien  plus  par 
l'amour  de  la  science  elle-même  que  par  des  motifs  de  gloire 
personnelle;  car,  dans  cette  contrée  exceptionnelle,  le  savant. 
meurt  souvent  sans  avoir  publié  son  œuvre  et  ne  peut  jamais 
recueillir  ces  applaudissement  de  la  foule,  qui  sont  ailleurs 
le  but  et  la  récompense  que  tous  ambitionnent. 

M.  Marinier  termine  ses  intéressantes  Lettres  par  la  tra- 
duction de  deux  poésies  islandaises  d'un  auteur  vivant,  qui 
sont  également  remarquables  par  la  forme  et  la  pensée.  L'une 
est  un  ebant  patriotique  qui  prouve  que  la  contrée  la  plus 
froide  et  la  plus  misérable  peut  inspirer  à  ses  enfans  l'amour 
le  plus  ardent;  l'autre  est  une  poésie  rêveuse  où  le  senti- 
ment s'exprime  avec  une  mélancolie  profonde,  et  un  spiri- 
tualisme religieux. 


MÉMOIRES    D'CN   CONDAMNE   POLITIOtE   SOITS   LA   RESTAURATION, 

souvenirs  de  cinq  années  de  captivité  et  de  cinq  années  de  proscrip- 
tion ,  par  Charles  Monnier ,  ancien  adjudant  du  génie ,  actuellement 
inspecteur  de  la  navigation.  —  Paris  ,  1836  ;  1  vol.  in-8  ,  6  fr. 

Voici  un  exemple  bien  frappant  des  étianges  vicissitudes 
qui ,  dans  les  époques  de  révolutions  politiques,  peuvent  tra- 
verser la  vie  de  l'homme  destiné  par  son  caractère  et  ses 
goûts  à  l'existence  la  plus  calme ,  la  plus  obscure.  L'erreur 
d'un  cœur  généreux ,  mais  encore  sans  expérience  du  monde , 
a  quelquefois  des  conséquences  graves  qui  influent  sur  toute 
une  carrière  ,  et  l'homme  fait,  et  le  vieillard,  se  ressentent  de 
la  facilité  avec  laquelle  le  jeune  homme  a  cédé  à  un  entraîne- 
ment irréfléchi. 

M.  Charles  Monnier,  après  avoir  servi  sous  l'Empire,  fut 
du  nombre  des  fidèles  qui  suivirent  Napoléon  à  l'ile  d'Elbe. 
Par  un  sentiment  peu  raisonné,  il  lia  sa  destinée  à  la  for- 
tune du  soldat  détrôné  ,  et  cette  résolution  ,  prise  k  la  légère  , 
fut  pour  lui  l'origine  de  longs  malheurs.  En  effet  ,  rentré  en 
Fiance  pendant  les  Cent-.Tours,  il  se  vit,  après  le  retour  de 
Louis  XVIII,  rangé  au  nombre  des  suspects,  qu'une  police 
ombrageuse  surveillait  et  environnait  d'embûches  pour  les 


122  LITTÉRATURE , 

perdre.  Compromis  bientôt  dans  une  conspiration  dont  il  ne 
faisait  cependant  point  partie,  mais  à  l'un  des  chefs  de  la- 
quelle il  avait  remis  un  plan  d'attaque  de  la  citadelle  de  Yin- 
cennes,  dont  malheureusement  une  copie  fut  retrouvée  chez 
lui ,  il  fut  arrêté ,  jugé  et  condamné  à  mort.  Il  avait  noble- 
ment pris  son  parti  de  mourir  plutôt  que  de  compromettre 
personne  par  ses  aveux,  et  le  jour  fixé  pour  l'exécution,  le  vit 
marcher  au  supplice  sans  peur  ni  lâcheté.  Mais  après  une 
journée  de  pénible  attente  à  la  Conciergerie ,  il  fut  sursis  à 
l'exécution  ,  parce  que  le  vrai  coupable  s'était  trahi  lui-même 
par  ses  démarches  pour  sauver  un  innocent,  et  M.  Monnier 
fut  reconduit  àBicêtre,  où  il  demeura  une  année  entière  dans 
un  cachot  obscur  et  infect,  s'attendant  chaque  jour  à  ce  qu'on 
viendrait  le  chercher  pour  le  traîner  à  l'échalaud.  La  seule 
pensée  d'une  telle  position  fait  frémir ,  et  l'on  se  demande  si 
c'est  bien  dans  notre  siècle  qu'a  pu  se  passer  un  pareil  fait  de 
barbarie  et  d'inhumanité  !  Cette  civilisation  dont  nous  sommes 
si  fiers  n'est-elle  donc  qu'un  brillant  manteau  qui  recouvre 
les  plus  horribles  plaies? 

Après  un  an  ,  cependant,  M.  Monnier  fut  enfin  gracié;  la. 
peine  de  mort  fut  commuée  en  une  détention  perpétuelle.  A 
la  même  époque ,  le  jugement  de  ses  prétendus  complices 
commença  ,  et  on  voulut  se  servir  de  son  témoignage  pour  les 
accabler.  Mais  fidèle  à  ses  principes  de  loyauté  et  de  générosité, 
il  déclina  tout  rapport  avec  eux  ;  protesta  qu'il  avait  été  seul 
l'auteur  du  plan  coupable  ,  en  avait  seul  conçu  l'idée  ,  et  par 
ses  déclarations  répétées,  contribua  puissamment  à  faire  ac- 
quitter tous  les  prévenus.  Lui  seul  rentra  dans  la  prison  pour 
expier  un  crime  dont  il  était  innocent,  mais  le  sentiment  de 
sa  noble  conduite  dut  relever  son  courage  et  adoucir  sa  peine. 
Cinq  longues  années  se  passèrent  pour  lui  dans  cette  dure 
captivité,  où  il  pouvait  bien  se  croire  tout-à-fait  oublié  ,  lors- 
qu'une ordonnance  du  roi  vint  changer  sa  détention  en  exil. 
On  se  figure  aisément  quelle  dut  être  sa  joie  de  respirer  l'air 
de  la  liberté  et  de  quitter  les  tristes  murailles  de  sa  prison  , 
quoiqu'il  lui  fallût  en  même  temps  dire  adieu  à  sa  patrie.  Il 
put  croire  que  ses  malheurs  touchaient  à  leur  fin  et  qu'il  avait 
assez  chèrement  payé  une  étourderie  de  jeunesse.  Mais  cette 
illusion  fut  de  bien  courte  durée.  La  police  française  ne  bor- 
nait pas  son  action  aux  limites  du  royaume.  Elle  avait  des 
agens  dans  toutes  les  contrées  voisines,  ets'en tendait  à  merveille 
avec  les  polices  étrangères  pour  traquer  les  malheureux  exilés 
dont  l'éloignement  ne  semblait  jamais  assez  considérable  pour 
la  sûreté  du  pays  et  de  la  légitimité.  Aussi  M.  Monnier  se  vit- 
il  obligé  de  quitter  successivement  la  Suisse,  l'Allemagne,  la 
Belgique  ,  la  Hollande  ,  etc.  ,  etc. ,  et  d'errer  de  ville  en  ville 
sans  pouvoir  séjourner  en  paix  nulle  part.  Enfin  ,  l'appel  des 


HISTOIRE.  «23 

Cortès  d'Espagne  à  tous  les  réfugiés  politiques  le  séduisit 
ainsi  que  beaucoup  d'autres ,  et  il  s'embarqua  pour  profiter 
de  cet  asile  si  généreusement  offert.  Mais  la  déplorable  issue 
de  la  révolution  espagnole  vint  le  replacer  dans  une  posi- 
tion encore  plus  critique.  Pour  échapper  aux  Français  ,  qui 
l'eussent  considéré  comme  un  traître,  il  se  jeta  sur  la  côte 
d'Afrique  ,  où  de  nouveaux,  désastres  l'assaillirent.  Ce  fut 
à  grand'peine  qu'il  se  tira  des  mains  des  Maures,  et  réussit  à 
s'embarquer  sur  un  bâtiment  hollandais  qui  le  transporta 
à  Brème  ,  où  il  put  enfin  jouir  de  quelque  tranquillité. 

Dans  les  dernières  an  nées  de  la  Restauration,  M.  Monnier  ob- 
tint la  permission  de  rentrer  en  France,  mais  il  fut  encore  sou 
mis  à  une  surveillance  de  haute  police,  fort  désagréable,  dont  il 
n'a  dû  qu'à  la  révolution  de  Juillet  d'être  entièrement  délivré. 

Ces  innombrables  aventures  sont  racontées  avec  simplicité 
et  bonne  foi.  L'auteur  n'est  pas  écrivain  ,  ne  fait  pas  de  phra- 
ses ,  mais  il  est  plein  de  bon  sens  et  animé  d'un  esprit  philo- 
sophique et  religieux  qui  l'a  soutenu  constamment  au  milieu 
des  plus  rudes  épreuves ,  et  qiu  jette  sur  son  ouvrage  une 
teinte  toute  particulière.  Son  style  est  laconique ,  car  tout 
autre  eût  fait  quatre  ou  cinq  volumes  avec  les  faits  abondans 
que  renferme  le  sien.  Mais  il  a  su  habilement  faire  ressortir 
les  leçons  qu'on  doit  tirer  de  sa  vie  malheureuse.  C'est  une 
utile  et  excellente  lecture  pour  ces  jeunes  tètes  folles,  toujours 
prêtes  à  se  lancer  dans  l'arène  politique,  à  sacrifier  leur  avenir 
à  des  partis  qui  les  oublieront  le  lendemain  du  succès,  ou  à  des 
chefs  ambitieux  qui  les  abandonneront,  et  sauront  se  mettre 
eux-mêmes  à  l'abri   de  tout  danger  en  cas  de  non-réussite. 

«  Une  circonstance  se  présenta,  »  dit  M.  Monnier  en  résu- 
mant l'histoire  de  sa  vie ,  «  où  le  sacrifice  possible  de  quel- 
ques têtes  patriotes  me  fut  montré  comme  pouvant  briser  le 
joug  que  l'étranger  avait  imposé  à  la  France.  Mon  inexpé- 
rience des  machinations  des  partis  ne  vit  que  le  côté  poétique 
de  cette  entreprise  ,  et  je  m'y  jettai  corps  et  âme  ,  sans  intelli- 
gence du  présent,  comme  sans  prévision  de  l'avenir.  La  ten- 
tative échoua.  Les  hommes  auxquels  elle  promettait  fortune 
et  renommée  ,  s'éclipsèrent ,  et  moi  qui ,  dans«iucun  cas  ,  ne 
pouvais  en  recueillir  que  la  satisfaction  de  ma  conscience ,  je 
restai  seul,  en  face  des  haines  et  des  vengeances  de  la  Restau- 
ration. Il  y  a  encore  dans  ce  résultat  une  moralité  salutaire  : 
il  apprend  aux  hommes  à  ne  pas  s'exagérer  leur  importance, 
et  à  mesurer  sagement  la  distance  qui  sépare  une  folle  entre- 
prise d'un  sacrifice  rationnel  et  basé  sur  des  probabilités  de 
succès. 

»  Quinze  années  d'incomparables  misères  ont  été  le  fruit 
d'un  seul  moment  d'irréflexion.  Que  devinrent  durant  ce  long 
martyre ,  les  illusions  généreuses  qui  m'avaient  poussé  vers 


124  LITTÉRATURE, 

l'abîme?  Errant,  fugitif,  repoussé  de  partout  connue  le  lé- 
preux de  l'Evangile,  je  n'obtins  pas  même  les  honneurs  de  la 
persécution;  car,  terne,  cruelle,  incessante,  cette  persécu- 
tion affectait  plutôt  de  s'acharner  contre  un  malfaiteur  obscur 
que  contre  une  victime  politique.  » 


MEMOIRES  BIOGRAPHIQUES -HISTORIQUES  SUR  LE  PRESIDENT  DE 
LA  GRÈCE ,  LE  COMTE  JEAN  CAPOOlSTRïAS  ,  avec  des  notes  cri- 
tiques,  historiques  sur  plusieurs  évènemens  politiques,  ainsi  que 
sur  plusieurs  personnages  étrangers  et  grecs;  accompagnés  des 
pièces  justificatives  et  authentiques  pour  servir  de  documens  à  l'his- 
toire contemporaine,  et  suivis  d'un  ouvrage  posthume  de  Capodis- 
trias  sur  Ali-Pacha  de  Janina,  par  André  Papadopoulo-Vrétos,  doc- 
teur en  médecine.  —  Paris,  chez  Ab.  Cherbuliez  et  compe.,  1837, 
tome  lerin-8,  5  fr.  L'ouvrage  complet  formera  quatre  volumes. 

Capodistrias,  après  avoir  été  appelé  à  gouverner  la  Grèce 
par  tous  les  vœux  des  partisans  de  la  liberté  de  cette  belle 
contrée,  fut  assassiné  lâchement,  et  presque  personne  n'osa 
élever  la  voix  pour  maudire  l'assassin,  pour  défendre  la  mé- 
moiredu  Président  contre  les  violentes  attaques  qui  lui  furent 
adressées  par  ceux-là  même  qui  avaient  le  plus  vivement  ap- 
plaudi son  élection.  L'histoire  contemporaine  est  bien  rare- 
ment celle  qu'on  connaît  le  mieux.  Passions,  intérêts,  secret 
diplomatique,  tout  s'unit  pour  en  obscurcir  le  sens,  pour  en 
fausser  l'esprit.  Chaque  parti  retrace  les  évènemens  selon  sa 
couleur,  et  les  documens  officiels  qui  pourraient  servir  de  fil 
conducteur  au  milieu  de  ce  labyrinthe  de  mensonges,  sont 
généralement  cachés  à  tous  les  regards,  tant  les  gouvernemens 
craignent  l'éclat  de  la  vérité.  Le  comte  Capodistrias  a  été  re- 
présenté comme  le  tyran  de  la  Grèce,  on  l'a  accusé  d'avoir 
voulu  établir  le  despotisme  le  plus  intolérable  dans  ce  pays, 
qu'il  prétendait,  dit-on,  exploiter  pour  le  compte  de  la  Rus- 
sie. Il  s'est  élevé  contre  lui  une  foule  de  voix,  et  la  presse 
libérale  a  été  presque  unanime  à  ne  voir  en  lui  qu'un  lieute- 
nant du  Czar.  C'est  à  peine  si  une  ou  deux  feuilles  ont  eu  le 
courage  de  maudire  l'acte  qui  a  mis  fin  d'une  manière  si 
malheureuse  aux  purs  du  Président.  L'assassin  a  été  vanté, 
par  un  grand  jiombre,  comme  le  libérateur  de  son  pays.  Les 
évènemens  sont  venus  depuis  lors  ouvrir  sans  doute  bien  des 
yeux  à  cet  égard.  La  Grèce  Bavaroise  a  pu  regretter  plus 
d'une  fois  ce  chef  qu'elle  avait  choisi  elle-même  pour  orga- 
niser son  gouvernement  après  la  victoire,  et  sous  la  direction 
duquel  elle  avait  repris  rang  parmi  les  nations  indépendan- 
tes. D'un  autre  coté,  à  mesure  que  les  passions  se  calmaient  la 
raison  s'est  fait  jour,  on  s'est  souvenu  que  Capodistrias  était 
un  homme  d'une  haute  intelligence,  animé  des  principes  les 
plus  nobles,  doué  d'un  cœur  généreux  et  d'un  esprit  très- 
éclairé,  qui,  dans  les  conférences  politiques  où  se  réglèrent  les 


H1ST0IRH.  12  6 

destinées  de  tant  d'États,  après  la  fin  des  longues  guerres  de 
Napoléon,  avait  plaidé  vivement  la  cause  des  libertés  suisses. 
Ses  amis  ont  pu  enfin  se  faire  écouter,  et  si  le  moment  n'est 
peut-être  pas  encore  venu  de  porter  un  jugement  définitif 
sur  cet  homme  d'état,  l'ouvrage  que  nous  annonçons  ici  sera 
du  moins  accueilli  d'une  manière  favorable,  à  cause  surtout 
des  documens  qu'il  renferme  et  des  détails,  jusqu'à  présent 
tout-à-fait  inconnus,  qu'il  promet  de  donner  sur  l'administra- 
tion du  comte  Capodistrias.  On  accusera  sans  doute  M.  Pa- 
padopoulo  de  partialité  pour  la  Russie,  mais  comme  en  même 
temps  il  est  grec,  et  qu'il  a  été  témoin  de  ce  qui  s'est  passé  en 
Grèce  depuis  l'arrivée  du  Président  jusqu'à  sa  mort,  son  li- 
vre, quelle  que  soit  l'opinion  particulière  de  l'auteur,  offrira 
probablement  des  faits  curieux  et  contribuera  fortement  à 
éclaircir  la  question. 

Cette  première  partie  ne  renferme  guère  que  la  carrière  di- 
plomatique de  Capodistrias,  jusqu'au  moment  où  il  fut  ap- 
pelé en  Grèce.  L'auteur  fait  une  peinture  très-séduisante  de 
son  caractère,  qu'il  représente  doué  de  toutes  les  vertus  et 
de  toutes  les  qualités  qui  font  l'homme  de  bien  et  le  grand 
citoyen.  Ce  portrait,  quelque  flatté  qu'il  puisse  paraître,  s'ac- 
corde avec  ce  que  disent  tous  ceux  qui  ont  connu  le  célèbre 
diplomate  dans  sa  retraite  en  Suisse,  et  il  trouve  une  nouvelle 
confirmation  dans  les  derniers  volumes  de  Mémoires  que 
vient  justement  de  publier  la  duchesse  d'Abrantès. 

La  ville  de  Genève,  reconnaissante  des  services  du  comte 
Capodistrias,  lui  avait  offert  les  droits  de  bourgeoisie  qu'il  avait 
acceptés  avec  joie  et  dont  il  se  parait  volontiers  comme  de 
l'une  de  ses  plus  honorables  distinctions.  C'est  dans  cette 
nouvelle  patrie  que  vint  le  chercher  le  décret  qui  l'appelait 
à  la  présidence  de  la  Grèce.  Suivant  M.  Papadopoulo,  loin 
d'avoir  aucune  tendance  despotique,  le  Président  voulait  l'é- 
mancipation du  peuple,  et  devint  bientôt  populaire  sous  le 
nom  du  Père-Jean.  Mais, dès  ses  premiers  actes  administratifs, 
il  trouva  une  résistance  très-vive  dans  les  phanarioles  qui 
forment  l'aristocratie  grecque,  et  qui  eurent  recours  à  mille 
intrigues  ténébreuses  pou1'  empêcher  la  réalisation  des  plans 
de  Capodistrias. 

Les  livraisons  suivantes  de  ces  Mémoires  nous  montreront 
sur  quels  faits  l'auteur  appuie  ses  assertions  à  cet  égard,  et 
nous  permettront  d'apprécier,  d'une  manière  plus  complète, 
le  mérite  de  son  ouvrage.  En  attendant  nous  l'engagerons 
seulement  à  en  soigner  davantage  le  style,  qui  offre  d'assez 
fréquentes  négligences,  pardonnables  sans  doute  à  un  étran- 
ger, mais  qu'il  ne  serait  pas  difficile  de  faire  disparaître. 

En  tète  de  cette  première  livraison  se  trouve  un  portrait 
très- ressemblant  et  bien  lithographie  du  comte  Capodistrias. 


120  RELIGION,  PHILOSOPHIE, 

Elle  est  également  accompagnée  d'un  grand  nombre  de  no- 
tes et  de  pièces  justificatives.  À  la  suite  des  Mémoires, 
M.  Papadopoulo  publiera  un  ouvrage  inédit  de  Capodistrias, 
sur  ie  fameux  Ali-Pacha  de  Jaaïn% 


RELIGION,    PHILOSOPHIE,    MORALE,    EDUCATION. 


LETTRE  A  TOITS  LES  5IEMBRES  DU  CLERGE  ,  à  tous  les  fidèles  et  aux 
auditeurs  de  Notre-Dame  ;  sur  la  nécessité  de  rendre  l'éloquence  ec- 
clésiastique à  sa  simplicité  première  etc.  etc.  par  l'auteur  du  Prêtre 
devant  le  Siècle.  —  Paris  ,  chez  Beaujouan.  1837.  In-8. 

Voici  encore  M.  Madrolle  et  son  style  original,  dans  le- 
quel les  phrases  et  les  idées  se  pressent  et  se  heurtent  de  la 
plus  bizarre  façon.  Mais,  laissant  de  côté  l'étrangeté  de  la 
forme,  allons  droit  au  fond,  ou  du  moins  tâchons  d'y  aller; 
car  avec  lui  ce  n'est  pas  toujours  facile.  Il  paraît  que  les 
fameuses  conférences  de  l'abbé  Lacordaire,  dont,  pendant 
huit  jours,  tout  Paris  s'occupa,  sont  le  but  principal  de  cette 
lettre  dans  laquelle  il  insiste  fortement  sur  la  nécessité  de 
travailler  à  ranimer  parmi  le  clergé  catholique  l'éloquence 
de  la  chaire  dont- l'antique  et  noble  simplicité  n'est  plus  au- 
jourd'hui qu'une  tradition  perdue.  Les  critiques  qu'il  adresse 
aux  conférences  si  vantées  de  ces  abbés  qui  cherchaient  à 
attirer  la  jeunesse  à  Notre-Dame,  en  flattant  s :s  goûts,  en 
caressant  ses  idées,  en  alléchant  son  amour-propre,  sont  cer- 
tainement très-justes,  car  il  y  avait  dans  tout  cela  un  vernis 
de  charlatanisme  tout-à-fait  incompatible  avec  la  vraie  pieté. 

licite  de  singuliers  fragmens  de  ces  discours,  soi-disant 
improvisés,  qui  faisaient  naguère!  retentir  les  échos  de  la  ca- 
thédrale au  milieu  des  murmures  flatteurs  d'un  public  amené 
là  comme  au  spectacle  par  la  curiosité,  sans  autre  but  que 
celui  de  chercher  des  distractions  nouvelles.  Ce  n'est,  en  effet, 
pas  ce  que  faisaient  les  Massillon,  les  Bossuet,  les  Bourdaloue  ; 
et  M.  Madrolle  a  parfaitement  raison  de  dire  que  maints 
curés  obscurs,  dont  le  nom  est  inconnu  hors  de  leur  paroisse, 
comprennent  bien  mieux  ce  que  doit  être  l'éloquence  de  la 
chaire.  Cette  partie  du  culte,  trop  souvent  négligée  aujour- 
d'hui, est  sans  contredit  la  plus  importante,  car  elle  peut 
produire  les  plus  grands  résultats.  La  parole  est  puissante  sur 
les  masses;  mais  le  piètre  qui  comprend  sa  mission  doit  l'em- 
ployer pour  instruire,  avertir,  menacer  même  et  surtout  con- 
soler, non  point  pour  flatter  ou  pour  quêter  des  applaudisse- 
mens. 


MORALE,    ÉDUCATION.  127 

LES  ENFANS  DE  LA  vallée  ivandlau  ,  ou  Notions  sur  la  religion  , 
la  morale  et  les  merveilles  de  la  nature;  par  MMmes  E.  Voiart  et 
A.  Tastu.  —  Paris,  chez  Didier.  1837.  2  vol.  in-12,  flg.,  8  fr. 

Cet  ouvrage  est  imité  de  l'allemand  ;  il  renferme  l'histoire 
d'une  famille  chrétienne,  et  il  est  empreint  d'un  esprit  reli- 
gieux, plein  de  douceur,  de  charité,  de  simplicité.  C'est  hien 
le  christianisme  tel  qu'il  doit  être  offert  aux  enfans  comme 
un  guide  et  un  sûr  conseiller  pour  la  conduite  de  la  vie, 
comme  un  hymne  continuel  de  reconnaissance  pour  les  bien- 
faits dont  le  Créateur  nous  a  comblés,  comme  une  source  de 
consolation  dans  les  épreuves  de  l'infortune  et  de  la  douleur. 
On  n'y  trouve  point  cette  exagération  rigoriste  qui  donne  à 
la  piété  une  austérité  repoussante,  en  fait  un  épouvantail  et 
prétend  dominer  l'enfance  et  l'âge  mûr  par  la  crainte  des 
châtimens  dont  elle  menace  les  plus  légères  transgressions. 
Dieu  y  est  peint  comme  un  bon  père,  dont  toute  la  sollici- 
tude est  constamment  occupée  à  assurer  le  bonheur  de  ses 
enfans,  qui  sont  tous  les  hommes.  C'est  par  les  sentimens 
affectueux,  par  les  liens  de  l'amour  que  l'auteur  cherche  à 
s'emparer  de  ces  jeunes  cœurs  ouverts  à  toutes  les  émotions 
..îobles  et  généreuses. 

Voyez  le  nouveau-né  sur  le  sein  de  sa  mère, 
Ne  contemplez-vous  pas  son  bonheur  éphémère 

D'un  œil  presque  jaloux? 
N'avez-vous  pas  au  cœnr  une  secrète  envie 
En  comparant ,  hélas  !  les  maux  de  toute  vie 

A  son  destin  si  doux  ? 
S'il  s'éveille ,  un  lait  pur  est  offert  à  sa  bouche  ; 
S'il  s'endort ,  le  silence  environne  sa  couche  ; 

N'a-t-il  pas  pour  appui 
Un  genou  qui  le  berce,  un  bras  qui  le  protège, 
Et  des  soins  maternels  l'ineffable  cortège 

Veillant  autour  de  lui  ? 
Mais  la  religion,  mère  tendre  et  prudente, 
Vous  ofïre,  enfans,  ce  lait  dont  la  source  abondante 

Ne  se  tarit  jamais, 
Ces  bras  toujours  ouverts  ,  ces  yeux  infatigables  ; 
Et ,  quand  vient  le  sommeil ,  ces  genoux  secourables, 

Où  l'on  s'endort  en  paix. 

Cette  gracieuse  poésie,  que  madame  Tastu  a  placée  en  tête 
du  premier  volume,  résume  parfaitement  l'intention  de  l'au- 
teur. Il  raconte  l'histoire  d'une  famille  et  trace  une  foule  de 
tableaux  tour  à  tour  gracieux,  touchans  ou  instructifs.  Les 
petits  incidens  d'une  existence  douce  et  paisible,  les  leçons, 
les  devoirs,  les  plaisirs  que  des  parens  vertueux  partagent  en 


128  LÉGISLATION  , 

quelque  sorte  avec  leurs  enfans,  constituent  toute  l'action  de 
ce  petit  roman,  dans  lequel  les  sentiméns  des  enfans  sont  sans 
cesse  ramenés  à  Dieu  d'une  manière  simple  et  ingénieuse. 

Les  principales  fêtes  religieuses  tiennent  leur  place  dans  le 
récit  et  fournissent  à  l'auteur  l'occasion  de  donner  quelques 
notions  sur  l'histoire  et  le*  dogmes  du  christianisme.  On  y 
trouve  également  beaucoup  d'excellentes  directions  pour  la 
jeunesse,  et  maints  détails  capables  de  l'intéresser.  Les  di- 
verses petites  passions  qui  agitent  l'enfance  et  sont  la  source 
de  la  plupart  de  ses  défauts,  mises  en  scène  avec  leurs  ré- 
sultats funestes,  et  corrigées  par  l'expérience  autant  que  par 
de  sages  conseils,  offrent  des  leçons  morales  qui  peuvent 
impressionner  assez  vivement  les  jeunes  lecteurs  auxquels 
elles  sont  destinées. 

En  tête  de  chaque  chapitre,  madame  Tastu  a  mis  en  forme 
d'épigraphes  des  vers  simples  et  harmonieux,  dont  la  réu- 
nion forme  une  suite  de  charmantes  poésies  propres  à  meu- 
bler la  mémoire  des  enfans,  et  en  même  temps  à  former  leur 
cœur.  Elle  a  très-bien  saisi  l'intention  de  l'auteur  allemand, 
qui  est  de  travailler  à  préparer  des  hommes  vertueux  et  pro- 
bes, capables  de  sentir  et  de  comprendre  leur  haute  destinée 
d'êtres  immortels,  et  d'employer  tous  les  instans  de  cette 
courte  vie  à  développer  les  facultés  de  leur  âme,  pour  ten- 
dre sans  cesse  à  ce  perfectionnement  moral  qui  doit  être  le 
but  de  tous  nos  efforts.  Dans  notre  époque,  où  Ton  s'occupe 
en  général  avec  tant  de  zèle  de  l'instruction  populaire,  il  est 
bon  que  l'éducation  ne  soit  pas  oubliée;  car  l'esprit  le  mieux 
cultivé  ne  produit  pas  grand'  chose  de  noble  ni  d'utile  s'il  se 
trouve  accompagné  d'un  cœur  vide,  d'une  ame  sèche.  On 
accueillera  donc  avec  faveur  les  Enfans  de,  la  vallée  d'Andlau., 
et  on  oubliera  volontiers  les  critiques  de  détail  auxquelles 
pourrait  être  exposée  la  forme  du  livre ,  devant  la  haute 
importance  du  fond  et  l'heureuse  influence  qu'il  pourra 
exercer  si,  comme  il  y  a  tout  lieu  de  l'espérer,  un  succès  di- 
gne de  son  mérite  le  fait  bientôt  entrer  dans  toutes  les  fa- 
milles en  France,  comme  il  l'est  déjà  en  Allemagne. 


LEGISLATION,    ECONOMIE   POLITIQUE,   COMMERCE. 


du  systùmf,  PK.\4Tiî>i'ri.\iitF.  et  de  scs  conditions  fondamentales  , 
par  M.  Aylies ,  conseillier  â  la  cour  royale  de  Paris.  —  Paris,  1837. 
Iu-8,  5fr. 


ÉCONOMIE  POLITIQUE,  ETC.  129 

MJ  SYSTÈME  PÉNITENTIAIRE  AMÉRICAIN  EN  1 830  ,  par  le  docteur 
Julius,  de  Berlin  ,  suivi  de  quelques  observations  par  M.  V.Foucher, 
avocat  général  du  Roi.  —  Rennes,  chez  Blin  ;  Paris  et  Genève,  chez 
A.  Cherbuliez  et  Compe.  1837.  In-8,  2  fr. 

En  attendant  que  la  réforme  des  prisons  s'introduise  dans 
la  pratique,  la  discussion  se  continue  avec  zèle,  et  chacun 
s'empresse  d'entrer  en  lice  pour  éclairer  de  ses  lumières  quel- 
que point  obscur  ou  douteux  de  la  question.  Le  système 
pénitentiaire  est  si  bien  soumis  au  critère  de  la  raison,  qu'on 
dirait  en  vérité  que  les  Français  en  ont  déjà  une  longue  ex- 
périence. Quel  dommage  que  toutes  ces  excellentes  mesures 
ne  se  trouvent  encore  que  dans  des  livres,  et  qu'on  soit  tou- 
jours obligé  d'aller  chercher  hors  de  France  les  exemples  sur 
iesqueis  on  s'appuie  !  Mais  enfin,  en  présence  du  mouvement 
qui  agite  les  esprits  et  les  pousse  à  s'occuper  avec  tant  de 
persévérance  de  cette  importante  réforme,  on  peut  espérer 
que  des  essais  d'applications  ne  tarderont  pas  à  être  tentés, 
et  la  discussion  aura  assez  longuement  préparé  le  terrain  pour 
qu'on  puisse  aussi  croire  à  un  succès  assuré. 

M.  Aylies  examine  rapidement  le  système  actuel  des  pri- 
sons de  France,  dont  il  démontre  l'impuissance  et  les  dan- 
gers. Il  passe  ensuite  en  revue  les  divers  pénitenciers  d'A- 
mérique, ainsi  que  les  établissemens  du  même  genre  fondés 
en  Suisse.  Ces  derniers  lui  semblent  organisés  dans  un  sys- 
tème trop  doux  ;  il  n'y  trouve  pas  les  garanties  d'intimidatiou 
qu'il  croit  indispensables.  Le  système  cellulaire  absolu,  de 
jour  comme  de  nuit,  lui  paraît  mériter  une  grande  préfé- 
rence, et  il  repousse  vivement  les  accusations  de  barbarie  ou 
d'inhumanité  adressées  aux  Etats-Unis  à  l'égard  du  régime 
de  leurs  prisons  pénitentiaires. 

L'argument  le  plus  fort  qu'il  émette  à  l'appu;  de  ce  sys- 
tème, c'est  que  les  hommes  détenus  dans  la  même  prison,  ne 
se  voyant  jamais  et  ne  se  connaissant  absolument  pas,  une 
fois  rentrés  dans  la  société  ils  n'auront  point  à  rougir  en  s'y 
rencontrant,  et  ne  seront  plus  exposés  à  se  laisser  entraîner 
par  d'anciens  camarades  de  captivité.  Ces  rencontres  ne  sont 
en  effet  que  trop  souvent,  sous  le  régime  actuel,  les  causes  de 
malheureuses  récidives. 

—  M.  le  docteur  Julius  se  prononce  exactement  dans  le 
même  sens  et  fait  le  plus  grand  éloge  du  pénitencier  de  Phi- 
ladelphie, dont  le  succès  est  dû  suivant  lui  au  système  cel- 
lulaire et  à  l'institution  des  inspecteurs  de  la  prison,  dont  les 
fonctions,  purement  gratuites  et  toutes  de  dévouement,  sont 
confiées  aux  personnes  les  plus  charitables  et  les  plus  estimées 
de  la  localité.  Il  présente  à  ce  sujet  des  considérations  pleines 
de  sagacité  et  d'intérêt. 


130  LÉGISLATION, 

ou  commerce  srissE,  et  des  douanes  françaises  ,  par  L.  Jaque  t.  -— 
Paris ,  chez  Ab.  Cherbuliez  et  compe.  1837.  In-8,  1  fr.  50  c. 

Chargé,  en  1835,  par  le  Directoire  fédéral,  d'intercéder  au- 
près du  gouvernement  français  pour  obtenir  quelques  di- 
minutions favorables  à  la  Suisse ,  dans  le  tarif  des  douanes , 
M.  Jaquet  présenta,  au  ministre  des  affaires  étrangères  et  au 
ministre  du  commerce ,  un  mémoire  dans  lequel  il  exposait 
avec  clarté  et  précision  le  tort  que  faisaient  à  la  Suisse  cer- 
taines prohibitions ,  ou  certains  droits  équivalens  ,  qui  ne  pro- 
fitaient nullement  à  la  France.  Il  appuyait  principalement 
sur  les  bestiaux  et  les  fromages,  objets  de  l'industrie  capitale 
d'une  grande  partie  de  la  Suisse  ,  et  qui  ne  peuvent  en  quel- 
que sorte  être  remplacés  d'une  manière  avantageuse;  il  di- 
sait en  passant  quelques  mots  des  fers  et  des  bois,  ainsi  que 
des  produits  manufacturés,  et  terminait  en  demandant  qu'on 
ouvrit  du  moins  à  Paris ,  au  centre  du  commerce  et  de  l'in- 
dustrie,  une  espèce  de  bazar-entrepôt,  dans  lequel  les  mar- 
chandises suisses  pussent  venir  s'étaler  aux  yeux  des  ache- 
teurs ,  entrer  en  concurrence  avec  celles  de  tous  les  autres 
pays  ,  et  n'acquitter  les  droits  qu'après  la  vente. 

Ce  mémoire  n'a  pas  été  inutile  ;  plusieurs  concessions  ont 
été  faites  au  système  de  la  liberté  du  commerce  qui  en  avait 
inspiré  l'esprit;  et  l'auteur,  en  le  livrant  aujourd'hui  à  la 
presse,  a  la  satisfaction  de  pouvoir  indiquer  quelques  modifica- 
tions assez  importantes,  provoquées  et  obtenues  par  ses  efforts. 

A  la  suite  de  ce  rapport  se  trouve  un  tableau  des  exporta- 
tions de  la  Suisse  en  France,  pendant  l'année  1835.  Ce  ta- 
bleau ,  fort  curieux  sous  bien  des  rapports ,  peut  offrir  d'uti- 
les renseignemens  aux  manufacturiers  suisses.  Il  est  fâcheux 
qu'on  ne  puisse  dresser  de  même  une  statistique  générale  de 
tout  le  commerce  suisse.  Ce  serait  un  argument  bien  fort  en 
faveur  du  principe  si  étrangement  hué  et  proscrit  en  France 
de  :  laissez  faire ,  laissez  passer. 


SCIENCES     ET    ARTS. 


SÉANCE    PUBLIQUE    DE    LA    SOCIETE    L1NNEENNE  DE  NORMANDIE, 

tenue  à  Vire  ,  le  24  niai  1836.  ln-8,  1  fr.  50  c.—  A  Paris,  chez  Dcrache 
successeur  de  Lance ,  rue  du  Rouloy  ,  7. 

Les  mémoires  qui  composent  ce  volume  sont  les  suivans  : 
—  Analyse  des  travaux  de  la  société  pendant  Vannée  acadé- 


SCIENCES  ET  ARTS.  131 

inique  1835 — Sd^parM.  Eudes  Deslongchamps.  L'auteur  passe 
en  revue  toutes  les  recherches  scientifiques  auxquelles  se  sont 
livrés  les  membres  de  la  société,  et  son  rapport  offre  une 
preuve  de  l'activité  avec  laquelle  la  science  est  explorée  par 
eux.  Plusieurs  observations  intéressantes  de  géologie  et  de 
botanique  forment  la  principale  partie  de  ces  travaux. 

—  Hcmaïques  sur  un  des  genres  les  plus  nombreux  de  la  fa- 
mille des  Lie/iens,  le  genre,  cenomyre,  par  M.  Delise ;  M.  Delise 
fut  chargé  par  M.  Duby  de  travailler  le  genre  Cenomyre  pour 
le  Botanicon  Gallïcum.  Ce  travail ,  que  des  circonstances  par- 
ticulières l'empêchèrent  de  soigner  autant  qu'il  l'aurait  voulu, 
a  été  depuis  complété  par  lui.  Sa  monographie  des  Cénomrres, 
genre  le  plus  nombreux,  le  plus  élégant  et  le  plus  intéressant 
de  la  famille  des  Lichens ,  compte  aujourd'hui  environ  350 
espèces  ou  variétés  décrites  ,  dont  près  de  la  moitié  sont  nou- 
velles. Il  a  cherché,  autant  que  possible ,  cependant ,  à  se  tenir 
en  garde  contre  le  défaut,  trop  commun  chez  le  naturaliste, 
démultiplier  les  espèces. sans  caractères  bien  déterminés.  Les 
apothèces  et  les  podétions  ont  servi  de  bases  à  sa  classifica- 
tion ;  et  il  a  établi  les  variétés  d'après  certaines  formes  par- 
ticulières plus  ou  moins  éloignées  du  type,  ainsi  que  d'après 
la  couleur  des  apothèces ,  des  podétions  et  des  folioles  ou 
écailles  thalloïdes. 

—  Aperçus  généraux  sur  la  Géologie  et  la  Flore  de  ^l'arrondis- 
sement de  Vire;  par  M.  Dubourg  d'Isigny.  Ce  mémoire  contient 
quelques  considérations  assez  curieuses  sur  les  rapports  qui 
peuvent  exister  entre  la  géologie  et  la  botanique,  et  l'influence 
de  la  structure  géologique  d'un  terrain  sur  la  végétation  qui 
s'y  développe.  Il  est  terminé  par  un  catalogue  des  plantes 
spontanées  de  l'arrondissement  de  Vire.  Ce  sont  des  documens 
utiles  pour  la  géographie  botanique  : 

—  Coup-d'œil  sur  la  répartition  géographique  des  groupes  d'oi- 
seaux,  et  sur  l'analogie  qui  se  remarque  entre  plusieurs  d'entre 
eux  sous  les  latitudes  ;  par  M.  de  la  Fresnajc.  Ces  recherches  , 
qui  ne  sont  encore  qu'ébauchées ,  promettent  d'amener  de 
beaux  résultats  sur  les  relations  réciproques  qui  peuvent  exis- 
ter entre  le  climat  et  les  mœurs,  les  habitudes,  les  formes 
des  oiseaux  qui  se  trouvent  dans  telle  ou  telle  zone.  C'est  un 
nouveau  champ  ouvert  aux  explorations  des  naturalistes  , 
qui  pourront  peut-être  y  trouver  la  solution  de  plus  d'une 
question  importante  et  difficile. 

—  Des  lichens  utiles  ;  par  M.  de  Brébisson  ;  M .  de  Brébisson 
a  voué  une  affection  vive  à  ses  chers  lichens  ;  aussi  est-ce  avec 
complaisance  qu'il  expose  tous  les  services  qu'on  en  peut  ti- 
rer. Il  nous  les  montre  tantôt  servant  à  restaurer  les  poitrines 
délabrées ,  tantôt  offrant  un  aliment  précieux  aux  malheu- 


132  SCIENCES  ET  ARTS. 

reuses  peuplades  de  la  zone  glaciale ,  tantôt  entrant  pour  une 
part  dans  la  composition  de  ces  fameux  nids  d'oiseaux  tant 
estimés  des  gourmets  Chinois.  Enfin  il  énumère  les  divers  usa- 
ges que  l'industrie  peut  faire  de  plusieurs  espèces  de  lichens. 

—  De  l'utilité  des  hydroplijtes,  par  M.  Cliauvin,  Les  algues 
sont  encore  généralement  trop  peu  connues  pour  qu'on  ait 
beaucoup  cherché  à  en  tirer  parti.  Cependant ,  au  rapport  de 
de  plusieurs  voyageurs,  elles  fournissent  une  alimentation 
saine  et  agréable  à  des  populations  entières  ,  en  Laponie  ,  au 
Kamschatka  ,  au  Japon,  etc.  On  les  employé  également  avec 
succès  à  la  nourriture  des  bestiaux  ,  et  l'on  s'en  sert  en  plu- 
sieurs contrées  comme  d'engrais  pour  fumer  les  terres. 

—  Listes  de  plantes  nouvelles  pour  la  France,  ou  la  Normandie. 

—  Liste  des  plantes  recueillies  pendant  l'herborisation  ,  par 
M.  Lenormand. 


NOUVEAU  GUIDE  EN  AFFAIRES  ,  ou  recueil  complet  des  actes  sous 
seing  privé,  des  actes  commerciaux  et  de  la  comptabilité  agricole  , 
mis  en  exemples  ou  modèles  d'écriture  à  l'usage  des  écoles  de  France, 
par  M.  F.  Gigault  d'OUncourt. —  Bar-Ie-Duc  ,  chez  F.  d'Olincourt  ; 
Paris ,  chez  Hachette.  1837  ,  liv.  1  à  3  1/2  in- 4  ,  oblong  3  fr. 

Ces  modèles  offrent  toute  espèce  d'actes  tels  que  factures, 
billets,  lettres  de  change,  mandats,  conventions  et  engage- 
mens  .divers,  bail,  cautionnement  etc.  Leur  usage,  dans  l'en- 
seignement de  l'écriture, ne  peut  donc  qu'être  fort  avantageux 
en  familiarisant  les  enfans  avec  une  foule  de  formules  dont 
on  a  fréquemment  besoin  dans  le  cours  de  la  vie,  et  dont  l'i- 
gnorance nécessite  le  recours  aux  hommes  de  loi  qui  n'en 
profitent  que  trop  souvent  pour  susciter  des  procès  et  des  em- 
barras sans  fin.  Ils  sont  d'ailleurs  lithographies  avec  soin  et 
dans  tous  les  divers  genres  d'écriture  anglaise,  ronde,  bâ- 
tarde, coulée,  etc.  etc. 

M.  F.  Gigault-d'Olincourt,  qui  en  est  l'auteur  et  l'éditeur 
se  distingue  d'une  manière  assez  remarqurble  dans  le  nombre 
des  libraires  instruits  que  possède  maintenant  la  France  ;  il 
est  auteur  de  plusieurs  ouvrages,  il  publie  et  rédige  en  grande 
partie  le  Père  de  famille,  journal  d'instruction  populaire  des- 
tiné à  propager  les  notions  scientifiques  les  plus  utiles  et  les 
meilleurs  principes  moraux;  enfin  il  s'occupe  activement  de 
tout  ce  qui  peut  favoriser  le  progrès  des  lumières  et  contri- 
buer à  les  répandre  dans  toutes  les  classes  de  la  société. 


DE    l'iMPMMBMC   DE  BEAU,  A  SAI.fT-CEBMA1N-tN-I.ATE. 


Bulletin  iittlratr* 

ET  SCIENTIFIQUE. 

5-  OLuuée.  —  qA^  .5.  —  o4b«;  1837. 
encyclopédie  des  gens  du  monde, 

Répertoire  universel  de  toutes  les  connaissances  nécessaires,  utiles  ou 
agréables  dans  la  vie  sociale,  et  relatives  aux  Sciences,  aux  Lettres, 
aux  Arts,  à  l'Histoire,  à  la  Géographie,  etc.  ;  avec  des  Notices  sur 
les  principales  Familles  historiques,  et  sur  les  Personnages  morts  et 
vivans;  par  une  Société  de  Savans ,  de  Littérateurs  et  d'Artistes, 
français  et  étrangers.  —  12  tomes  grand  in- 8°,  sur  papier  grand-rai- 
sin /chacun  en  deux  volumes  de  plus  de  400  pages  à  deux  colonnes , 
en  petit  caractère  neuf,  dit  gaillarde.  Prix  de  la  souscription ,  5  fr.le 
volume  pour  Paris,  et  6  fr.,  franc  de  port,  pour  les  départeniens. 

Plus  la  science  fait  de  progrès,  plus  son  domaine  s'agran- 
dit; ses  conquêtes  augmentent  chaque  jour,  et  le  cercle  des 
connaissances  humaines  devient  si  vaste,  que  l'homme  qui 
voudrait  faire  une  étude  spéciale  et  approfondie  de  cha- 
cune de  ses  branches,  n'aurait  pas  assez  de  tous  les  instans 
de  la  plus  longue  vie  à  laquelle  il  lui  soit  permis  d'aspi- 
rer ici -bas.  L'universalité  est  devenue  une  condition  indis- 
pensable, aussi  bien  pour  le  savant  que  pour  l'homme  du 
monde  ;  et  pour  satisfaire  à  ce  nouveau  besoin  de  notre  civi- 
lisation moderne,  on  a  senti  la  nécessité  de  faire  de  nouvelles 
encyclopédies,  plus  complètes  et  moins  exclusivement  scien- 
tifiques que  celle  qu'on  possédait  jusqu'à  présent.  Les  Alle- 
mands avaient  déjà,  depuis  bien  des  années,  compris  l'utilité 
de  semblables  recueils,  et  leur  Conversations  Lcxiron  a  servi  de 
modèle  à  tous  les  autres,  quoiqu'il  fût  loin  encore  de  remplir 
entièrement  le  but.  En  Fiance,  le  pays  classique  de  la  con- 
versation, il  n'y  a  pas  long-temps  qu'on  a  commencé  à  pu- 
blier quelque  ouvrage  de  ce  genre,  et  cependant,  c'est  là 
peut-être  que  cette  lacune  se  faisait  sentir  le  plus  vivement, 
et  c'est  là  aussi  qu'elle  sera  probablement  le  mieux  comblée. 
L'esprit  français,  vif  et  prompt  à  saisir  du  premier  coup-d'œil 
l'ensemble  des  questions,  son  aptitude  à  les  traiter  d'une  ma- 
nière assez  complète  sans  trop  les  approfondir,  sont  merveil- 
leusement propres  à  un  travail  de  ce  genre,  auquel  la  pré- 
cision et  la  clarté  de  ia  langue  se  prêtent  également  fort  bien. 
Dans  nulle  autre  contrée  la  science  ne  parle  un  langage  plus 
agréable  et  plus  facile,  aussi  un  succès  assuré  semblait atten- 

io 


432  ENCYCLOPÉDIE 

dreles  premiers  écrivains  qui  essayeraient  de  faire  unepuLi:- 
cation  de  ce  genre,  et  deux  entreprises  rivales  ont  commencé.; 
à  peu  près  en  même  temps,  l'une  sous  le  titre  de  Diction/mire 
de  la  Conversation,  l'autre  sous  celui  d' Encyclopédie  des  gens 
du  monde.  L'une  et  l'autre  comptent  parmi  leurs  rédacteurs 
des  noms  illustres,  dignes  de  la  confiance  publique.  Mais  la 
première  a  peut-être  poussé  trop  loin  la  prétention  de  popu- 
lariser la  science;  à  force  de  vouloir  se  faire  mondaine,  elle 
est  parfois  un  peu  trop  futile,  et  l'on  y  rencontre  souvent  plus 
de  phrases  que  de  faits,  plus  de  style  que  d'exactitude.  Elle 
manque  de  cet  ensemble,  de  cette  unité  de  vues  qui  devrait 
foi  nier  le  lien  de  toutes  ses  parties  ;  la  camaraderie  s'y  est 
glissée,  et  sa  déplorable  influence  s'y  fait  sentir  çà  et  là,  d'une 
manière  assez  fâcheuse. 

L'une  de  ses  dernières  livraisons,  par  exemple,  renferme 
un  article  sur  M.  Jules  Janin  ,  qui  ne  saurait  être  sérieuse- 
ment pris  pour  une  notice  biographique  ou  littéraire;  c'est 
un  éloge  amphatique,  maladroit  à  force  d'être  outré,  dont 
l'enflure  exagérée  a  dû  faire  sourire  de  pitié  le  spirituel  aris- 
tarque  qui  en  est  l'objet. 

h7 Encyclopédie  des  gens  du  monde,  au  contraire,  a  su,  sans 
mentir  à  son  titre,  éviter  de  semblables  défauts.  Snn  habile 
directeur,  M.  Schnitzler,  lui  a  imprimé  l'allure  la  plus  sage 
et  la  plus  convenable.  De  l'impartialité,  ou  plutôt  de  la  jus- 
tice sans  indifférence,  une  modération  constante,  l'apprécia- 
tion calme,  et  exempte  de  tout  esprit  de  parti,  des  opinions, 
des  faits,  des  actes,  voilà  bien  ce  qu'il  faut  pour  une  publi- 
cation de  ce  genre,  destinée  à  exposer  des  systèmes  de  toutes 
sortes,  à  expliquer  des  idées  de  toutes  les  espèces,  sans  que  la 
discussion  doive  se  permettre  d'y  rien  changer,  ni  d'en  tra- 
vestir le  sens  par  des  réfutations  plus  adroites  que  loyales. 
Quelquefois  peut-être,  on  pourrait  souhaiter  une  critique 
plus  hardie;  mais,  en  général,  cependant,  on  applaudira  l'es- 
prit modéré  et  digne  qui  préside  à  toute  sa  rédaction.  La  plus 
complète  impartialité  distingue  les  articles  biographiques  en 
particulier,  et  tous  ceux  qui  renferment  l'exposition  des  di- 
vers systèmes  philosophiques  ou  religieux.  Les  faits  et  les 
doctrines  sont  présentés  avec  une  scrupuleuse  exactitude,  et, 
à  quelque  parti  ({n'appartiennent  leurs  auteurs,  tout  ce  qu'ils 
renferment  de  beau  et  de  bon  est  signalé  à  l'attention  publi- 
que. Je  citerai,  comme  un  exemple  frappant  de  cette  juste  ap- 
préciation des  hommes  et  des  choses,  l'article  Doctrinaires 
rédigé  par  M.  Schnitzler,  et  inséré  dans  la  dernière  livraison 
parue. 

Oubliant  les  violentes  discussions  du  jour,  laissant  de  côté 
toutes  les  questions  de  personnes  et  d'ambition,  l'auteur  se 


DES  GENS  DU  MONDE.  135 

reporte,  par  la  pensée,  à  l'époque  où,  éloignée  du  pouvoir,  la 
doctrine  se  formulait  dans  l'esprit  de  ses  fondateurs.  Il  sépare 
entièrement  les  théories  des  laits,  dans  lesquels  leur  applica- 
tion, entravée  par  maints  obstacles,  accompagnée  sans  doute 
de  plus  d'une  faute,  ne  saurait  eue  jugée  sainement  au  mi- 
lieu d'une  tourmente  révolutionnaire.  Les  progrès  de  la  civi- 
lisation ne  s'opèrent  qu'avec  lenteur;  chez  les  peuples  comme 
chez  les  individus,  la  réforme  ne  saurait  agir  que  graduelle- 
ment, et  toute  tentative  pour  brusquer  sa  marche,  ne  sert  qu'à 
l'entraver,  qu'à  la  fausser,  si  même  elle  ne  l'arrête  tcut-à- 
fait.  Mais  l'esprit  humain  est  de  sa  nature  impatient,  il  craint 
sans  cesse  de  voir  lui  échapper  celte  vie  si  comte,  et  il  a  hâte 
de  faire  passer  dans  les  institutions ,  les  idées  que  la  médita- 
tion lui  suggère.  De  là  ces  luties  incessantes,  ces  chocs  fré- 
quens  et  terribles,  dans  lesquels  les  intentions  les  plus  pures, 
les  talens  les  plus  supérieurs,  viennent  souvent  s'user  au  flot- 
tement des  mauvaises  pissions,  que  les  houleversemens  poli- 
tiques font  surgir,  se  briser  contre  la  force  d'inertie  qui  est 
l'essence  de  ces  vieux  systèmes  d'abus  que  le  temps  a  consa- 
crés. Dans  l'ardeur  du  combat,  la  logique  est  foulée  aux  pieds 
par  tous  les  partis,  la  raison  est  dédaignée  comme  un  auxi- 
liaire trop  lent,  et  les  hommes,  oubliant  bientôt  leur  point  de 
départ,  se  laissent  entraîner  si  loin,  qu'on  chercherait  vaine- 
ment les  rapports  qui  lient  les  principes  qu'ils  ont  d'abord 
posés,  aux  conséquences  qu'ils  prétendent  tirer  de  leur  appli- 
cation. 

Les  publicistes  auxquels  on  a  donné  le  nom  de  doctrinaires, 
paice  qu'en  effet  ils  cherchaient  a  élever  des  doctrines  fonda- 
mentales, au  milieu  des  débris  de  toute  nature  dont  la  philo- 
sophie du  xviue  siècle  avait  jonché  le  sol,  entreprenaient  une 
tâche  difficile,  mais  grande  et  noble.  Pour  les  bien  juger,  il 
faut,  comme  l'a  fait  M.  Schnitzler,  remonter  au  temps  où  ils 
exposaient  leurs  doctrines,  sans  songer  encore  à  les  appliquer 
eux-mêmes  dans  l'exercice  si  difficile  et  semé  d'écueils  d'un 
pouvoir  qui  était  alors  bien  loin  de  leur  appartenir.  L'élo- 
quence calme  et  élevée  de  M.  Roy ei -Colla rd,  nous  en  mon- 
trera le  principe  générateur,  dans  la  reconnaissance  de  la 
raison,  comme  seul  guide  et  juge  suprême  des  théories  gou- 
vernementales :  «  11  est  permis,  dit-il,  d'en  appeler  du  par- 
»  terre  en  tumulte  au  parterre  atteutif ,  de  la  souveraineté 
»  du  peuple  à  une  autre  souveraineté,  la  seule  qui  mérite  ce 
»  nom,  souveraineté  supérieure  aux  peuples  comme  aux  rois, 
»  souveraineté  immuable  et  immortelle  comme  son  auteur, 
»  je  veux  dire  la  souveraineté  de  la  raison,  seul  législateur  vé- 
»  ritable  de  l'humanité.  » 

Sans  doute,  un  pareil  principe  est  fécond  en  conséquences 


136  ENCYCLOPÉDIE 

larges  et  libérales,  nul  ne  saurait  le  contester,  et  la  logique, 
tôt  ou  tard  ,  lui  fera  produire  les  résultats  les  plus  heureux 
pour  la  liberté  et  l'avenir  du  monde.  Mais  malheureusement, 
en  France,  toutes  les  questions  se  résument  en  rivalités  de 
noms  propres.  Dès  qu'un  homme  commet  une  faute  dans 
l'application,  aussitôt  on  en  accuse  les  doctrines  qu'il  a  ins- 
crites sur  sa  bannière,  quelque  innocentes  qu'elles  soient  le 
plus  souvent  de  ces  étranges  aberrations  de  l'esprit  Immain. 
On  voue  ainsi  à  la  haine  et  au  inépris  publics,  les  systèmes  les 
meilleurs,  dont  le  seul  tort  est  d'avoir  de  maladroits  inter- 
prètes. M.  Schnitzler  ne  juge  pas  les  doctrinaires  à  l'œuvre,  il 
s'arrête  devant  les  faits  qui  semblent  peu  d'accord  avec  les 
doctrines  ;  il  ne  prétend  point  les  suivre  dans  l'exercice  du 
pouvoir,  et  pense  avec  raison  que  le  moment  n'est  pas  encore 
venu  de  se  prononcer  avec  impartialité  sur  leurs  actes  ni  sur 
les  violens  reproches  auxquels  ils  sont  en  butte.  Il  se  contente 
de  repousser  l'accusation  singulière  de  matérialisme  adressée 
à  leurs  tendances  ;  quelques  paroles  de  M.  de  Broglie  lui  suf- 
fisent pour  les  justifier  à  cet  égard. 

Cette  même  livraison  de  Y  Encyclopédie  des  gens  du  monde 
renferme  un  morceau  très-remarquable  de  M.  l'évêque  Guil- 
lon,  sur  Dieu.  C'est  une  éloquente  dissertation,  écrite  dans  un 
style  noble  et  pur,  digne  de  la  grandeur  du  sujet  ainsi  que 
des  lumières  de  notre  époque.  Il  est  à  regretter  seulement 
que  l'auteur  ait  cru  devoir  lui  donner  une  foi  nie  polémique 
trop  prononcée.  La  plus  grande  partie  de  son  article  est  con- 
sacrée à  réfuter  l'athéisme,  à  combattre,  une  à  une,  toutes  les 
les  objections  de  ce  prétendu  système.  Il  me  semble  qu'il  eût 
mieux  valu  se  contenter  de  poser  la  question  :  Existe-t-il  des 
athées?  et  répondre  hardiment  :  Non,  il  n'en  existe  pas;  car 
ceux-là  mêmes  qui  prétendent  nier  l'existence  de  Dieu,  re- 
connaissent toujours  une  puissance  créatrice  quelconque,  à 
laquelle  ils  donnent,  tantôt  le  nom  de  hasard,  tantôt  celui  de 
nature  ou  de  matière  organisée.  L'athéisme  n'est  donc  qu'une 
des  mille  formes  diverses  de  cette  idolâtrie,  dans  laquelle  les 
•  plus  monstrueux  écarts  de  l'esprit  humain  viennent  encore 
s'offrir,  comme  autant  de  manifestations,  grossières  il  est  vrai, 
mais  incontestables,  du  sentiment  religieux  mué  dans  le  cœur 
de  l'homme.  Je  pense,  donc  je  suis,  est  un  axiome  générale- 
ment reçu;  Je  pense  et  je  suis,  donc  Dieu  existe,  en  est  un  au- 
tre non  moins  vrai,  puisque  le  philosophe  le  plus  incrédule 
trouverait  absurde  d'admettre  un  effet  sans  cause,  et  se  voit 
inévitablement  conduit  à  admettre  une  cause  première,  né- 
cessairement éternelle  et  toute-puissante. 

Au  reste,  dans  un  pays  comme  la  France,  où  la  raison  pu- 
blique est  en  général  trop  récemment  émancipée,  et  encore 


DES  GENS  DU  MONDE.  Î37 

irop  peu  éclairée  pour  se  tenir  en  garde  contre  les  adroits 
sophismes  des  rhéteurs ,  peut-être  la  discussion  est-elle  né- 
cessaire pour  combattre  leur  influence  pernicieuse,  et  pour 
réveiller  ce  Bon  sens  éternel,  dont  une  longue  servitude  a  pu 
seule  étouffer  la  voix.  M.  Guillon  est  sans  doute  meilleur 
juge  que  nous  des  convenances  à  cet  égard,  et  d'ailleurs,  quoi 
qu'il  en  soit,  son  article  ne  peut  manquer  d'exciter  au  plus 
haut  degré  l'attention  des  lecteurs. 

Nommer  MM.  Dupin  aîné,  Rossi,  Taillandier,  de  Sismon- 
di,  de  Gerando ,  Matter,  c'est  dire  assez  que  la  législation, 
l'économie  sociale  ,  les  sciences  morales  et  politiques  ont 
trouvé  ici  de  dignes  interprètes.  Le  défaut  d'espace  nous  em- 
pêche seul,  dans  cette  revue  rapide,  d'analyser  quelques-uns 
de  leurs  articles,  où  l'on  reconnaîtra  toujours  des  vues  gran- 
des et  élevées,  aussi  étrangères  aux  passions  de  l'esprit  de 
parti  qu'aux  étroits  préjugés  de  coterie. 

Tous  les  mots  relatifs  aux  sciences  naturelles  ou  exactes, 
aux  arts,  à  l'industrie,  sont  également  traités  d'une  ma- 
nière remarquable,  parce  qu'ils  ont  été  confiés  à  des  hommes 
spéciaux,  et  que  les  éditeurs  n'ont  reculé  devant  aucun  sacri- 
fice pour  faire  de  leur  publication  quelque  chose  de  mieux 
qu'une  spéculation  commerciale,  pour  élever  un  véritable 
monument  de  l'état  actuel  de  la  civilisation  européenne  dans 
toutes  ses  branches.  Parmi  les  articles  historiques  et  géogra- 
phiques, on  distinguera  ceux  de  M.  Dufau  sur  diverses  phases 
de  la  révolution  française,  et  ceux  de  31.  Schnitzler  sur  une 
foule  de  lieux  jusqu'ici  peu  connus  ou  mal  décrits.  La  géogra- 
phie et  l'histoire  de  la  Russie  ont  été  pour  ce  dernier  l'objet 
de  recherches  fort  intéressantes.  On  lui  doit  entr'autres  une 
notice  sur  l'empereur  Alexandre,  dans  laquelle  les  grandes 
qualités  de  ce  prince  sont  dignement  appréciées,  en  même 
temps  que  la  dernière  partie  de  sa  vie,  celle  où  il  abjura 
les  nobles  idées  qui  avaient  rendu  son  nom  célèbre  et  cher 
dans  toute  l'Europe,  pour  devenir  l'âme  et  le  membre  le 
plus  actif  de  la  sainte-alliance  ,  est  jugée  avec  toute  la  sévé- 
rité qu'elle  mérite.  31.  Schnitzler  a  également  traité  avec  un 
talent  remarquable  l'article  d'Alexandre-le-Grand.  En  géné- 
ral ,  toute  la  partie  biographique  de  cette  Encyclopédie  se 
recommande  par  l'esprit  de  haute  justice  et  de  sagesse  qui 
y  règne.  L'article  Calvin,  par  31.  3Iatter,  peut  être  cité  comme 
un  exemple  de  cette  juste  mesure  dans  laquelle  doit  demeu- 
rer la  critique,  lorsqu'elle  juge  quelqu'un  de  ces  grands 
génies  qui  exercèrent  une  puissante  et  salutaire  influence  sur 
leur  époque,  quoique  leurs  vues  et  leurs  actes  puissent  pa- 
raître aujourd'hui  en  complet  désaccord  avec  l'état  actuel  des 
choses  et  la  marche  du  progrès. 


136  ENCYCLOPÉDIE 

L'érudition  compte  déjà  de  nombreuses  célébrités  parmi 
les  rédacteurs  qui  ont  coopéré  aux  volumes  parus  jusqu'à  ce 
jour.  Les  noms  de  MM.  Artaud,  Daunou,  Champollion,  Ei- 
chhoff,  Reinau,  de  Sinner,  Hase,  Jomiv,  etc.,  sont  des  ga- 
ranties suffisantes  des  soins  apportés  à  cette  partie  de  l'ou- 
vrage. 

Enfin,  la  littérature  n'est  pas  moins  bien  représentée;  et  l'on 
saura  gré  surtout  aux  éditeurs  de  n'avoir  pas  sacrifié  à  la 
mode,  en  cherchant  à  éblouir  par  l'éclat  de  noms  en  vogue. 
Le  mérite  souvent  obscur  mais  réel  a  été  préféré  par  eux  aux 
célébrités  du  charlatanisme.  \ï  Encyclopédie  des  gens  du 
monde  nous  offre  ainsi,  sans  doute,  bien  moins  de  ces  bril- 
lantes paillettes  qu'on  voit  jetées  à  pleines  mains  dans  le 
style  de  la  plupart  de  nos  littérateurs  du  jour  ;  mais  le  véri- 
table esprit  ne  gît  pas  dans  l'expression  seulement ,  la  phra- 
séologie la  plus  tourmentée  ne  cache  trop  souvent  que  le  vide 
de  la  pensée,  et  c'est  avec  un  vif  plaisir  qu'on  retrouvera, 
dans  une  foule  d'articles,  cette  simplicité  et  cette  pureté  de 
style  qui,  sans  rien  ôter  à  l'originalité  ou  au  mérite  des  idées, 
leur  assurent  un  succès  plus  général  et  bien  plus  durable. 

Parmi  les  nombreux  articles  dus  à  des  écrivains  dont  les 
noms  sont  presque  ignorés  parce  qu'ils  n'ont  point  obtenu 
ces  ovations  si  recherchées,  si  vaines,  et  souvent  si  chère- 
ment achetées  de  la  presse  périodique,  je  signalerai  le  mot 
Art,  traité  p  r  mademoiselle  Louise  Ozenne.  Dans  cet  excel- 
lent article  ,  elle  s'occupe  principalement  de  l'art  littéraire, 
et  présente  un  tableau  complet  de  son  développement  cbez 
les  diverses  nations,  qui  lui  ont  dû  leur  plus  belle  part  de 
gloire  et  de  renommée.  Remontant  à  sa  cause,  qu'elle  pense 
avec  raison  trouver  dans  le  désir  impérieux  et  sublime,  dont 
notre  dîne  est  sans  cesse  tourmentée,  d'imiter  les  œuvres  du  Créa- 
teur ;  elle  nous  montre  l'esprit  de  l'homme  continuellement 
occupé  à  exercer  ses  forces  et  à  développer  ses  facultés  en 
luttant,  pour  ainsi  dire,  avec  la  nature  dont  il  cherche  à 
surprendre  les  secrets,  à  copier  les  œuvres,  dont  son  ambi- 
tion téméraire  prétend  même  perfectionner  les  ouvrages  en 
les  ramenant  à  des  types  plus  parfaits,  comme  s'il  avait  ja- 
dis assisté ,  dans  le  sein  de  la  Divinité ,  a  la  contemplation  de 
ce  monde  idéal,  cpie  Platon  nous  raconte  dans  ses  magnifiques 
rêveries.  Le  génie  propre  des  différens  peuples  imprime  à 
l'art  une  physionomie  particulière  chez  chacun  d'eux ,  aussi 
chaque  littérature  présente-t-elle  un  genre  de  beautés  qui 
ne  saurait  que  difficilement  se  transplanter,  et  qui  devient 
l'origine  de  la  plupart  des  discussions  littéraires,  entre  les 
écoles  exclusives.  M  idemoiselle  Ozenne  a  déterminé  d'une 
manière  très-judicieuse  les  avantages  divers,  échus  en  par- 


DES  GENS  DU  MONDE.  139 

£»ge  à  chacune  des  nations  de  l'Europe  sous  ce  rapport.  Elle 
expose  également,  avec  un  talent  remarquable,  tous  les  gen- 
res de  manifestations  dans  lesquels  l'art  littéraire  exerce  sa 
noble  influence.  Elle  nous  le  montre  tour  à  tour  dans  l'épo- 
pée, l'ode,  le  drame,  l'histoire,  l'éloquence  et  la  philosophie, 
et  indique,  sans  pédanterie  ni  sécheresse,  les  règles  didac- 
tiques que  la  raison  ne  laisse  pas  impunément  enfreindre, 
mais  dont  elle  réprouve  aussi  l'excès  lorsqu'on  prétend  les 
suivre  à  la  lettre  sans  tenir  compte  de  l'inspiration  du  poète, 
des  écarts  du  génie. 

À  la  fin  de  cet  intéressant  morceau  ,  l'auteur  jette  un  coup 
d'œil  rapide  sur  la  marche  de  l'art  à  travers  les  nations,  et  sur 
les  formes  variées  qu'il  a  revêtues  aux  diverses  époques  de 
l'histoire. 

Maints  autres  articles,  non  moins  bien  traités,  sont  égale- 
ment dignes  de  fixer  l'attention;  mais  il  nous  est  impossible 
de  tout  citer.  Nous  en  avons  dit  assez  pour  faire  juger  l'esprit 
dans  lequel  est  conçue  Y  Encyclopédie  des  gens  du  monde. 

L'habile  direction  donnée  à  cette  publication,  l'a  fait  ainsi 
échapper  aux  dangers  de  l'esprit  de  coterie ,  et  c'est  un  im- 
mense avantage,  en  ce  temps  surtout  où  il  se  glisse  dans  la 
plupart  des  entreprises.  Nous  terminerons  en  citant  à  ce  sujet 
l'excellent  petit  article  de  M.  de  Moléon  sur  la  Camaraderie. 

«  Le  proverbe  thérapeutique  Passe-moi  la  casse  et  je  te 
passerai  le  séné,  est  applicable  à  presque  toutes  les  conditions 
et  à  presque  tous  les  états;  mais  nous  le  voyons  justifié  d'une 
manière  incroyable  dans  l'histoire  de  la  république  des  lettres, 
surtout  à  certaines  époques  plus  rapprochées  de  la  nôtre.  Il 
n'est  personne  qui  n'ait  ouï  médire  à  juste  titre  de  ces  réu- 
nions, soi-disant  littéraires,  de  l'hôtel  Rambouillet,  devenu 
si  fameux  par  la  morgue  et  le  pédantisme  de  ses  familiers, 
par  leur  esprit  exclusif,  leurs  proscriptions,  leur  argot,  et  sur- 
tout par  l'inconcevable  exagération  de  leurs  apologies  et  de 
leurs  ovations.  Combien  d'astres  sont  restés  sur  l'horizon  de 
celte  pléiade  de  beaux  esprits,  organisée  en  cour  suprême  et 
qui  prétendait  de  bonne  foi  imposer  ses  burlesques  arrêts  au 
bon  goût  à  venir  sur  la  foi  des  dupes  contemporaines  î 

»  De  nos  jours,  la  camaraderie  littéraire  a  reçu  d'immenses 
développemens  ;  mais  il  est  digne  de  remarque  que  ces  coa- 
litions transitoires  d'intérêts  opposés,  ces  parades  d'amitiés 
mielleuses  et  emphatiques,  entre  des  puissances  rivales,  ont 
presque  toujours  pour  résultat  infaillible  quelque  réaction 
violente  et  contradictoire. 

»  Fatigués  de  leurs  encensemens  mutuels,  et  ne  pouvant 
plus  se  regarder  sans  rire,  les  acteurs  de  cette  comédie,  dès 
qu'ils  ont  touché  le  prix  banal  réservé  à  leur  fraternité  de  cou- 


140  LITTÉRATURE, 

lisses,  se  dédommagent  des  secrets  ennuis  de  leur  rôle  par 
l'aigreur  des  récriminations  publiques  et  la  franche  manifes- 
tation de  leurs  antipathies  ;  une  inimitié  déclarée  succède  à  ces 
flagorneries  de  commande  ,  et  les  choses  se  passent  à  peu  près 
comme  dans  la  scène  de  Molière  entre  Vadius  et  Trissotin. 
Oh  !  les  bons  camarades  !  » 


LITTERATURE,    HISTOIRE, 


SCÈNES  DE  LA  VIE  ITALIENNE,  par  Méry.  —  Paris,  1837.  2  vol  in-8c« 
15  francs. 

Sous  ce  titre,  M.  Méry  nous  donne  des  souvenirs  de  voyage 
pleins  d'animation ,  d'intérêt  et  de  poésie.  Il  s'arrête  peu 
à  décrire  cette  Italie  qui  l'a  déjà  été  tant  de  fois  ;  il  se  con- 
tente de  retracer  quelques  scènes  dont  il  a  été  témoin,  et,  par 
des  récits  du  temps  passé ,  il  nous  reporte  aux  brillantes  épo- 
ques de  Rome  et  des  autres  cités  fameuses  de  cette  contrée. 
Quelques  pièces  de  vers  sont  semées  le  long  de  la  route  ,  et  si 
elles  n'échappent  pas  entièrement  à  la  critique ,  on  y  trouve 
du  moins  une  verve  d'inspiration  et  une  indépendance  de 
toute  école  exclusive  qui  sont  rares,  aujourd'hui  que  la  poésie 
se  montre  si  souvent  prétentieuse  ou  servile.  M.  Méry  ne  se 
traîne  pas  dans  la  vieille  ornière  de  la  routine  ;  mais  il  ne 
craint  pas  non  plus  d'exprimer  hautement  son  admiration 
pour  les  grands  écrivains  de  l'antiquité  classique.  Le  moyen- 
âge  et  l'éclat  qu'il  répandit,  par  les  arts,  en  Italie ,  sont  les 
objets  de  ses  justes  éloges;  il  fait  un  beau  tableau  de  l'admi- 
rable activité  de  Michel-Ange,  de  ce  génie  multiple  qui ,  ma- 
niant tour-à-tour  la  brosse,  le  ciseau  ou  la  truelle  ,  enfantait 
sans  cesse  de  nouveaux  chefs-d'œuvre,  et  semait  sur  sa  route 
de  gigantesques  peintures  ,  des  cathédrales  et  des  palais.  Mais 
il  n'oublie  pas  non  plus  la  gloire  des  vieux  Romains ,  et  les 
souvenirs  de  l'Empire  se  reflètent  aussi  dans  son  livre.  Le  sort 
d'Herculanum  lui  a  inspiré  une  espèce  de  cantate  dans  la- 
quelle on  trouve  de  fort  belles  strophes,  quoiqu'on  puisse  lui 
reprocher  un  peu  trop  de  licence  clans  la  description  d'une 
orgie,  dont  les  acteurs  sont  surpris,  au  milieu  île  leur  luxurieuse 
débauche,  par  la  lave  brûlante  du  volcan,  et  périssent  étouffés 
sous  une  pluie  de  cendres.  Il  s'est  laissé  sans  doute  séduire 
par  le  poétique  contraste  de  ces  images  voluptueuses  ,  de  ces 
amours  impudiques  et  effrénés,  à  côté  de  toutes  les  terreurs 


HISTOIRE.  14 1 

d'une  catastrophe  qui  venait  anéantir  une  ville  entière  avec 
ses  habitans ,  la  rayer  de  la  liste  des  cités  et  l'ensevelir  en 
quelque  sorte  toute  vivante. 

A  Florence,  M.  Méry  est  accueilli  avec  la  plus  aimable  hos- 
pitalité par  la  célèbre  cantatrice  qui ,  sous  le  nom  de  Catalani, 
faisait,  il  y  a  quelques  années,  les  délices  de  tous  les  dilet- 
tanti  européens.  Retirée  aujourd'hui  dans  une  superbe  villa, 
qui  est  le  rendez-vous  de  toutes  les  illustrations  de  la  contrée, 
elle  cultive  encore  avec  amour  cet  art  qui  lui  valut  fortune 
et  renommée.  Sa  demeure  est  un  temple  consacré  à  la  musi- 
que, et  le  poète  décrit  avec  enthousiasme  les  pures  et  suaves 
harmonies  dont  il  s'est  abreuvé  dans  cet  heureux  séjour. 

Fidèle  admirateur  de  tout  ce  qui  tient  à  la  famille  Bona- 
parte, il  a  visité  également  la  veuve  de  Murât,  le  prince 
de  Montfort,  le  comte  de  Saint-Leu,  la  mère  de  l'Empereur, 
et  rapporte  maints  détails  intéressans  sur  ces  augustes  débris 
d'une  dynastie  dont  le  règne  fut  aussi  court  que  brillant.  Il 
est  seulement  fâcheux  que  M.  Méry  laisse  souvent  des  ex- 
pressions triviales  se  glisser  dans  son  style  ;  ainsi ,  en  parlant 
de  la  mère  de  Napoléon ,  il  dit  :  «  Et  en  a-t'elle  vu  dans  sa 
»  vie,  de  ces  choses  qui  brûlent  la  vie  !  A-t-elle  souvent  trem- 
»  blé  pour  des  fils,  quand  tous  les  boulets  de  l'Europe  étaient 
»  lancés  contre  eux,  à  l'éternelle  bataille  impériale  de  quinze 
»  ans  !  »  De  pareilles  tournures  de  phrases  ne  sont  ni  fran- 
çaises, ni  harmonieuses  ,  et  si  c'est  pour  donner  de  la  force  à 
l'expression  que  l'auteur  les  emploie,  autant  vaudrait  alors 
emprunter  au  soldat  des  casernes  ses  énergiques  barbarismes. 

Rome  est  décrite  d'une  manière  fort  piquante ,  l'auteur 
rapporte  de  curieuses  anecdotes  au  sujet  des  antiquaires  et 
des  fabriques  qui  se  sont  établies  dans  le  but  de  satisfaire 
leurs  innocentes  manies  ,  en  spéculaut  sur  leur  crédulité  pro- 
verbiale. 

Enfin,  sous  le  titre  de  Variétés ,  on  trouve  ,  à  la  fin  du  se- 
cond volume  ,  plusieurs  petits  chapitres  fort  amusans  ,  dont 
l'un  entr'autres  renferme  un  dialogue  entre  deux  commis- 
voyageurs  ,  qui  est  d'une  platitude  prodigieuse  de  vérité;  c'est 
la  nature  ,  et,  il  faut  l'avouer  ,  une  bien  sotte  nature  prise  sur 
le  fait. 

Dans  tout  cela  ,  il  n'y  a  pas  grand'  chose  qui  justifie  le  titre 
de  Scènes  de  la  vie  italienne  ;  mais  le  titre  n'est  qu'une  en- 
seigne pour  attirer  les  chalans ,  et  qu'importe  son  étrangeté, 
si  le  livre  offre  de  l'intérêt?  On  ne  regrette  pas  alors  de  s'être 
laissé  prendre  au  titre,  et  on  pardonne  volontiers  ce  petit 
chalatanisme  d'éditeur. 


142  LITTÉRATURE, 

MATINÉES,  par Hippolyte  Bonnellier,  1  vol.  in  8.  7  fr.  50  c—  LA  CHUTE 
«ES  FFXILLES  ,  par Alphonse  Brot.  2  vol.  in-8,  15  fr.  —  RODOLPHE, 
ou,  A  moi  la  fortune;  mœurs  d'hier,  par  Touchard-Lafos.se.  2  vol. 
in-8  ,  15  fr. —  KlNG'SOWN  ,  ou  II  est  au  roi  ;  par  le  capitaine  Marryat. 

1  vol.  in-8  ,  15  fr.  —  LE  CHAMP  DES  MARTYRS  ,  par  Ernest  Mesnard. 

2  vol  in-8  ,  15  fr.  —  vanité  ,  ou  F  Amour  dans  un  salon  ;  par  Henry 
Spie gel.—  Paris,  1837.  2  vol.  in-8,  15  fr. 

Les  Matinées  de  M.  Bonnellier  se  composent  d'une  suite  de 
quinze  petits  contes  fort  courts ,  dont  plusieurs  même  ne  sont 
guère  que  des  scènes  ou  des  fragmens  de  peu  d'intérêt.  On  ne 
pouvait  certainement  l'aire  un  volume  à  moins  de  fiais,  et  je 
doute  que  les  lecteurs  soient  bien  satisfaits  de  ces  miettes  lit- 
téraires. Quelques-uns  de  ces  morceaux  cependant  feront 
plaisir. 

—  Les  Feuilles  de  M.  Brot  sont  des  contes  dont  nul  n'ar- 
rêtera la  chute  ;  car  ils  sont  vraiment  trop  médiocres  pour 
qu'on  les  regrette.  L'auteur  débute  par  déclarer  qu'il  ne  sait 
pourquoi  il  a  choisi  un  titre  pareil  pour  son  livre.  On  pourra 
croire  qu'il  avait  un  secret  pressentiment  de  son  sort;  et  c'est 
d'autant  plus  probable  que  souvent  il  a  fait  beaucoup  mieux. 
Il  ne  suffit  pas  d'ajouter  en  note  que  tel  ou  tel  fragment  est 
le  premier  essai  de  sa  plume ,  et  c'est  se  croire  bien  grand 
écrivain  que  d'imaginer  le  public  assez  avide  des  moindres 
compositions  d'un  auteur  ,  pour  se  contenter  d'une  semblable 
excuse. 

M.  Brot  paraît  aimer  beaucoup  à  placer  son  nom  en  com- 
pagnie de  ceux  des  hommes  de  génie.  Arioste,  Dante,  Sha- 
kespeare, Cervantes,  figurent  tour-à-tour  dans  plusieurs  de 
ces  petites  scènes,  qui  sont  bien  peu  dignes  de  si  grands  per- 
sonnages. 

—  Dans  Rodolphe,  on  reconnaîtra  facilement  quelles  sont  les 
mœurs  cC/iier  ou  plutôt  d'aujourd'hui,  que  prétend  peindre 
M.  Touchard-Lafosse.  Deux  jeunes  Marseillais  quittent  leur 
ville  natale  pour  venir  chercher  fortune  à  Paris,  et  réussis- 
sent chacun  selon  son  caractère  et  ses  principes.  Le  nom  de 
Rodolphe  cache  celui  d'un  homme  que  ses  talens  et  les  cir- 
constances ont  amené  au  faîte  du  pouvoir  ;  tous  les  autres 
personnages  mis  en  scènéfpu-  l'auteur  sont  également  des 
masques  transparens  qui  laissent  voir  les  traits  qu'ils  recou- 
vrent. Sous  ce  demi -voile,  si  facile  à  soulever,  M.  Touchard- 
Lafosse  n'épargne  pas  les  reproches  et  les  accusations;  aussi 
son  livre  tient  plus  de  la  chronique  scandaleuse  que  du  ro- 
man. C'est  une  arme  de  parti  plutôt  qu'une  œuvre  littéraire. 

— Kingffown  est  un  des  meilleurs  romans  du  capitaine  Mar- 
ryat. Ce  titre  bizarre  est  le  nom  qu'on  donne  en  Angleterre  à 
un  signe  qui  se  place  sur  tous  les  objets  qui  appartiennent  en 


HISTOIRE.  143 

propre  au  roi.  Le  héros  du  livre  a  été  marqué  de  ce  sceau 
qu'un  matelot  a  gravé  sur  son  bras.  De  là  naissent  maints  in- 
cidens  piquans  qui,  joints  à  d'amusans  détails,  à  une  intrigue 
conduite  avec  art,  et  à  un  récit  plein  d'intérêt,  forment  une 
lecture  très-agréable  qui  attache  d'autant  plus  que  l'auteur 
s'y  montre  plus  sobre  qu'à  l'ordinaire  de  plaisanteries  et  de 
calembourgs.  Les  marines  du  capitaine  Marryat,  tracées  avec 
simplicité  et  sans  prétention,  sont  très-supérieures  à  toute 
la  littérature  d'eau  salée,  de  jurons  et  de  grog  que  nous  ont 
faite  nos  jeunes  écrivains  océaniques,  parce  qu'il  peint  la  na- 
ture telle  qu'elle  est,  et  trouve  l'énergie  et  la  vigueur  dans  la 
vérité,  tandis  que  les  autres  ne  savent  tremper  leur  plume 
que  dans  l'exagération  et  changer  en  frénésie  les  moindres 
sentimens  de  l'âme,  les  moindres  passions  du  cœur. 

— M.  Ernest  Mesnard  s'est  inspiré  des  grands  souvenirs  de 
la  guerre  civile  en  Vendée.  Il  a  retracé  quelques  scènes  de  ce 
terrible  drame,  et  son  récit  offre  un  vif  intérêt.  Plusieurs  ca- 
ractères énergiquement  esquissés  et  bien  soutenus  décèlent 
chez  l'auteur  un  talent  vraiment  remarquable.  Le  Champ  des 
Martyrs  est  un  roman  bien  supérieur  à  tous  ceux  qui  font  le 
sujet  de  cet  article.  Les  hommes  des  deux  partis,  républicains 
et  royalistes,  y  sont  peints  avec  vérité,  et  à  côté  des  gens  pro- 
bes et  dévoués  qui  obéissaient  à  leurs  convictions  en  soutenant 
l'une  ou  l'autre  cause,  on  reconnaît  cette  écume  de  la  société 
qui  surgit  toujours  à  sa  surface  dans  les  temps  de  crise  poli- 
tique. Le  seul  reproche  qu'on  puisse  adresser  à  M.  Mesnard, 
c'est  de  s'abandonner  parfois  un  peu  trop  au  genre  descriptif, 
de  se  laisser  aller  aux  détails  minutieux  qui  gênent  la  mar- 
che de  l'action. 

La  scène  se  passe  en  1795,  et  l'événement  qui  domine  tout 
le  récit  est  la  tentative  des  émigrés  sur  Quiberon.  Quelques 
chastes  amours ,  traversés  par  les  discordres  de  cette  triste 
époque,  forment  l'intrigue  qui  est  simple  et  bien  conduite. 
On  lira  ce  roman  avec  plaisir,  et  l'auteur,  pour  obtenir  un 
succès  durable,  n'a  qu'à  persévérer  dans  cette  bonne  route. 

—  Vanité,  ou  X Amour  dans  un  salon,  est  une  composition 
fade  et  très-romanesque  attribuée  à  une  haute  et  noble  dame. 
C'est  du  caquetage  de  grand  monde  délayé  dans  un  style 
pale,  d'une  légèreté  prétentieuse,  visant  à  l'imitation  de  cer- 
tains feuilletons  à  la  mode.  Ce  livre  appartient  à  l'école  de  la 
forme  sans  fonds,  dans  laquelle  ou  ne  rencontre  qu'une  ap- 
parence très -brillante  sans  doute,  mais  si  mince,  que  le 
vide  qu'elle  recouvre  perce  sans  cesse  au  travers. 


144  LITTERATURE, 

chroniques  des  petits  théâtres  de  paris  ,  depuis  leur  création 
jusqu'à  ce  jour;  par  N.  Brazier.  —  Paris,  1837.  2  vol  in-8  ,  15  fr. 

M.  Brazier,  l'un  des  vétérans  du  vaudeville  et  du  Caveau 
moderne,  a  entrepris  d'écrire  les  annales  de  tous  les  petits 
théâtres  de  Paris,  c'est-à-dire  de  tous  ceux  où  l'on  ne  joue  ni 
le  grand  opéra,  ni  la  comédie  française.  C'est  une  galerie  fort 
amusante  dans  laquelle  on  passe  en  revue  tous  les  acteurs  et 
toutes  les  pièces  cpii  ont  été  pendant  bien  des  années  ou  sont 
encore  en  possession  de  la  faveur  du  public  parisien.  On  y 
retrouve  tous  les  traits  d'esprit  ou  de  bêtise  qui,  depuis  60  à 
80  ans,  ont  fait  rire  nos  pères  et  nous-mêmes.  Les  vicissitu- 
des diverses  de  chaque  théâtre  sont  racontées  d'une  manière 
faite  pour  intéresser  le  lecteur,  et  M.  Brazier ,  dépouillant 
tout  amour-propre  d'auteur,  toute  rivalité  d'écrivain,  adresse 
les  plus  grands  éloges  à  tous  ses  confrères  vaudevillistes  qui 
ont  eu  part ,  avec  lui ,  au  succès  de  ce  genre  de  spectacle 
éminemment  français.  On  pourrait  même  lui  reprocher  plu- 
tôt l'absence  de  toute  espèce  de  critique.  Il  nous  donne  une 
simple  chronique  constatant  la  vogue  de  telle  ou  telle  pièce , 
de  tel  ou  tel  acteur,  sans  entrer  dans  l'examen  de  leur  mé- 
rite réel  qui  n'est  que  trop  souvent  fort  indigne  des  succès 
dus  à  des  circonstances  étrangères  ou  à  cet  engouement  au- 
quel un  public  débonnaire  est  sujet  à  se  livrer  sans  rime  ni 
raison.  On  regrettera  une  pareille  lacune  dans  ce  livre  qui, 
complété  sous  ce  rapport,  aurait  jeté  un  grand  jour  sur  la 
littérature  dramatique  secondaire  de  cette  période. 

M.  Brazier  aurait  peut-être  bien  fait  aussi  de  multiplier 
davantage  les  anecdotes  et  les  récits  concernant  la  vie  des 
acteurs  et  des  auteurs.  L'histoire  littéraire  lui  en  aurait  su 
gré.  Il  paraît  qu'il  a  reculé  devant  le  travail,  et  il  s'excuse 
en  prétendant  qu'il  faudrait  cent  volumes  et  la  patience  d'un 
bénédictin.  Cette  mauvaise  plaisanterie  ne  trompera  per- 
sonne sur  sa  paresse  d'écrivain.  Mais  du  reste  ,  puisqu'il  a 
préféré -ne  faire  qu'un  livre  amusant ,  on  la  lui  pardonnera 
volontiers,  en  lisant  les  esquisses  intéressantes  qu'il  a  tracées. 


MÉMOIRES  de  Mlle  sopiiie  arxoulT  ,  recueillis  et  publics  par  le  ba- 
ron de  Lanwthe-Lcingon.  —  Paris,  1837.  2  vol.  in-8,  15  fr. 

Sophie  Arnoult  fut  renommée  par  son  esprit  et  sa  galan- 
terie. Aussi  doit-on  s'attendre  à  trouver  dans  ses  mémoires 
une  ample  provision  de  réparties  piquantes,  de  traits  spiri- 
tuels,  ainsi   qu'une  foule  d'aventures   quelque  peu  licen- 


HISTOIRE.  145 

cieuses.  Je  ne  sais  jusqu'à  quel  point  sont  authentiques  tous 
les  faits  qui  remplissent  ces  deux  volumes  ;  en  fait  de  mé- 
moires, le  public  a  appris  à  se  méfier  des  éditeurs.  Mais  on 
doit  rendre  à  M.  Lamothe-Langon  la  justice  de  dire  qu'il  a 
su  tirer  parti  de  son  sujet,  et  jeter  un  grand  intérêt  sur  la  vie 
de  cette  actrice;  son  style,  facile  et  parfois  un  peu  délavé, 
convient  assez  à  ce  genre  d'ouvrage  dans  lequel  les  détails 
abondent  et  sont  la  partie  capitale. 


louis  XIV,  son  gouvernement  et  ses  relations  diplomatiques  avec 
l'Europe,  par  Capejigue;  tomes  1  et  2.  —  Paris,  1837.  2  vol.  in-8, 
15  fr. 

Un  certain  poète  prétendait  jadis  mettre  l'histoire  en  chan- 
sons; M.  Capefigue,  au  contraire  ,  parait  vouloir  mettre  les 
cbansons  en  histoire.  Dans  les  nombreux  volumes  qu'il  en- 
fante avec  tant  de  facilité  sur  les  diverses  époques  des  annales 
•historiques  de  la  France  ,  ce  sont  toujours  en  effet  des  ponts- 
neufs  qui  forment  les  principales  pièces  justificatives  sur  les- 
quelles il  appuie  son  récit  et  ses  jugemens.  Quelques  pam- 
pblets  du  temps  complètent  ces  documens  d'un  nouveau 
genre,  et  c'est  muni  de  pareilles  armes,  qu'il  entreprend  de 
donner  à  l'histoire  une  couleur  nouvelle  en  réhabilitant  tous 
les  actes  les  plus  monstrueux,  tels  que  la  Saint-Barthélémy 
et  la  révocation  de  l'éditde  Nantes. 

Le  règne  de  Louis  XIV ,  peint  d'après  de  semblables  mo- 
dèles,  pourra  fournir  un  livre  piquant,  rempli  de  sopbismes 
ingénieux  et  de  sarcasmes  spirituels;  mais  ce  ne  sera  certaine- 
ment pas  de  l'histoire  impartiale  et  sérieuse. 

On  ne  peut ,  du  reste  ,  porter  encore  aucun  jugement  cer- 
tain sur  cet  ouvrage,  et  nous  attendrons,  pour  l'examiner 
avec  plus  d'attention  ,  qu'il  soit  publié  en  entier. 


IL  PICCOLO  MCR.VTORI,  o  Sloria  d'Italia  nel  medio  evo,  tratta  dagli 
scrittori  délie  rose  italiane,  dalle  anticliita1  italiclie  cd  estensi,  e  da- 
gli  annali  d'Italia;  dal  si^n.  A.  Levati.  —  Milano,  presso  A.  F.  Stella 
efigli,  1837.  3  vol.  in-321,  4  fr.  50  c 

L'auteur  de  ce  petit  ouvrage  reproche  à  la  plupart  des 
historiens,  et  principalement  à  Botta,  d'avoir  totalement  né- 
gligé l'époque  du  moyen-âge  dans  l'histoire  d'Italie.  Il  entre- 
prend de  combler  cette  lacune  ,  et  de  tracer  une  esquisse  de 
ces  temps  ,  où  ,  au  milieu  du  chaos  des  institutions  et  de  la 
lutte  des  peuples  ,  les  arts  et  les  lettres  trouvèrent  encore  de 
nombreux  adeptes,  qui  les  cultivèrent  avec  succès.  La  chute 


146  LITTÉRATURE, 

de  l'empire  romain  ne  fut,  en  effet,  pas  suivie  immédiate- 
ment d'un  état  de  barbarie  complète.  Quelques  flambeaux, 
épais  çà  et  là,  jetaient  encore  une  vive  lumière;  le  christia- 
nisme eut  ses  écrivains,  et  son  influence  favorisa  la  marche 
du  progrès  toutes  les  fois  qu'une  paix  de  quelque  durée  lais- 
sait les  esprits  en  repos;  le  commercé  fit  prospérer  quelques 
villes ,  les  mœurs  plus  mâles  des  hommes  du  Nord  vinrent 
retremper  le  caractère  efféminé,  et  souvent  même  avili,  des 
sujets  de  Rome.  Mais  il  ne  faut  pas  non  plus  se  dissimuler  les 
désordres  qui  durent  suivie  l'invasion  ,  l'ignorance  ,  la  bruta- 
lité des  masses,  et  le  stupide  fanatisme  des  nouveaux  con- 
vertis. 

Le  moyen-âge  mérite  sans  doute  d'être  étudié,  comme  l'une 
des  phases  les  plus  curieuses  de  la  inarche  de  l'humanité, 
comme  la  période  de  transition  entie  la  civilisation  antique 
et  la  civilisation  moderne  ,  entre  le  monde  païen  et  le  monde 
chrétien.  Seulement,  il  y  a  chez  beaucoup  de  gens  un  en- 
thousiasme outré  pour  cette  époque  historique ,  dont  ils 
recherchent  et  admirent  les  moindres  vestiges  comme  le  nec- 
plus-ultrà  du  sublime.  Botta  a  donc  pu  ,  avec  quelque  rai- 
son, se  moquei  de  cette  ehronico-manie,  qui  fait  oublier  toutes 
les  grandes  questions  sociales,  tous  les  progrès  de  nos  temps 
modernes,  devant  un  parchemin  gothique,  ou  devant  une 
ogive.  Mais  M.  Levati  est  loin  de  tomber  dans  de  pareils 
excès.  Les  arts  gothiques  ne  sont  pour  lui  qu'une  dégéné- 
rescence de  l'ait  grec  et  romain.  Les  basiliques  du  moyen- 
âge  n'offrent,  à  ses  yeux,  qu'une  architecture  barbare  et  dis- 
proportionnée. Il  partage  l'opinion  de  plusieurs  écrivains 
italiens  ,  qui  ont  cherché  à  prouver  que  l'architecture  go- 
thique n'était  qu'une  corruption  de  celle  des  Grecs  et  des 
Romains,  que  l'irrégularité  des  chapitaux  et  des  colonnes, 
ainsi  que  l'ogive,  avaient  déjà  été  introduites  dans  les  édifices 
avant  les  Goths.  C'est  là  un  sujet  de  querelles  entre  les  Ita- 
liens et  les  Allemands,  que  l'esprit  national  perpétuera  d'au- 
tant plus  qu'il  serait  bien  difficile  de  résoudre  cette  question 
d'une  manière  certaine. 

S'appuyant  sur  les  grands  travaux  de  Muratori ,  notre  au- 
teur retrace  un  tableau  rapide  des  destinées  de  l'Italie  sous 
les  Erules  et  les  Goths  ,  sous  les  Lombards,  sous  les  Francs  , 
et  enfin  sous  les  rois  et  empereurs  qui  la  dominèrent  pen- 
dant plus  d'un  siècle,  jusqu'à  ce  qu'en  961  Othon  ,  appelé 
en  Italie  par  le  pape  ,  qui  redoutait  également  Bérenger  II  et 
Adalbert,  entra  dans  Milan  ,  où  il  fut  reconnu  roi  dans  une 
diète,  et  solennellement  couronné  dans  l'église  Sainl-Am- 
broise.  Ce  résume  est  écrit  avec  talent  et  rempli  d'un  grand 
intérêt.  Il  fait  partie  d'une  collection  des   principaux  mé- 


HISTOIRE.  147 


moires  et  curiosités  historiques  de  tous  les  temps  et  de  tous 
les  peuples,  que  publient  MM.  Stelia  et  fils,  sous  le  titre 
de  Amenità  Storiche,  dont  L'ouvrage  de  M.  Levati  forme  les 
volumes  14 ,  15  et  18. 


archives  CL'RiFXSiîS  de  LA  ville  de  xaxtes  et  des  départemens  de 
l'Ouest,  pièces  authentiques  inédites,  ou  devenues  très-rares ,  sur 
l'histoire  cle  la  ville  et  du  comté  de  Nantes,  etc.,  recueillies  et  pu- 
bliées par  Verger.  —  Nantes  ,  chez  Forest  ;  Paris  ,  chez  Pesron,  1837, 
in-4.  11  paraît  chaque  mois  une  livraison  de  deux  feuilles.  Prix  :  G  fr. 
par  an. 

Ce  recueil  est  destiné  à  donner  l'extrait  des  chartes,  des 
lettres-patentes,  de  la  correspondance,  des  procès-verbaux 
du  conseil  municipal,  et  de  quelques  manuscrits  historiques, 
relatifs  à  la  ville  de  Nantes  et  à  quelques-uns  des  départe- 
mens qui  l'avoisinenL  II  contiendra  ainsi  et  servira  à  réunir 
et  à  conserver  une  foule  de  documens  épais  ça  et  là,  qui 
risquent  de  se  perdre,  ou  exigent  souvent  de  nombreuses  îe- 
cherches,  lorsqu'on  a  besoin  de  les  consulter.  On  ne  peut 
qu'approuver  ces  travaux  de  chroniques  locales,  qui  servent 
à  aplanir  la  route  de  l'historien  ,  et  lui  fournissent  une 
ample  collection  de  faits  nouveaux  ,  curieux  ,  interprèles  des 
mœurs,  des  usages,  et  par  suite  ,  de  maintes  institutions  des 
temps  passés. 

Le  premier  numéro  des  Archives  de  Nantes  renferme  les 
articles  suivans  : 

Histoire  ancienne  de  Nantes,  court  extrait  de  l'Histoire  de  Bre- 
tagne de  Pierre  Lebaml. 

Composition  du  traité  pour  la  remise  de  la  ville  de  Nantes  au 
pouvoir  du  Roi  en  1496. 

Jeu  du  Papcgault,  sorte  de  tir  a  l'oiseau. 

Premier  registre  de  la  commune  de  Nantes,  1 555  à  1  562. 

Procis-verbal  de  la  Séance  du  Conseil  municipal  de  Nantes,  du 
a3  septembre  1792;  dons  patriotiques,  passe-ports,  etc. 

Divers  faits  sous  l'Empire. 

Étal  de  situation  des  écoles  primaires  de  l'arrondissement  de 
Nantes    pour  l'année  scholaire  i835-i836. 

sîneiens  murs  de  ville. 

OriAne  des  Seigneurs  de  Laval. 

Cette  table  présente  un  aspect  un  peu  confus,  un  pèle- 
mêle  de  dates,  d'époques,  d'événemens ,  qui  ne  se  lient 
point  entr'eux;  on  pourra  désirer  plus  d'ordre  et  de  méthode  ; 


143  LITTÉRATURE, 

mais  au  début  de  tout  recueil  périodique ,  c'est  ce  qui  arrive. 
L'auteur  prendra  sans  doute  plus  tard  une  marche  plus  ré- 
gulière. Il  ferait  bien ,  peut-être ,  d'adopter  trois  divisions 
tranchées,  telles  que  :  temps  anciens,  période  révolutionnaire, 
et  époque  actuelle. 


guide  du  voyageur  de  Nantes  A  paris  ,  par  les  routes  du  Mans 
et  de  la  Levée,  orné  d'une  carte  des  deux  routes.  —  Nantes,  chez 
Forest  ;  Paris,  chez  Pesron.  1837,  in-18. 

Ce  petit  volume  offre  un  tableau  rapide  de  la  route  de 
Nantes  à  Paris,  avec  des  détails  sur  tous  les  objets  intéres- 
sans  qu'elle  présente  à  la  curiosité  des  voyageurs,  et  un 
court  précis  historique  sur  les  événemens  qui  s'y  rattachent. 
La  carte  qui  l'accompagne  est  gravée  avec  soin. 


Tiaggio  PER  LA  vizzera  orientale  ,  di  Tullio  Dandolo ;  vol.  1  e2. 
Ticino  —  Uri  —  Schwilz  —  Zug  —  Unterwaid.  —  Milano ,  presso  A.  F. 
Stella  e  figli,  1836.  2  vol.  in-18,  5  fr. 

Schwytz  ,  Uri  ,  Unterwaid  ,  berceau  de  l'indépendance 
helvétique  ,  belles  contrées  où  le  voyageur  rencontre  à  cha- 
que pas  quelque  grand  souvenir  historique,  quelque  nom 
mémorable,  qui  rappelle  l'héroïsme  et  la  vertu.  Les  cantons 
de  la  Suisse  orientale  ne  sont  sans  doute  pas  aujourd'hui  les 
plus  remarquables  sous  le  rapport  de  la  civilisation  ,  de  l'in- 
dustrie et  des  lumières  ;  la  plupart  d'entr'eux,  fidèles  aux 
antiques  institutions  de  leurs  ancêtres,  repoussent  avec  une 
opiniâtre  ténacité  tous  les  changemens  qu'exigerait  l'esprit 
de  l'époque  actuelle.  Mais ,  pour  le  voyageur  qui ,  comme 
M.  Dandolo,  sympathise  volontiers  avec  le  mâle  courage,  la 
haine  de  l'oppression  ,  l'amour  de  la  patrie  et  les  nobles  dé- 
vouemens  qu'il  inspire ,  c'est  bien  le  pays  le  plus  riche  en 
actes  dignes  d'exciter  l'enthousiasme. 

Chaque  canton  de  la  Suisse  peut  réclamer  sa  part  dans  les 
glorieuses  annales  de  la  Confédération  ;  mais  à  Uri,  Schwilz  et 
Unterwaid,  appartient  la  première  et  la  plus  belle. Là  se  trouve 
cette  plaine  du  Grutli,  où  des  hommes  de  cœur  et  vrais  amis 
de  leur  pays  ,  jurèrent  de  délivrer  la  patrie  du  joug  étranger, 
serment  qu'ils  accomplirent  avec  autant  de  loyauté  que  de 
bravoure,  sans  verser  une  goutte  de  sang.  Là  se  voit  une 
chapelle  au  lieu  où  Tell,  animé  d'un  ressentiment  trop  juste, 
comme  le  prouve  une  poésie  latine  du  temps  ,  citée  par 
l'auteur,  qui  mentionne  le  fait  contesté  de  la  pomme,  perça 
d'une   flèche   le  cœur  du   cruel   Gessler.   Là  on   montre  au 


HISTOIRE.  149 

voyageur  ce  champ  de  bataille  de  Morgarten ,  où  deux  fois, 
à  quelques  siècles  de  distance,  les  confédérés,  confians  en 
Dieu  et  en  leur  bon  droit ,  défirent  les  armées  étrangères  qui 
envahissaient  leur  sol  natal.  La  première  fois,  les  conseils  et 
les  directions  d'un  Reding  leur  firent  remporter  une  éclatante 
victoire  sur  les  Autrichiens;  la  seconde  fois,  un  autre  Reding 
les  commandait,  lorsqu'ils  obtinrent  sur  l'armée  française, 
plus  nombreuse  et  plus  expérimentée,  une  victoire  qui  leur 
valut  une  honorable  capitulation. 

M.  Dandolo  jette  beaucoup  de  charme  et.  d'attrait  dans 
ses  descriptions ,  en  appelant  l'histoire  à  son  secours  pour 
animer  la  scène,  en  évoquant  tous  les  souvenirs  qui  s'y  ratta- 
chent. Muller  et  d'autres  écrivains  sont  souvent  cités  par  lui  ; 
plusieurs  chapitres  de  son  livre  nous  offrent  une  élégante 
traduction  des  principales  scènes  du  Guillaume  Tell  de 
Schiller.  Il  nous  fait  ainsi  assister  au  réveil  énergique  de  ce 
peuple  qui,  au  milieu  de  la  servitude  générale,  sut  faire  res- 
pecter ses  droits  par  les  princes  et  les  empereurs,  et,  quoi- 
que religieux  jusqu'à  la  superstition  ,  ne  permit  jamais  à  ses 
prêtres  d'empiéter -sur  le  pouvoir  temporel,  brava  les  foudres 
du  Vatican  ,  ne  recula  pas  même  devant  l'excommunication 
dont  il  fut  plus  d'une  fois  frappé.  Leçons  sublimes,  d'autant 
plus  précieuses  qu'elles  sont  pures  de  tout  excès,  de  tout 
désordre. 

M.  Dandolo  tiace  un  tableau  intéressant  des  diverses 
institutions  qui  régissent  ces  cantons.  11  présente  un  résumé 
des  chan;;einens  survenus  depuis  quelques  années  dans  la 
constitution  du  Tessin ,  ainsi  que  de  ceux  qui  se  préparent 
lentement  dans  les  petits  cantons.  C'est  un  aperçu  superfi- 
ciel sans  doute,  mais  clair  et  précis,  qui  servira  à  faire  mieux 
connaître  cette  Suisse ,  que  tant  de  touristes  traversent  en 
tout  sens,  sans  se  donner  la  peine  de  l'étudier,  quoiqu'elle 
offre  une  mine  si  féconde  à  l'observateur.  Un  esprit  sage  et 
éclairé  guide  l'auteur  dans  ses  remarques  ;  on  y  trouvera  une 
juste  appréciation  du  caractère  Suisse,  de  ses  travers  et  de  ses 
qualités. 


REVUE  DU  NORD,  3me  année,  n.  3.  Mars  1837. 

11  paraît  chaque  mois  une  livraison  de  160  à  200  pages,  dont  trois 
se  réunissent  en  un  fort  volume  in-8  Le  prix  de  l'abonnement  est  de 
40  fr.  par  an,  21  fr.  pour  six  mois  et  1 1  fr.  pour  trois  mois  pour  Paris. 
On  souscrit  au  bureau  de  la  Revue,  rue  du  Four- Saint-Germain,  41. 

Après  une  interruption  de  quelques  mois  ,  la  Revue  germa- 
nique  a  repris  le  cours  de  sa  publication,  sous  les  auspices  d'un 
nouveau  directeur,  M.  J.-J.  O.Pellion.  Les  livraisons  publiées 

1 1 


150  LITTÉRATURE, 

cette  année  se  distinguent  d'une  manière  remarquable  par 
le  choix,  le  mérite  et  la  variété  des  articles  qui  les  composent. 
Celle  que  nous  annonçons  aujourd'hui  renferme  un  article 
fort  intéressant  de  M.  Jules-Paul ,  sur  les  romans  et  la  criti- 
que en  France,  dans  lequel  l'auteur  caractérise  assez  bien 
l'époque  de  transition  à  laquelle  nous  assistons.  Il  montre 
comment ,  tandis  qu'on  discutait  souvent  sur  des  mots  plus 
que  sur  des  idées  avec  un  acharnement  irréfléchi ,  le  goût 
s'est  faussé  ,  les  écrivains  se  sont  égarés  sur  des  sentiers  per- 
dus ,  et  la  critique,  oubliant  son  devoir  de  juge  impartial, 
a  cédé  sa  place  aux  préventions  de  l'esprit  de  parti,  à  l'aveu- 
gle et  sotte  spéculation  de  la  camaraderie.  Il  passe  également 
en  revue  quelques-uns  des  romans  modernes  les  plus  re- 
nommés ;  mais  il  se  montre  lui-même  critique  fort  indul- 
gent, et  prononce  certains  jugemens  qui  paraîtront  assez  ex- 
traordinaires. 

«  Lamartine  ,  dit-il ,  découvrait  une  poésie  qui  ne  fut  pas 
même  soupçonnée  par  les  anciens.... 

»  Alfred  de  Vigny,  en  s'emparant  du  moule  trouvé  par 
le  romancier  écossais  ,  y  jetait  une  œuvre  à  laquelle  son  mo- 
dèle n'a  jamais  atteint.  » 

«  Quelques  années  pltts  tard,  »  ajoute-t-il,  «  George  Sand 
détermina  une  nouvelle  révolution  :  Indiana,  Valehtine,  Lélia, 
André,  sont  des  créations  d'un  ordre  tellement  supérieur,  que 
leurs  défauts  comme  leurs  qualités  resteront  long-temps  un 
sujet  de  dispute  entre  les  gens  de  lettres  appelés  à  les 
apprécier.  » 

Lamartine,  trouvant  une  poésie  qu'Homère  sans  doute 
ne  soupçonnait  pas;  Alfred  de  Vigny  placé  au-dessus  de 
Walter  Scott  ;  et  George  Sand  considéré  comme  un  de  ces 
puissans  génies  qui  changent  l'aspect  d'une  littérature  :  voilà 
ce  qui  peut  s'appeler,  il  me  semble,  sacrifier  au  Veau  d'or 
de  la  mode ,  adorer  les  idoles ,  et  non  point  exercer  cette 
critique  consciencieuse,  modérée,  mais  franche  et  inflexible, 
qui  seule  peut  empêcher  le  goût  de  se  corrompre  et  la  litté- 
rature de  décheoir. 

L'influence  de  la  tradition  et  des  citants  populaires  sur  la  litté- 
rature polonaise  est  signalée  d'une  manière  fort  remarquable  , 
dans  un  très-bon  article  de  M.  Michel  Czaykowski. 
'  Une  Rêverie  traduite  de  Jean-Paul ,  une  jolie  nouvelle  inti- 
tulée Marie,  un  article  de  M.  Monnard  sur  les  Suisses,  leurs 
mœurs,  etc. ,  quelques  recherches  de  statistique,  d'économie 
politique  et  d'histoire,  enfin  des  mélanges  intéressans  extraits 
de  diverses  correspondances ,  complettent  cette  livraison  , 
d'après  laquelle  on  peut  espérer  que  la  Revue  du  Nord 
obtiendra  un  succès  digne  de  ses  efforts.  L'utilité  d'un  sem- 


HISTOIRE.  151 

blable  recueil  ne  saurait  être  niée  ,  car  il  a  pour  but  de  faire 
connaître  l'Ail .-magne  ,  la  Russie,  la  Pologne,  la  Suède,  le 
Dan  mai  ck,  de  rapprocher  ainsi  en  quelque  sorte  le  Nord 
du  Midi,  et, de  populariser  en  Fiance  des  littératures  étran- 
gères, que  l'étude  difficile  de  certaines  langues  a  trop  long- 
temps fait  négliger.  Si  c'est  folie  de  prétendre  changer  le 
génie  propre  d'une  littérature,  et  transplanter  d'une  langue 
dans  une  autre  des  beautés  particulières  et  originales,  qui 
tiennent  à  la  nature  même  du  langage  ou  du  pays ,  on  doit 
reconnaître  aussi  que  l'exclusisme,  en  littérature,  est  le  plus 
sûr  moyen  d'étouffer  le  talent,  et  que  rien  ne  saurait  être 
plus  favorable  que  la  comparaison  des  diverses  littératures  , 
au  développement  de  l'esprit  humain. 


RELIGION,    PHILOSOPHIE,    MORALE,    EDUCATION. 


Sermons  sur  divers  textes  de  l'Ancien  et  du  Nouveau-Testament,  dé- 
diés à  l'église  chrétienne  réformée  de  Nérac,  par  J.-J.  Audebez.  — 
Paris,  1837.  In-8.  5  fr. 

M.  Audebez  semble  appartenir  à  la  secte  des  méthodistes  , 
soit  comme  ils  s'intitulent  eux-mêmes  en  France,  des  chré- 
tiens évangéliques.  Il  se  donne  le  titre  de  pasteur  à  Paris, 
et  c'est  sans  doute  dans  l'une  des  chapelles  séparatistes  qu'il 
exerce  ses  fonctions ,  car  il  ne  fait  point  partie  du  consistoire 
de  l'église  réformée  nationale.  Mais  cette  circonstance  ne  sau- 
rait influer  sur  le  mérite  de  ses  sermons  ;  elle  en  explique 
seulement  l'esprit,  qui  n'est  peut-être  pas  tout- à-fait  de  notre 
époque.  Le  rigorisme  calviniste  ,  la  sécheresse  dogmatique  y 
dominent  parfois  un  peu  trop.  Cependant  on  y  trouve  aussi 
une  piété  ardente ,  une  ferveur  de  conviction  assez  remar- 
quables. 

LES  MYTHOLOGIES  racontées  à  la  jeunesse  ;  par  Mme  Laure  Bernard. 
—  Paris,  chez  Didier,  1837.  1  vol.  in-12,  orné  d'un  grand  nombre 
de  gravures.  4  fr. 

L'étude  des  différentes  mythologies  est  absolument  néces- 
saire pour  l'intelligence  de  l'histoire.  Les  mœurs  et  les  cou- 
tumes des  nations  ne  sauraient  être  comprises  sans  cela  ,  car 
elles  sont  intimement  liées  à  leur  religion  ,  à  leur  culte,  aux 
préjugés  et  aux  superstitions  plus  ou  moins  grossières  qui  ac- 
compagnent les  hommages  qu'elles  rendent  à  l'Etre-Supréine. 


152  RELIGION,  PHILOSOPHIE, 

La  littérature  ,  les  beaux  arts  ,  toutes  les  manifestations  Je 
l'esprit  humain  viennent  aboutir  à  ces  croyances  diverses 
dans  leurs  formes,  par  lesquelles  se  décèle  le  sentiment  reli- 
gieux ,  dont  aucune  société  d'hommes  ,  quelque  barbare  et 
ignorante  qu'elle  soit ,  ne  se  montra  jamais  privée.  Il  est  donc 
indispensable  de  faire  entrer  cette  étude  dans  l'éducation  des 
enfans.  Mais  c'est  une  œuvre  délicate  qui  demande  beaucoup 
de  précautions.  Il  y  a  deux  grands  écueils  à  éviter  dans  un 
semblable  essai.  Le  premier,  c'est  de  surcharger  l'esprit  fcrop 
tuimpressionable  des  enfans ,  de  fables  et  de  merveilles  surna- 
turelles qui  les  frappent  vivement,  les  captivent ,  et  peuvent 
souvent  exercer  une  influence  funeste  sur  le  développement 
de  leurs  facultés.  Le  second  est  d'exciter  chez  eux  les  rêves 
de  l'imagination,  d'éveiller  des  passions  et  des  sentimens  au- 
dessus  de  leur  âge.  Sous  ces  deux  rapports,  le  livre  de  madame 
Laure  Bernard  est  certainement  fort  supérieur  aux  anciens 
abrégés  de  mythologie  de  Chompré  et  autres  ,  mais  il  ne  me 
paraît  pas  encore  tout-à-fait  irréprochable.  On  n'y  trouve  d'a- 
bord presque  aucune  explication  historique;  la  mythologie 
est  racontée  assez  sèchement,  et  d'une  manière  qui  suscitera 
encore  de  la  part  des  enfans  bien  des  questions  embarras- 
santes. L'auteur  aurait  dû  ,  pour  ce  qui  concerne  les  divinités 
de  l'Olympe  grec  et  romain  ,  prendre,  comme  un  modèle  à 
imiter,  l'admirable  petite  Mythologie  élémentaire  de  M.  le  pro- 
fesseur Humbert.  Elle  a  voulu  donner  de  plus  grands  détails, 
faire  un  récit  plus  suivi ,  et  il  en  résulte  que  bien  des  pas- 
sages de  son  livre  ne  pourront  être  ni  lus  ni  compris  par  les 
jeunes  lecteurs  pour  lesquels  il  est  écrit.  Quant  à  la  mytholo- 
gie des  Indous,  et  à  celle  d'Odin,  de  Thor,  etc.,  elles  offrent 
peu  d'attraits  par  la  longueur  et  la  monotonie  de  leurs  fables, 
et  une  grande  difficulté  par  les  noms  barbares  de  leurs  dieux. 
Ce  sont ,  le  plus  souvent,  de  symboliques  allégories  ,  dont  la 
profondeur  est  inintelligible  même  pour  les  savans ,  et  elles 
n'ont  encore  eu  ni  leur  Homère,  ni  leur  Ovide,  pour  les  po- 
pulariser par  le  charme  de  la  poésie  ou  l'intérêt  du  roman. 

De  jolies  gravures  au  trait  ornent  ce  volume  qui ,  malgré 
les  critiques  que  je  lui  ai  adressées ,  mérite  certainement  d'être 
accueilli  avec  faveur,  et  remplacera  d'une  manière  fort  avan- 
tageuse les  ouvrages  de  ce  genre  qu'on  destinait  jusqu'à  pré- 
sent à  l'amusement  de  la  jeunesse.  Seulement,  je  pense  qu'il 
ne  convient  pas  à  de  très-jeunes  enfans;  il  ne  doit  guère  être 
placé  cpie  dans  les  mains  de  ceux  qui  ont  atteint  12  à  15  ans. 
Il  n'est,  du  reste,  pas  bien  utile  d'apprendre  la  mythologie 
avant  cette  époque;  mais  peut-être  aussi  est-on  alors  en  état 
de  l'étudier  d'une  manière  plus  complète  et  plus  raisounée. 


MORALE,   EDUCATION.  ii3 

&SCETTES  POLITIQUES,  par   M.  Alexis  Dumesnil.  —Paris,   1837. 
In-8,  5  fr. 

Satire  arrière  ,  dont  les  traits  acérés  déchirent ,  et  dans 
laquelle  personne  n'est  épargné.  Tous  les  vices  ,  toutes  les 
perfidies,  les  trahisons,  les  lâchetés,  toutes  les  duperies  de 
notre  époque  y  sont  stigmatisés  avec  énergie.  On  regret- 
tera seulement  que  des  noms  propres  sfe  trouvent  mêlés  à  de 
si  violentes  attaques,  car  les  personnalités  inspirent  toujours 
de  la  défiance,  et  quand  on  se  livre  ainsi  sans  retenue  à  toute 
la  fougue  de  son  indignation  contre  la  corruption  sociale,  il 
vaut  bien  mieux  laisser  au  lecteur  le  soin  de  faire  les  applica- 
tions. On  est  toujours  porté  à  soupçonner  de  haine  l'écrivain 
qui  livre  ainsi  au  mépris  public  des  noms  éminens,  on  veut 
lui  trouver  un  motif  peu  noble,  et  l'on  se  sent  enclin  à  défen- 
dre l'accusé  à  ce  tribunal  où  l'accusateur  seul  se  fait  enten- 
dre. Cependant  on  ne  saurait  taxer  M.  Dumesnil  d'esprit 
de  parti,  car  il  fustige  sans  pitié  des  hommes  de  toutes  les  opi- 
nions; et  son  livre,  écrit  avec  beaucoup  de  verve,  paraît  être 
la  boutade  d'un  censeur  vertueux ,  mais  franc  jusqu'à  la 
brutalité. 


5IYGIÈXE  MORALE,  ou  application  de  !a  physiologie  à  la  morale  et  à 
l'éducation,  par  Casimir  Broussais.  —  Paris,  1837.  In-8,  6  fr. 

L'auteur  de  ce  volume  cherche  à  appliquer  la  doctrine 
phrénologique  à  l'éducation  des  enfans.  Il  se  pose  entre  les 
spiritualistes  et  les  matérialistes  comme  médiateur,  et  offre 
pour  condition  de  trêve  l'étude  approfondie  de  l'homme,  de 
ses  organes,  des  facultés  qui  s'y  rattachent.  Son  opinion  est 
qu'il  faut  marcher  toujours  du  connu  à  l'inconnu,  et  que 
c'est  dans  l'homme  lui-même  qu'il  faut  chercher  la  cause  de 
son  existence,  l'origine  de  ses  devoirs.  Les  faits  sont  pour  lui 
les  seules  lois  qui  existent.  Il  est  certain  du  moins  que  ce 
sont  bien  celles  qui  existent  le  plus  sûrement  et  dont  la  réa- 
lité parle  de  la  manière  la  plus  irrécusable  à  l'intelligence 
humaine.  Mais  il  faudrait  que  les  faits  fussent  toujours  exa- 
minés avec  loyauté  et  franchise,  sans  préoccupation  étran- 
gère à  la  science,  dans  le  seul  but  de  trouver  la  vérité  et  non 
dans  celui  de  faire  triompher  un  système  auquel  l'aveugle 
amour-propre  de  son  auteur  ne  fait  que  trop  souvent  sacri- 
fier toute  autre  considération.  Il  faudrait  observer  la  nature 
pour  elle,  non  pour  soi,  et  employer  toutes  les  facultés  de 
notre  esprit  à  découvrir  les  lois  qui  règlent  ses  phénomènes, 
au  heu  de  vouloir  la  plier  aux  fantaisies  d'une  imagination 


154  RELIGION,  PHILOSOPHIE, 

hardie  et  absolue.  Si  l'accusation  de  matérialisme  est  adressée 
quelquefois  avec  raison ,  c'est  à  ceux  qui ,  une  fois  munis 
d'une  idée,  prétendent  tout  expliquer  avec  elle,  ne  s'arrêtent 
pas  aux  faits  connus,  mais  en  supposent  d'autres  que  rien  ne 
prouve,  et  refusent  d'avouer  qu'après  avoir  en  effet  expli- 
qué beaucoup  de  choses  dans  la  nature,  par  ses  observations 
et  ses  travaux  bien  dirigés,  l'homme  est  obligé  de  s'arrêter 
devant  des  phénomènes  que  son  intelligence  ne  peut  absolu- 
ment pas  comprendre. 

Du  reste,  M.  C.  Broussais  expose  en  détail  toutes  les  facul- 
tés que  la  phrénologie  compte  sur  le  crâne  humain  ;  mais 
comme  il  ne  donne  point  les  moyens  physiologiques  de  les 
reconnaître,  et  qu'il  faudrait  d'ailleurs  commencer  par  prou- 
ver que  cela  se  peut  dès  l'enfance ,  son  livre  n'offre  rien  de 
bien  nouveau  sur  l'éducation.  Il  ne  fait  que  répéter  ce  que 
disent  tous  les  moralistes ,  qu'il  faut  travailler  à  réprimer 
chez  les  enfans  les  mauvaises  dispositions,  et  à  développer 
autant  que  possible  les  bonnes. 


TROIS  EXISTENCES,  OU  LA  MAISON  CENTRALE  ,  par  M.  A.  Peigné.  — 
Paris,  chez  Pesron.  1837.  in- 12.  3  fr.  50c. 

Le  conte  fait  passer  la  morale  avec  lui,  dit  l'épigraphe  de  ce 
volume,  et  c'est  une  vérité  que  nul  ne  contestera;  mais  il 
peut  arriver  aussi  qu'il  la  fasse  oublier,  et  c'est  à  quoi  il  faut 
prendre  garde  quand  on  écrit  dans  un  but  purement  moral. 
M.  Peigné  a  voulu  faire  un  livre  qui  offrît  aux  détenus  une 
lecture  utile,  capable  de  les  intéresser  et  de  les  améliorer, 
en  suscitant  dans  leurs  esprits  de  salutaires  pensées ,  en  ré- 
veillant dans  leurs  cœurs  des  sentimens  d'honneur  et  de 
probité.  Des  trois  êtres  qui  jouent  les  principaux  rôles  dans 
cet  ouvrage,  l'un  ,  Parmenticr,  est  un  mauvais  sujet  que  l'in- 
conduite  a  poussé  vers  le  crime  ,  et  dont  les  facultés  dévelop- 
pées par  une  instruction  supérieure  ont  bientôt  fait  un  bri- 
gand consommé.  L'auteur  a  eu  tort,  je  crois,  de  choisir  un 
nom  pareil,  car  on  doit  toujours  respecter  tout  ce  qui  rappelle 
le  souvenir  d'un  homme  de  bien;  mais  il  n'aura  pas  réfléchi 
à  cette  circonstance,  et  c'est  sans  doute  par  une  inadvertance 
malheureuse,  mais  bien  involontaire,  que  sa  plume  a  donné 
à  son  triste  héros  le  nom  de  l'un  des  bienfaiteurs  de  l'huma- 
nité. Parmentier  entraîne  avec  lui  Amanda,  jeune  femme 
qu'une  première  faute  a  jetée  sur  la  route  du  vice  où  il  la  ra- 
masse pour  en  faire  sa  maîtresse,  et  Lcmpine,  garçon  simple 
et  ignorant,  mais  ambitieux  à  sa  manière,  que  son  inexpé- 


MORALE,  ÉDUCATION.  155 

rience  rendait  très-propre  à  servir  d'instrument  à  quiconque 
saurait  s'emparer  de  lui,  en  flattant  ses  penchans. 

Après  avoir  débuté  par  quelques  vols  plus  ou  moins  auda- 
cieux, Parmcnticr  et  Lemoine  commettent  un  assassinat,  et, 
dès  les  premiers  chapitres  du  récit,  on  les  voit  fuyant  loin 
de  Paris  pour  échapper  à  la  justice.  Mais  avant  de  partir  , 
Parmentier  a  remis  à  sa  maîtresse  les  bijoux  de  sa  victime  , 
comme  un  don  de  son  amour,  et  Amunda,  qui  ignore  tout-à- 
fait  l'horrible  industrie  dont  ils  sont  le  fruit,  se  pare  aussitôt 
de  ces  dépouilles  pour  aller  le  soir  même  danser  dans  un  bal 
public  avec  une  amie.  Une  querelle  d'étudians  dans  laquelle 
la  maîtresse  de  Parmentier  se  trouve  compromise ,  conduit 
cette  malheureuse  jeune  femme  à  la  préfecture  de  police,  et 
tandis  que  les  deux  assassins  roulent  sur  la  route  d'Orléans  et 
se  félicitent  déjà  de  leur  succès  ,  A  manda  se  voit  obligée  de 
comparaître  devant  un  juge  d'instruction  qui  se  trouve  juste- 
ment être  chargé  d'informer  au  sujet  du  meurtre  commis  par 
eux.  Les  bijoux  qu'elle  porte  sont  reconnus  ;  la  justice  est 
bientôt  sur  la  trace  des  coupables ,  et  après  un  court  procès  , 
Parmentier  et  Lemoine ,  qui  ont  réussi  dans  leur  défense  à  se 
faire  passer  pour  de  simples  complices  qui  n'ont  fait  qu'ai- 
der les  auteurs  du  crime,  sont  condamnés,  ainsi  qu*  Amandfl , 
à  une  détention  plus  ou  moins  longue,  qu'ils  vont  subir  dans 
une  maison  centrale. 

Jusque  là  tout  est  conforme  à  la  réalité ,  tout  est  vrai ,  et 
l'on  ne  peut  repiocher  à  l'auteur  que  certaines  scènes  triviales 
qui  indiquent  chez  lui  une  propension  à  écrire  le  îoman  plu- 
tôt qu'à  prêcher  la  morale.  Mais  ici  l'action  se  complique 
étrangement.  La  maison  centrale  devient  le  rendez-vous  de 
tous  les  personnages  que  M.  Peigné  nous  a  successivement 
fait  connaître.  L'amie  d'Amanda  s'est  mariée  avec  un  hon- 
nête homme  qui  est  nommé  fournisseur  de  la  prison  ;  d'un 
autre  côté,  Pierre,  ancien  compagnon  de  Lemoine,  y  est  em- 
ployé comme  entrepreneur  ;  un  certain  brigadier  de  gendar- 
merie ,  qui  a  aussi  figuré  dans  les  chapitres  précédens  ,  s'y 
rencontre  également;  enfin  ,  l'aumônier  se  trouve  être  le 
frère  de  la  première  victime  qu'a  frappée  Parmentier,  et  celui- 
ci  retrouve  dans  le  directeur  un  père  qu'il  a  abandonné  pour 
se  livrer  au  désordre  et  au  crime. 

Voilà  un  tissu  d'intrigues ,  tel  qu'on  en  rencontre  souvent 
dans  les  œuvres  d'imagination ,  dans  les  drames  de  nos  théâ- 
tres, mais  bien  peu  conforme  en  vérité  à  ce  que  le  inonde 
nous  offre  le  plus  communément.  Or,  je  crois  que  dans  un 
ouvrage  de  ce  genre,  l'invraisemblance  est  un  giand  défaut. 
L'imagination  ne  peut,  il  me  semble,  venir  en  aide  à  la  mo- 
rale, qu'à  la  condition  de  rester  toujours  dans  les  limites,  non- 


156  RELIGION,  PHILOSOPHIE, 

seulement  du  possible  ,  mais  même  du  probable  ;  autrement, 
elle  nuit  au  but  qu'on  se  propose,  soit  qu'elle  distraise l'atten- 
tion et  parle  plus  à  l'esprit  qu'au  cœur,  soit  que  ,  présentant 
des  conditions  qu'il  est  impossible  de  réunir  dans  la  réalité, 
elle  offre  aussitôt  un  prétexte  de  rejeter  les  leçons  qu'elle  veut 
donner. 

Lemoine  et  A manda ,  dociles  aux  leçons  de  l'expérience  et 
aux  exhortations  des  personnes  qui  s'intéressent  à  leur  régé- 
nération morale,  se  distinguent  bientôt  par  leur  bonne  con- 
duite dans  la  maison  centrale. 

Ils  gagnent  l'un  et  l'autre  l'affection  du  directeur  et  de 
l'aumônier.  Après  quelques  années  ils  obtiennent  la  remise 
de  leur  peine  et  rentrent  dans  la  société  pour  y  recommencer 
une  nouvelle  carrière,  où  leur  probité  ne  tarde  pas  à  trouver 
sa  récompense.  Quanta  Parmentier,  il  reste  insensible  à  tout 
ce  qu'on  tente  de  faire  pour  lui  ;  il  rejeté  les  conseils,  il  brave 
les  chàtimens,  et  après  avoir  assassiné  un  de  ses  compagnons 
qui  avait  dénoncé  ses  projets  d'évasion,  il  se  donne  à  lui  même 
plusieurs  coups  de  couteau.  Le  repentir  ne  trouve  accès  dans 
son  cœur  que  peu  d'instans  avant  sa  mort.  Il  avoue  alors  tous 
ses  crimes,  dévoile  le  secret  de  sa  naissance  et  meurt  en  frap- 
pant ainsi  son  pauvre  père  d'un  coup  qui  ne  tarde  pas  à  le 
conduire  également  au  tombeau. 

Sans  doute  les  détenus  auxquels  M.  Peigné  dédie  son  livre 
y  trouveront  des  leçons  excellentes.  Le  crime  et  ses  inévita- 
bles conséquences  y  sont  peints  des  plus  noires  couleurs  ; 
mais,  je  le  répète,  il  y  a  trop  du  roman  ,  trop  d'invraisem- 
blance dans  les  détails.  Ces  amis  dévoués,  dont  l'auteur  en- 
toure les  malheureux  qu'il  met  en  scène,  sont  de  trop  rares 
exceptions  dans  ce  monde,  où  l'homme  qu'une  première  faute 
enti-aîne  dans  le  crime,  se  voit,  au  contraire,  abandonné  de 
tous  et  ne  rencontre  qu'obstacles  de  toute  nature  sur  sa  route 
lorsqu'il  entreprend  de  se  régénérer.  A  cet  égard,  M.  Peigné  a 
peint  ce  qui  doit  être,  mais  non  pas  ce  qui  est.  On  lui  repro- 
chera, je  crois  aussi,  d'avoir  quelquefois  jeté  du  ridicule  sur 
les  gens  de  bien  qui  figurent  dans  son  récit.  L'amie  d'Amanda 
est  une  femme  bien  légère  pour  jouer  le  rôle  qu'il  lui  donne  ; 
son  excellent  mari  tient  trop  souvent  de  la  caricature ,  et  le 
brigadier  de  gendarmerie,  quelque  vrai  que  puisse  être  son 
caractère,  me  parait  bien  peu  propre  à  aider  l'œuvre  de  la  ré- 
forme. Au  total ,  dans  ce  petit  ouvrage ,  le  plan  et  le  but 
étaient  dignes  d'une  meilleure  exécution,  et  il  est  à  désirer 
que  dans  une  édition  nouvelle  l'auteur  fasse  disparaître  tout 
ce  qui  en  gâte  l'harmonie,  tout  ce  qui  en  fausse  l'intention. 
Les  livres  de  ce  genre  sont  d'autant  plus  difficiles  à  faire  qu'il 
n'en  existe  encore  presque  aucun,  et  l'écrivain  qui,  l'un  des 


MORALE,  ÉDUCATION.  157 

premiers,  consacre  sa  plume  à  un  travail  aussi  noble  qu'utile, 
ne  doit  pas  craindre  de  remettre  plus  d'une  fois  soti  œuvre 
sur  le  métier. 


le  gamin  de  PARIS  ,  ou  le  Fils  de  Geneviève  ;  par  Mme  F.  Richomme. 
—  le  plaisir  et  le  temps,  ou  huit  jours  de  vacances;  par  la 
même.  2  vol.  in-lG,  fig.  —  Paris,  chez  Louis  Janet. 

Ces  deux  petits  volumes,  imprimés  avec  luxe,  ornés  de  jo- 
lies gravures,  ont  un  aspect  qui  séduit.  C'est  un  charmant 
cadeau  à  faire  aux  enfuis.  Madame  Richomme  ,  chargée 
d'encadrer  une  suite  de  petits  sujets  représentant  tous  les 
jeux  de  l'enfance  dans  un  texte  amusant,  s'est  tirée  avec  bon- 
heur de  celte  tache  difficile.  C'était,  il  faut  l'avouer,  une 
singulière  fantaisie  d'éditeur ,  et  l'on  pouvait  craindre  avec 
raison  qu'il  n'en  résultât  qu'un  livre  médiocre  et  inutile. 
Mais  l'auteur  a  su  se  plier  à  cette  exigence  et  a  fait  preuve 
d'un  talent  facile  et  souple.  Le  Gamin  de,  Paris  est  un  conte 
intéressant  qui  renferme  de  bonnes  leçons,  quoique  peut-être 
il  soit  un  peu  romanesque  et  qu'on  y  sente  parfois  la  gène 
imposée  par  l'obligation  d'amener  les  scènes  explicatives,  des 
gravures  et  de  jeter  des  tableaux  de  gaîté  enfantine  au  milieu 
d'un  récit  moral.  L'auteur  aurait  mieux  fait,  je  crois,  de  lui 
donner  une  forme  moins  sentimentale  ;  son  imagination  l'a 
entraîné  au-delà  des  limites  qui  lui  étaient  assignées  et  a  aug- 
menté ainsi  les  difficultés  à  vaincre.  Il  est  vrai  que  les  jeunes 
lecteurs  auxquels  est  destiné  ce  livre  ne  s'apercevront  guère 
de  ces  disparates  et  se  laisseront  volontiers  attendrir  par  les 
malheurs  du  Gamin,  dont  ils  partageront,  également  avec  un 
vif  plaisir  les  amusemens  et  les  joies.  Chez  l'enfance,  les  cha- 
grins ressemblent  à  ces  nuages  fugitifs  qui  se  jouent  autour 
du  soleit  pendant  un  beau  jour  d'été.  Le  sourire  est  déjà  sur 
ses  lèvres,  que  ses  yeux  sont  encore  gros  de  larmes,  et  il  ar- 
rive aussi  bien  souvent  qu'un  éclat  de  rire  finit  en  pleurs. 

Cependant  je  préfère  beaucoup  l'autre  volume  qui  ren- 
ferme huit  jours  de  vacances.  Ici ,  du  moins,  tout  est  en  har- 
monie, texte  et  gravures  marchent  ensemble  sans  effort.  C'est 
une  petite  fille  qui  se  propose  de  ne  pas  perdre  une  minute 
de  ses  vacances  et  les  trouve  seulement  trop  courtes  pour 
pouvoir  jouer  autant  qu'elle  le  voudrait.  Des  camarades 
viennent  se  joindre  à  elle,  et  tous  les  jeux  de  l'enfance  sont 
passés  en  revue  par  la  troupe  joyeuse.  Un  petit  érudit,  qui 
en  fait  partie,  raconte  aux  autres  l'origine  et  l'histoire  de 
chacun  de  ces  jeux.  Ce  sont  des  scènes  enfantines  décrites 
avec  grâce  et  animées  de  tout  l'intérêt  dont  elles  étaient  sus- 
ceptibles. 


158  RELIGION,  PHILOSOPHIE, 

*JNE  FAMILLE,  par  Mme  Guizot ;  ouvrage  à  l'usage  de  la  jeunesse, 
continus  par  Mme  Amable  Tastu.  —  Paris,  chez  Didier,  1837.  2  vol. 
in-12,  fig.  8fr. 

Ce  livre,  l'une  des  plus  jolies  productions  dues  à  la  plume 
de  madame  Guizot,  était  demeuré  inachevé.  La  mort  avait 
surpris  l'auteur  au  milieu  de  son  travail,  et  le  fragment  pu- 
blié faisait  regretter  vivement  qu'elle  n'eût  pas  terminé  une 
œuvre  aussi  remarquable.  Une  autre  femme ,  plus  connue 
jusqu'à  ce  jour  par  son  talent  poétique  que  comme  écrivain 
moraliste,  madame  Ta^tu,  dont  les  inspirations  aussi  fraî- 
ches que  gracieuses,  unies  à  un  style  simple  et  pur  lui  ont 
assuré  depuis  long-temps  une  des  premières  places  parmi  nos 
muses  contemporaines,  a  essayé  la  tâche  difficile  de  complé- 
ter le  dernier  ouvrage  de  madame  Guizot.  Ce  n'était  pas  une 
petite  entreprise,  car  rien  n'est  plus  pénible  que  d'astreindre 
son  esprit  à  développer  des  plans  qu'il  n'a  pas  conçus ,  à  sui- 
vre les  idées  d'un  autre.  Il  fallait  se  rendre  bien  complètement 
maître  du  sujet  pour  parvenir  à  deviner  en  quelque  sorte 
l'extension  qu'il  devait  prendre  sous  la  plume  de  srjn  pre- 
mier auteur,  et  de  plus,  étudier  avec  soin  son  style  de  ma- 
nière à  pouvoir  en  approcher  le  plus  possible,  en  sorte  qu'il 
n'y  eût  pas  contraste,  et  que  l'harmonie  de  l'ensemble  ne  se 
trouvât  pas  détruite. 

Madame  Tastu  s'est  tirée  avec  bonheur  de  toutes  ces  diffi- 
cultés. Partageant  toutes  les  vues  de  madame  Guizot  sur  l'é- 
ducation, elle  a  très -bien  su  rester  fidèle  à  l'esprit  qui  la  diri- 
geait. Toutes  les  données  qu'offrait  la  première  partie  <¥U//e 
Famille  ont  été  habilement  développées  par  elle,  et  il  faut  un 
examen  bien  approfondi  pour  découvrir  le  point  d'union  qui 
lie  l'œuvre  de  l'une  à  celle  de  l'autre,  pour  pouvoir  dire  :  Ici 
s'arrête  madame  Guizot,  là  commence  madame  Tastu.  Le 
but  de  ce  livre  est  d'exposer  le  tableau  d'une  famille,  dans  les 
détails  journaliers  de  la  vie  domestique,  et  de  faire  ressortir 
des  leçons  de  morale  pratique  des  situations  les  plus  simples, 
les  plus  communes  dans  le  monde.  Madame  Guizot  avait 
voulu  échapper  au  reproche  adressé  à  son  écolier,  en  prou- 
vant que  des  évènemens  extraordinaires  n'étaient  pas  indis- 
pensables pour  exciter  un  intérêt  vif  et  soutenu.  Madame 
Tastu  a  suivi  cette  même  idée,  et  il  n'y  a  guère  qu'un  seul 
reproche  à  lui  adresser,  c'est  d'avoir  peut-être  trop  brusqué 
le  dénouement.  Les  succès  et  la  fortune  du  pauvre  Antoine, 
qui,  de  simple  garçon  de  boutique,  devient  un  grand  manu- 
facturier, et  finit  par  épouser  la  fille  de  son  noble  protecteur, 
ne  sont  pas,  il  est  vrai,  sans  exemple  dans  la  réalité.  Mais  que 
d'obstacles  ne  faut-il  pas  vaincre  pour  arriver  à  de  tels  résul- 
tats !  Combien  de  persévérance  ei  de  fermeté  ne  faut-il  pas 


MORALE,  ÉDUCATION.  159 

déployer  pour  combattre  les  découragemens  sans  nombre  qui 
attendent  l'homme  sur  cette  route  pénible  !  J'aurais  mieux 
aimé  qu'au  lieu  de  se  contenter  simplement  d'indiquer  par 
quelques  mots  tout  ce  que  Antoine  eut  à  faire  pour  se  créer 
une  position  indépendante  et  belle,  madame  Tastu  nous  don- 
nât tous  les  détails  de  cette  noble  lutte.  En  effet,  l'ordre, 
la  conduite,  des  facultés  supérieures  développées  par  l'étude, 
échouent  souvent,  parce  qu'elles  sont  abattues  et  perdent 
tout  courage  devant  le  premier  échec.  On  ne  saurait  donc 
trop  exposer  aux  yeux  des  jeunes  gens,  le  tableau  détaillé 
et  complet  de  ces  existences  pleines  et  utiles,  dans  lesquelles 
les  facultés  de  l'âme  ont  su  trouver,  dans  leur  développement 
moral,  la  force  de  triompher  de  toutes  les  difficultés  qu'op- 
pose l'ordre  social  imparfait  aux  efforts  des  hommes  nés 
dans  les  rangs  obscurs  des  classes  inférieures.  Mais  la  place 
a  manqué  à  madame  Tastu  ;  elle  a  craint,  sans  doute,  de 
paraître  ambitieuse  en  donnant  à  cet  ouvrage  une  exten- 
sion telle  que  la  partie  écrite  par  son  premier  auteur  ne 
parût  plus  que  la  moins  importante.  Du  reste,  quoiqu'on 
puisse  regretter  qu'elle  ait  ainsi  abandonné  Antoine  au  mo- 
ment où  il  eût  été  le  plus  intéressant  de  suivre  pas  à  pas  ses 
travaux  et  ses  progrès ,  on  reconnaîtra  dans  la  Suite  d'une 
Famille  un  talent  très-remarquable ,  joint  à  des  principes 
sages  et  féconds. 

Madame  Tastu  s'est  acquis  ainsi  un  titre  de  plus  à  la 
célébrité;  elle  prend  rang  parmi  cette  élite  d'écrivains  dis- 
tingués, dont  les  productions,  destinées  à  la  jeunesse,  ne 
seront  pas  celles  qui  exerceront  le  moins  d'influence  sur  l'a- 
venir de  la  société.  Les  idées  morales,  semées  dans  l'âme 
encore  pure  de  l'enfance,  ne  sauraient  que  porter  d'excellens 
fruits,  surtout  lorsque,  dégagées  de  tout  préjugé,  de  toute  su- 
perstition, elles  puisent  leur  force  et  leur  appui  dans  les 
sentimens  du  cœur,  et  n'empruntent  à  la  religion  qu'amour 
et  charité,  ces  deux  sources  divines  de  tout  ce  qu'il  y  a  de 
grand,  de  généreux,  de  vrai. 

wmm*ss^=~ 


LEGISLATION,   ECONOMIE  POLITIQUE,   COMMERCE. 

VISITE  DANS  QUELQUES  PRISONS  DE  FRANCE,  en  mai  et  juin  1836, 
et  Réflexions  sur  quelques  points  tendant  à  la» réforme  et  à  l'amélio- 
ration des  prisons  en  général,  par  Adrien  Picot.  —  Paris,  chez  Ab. 
Cherbuliez  etComp.,  1837.  In-8,  lig.  1  fr.  25  cent. 

Pendant  un  voyage  dans  le   midi  de  la  France ,  l'auteur 
a  visité  les  prisons  de  Toulon,  Marseille,  INimes,  Montpel- 


360  LÉGISLATION, 

lier,  Avignon,  Le  Yigan,  Valence,  Saint-Etienne  et  Lyon. 
Partout  il  a  été  frappé  des  vices  que  présente  l'organisation 
actuelle  de  ces  établissemens,  et,  dans  le  désir  de  contribuer 
pour  sa  part  à  l'œuvre  de  la  réforme  qui  est  aujourd'hui 
l'objet  des  vœux  de  tous  les  hommes  éclairés ,  il  publie  les 
notes  qu'il  a  recueillies  à  ce  sujet.  Le  bagne  de  Toulon  est 
en  tête  de  cette  revue  rapide,  et  l'on  comprend  facilement 
quelles  impressions  pénibles  ont  dû  assaillir  le  voyageur  dès 
l'abord,  en  présence  de  ces  monstrueux  vestiges  de  barbarie, 
qui  protestent  si  énergiquement  contre  les  prétentions  de 
cette  civilisation  imparfaite  dont  on  se  montre  si  fier.  Au 
milieu  de  ces  espèces  d'égouts ,  dans  lesquels  la  société  en- 
tasse pèle-mèle  toutes  ses  souillures,  le  bâton  est  à  peu  près 
le  seul  instrument  de  correction  employé  pour  réprimer 
les  passions,  pour  combattre  le  vice  ;  et  les  instituteurs ,  en- 
tre les  mains  desquels  il  est  confié,  sont  bien  dignes  d'un 
pareil  pouvoir  :  les  garde-chiourmes  sont  pour  la  plupart 
d'anciens  forçats  libérés.  Là,  point  d'instruction  morale,  pas 
d'efforts  généreux  pour  relever, améliorer, régénérer  l'homme, 
point  de  consolation  pour  le  coupable  repentant.  Aussi  le 
bayne  n'est-il  qu'une  école  de  corruption,  de  laquelle  on  ne 
sort  que  pour  y  rentrer  bientôt.  Une  fois  envoyé  dans  ce  sé- 
jour par  une  première  faute,  le  criminel  se  trouve  enlacé 
dans  un  cercle  vicieux  ,  dont  il  ne  peut  plus  guère  sortir 
que  pour  monter  sur  l'échafaud. 

Ce  triste  résultat  du  bagne  peut  également  s'appliquer 
plus  ou  moins  à  toutes  les  autres  prisons  de  France.  L'ab- 
sence du  travail  dans  un  grand  nombre,  le  mélange  confus 
des  diverses  espèces  de  détenus,  et  les  abus  de  la  cantine  dans 
toutes,  suffisent  déjà  pour  priver  tout-à-fait  ces  établissemens 
de  la  faculté  d'améliorer  l'homme  qu'on  y  renferme.  L'oi- 
siveté est  la  mère  de  tous  les  vices  ;  cet  adage  n'est  pas  nou- 
veau, et  nul  ne  songea  sans  doute  jamais  à  en  contester  la 
vérité  ;  cependant,  il  en  est  de  cette  vérité  comme  de  bien 
d'autres,  qu'on  ne  se  fait  faute  de  répéter  sans  cesse,  mais 
qu'on  n'applique  justement  pas  aux  circonstances  dans  les- 
quelles leur  influence  s'exercerait  de  la  manière  la  plus 
utile.  La  force  d'inertie  est  encore  plus  difficile  à  vaincre 
chez  l'homme  que  dans  la  nature,  et  il  faut  une  courageuse 
persévérance  pour  faire  adopter,  dans  la  pratique,  une  vé- 
rité que  chacun  reconnaît  comme  excellente  en  théorie. 

Au  bagne,  le  travail  ne  se  compose  que  de  manœuvres 
pénibles  ,  qui  ne  constituent  point  un  état  capable  de  four- 
nir à  la  subsistance  du  condamné,  lorsqu'il  a  fini  son  temps. 
Dans  la  prison  de  Toulon,  construite  cependant  depuis  peu, 
les  détenus  ne  sont  astreints  à  aucun  travail,  et  l'on  n'a  pas 


ÉCONOMIE  POLITIQUE,  ETC.  161 

même  jugé  à  propos  de  leur  donner  un  aumônier,  pour  ré- 
veiller dans  leurs  âmes  quelques  sentimens  religieux.  Les 
prisons  de  Marseille  offrent  à  peu  près  le  même  aspect  d'oi- 
siveté, et  par  conséquent  de  désordre  et  de  corruption.  Celles 
d'Avignon,  du  Vigan,  de  Yalence,  sont  toutes  également  de- 
meurées étrangères  aux  progrès  qu'a  faits,  dans  ces  derniè- 
res années,  la  question  de  la  réforme  pénitentiaire.  Les 
maisons  centrales  de  Nismes,  de  Montpellier,  et  la  prison  de 
Perrache  à  Lyon,  présentent  quelques  essais  d'amélioration, 
tentés  par  le  zèle  d'administrateurs  habiles  ou  de  généreux 
philanthropes.  Mais  toutes  se  ressentent  encore  plus  ou 
moins  de  l'ancien  régime ,  et  l'on  regrettera  sans  doute  que 
M.  Picot  n'ait  pas  eu  le  temps  de  recueillir  un  plus  grand 
nombre  de  ces  détails  statistiques  ,  dont  la  comparaison  four- 
nit les  argumens  1rs  plus  propres  à  convaincre  ceux  qui 
doutent  encore  de  l'utilité  d'une  semblable  réforme. 

Cette  brochure  est  terminée  par  quelques  considérations  sur 
le  système  pénitentiaire,  où  l'auteur  insiste  particulièment  sur 
la  nécessité  de  l'isolement  cellulaire  et  du  silence  absolu.  Il 
pense  que  la  plupart  des  prisons  actuellement  existantes  pour- 
raient être  métamorphosées  en  maison  pénitentiaire,  moyen- 
nant une  dépense  d'environ  500  fr.  pour  chaque  cellule,  et 
il  rappelle,  d'ailleurs,  qu'aujourd'hui  les  premiers  essais,  les 
plus  coûteux,  parce  qu'on  manquait  d'expérience,  ont  été 
faits  soit  en  Amérique  ,  soit  en  Angleterre,  soit  en  Suisse,  et 
que  l'on  a  maintenant  des  plans  de  prisons  nouvelles,  qui  ne 
font  plus  ressortir  le  prix  de  la  cellule  qu'à  1,000  fr.  Quel- 
ques-uns de  ces  innombrables  millions  qu'engloutit  chaque 
année  le  budget,  suffiraient  pour  couvrir  bientôt  la  France 
de  pénitentiers  où  ses  condamnés  trouveraient,  dans  le  tra- 
vail, le  silence  et  l'isolement,  les  vrais  et  les  seuls  moyens 
de  régénération,  qui  aient  quelque  influence  salutaire  sur 
l'homme,  qui  soient  capables  de  le  retirer  de  l'abîme  dans 
lequel  l'ont  plongé  l'ignorance,  l'inconduite,  des  passions  vio- 
lentes, ou  même  quelquefois  une  extrême  misère  et  le  cruel 
égoïsme  qui  ne  laisse  souvent,  à  l'ouvrier  sans  pain,  d'autre 
alternative  que  la  mort  ou  le  crime. 

Sans  doute,  ainsi  que  le  dit  M.  Picot,  l'argent  ne  suffit 
pas  pour  assurer  l'œuvre  de  la  réforme;  il  faut  encore  et 
surtout  du  zèle,  du  dévouement  chez  les  particuliers;  la  cha- 
rité individuelle  est  plus  féconde  que  les  ordonnances  mi- 
nistérielles. Mais  on  lui  objectera  avec  raison  que,  grâce  à 
l'excessive  centralisation  qui  règne  en  France,  où  le  pouvoir 
semble  jaloux  des  moindres  attributions  qui  relèvent  toutes 
plus  ou  moins  directement  de  lui ,  le  gouvernement  seul 
peut  exécuter   cette   réforme.   C'est  à  peine  si  des  sociétés 


162  LÉGISLATION, 

particulières  peuvent  espérer  d'exercer  quelque  influence  sur 
ces  établissemens ,  dont  elles  seront  toujours  séparées  par  la 
compacte  et  trop  souvent  inerte  hiérarchie  administrative. 


histoire  de  L'ECONOMIE  politique  EN  EUROPE,  depuis  les  an- 
ciens jusqu'à  nos  jours,  suivie  d'une  Bibliographie  raisonnée  des 
principaux  ouvrages  d'économie  politique,  par  Adolphe  Blanqui 
aîné,  professeur  au  Conservatoire  des  Arts  et  Métiers  ,  directeur  de 
LÉcole  spéciale  du  Commerce.  —  Paris,  1837,  tome  1er,  in-8.  7  fr. 
50  cent. 

M.  Blanqui  s'est  proposé  de  tracer  le  tableau  des  diverses 
vicissitudes  de  l'économie  politique ,  soit  des  relations  com- 
merciales ,  industrielles  et  financières  des  peuples  européens  , 
dès  le  temps  des  Grecs  et  des  Romains,  jusqu'à  l'époque 
actuelle.  C'est  à  tort,  selon  lui,  qu'on  prétend  devoir  la 
science  de  l'économie  politique  au  siècle  dernier  ;  son  origine 
remonte  bien  plus  haut;  on  en  retrouve  des  traces  chez  toutes 
les  nations  civilisées  :  les  questions  d'impôt,  de  douane,  de 
liberté  industrielle,  de  paupérisme,  agitaient  les  états  de 
l'antiquité  comme  les  nôtres.  Personne,  sans  doute,  ne  lui 
contestera  la  vérité  de  cette  assertion ,  en  ce  qui  concerne  les 
faits  ;  mais  pour  la  science,  c'est  autre  chose  :  avant  le  dix- 
huitième  siècle ,  on  peut  dire  qu'elle  n'existait  pas,  et  ce  ne 
sont  pas  quelques  fragmens  épais,  quelques  maximes  isolées 
dans  les  écrits  des  philosophes  antiques,  qui  pourront  jamais 
passer  pour  un  système  ou  un  corps  de  doctrines. 

L'existence  des  faits  précède  toujours  celle  de  la  science 
qui  s'appuie  sur  eux;  le  corps  de  l'homme  existait  avec  sa 
charpente  osseuse,  ses  organes  et  ses  tissus  divers,  long- 
temps avant  que  l'anatomie  prît  rang  parmi  les  connaissances 
humaines;  les  corps  célestes  roulaient  dans  leurs  orbites,  bien 
des  milliers  d'années  avant  que  la  découverte  des  lois,  qui 
règlent  leur  cours  vînt  créer  l'astronomie.  De  même ,  les 
nations  ont  pendant  des  siècles  commercé  entr'elles,  payé 
des  impôts,  souffert  des  exactions  sans  nombre  ,  avant  qu'on 
se  doutât  que  toutes  ces  relations  de  peuple  à  peuple ,  ou  de 
nation  à  gouvernement,  étaient  aussi  soumises  à  des  lois 
invariables,  qu'on  ne  viole  pas  en  vain,  et  qui  constituent 
la  science  à  laquelle  on  a  donné  le  nom  d'économie  poli- 
tique. 

L'histoire  du  passé  n'en  est  pas  moins  d'une  haute  impor- 
tance sous  ce  rapport,  car  elle  peut  offrir,  dans  une  longue 
série  d'expériences  malheureuses,  les  plus  utiles  leçons  pour 
l'avenir.  Il  est  à  regretter  seulement  que  la  plupart  des 
historiens  aient  totalement  négligé  de  nous  transmettre  les 


ÉCONOMIE  POLITIQUE,  ETC.  163 

documens  nécessaires  pour  éclaircir  les  questions  de  ce  genre. 
Dans  leurs  ouvrages,  ainsi  que  le  remarque  fort  judicieuse- 
ment M.  Blanqui ,  «  les  armées  et  les  cours  occupent  le  pre- 
»>  mier  plan  ;  l'espèce  humaine  ,  celle  qui  ne  tue  ni  ne  pille, 
»  figure  à  peine  au  second ,  mais  dans  un  lointain  si  obscur , 
»  qu'on  a  peine  à  savoir  ce  qu'elle  est  devenue  pendant  trente 
»   siècles.   » 

L'écrivain  qui  entreprend  aujourd'hui  de  combler  cette 
lacune ,  se  voit  donc  obligé  de  se  livrer  à  de  longues  et 
pénibles  recherches  ,  dont  le  résultat  sera  peut-être  assez  peu 
satisfaisant.  Au  milieu  de  la  lutte  de  toutes  ces  passions  anti- 
sociales qui  ont  si  long-temps  déchiré  le  monde  ,  il  iàut  qu'il 
tâche  de  découvrir  l'humble  travailleur,  dont  la  carrière 
utile,  mais  obscure,  n'a  pas  laissé  de  traces  visibles,  quoi- 
qu'elle ait  eu  une  influence  plus  réelle  sur  les  progrès  de  la 
civilisation;  en  vain  cherche-t-il  souvent  parmi  les  ruines 
dont  les  conquérans  ont  jonebé  la  terre ,  quelques  restes  de 
sa  cabane,  de  ses  outils,  quelques  débris  qui  puissent  lui 
servir  de  jalon,  pour  le  guider  dans  son  œuvre.  Aux  yeux  des 
hommes  sages  et  éclairés  ,  le  métier  de  l'artisan  a  aujourd'hui 
détrôné  l'épée  du  soldat,  mais  combien  de  siècles  n'a-t-il  pas 
fallu  pour  reconnaître  cette  vérité,  qui  n'est  même  pas  en- 
core bien  généralement  répandue!  La  force  brutale  a  long- 
temps régné  sans  partage.  Quelques  villes,  quelques  contrées 
privilégiées,  apparaissent  bien  ça  et  là  ,  profitant  du  moindre 
instant  de  repos  et  de  paix  pour  développer  leurs  forces  in- 
dustrielles, pour  s'élever  jusqu'à  un  haut  degré  de  prospérité 
et  de  splendeur;  mais  ce  sont  des  exceptions  rares  au  milieu 
de  ces  siècles  de  barbarie,  et  bientôt  elles  succombent  sous  le 
joug  d'avides  despotes ,  qui  en  font  leur  proie.  Quelques 
hommes  éclairés  et  d'un  génie  supérieur  font  entendre  de 
loin  en  loin  leur  voix ,  pour  réclamer  en  faveur  de  la  raison 
et  du  bon-sens;  mais  elle  est  étouffée  sous  les  préjugés  du 
temps ,  et  il  est  presque  impossible  de  rassembler  et  de  coor- 
donner ces  premiers  élémens  de  l'économie  politique  ,  qui  se 
trouvent  dispersés  dans  maints  écrits  divers  ,  enfouis  sous  des 
sujets  tout-à-fait  étrangers  à  la  matière. 

En  présence  de  ces  difficultés  à  peu  près  insurmontables, 
M.  Blanqui  n'a  pas  pu  nous  donner  une  histoire  suivie  ,  con- 
tenant des  faits  et  des  systèmes  ,  dont  la  succession  offre  un 
tableau  vraiment  scientifique.  Tous  ses  efforts  ne  pourront 
réussir  à  reculer  de  beaucoup  la  naissance  de  l'économie  po- 
litique ,  ni  à  nous  la  faire  passer  pour  une  découverte  renou- 
velée des  Grecs.  Son  livre,  cependant,  hâtons-nous  de  le  dire, 
est  loin  d'être  sans  mérite.  Un  tableau  de  tous  les  faits  qui , 
dans  le  cours  de  l'histoire ,  peuvent  jeter  quelque  jour  sur  les 


164  LEGISLATION, 

questions  d'économie  politique ,  qui  peuvent  servir  à  com- 
battre les  préjugés ,  à  repousser  les  argumentations  sophis- 
tiques de  l'intérêt  particulier,  et  appuyer  les  saines  théories 
de  la  raison  et  du  bien  général ,  ne  saurait  qu'être  d'une 
haute  utilité  à  la  science,  dont  il  hâtera  les  progrès.  En 
économie  politique,  on  ne  peut  faire  impunément  des  expé- 
riences, car  il  s'agit  de  la  prospérité  ou  de  la  ruine  de  nations 
entières;  il  faut  donc  chercher  dans  le  passé,  à  découvrir 
celles  que  l'histoire  peut  nous  offrir;  et  les  travaux  qui  sont 
dirigés  vers  un  but  pareil  méritent  d'être  vivement  encou- 
ragés. 

On  regrettera  peut-être  que  M.  Blanqui  ne  se  soit  pas  da- 
vantage attaché  à  présenter  des  faits  et  des  documens.  Il  dis- 
serte beaucoup  plus  qu'il  ne  cite  ou  ne  raconte.  Son  livre 
renferme  plutôt  de  brillantes  considérations  sur  les  lois  éco- 
nomiques d'Athènes,  de  Sparte,  de  Rome;  il  expose  avec  un 
talent  remarquable  les  misères  de  l'esclavage ,  les  souffrances 
des  peuples  antiques,  ainsi  que  les  diverses  révolutions  qui 
en  fuient  la  suite,  il  fait  ressortir  l'influence  universelle  du 
christianisme;  qui  vint  avec  ses  principes  d'égalité,  d'amour 
et  de  support,  changer  toutes  les  relations  sociales.  La  Ré- 
forme religieuse  du  xvie  siècle  est  aussi  représentée  par 
lui  comme  ayant  exercé  une  action  extraordinaire  sur  la  si- 
tuation matérielle  des  peuples  qui  l'ont  embrassée.  En  effet, 
il  est  bien  remarquable  que  les  pays  protestans  offrent  en 
général,  un  aspect  de  prospérité,  d'activité,  d'aisance  qui  les 
fait  reconnaître  tout  d'abord. 

Mais,  tout  en  rendant  justice  aux  bienfaits  de  la  Réforme, 
M.  Blanqui  sacrifie  aux  idées  du  jour,  à  la  mode  qui  veut 
qu'on  accuse  le  protestantisme  d'égoïsme  et  de  sécheresse. 
Selon  lui,  le  schisme  religieux  a  établi  entre  les  diverses  na- 
tions une  rivalité  haineuse,  qui  n'existait  point  dans  la  grande 
unité  catholique. 

«  Je  désire,  avant  tout,  être  juste,  ajoute-t-il,  mais  je  ne 
«  puis  m'empècher  de  reconnaître  que,  si  le  vieux  catholi- 
»  cisme  n'a  pas  su  se  mettre  à  la  tète  de  la  production  des  ri- 
»  chesses,  on  n'a  point  à  lui  reprocher  cette  sécheresse  de 
»  doctrines ,  en  vertu  de  laquelle  la  distribution  s'en  fait 
»  d'une  manière  si  peu  équitable  dans  les  pays  protestans.  » 

Etrange  assertion  !  surtout  dans  la  bouche  d'un  économiste 
qui  vient  justement  de  faire  l'éloge  de  l'aspect  heureux  et 
animé  des  populations  protestantes!  Les  nations  se  faisaient- 
elles  donc  moins  la  guerre,  lorsqu'elles  étaient  toutes  pros- 
ternées devant  le  Pontife  de  Rome?  Et  sont- ce  les  peuples 
protestans  qui  se  sont  montrés  les  plus  avides,  les  plus  ambi- 
tieux, les  plus  prompts  à  la  conquête  ?  La  répartition  des  ri- 


ÉCONOMIE  POLITIQUE,  ETC.  F65 

chesses  était-elle  donc  plus  égale,  lorsque  les  couvens  et  les 
piètres  possédaient  les  trois  quarts  des  terres?  Ouvrez  l'his- 
toire et  dites-nous  si  vos  argumens ,  démentis  par  les  faits, 
peuvent  avoir  la  moindre  valeur  dans  la  discussion? 

Le  premier  volume  de  M.  Blanqui  nous  conduit  jusqu'à 
Colbert,  c'est-à-dire  jusqu'à  l'époque  où  commence  précisé- 
ment à  se  formuler,  quoique  d'une  manière  encore  bien  im- 
parfaite, la  science  de  l'économie  politique.  La  seconde  partie 
nous  présentera  un  exposé  rapide  de  tous  les  travaux  des 
hommes  qui,  dès-lors,  ont  concouru  à  poser  les  bases  de  cette 
science  dont  l'importance  deviendra  tous  les  jours  plus 
grande  dans  les  destinées  de  l'humanité.  Si  l'auteur  sait  ren- 
dre son  travail  bien  complet,  si  surtout  il  ne  s'en  rapporte 
pas  à  des  traductions  souvent  infidèles  ou  défigurées  pour  ju- 
ger les  écrivains  anglais  et  allemands,  son  livre  offrira  certaine- 
ment un  puissant  intérêt,  et  rendra  un  grand  service  à  tous 
ceux  qui  s'occupent  d'économie  politique.  Lorsque  le  seoond 
yolume  paraîtra  ,  nous  examinerons  jusqu'à  quel  point  ces 
conditions  auront  été  remplies. 


MÉDITATION  POLITIQUE  ,  par  M.  J.  Desrny.  —  Paris ,  chez  Delaunav. 
1837,  in -8.  2  fr. 

Cet  opuscule,  écrit  avec  facilité  et  dans  un  esprit  de  ino- 
déiation  sage,  renferme  un  examen  rapide  du  progrès  euro- 
péen, tel  qu'il  se  présente  aujourd'hui  dans  ses  diverses  mani- 
festations. L'auteur  passe  en  revue  les  principales  questions 
politiques  du  jour.  Après  avoir  tracé  une  courte  esquisse  de 
la  marche  de  l'humanité  depuis  la  chute  de  l'empire  romain 
jusqu'à  notre  époque,  il  signale  les  vues  ambitieuses  de  la 
Russie  ,  et  les  moyens  par  lesquels  on  pourra  combattre  les 
envahissemens  continuels  de  cette  puissance  qui  semble 
chercher  à  remplacer  en  Europe  le  vieil  empire  de  Rome. 
Il  pense  que  l'alliance  de  la  France  et  de  l'Angleterre,  basée 
sur  des  principes  d'égalité  ,  de  loyauté  et 'de  franchise,  suffi- 
rait pour  assurer  le  triomphe  des  lumières  et  pour  élever 
une  barrière  infranchissable  contre  le  despotisme  oriental. 
Ces  deux  Etats  constitutionnels  peuvent  facilement  s'emparer 
en  quelque  sorte  de  l'avenir  du  monde,  et  fonder  d'une 
manière  sûre  le  règne  paisible  et  durable  de  la  vraie  liberté. 
La  Méditation  de  M.  J.  Desray  ne  renferme ,  du  reste,  que 
l'expression  des  idées  le  plus  généralement  répandues  ;  l'au- 
teur n'émet  pas  de  vue  nouvelles  ;  il  se  borne  à  résumer, 
dans  un  cadre  assez  resserré ,  celles  qui  semblent  le  mieux 
s'accorder  avec  le  progrès  humain.  Quelques  considérations 
sur  l'Espagne  et  sur  Alger  terminent  cette  brochure  ;  elles 
sont,  comme  le  reste,  dictées  par  un  esprit  éclairé  et  conci- 
liateur ,  qui    voudrait  fonder    la  liberté  et  le  bonheur    du 

12 


)0C  SCIENCES  ET  ARTS. 

momie  sur  des  mesures  larges  et  fécondes  en  beaux  résultats. 
C'est  delà  politique  généreuse  qui  malheureusement  s'écrit 
plus  facilement  qu'elle  ne  se  pratique.  Les  roueries  diplo- 
matiques ne  céderont  pas  de  sitôt  la  place  à  la  loyauté  et 
à  la  franchise  qui  devraient  présider  aux  relations  interna- 
tionales, comme  aux  rapports  individuels. 


SCIENCES     ET    ARTS. 


découvertes  des  CAUSES  PHYSIQUES  des  mouvemens  des  corps 
célestes,  suivies  d'inductioos  philosophiques^  sur  la  création;  par 
J.-B.-G.  —  J>aris  ,  chez  L.  Mathias.  f.830.  ln-8,~  fig.  7  fr.  50  c. 

L'auteur  de  ce  volume,  rejetant  les  théories  généralement 
adoptées ,  entreprend  de  baser  le  système  du  monde  sur  de 
nouveaux  principes ,  ou  du  moins  de  donner  aux  idées  de 
Newton  un  développement  et  une  direction  auxquels  ce  grand 
homme  ni  aucun  de  ses  successeurs  n'avaient  encore  songé. 

Relevant  l'ancienne  croyance  ,  que  la  nature  a  horreur  du 
vide,  et  reprochant  à  Galilée  d'avoir  sacrifié  cette  vérité  à  un 
jeu  de  mots,  il  établit  que  le  vide  n'existe  nulle  part  dans  la 
nature.  Notre  atmosphère  est,  selon  lui,  comprimée  autour 
de  la  terre  par  un  autre  fluide  plus  lourd  cpii  pèse  dessus.  Le 
soleil  est  un  brasier  ardent  qui  s'alimente,  en  quelque  sorte  , 
sans  cesse  lui-même  ;  la  chaleur  et  la  lumière  en  émanent 
comme  d'un  feu  ordinaire ,  et  sont  plus  ou  moins  intenses  , 
suivant  la  densité  plus  ou  moins  grande  de  l'air  ;  une  partie 
du  calorique ,  venant  frapper  les  eaux  de  l'Océan  ,  est  réflé- 
chie au  travers  et  tend  à  converger  tous  ses  rayons  vers  le 
centre  de  la  terre  ,  où  il  s'amasse  en  assez  grande  quantité ,  et 
d'où  il  s'échappe  ensuite  en  produisant  les  tremblemens  de 
terre,  les  volcans,  et  autres  phénomènes  du  même  genre.  Les 
taches  du  soleil ,  dans  ce  nouveau  système  ,  sont  foi  niées  par 
des  nuages  d'épaisse  fumée  ou  de  vapeurs  oçcasionées  par 
l'incandescence  de  cet  astre  ,  et  qui  ,  arrivées  à  un  certain  de- 
gré de  condensation  ,  retombent  sur  le  soleil  et  y  raniment  un 
feu  plus  vif,  en  sorte  qu'au  moment  où  les  taches  disparaissent, 
le  soleil  nous  apparaît  plus  brillant  encore  à  la  place  qu'elles 
occupaient  naguère. 

Enfin,  notre  système  solaire  serait,  ainsi  qu'un  nombreinfini 
d'autres  systèmes  semblables,  soumis  à  l'attraction  d'un  énorme 
globe  Central,  siège  du  Créateur,  sur  lequel  s'élaborent  tous  les 
inondes  qui  peuplent  l'espace.  Dans  cette  hypothèse,  les  co- 
mètes seraient  des  mondes  nouvellement  créés  ,  qui,  se  ren- 
dant à  la  place  qui  leur  est  assignée  ,  obéissent  plus  ou  moins 
en  passant  à  l'attraction  des  divers  corps  célestes  qu'elles  ren- 
contrent sur  leur  route  ,  et  décrivent  alors  différentes  courbes 
autour  d'eux. 


SCIENCES  ET  ARTS.  Î67 

Cette  nouvelle  et  bizarre  théorie  est  appuyée  sur  des  cal- 
culs trop  compliqués  pour  que  nous  entreprenions  d'y  suivre 
l'auteur  ,  et  nous  laisserons  aux  savans  le  soin  d'en  découvrir 
et  d'en  combattre  les  erreurs. 

Nous  nous  contenterons  de  faire  remarquer  la  hardiesse  d'i- 
magination que  l'auteur  y  a  déployée  ;  et,  si  ce  ne  sont  que  des 
rêveries  sans  fondement ,  nous  déplorerons  qu'une  intelli- 
gence forte  et  élevée  ait  pu  se  laisser  fausser  ainsi,  par  défaut 
de  jugement  sans  doute.  L'imagination  joue  souvent  des 
tours  perfides  aux  mathématiciens.  Mais,  sans  rien  vouloir 
préjuger  ici  au  sujet  d'un  livre  qui  demande  de  profondes 
études  et  de  sérieuses  recherches  pour  pouvoir  être  digne- 
ment apprécié,  nous  terminerons  cet  article  en  rapportant 
quelques  passages  de  l'auteur  ,  sur  la  création;  ses  idées  à  cet 
égard  ne  sont  pas  moins  curieuses,  ni  moins  originales  que 
le  reste. 

«  Dieu  ,  le  dieu  matériel  organisé  que  nous  reconnaissons, 
et  qui  réside  sur  le  globe  matériel  immense  qui  est  au  centre 
de  l'Univers,  dispose  à  son  gré  de  la  matière.  Quand  il  veut 
former  un  globe  actif,  comme  la  terre,  il  rassemble  une  cer- 
taine quantité  de  substances  minérales  de  diverses  espèces  ;  il 
les  dispose  de  manière  que  les  plus  dures  et  les  plus  pesantes 
occupent  le  centre  de  l'agglomération  matérielle ,  et  que  les 
autres  soient  rangées  par  couches  dont  les  densités  décroissent 
en  s'éloignant  du  centre.  Le  globe  ayant  le  volumej,  la  pesan- 
teur, et,  par  suite,  la  force  attractive  qu'il  plaît  à  sa  toute- 
puissance  de  lui  donner,  il  le  recouvre  de  terres  calcaires, 
argileuses,  végétales,  et,  enfin,  de  toutes  les  substances  maté- 
rielles que  nous  remarquons  à  la  surface  de  notre  globe  ter- 
restre  

«  Plusieurs  planètes  étant  formées  de  cette  manière,  ainsi 
que  leurs  satellites,  Dieu  les  enveloppe  d'un  immense  volume 
de  matières  dilatées  au  plus  haut  degré  par  la  chaleur  ,  et  les 
lance  ainsi  dans  l'espace  universel 

»  Les  comètes  ,  qui  ont  dérouté  tant  de  penseurs  ,  ne  sont , 
très-probablement ,  que  des  centres  de  systèmes  non  encore 
complètement  formés  ,  lesquels  ,  en  vertu  de  l'étendue  que 
l'état  de  dilatation  de  leurs  parties  leur  fait  occuper  dans  l'at- 
mosphère universelle  ,  sont  poussés  vers  des  régions  de  l'uni- 
vers plus  éloignées  cpie  nous  du  centre  du  mouvement  géné- 
ral. Ces  coips,  rencontrant  quelquefois  l'atmosphère  solaire 
sur  leur  direction,  la  traversent.  Alors,  se  trouvant  dans  les  li- 
mites de  la  puissance  attractive  du  soleil ,  ils  sont  attirés  par 
lui,  et  tracent  dans  son  atmosphère  des  courbes  plus  ou  moins 
allongées;  puis  ils  en  sortent,  le  plus  souvent  pour  continuer 
de  s'élever  jusqu'aux  régions  où  le  Créateur  les  a  destinés  à 
rester  fixés  par  l'effet  de  leur  pesanteur  absolue  et  de  leur 
étendue  atmosphérique.  » 


168  SCIENCES  ET  ARTS. 

CLINIQUE  MÉDICALE  DE  L'HOPITAL  DE  LA  CHARITÉ,  OU  Exposition 
statistique  des  diverses  maladies  traitées  à  la  clinique  de  cet  hôpital, 
par  /.  Bouillaud.  —  Paris ,  1837.  3  vol.  in-8 ,  24  fr. 

Les  cliniques  des  hôpitaux  sont  les  archives  de  la  science, 
dans  lesquelles  l'homme  qui  veut  étudier  doit  aller  puiser  les 
documens  qui  lui  sont  nécessaires.  Au  milieu  des  incertitu- 
des et  des  doutes  de  la  médecine ,  l'expérience  est  le  seul 
phare  qui  puisse  jeter  quelque  lumière  sur  sa  marche,  en- 
core n'est-ce  trop  souvent  qu'une  lueur  vague,  mais  elle 
est  précieuse,  et  il  serait  à  souhaiter  que  tous  les  médecins 
praticiens  recueillissent  de  même,  et  publiassent  aussi  les  ré- 
sultats de  leurs  observations  journalières.  Alors  peut-être 
serait-il  permis  d'espérer,  qu'à  l'aide  de  ces  nombreux  re- 
cueils de  faits,  on  arriverait,  quelque  jour,  à  mieux  connaî- 
tre l'art  de  guérir. 

traité  DES  MALADIES  DES  EXFANS  ,  ou  Recherches  sur  les  princi- 
pales affections  du  jeune  âge,  depuis  l'époque  de  la  dentition  jus- 
qu'à celle  de  la  puberté;  par  A.  Derton.  —  Paris  ,  1837.  In-8,  7fr. 

Cet  ouvrage,  qui  offre  un  recueil  très  complet  d'observa- 
tions importantes,  rédigées  avec  soin  et  clarté,  est  enrichi 
de  notes  assez  nombreuses,  de  M.  Baron,  médecin  renommé 
pour  les  maladies  des  enfans.  Cette  partie  de  la  médecine  est 
l'une  des  plus  difficiles  à  traiter;  c'est  celle  peut-être  où  les 
tâtonnemens  sont  à  la  fois  plus  fréquens  et  le  plus  dangereux  ; 
aussi  la  pratique  peut- elle  seule  y  obtenir  quelque  autorité; 
car  les  théories  et  les  systèmes  viennent  sans  cesse  se  briser 
devant  l'expérience,  devant  la  nature  capricieuse  de  cette 
vie  qui,  chez  l'enfance  surtout,  semble  parfois  s'échapper 
comme  un  souffle  fugitif  du  corps  le  mieux  constitué  en  ap- 
parence, tandis  que  souvent  on  la  voit  tout-à-coup  renaître 
au  milieu  de  cet  affaissement  des  organes,  qu'on  regardait 
comme  le  précurseur  certain  de  la  mort. 


pharmacopoeia  londinensis  ;  pharmacopée  du  collège  royal  des 
médecins  de  Londres.  —  Paris,  1837  ;  un  vol.  in-18.  4  fr. 

Cette  petite  édition  'française  de  la  pharmacopée  de  Lon- 
dres est  très-bien  exécutée,  et  d'un  prix  tout-à-fait  inférieur 
à  celui  de  l'édition  originale.  La  science  ne  peut  que  gagner 
à  ces  traductions  de  livres  étrangers,  qui  établissent  de  nou- 
veaux liens  entre  les  nations,  et  leur  rendent  communes 
toutes  les  connaissances  diverses  qui  sont  le  patrimoine 
particulier  de  chacune  d'elles. 


DE    '.'iKPMJUMS   DE  BEAU,  A   SAINT-C&BSlAIN-KN-LATï. 


Bulletin   littéraire 

ET  SCIENTIFIQUE. 

5-  (Slu„cc.  —  gA'^  6.  —  ;/..;,,  1837. 

LITTERATURE,    HISTOIRE. 


PARALLÈLE   DES   LANGUES  DE  L'EUROPE  ET  T:E   L'IKDE  ,    par   F.-G. 
Eiclihoff. —  Paris,  Imprimerie  royale,  1837.  I  vol.  In-4.,  30  fr. 

Cet  ouvrage  se  trouve  à  Paris  et  à  Genève  ,  chez  AL.  Cheihuliez 
et  Ce,  libraires. 

Parmi  les  mystères  qui  enveloppent  les  premiers  temps  de 
l'iiistoire  du  genre  humain,  l'origine  du  langage  n'est  pas 
l'un  des  moins  curieux  à  étudier.  On  ne  soulèvera  sans  doute 
jamais  entièrement  le  voile  qui  la  cache  à  nos  regards  ;  mais 
des  recherches  consciencieuses,  persévérantes  et  animées 
d'un  véritable  esprit  philosophique,  parviendront  à  lui  don- 
ner peut-être  un  peu  de  transparence. 

On  analysera  d'une  manière  toujours  plus  profonde  les 
rapports  qui  unissent  entr'eux  les  divers  dialectes  parlés  au- 
jourd'hui, et  semblent  les  faire  tous  aboutir  à  une  même 
langue  mère,  qui  serait  leur  commune  source ,  et  appartien- 
drait aux  plus  anciennes  langues  connues,  à  celles  qu'on  peut 
regarder  comme  contemporaines  des  premiers  âges  du  monde. 

On  arrivera  ainsi  à  prouver  d'une  manière  certaine,  par 
les  faits  et  le  raisonnement,  ce  que  le  simple  bon  sens  nous 
indique  déjà.  En  effet,  l'homme  se  montrant  partout  avec  les 
mêmes  organes,  avec  les  mêmes  penchans,  et  des  sentimens 
à  peu  près  pareils,  il  est  naturel  d'en  conclure  que  l'instru- 
ment de  la  parole  et  l'esprit  qui  l'employé  étant  à  peu  près 
toujours  les  mêmes,  les  sons  qu'on  en  tire  ont  dû  aussi  se 
ressembler,  toutes  les  fois  surtout  qu'ils  ont  été  destinés  à 
exprimer  des  sensations  ou  des  idées  semblables. 

Le  langage  primitif  fut  probablement  composé  d'un  petit 
nombre  de  mots,  tous  monosyllabiques. 

«  D'après  l'état  intuitif  et  sympathique  qui.  selon  toute 
»  probabilité,  »  dit  M.  Eiclihoff,  «  marqua  l'enfance  du 
»  genre  humain,  et  dans  lequel  l'âme  liée  à  la  nature  entière 
»  en  était  comme  le  fidèle  miroir,  le  langage,  interprète  de 
»  la  pensée,  dut  être  simple  et  harmonieux  comme  elle; 

i3 


170  LITTÉRATURE, 

»  chaque  son  devenait  une  image,  chaque  image  un  reflet  de 
»  l'univers.  Les  sons  élémentaires  pouvaient  alors  suffire 
»  pour  peindre  toutes  les  sensations,  parce  que  la  perfection 
»  des  organes  et  leur  extrême  délicatesse  permettaient  sans 
»  doute  de  les  varier  davantage,  et  de  leur  donner  une  foule 
»  d'inflexions  diverses,  devenues  imperceptibles  de  nos  jours. 
»  Les  voyelles,  dans  leurs  modulations  sonores,  étaient  les 
»  cris  spontanés  de  l'âme,  et  les  consonnes,  plus  fermes  et 
»  mieux  articulées,  caractérisaient  chaque  impression  pro- 
»  fonde,  et  fixaient  d'un  seul  trait  la  pensée.  C'est  ainsi  qu'une 
»  étroite  sympathie,  fondée  sur  des  lois  immuables,  unit  le 
»  monde  visible  au  monde  intellectuel,  et  manifesta  celui-ci 
»  par  la  parole.  Cette  parole  fut  nécessairement  analogue 
»  aux  sensations  qui  en  étaient  la  source;  les  sons  mélodieux 
»  marquèrent  les  émotions  douces,  les  sons  rauques  les  se- 
»  cousses  pénibles;  la  beauté,  la  légèreté,  la  force  se  peigni- 
»  rent  par  des  intonations  différentes,  et  chaque  syllabe  fut 
»  commeune  note  musicale  dont,  après  tant  de  siècles  écoulés, 
»  il  nous  est  encore  quelquefois  donné  d'entrevoir  et  de  .saisir 
»  la  portée.  » 

Mais  à  mesure  que  les  relations  devinrent  plus  nombreuses 
et  plus  compliquées  entre  les  hommes  qui  se  répandaient  sur 
toute  la  terre,  et  faisaient  des  progrès  dans  les  arts  et  les 
sciences,  le  langage  perdit  de  sa  simplicité  primitive  ;  il  adopta 
des  formes  plus  savantes,  il  s'éloigna  toujours  davantage  de 
cette  expression  naturelle  et  énergique  qui  avait  d'abord  fait 
de  la  parole  le  cri  de  l'âme.  Des  modifications  successives 
donnèrent  naissance  à  des  dialectes  divers,  et  amenèrent 
graduellement  l'état  actuel  des  langues,  sans  qu'il  soit  possi- 
ble de  suivre  la  marche  de  ce  travail  lent  et  invisible,  qui 
s'accomplit  en.  quelque  sorte  à  l'insu  de  l'homme. 

Dans  son  introduction,  M.  Eichhoff  trace  un  tableau  ra- 
pide et  brillant  de  la  division  des  langues  et  des  différens 
groupes  de  peuples  qui  couvrent  la  surface  de  la  terre.  On 
y  voit  quel  nombre  immense  de  subdivisions  se  sont  glissées 
dans  la  forme  du  langage,  et  combien  est  difficile  la  tâche  de 
celui  qui  entreprend  d'en  apprécier  les  causes. 

Le  philologue  qui  veut  aujourd'hui  tenter  de  reconstruire 
l'histoire  du  langage,  ou  du  moins  de  rassembler  quelques 
matériaux  épnrs  de  cette  merveilleuse  Tour  de  Babel ,  doit  se 
livrer  à  des  études  profondes,  comparer  ensemble  toutes  les 
langues  connues,  et  chercher  quelle  est  celle  qui,  offrant  dans 
la  richesse  de  ses  formes  et  dans  la  variété  de  ses  sons  une 
réunion  complète  des  élémens  particuliers  à  toutes  les  autres, 
peut  être  considérée  comme  leur  source  commune.  C'est  par 
des  recherches  de  ce  genre  qu'on  est  arrivé  à  regarder  le 


HISTOIRE.  171 

Sanscrit,  l'idiome  sacré  des  brahmes,  comme  la  langue  mère 
de  tous  les  dialectes  importés  eu  Europe,  par  les  migrations 
des  peuples  de  l'Orient.  «  Son  nom  ,  qui  signifie  concret, 
perfectionné,  montre  assez,  »  dit  M.  Eichlioff,  «  les  phases 
qu'il  a  dû  subir  avant  d'être  fixé  par  l'usage;  et  cependant 
ses  monumens  littéraires  les  plus  positifs  le  font  remonter, 
sous  sa  forme  actuelle,  à  plus  de  quinze  siècles  avant  notre 
ère.  TVacés  sur  des  feuilles  fragiles  de  palmier,  cpie  la 
religion  a  cachées  dans  les  temples  ou  transmises  d'âge  en 
âge  chez  les  fidèles  Hindous,  ces  vénérables  débris  d  une 
civilisation  presque  éteinte  ont  enfin  paru  à  la  lumière, 
pour  révéler  aux  Européens,  avec  les  élémens  de  leurs 
propres  langues,   l'origine  de    leur    littérature,  de   leurs 

>  sciences  et  de  leurs  arts.  Riche  d'un  alphahet  de  cinquante 
lettres  classées  d'après  les  organes  de  la  voix,  joignant  à 
la  variété  des  modulations  la  plus  exacte  symétrie,  et  à  la 

»  multitude  des  combinaisons  la  clarté  la  plus  admirable,  le 
sanscrit  représente  et  résume  à  la  fois  les  idiomes  les  plus 

>  complets  de  l'Europe.  »  Pour  prouver  l'identité  des  langues 
indo-européennes,  notre  auteur  établit  le  parallèle  entre  le 
sanscrit  et  dix  autres  langues  qui  sont  :  le  grec,  le  latin,  le 
français,  le  gothique,  l'allemand,  l'anglais,  le  lithuanien,  le 
russe,  le  gaélique  et  le  cymre.  Il  compare  d'abord  eutr'eux 
les  divers  alphabets  européens,  soit  sous  le  rapport  des 
lettres,  soit  sous  celui  de  leur  prononciation,  dont  il  présente 
toutes  les  variétés  dans  un  seul  tableau,  où  les  caractères 
romains  servent  à  figuier  les  sons  divers.  Vient  ensuite 
l'alphabet  indien  qui  sert  à  expliquer  les  autres ,  car  il  est  le 
plus  complet,  le  plus  régulier,  «  il  réunit  tous  les  élémens 
»  phonétiques  répandus  dans  les  diverses  familles,  et  se  rap- 
>>  proche  plus  qu'aucun  autre  de  l'alphabet  harmonique  na- 
»  turel.  »  M.  Eichlioff  fait  ressortir  les  concordances  étymo- 
logiques des  alphabets,  et  les  modifications  particulières 
qu'ont  subies  dans  les  diverses  langues  les  sons  primitifs,  évi- 
demment empruntés  au  sanscrit. 

Après  ces  détails  préliminaires,  qui  forment  les  deux  pre-- 
mières  parties  de  l'ouvrage,  le  parallèle  est  établi  dans  la 
troisième  sous  la  forme  d'un  vocabulaire  qui  comprend  1°  les 
particules ,  soit  pronoms ,  adverbes ,  préfixes  et  désinences  ; 
2°  les  noms  simples  et  composés,  3°  les  verbes  simples  et 
composés  avec  leurs  racines  dentales,  gutturales,  labiales  et 
linguales  ou  liquides. 

Ce  vocabulaire  offre  un  immense  intérêt,  et  l'on  y  trouve 
une  foule  d'étymologies  curieuses,  d'analogies  frappantes,  qui 
font  comprendre  toute  l'importance  d'un  pareil  travail  et  des 
résultats    qu'il  produit.   L'auteur  ne  pouvait   adopter   une 


172  LÏTf  ÉlUTtilvÈ , 

forme  plus  propre  à  frapper  le  lecteur  ei  à  captiver  son  atten- 
tion. Au  reste,  on  ne  peut  qu'admirer  d  un  bout  à  l'autre  de 
ce  volume,  combien  M.  Eichhoff  a  su  babilement  dissimuler 
tout  ce  que  présente  trop  souvent  d'aride  et  de  repoussant 
l'érudition  philologique.  Animé  d'un  esprit  de  liante  philo- 
sophie et  appelant  à  son  aide  le  charme  d'un  style  noble  et. 
gracieux,  il  a  fait  un  livre  que  les  savans  rechercheront  pour 
son  mérite  scientifique,  et  que  les  hommes  du  monde,  curieux 
d'aborder  ces  questions  si  graves,  pourront  lire  avec  plaisir 
et  avec  fruit.  La  quatrième  partie  est  consacrée  à  la  gram- 
maire, dont  les  diverses  formes  de  déclinaisons  et  de  conju- 
gaisons sont  comparées  ensemble  dans  une  suite  de  tableaux 
formés  de  toutes  leurs  terminaisons,  qui  offrent  encore  une 
suite  étonnante  de  rapports  d'autant  plus  faciles  à  saisir 
qu'ils  sont  exposés  avec  une  grande  clarté. 

L'examen  de  cet  admirable  parallèle  entre  les  langues  de 
l'Europe  et  celles  de  l'Inde,  ne  laisse  presque  plus  de  doute 
sur  la  possibilité  d'un  langage  universel  renfermant  tous 
les  sons,  toutes  les  formes  et  duquel  chaque  idiome  n'est 
qu'une  modification,  qu'un  dialecte  que  les  circonstances  ont 
plus  ou  moins  altéré.  La  parole  humaine  reprend  ainsi  à  nos 
yeux  son  unité  primitive ,  et  nous  comprenons  mieux  que 
jamais  toute  la  valeur  de  ce  don  précieux,  par  lequel  Dieu  a 
élevé  une  barrière  infranchissable  entre  l'homme  et  tous  les 
autres  animaux,  et  nous  a.  donné  une  garantie  de  notre  supé- 
riorité toute  intellectuelle,  en  nous  accordant  un  instrument 
destiné  uniquement  à  développer  notre  esprit.  Les  cris  sont 
l'expression  des  besoins  physiques;  la  parole  est  celle  des 
pensées  de  l'âme.  Toutes  les  recherches  de  l'anatomie  com- 
parée ne  détruiront  jamais  cette  différence. 

M.  Eichhoff  termine  son  livre  en  exprimant  le  désir  de 
voir  adopter  dans  l'étude  des  langues  de  l'Orient,  l'emploi 
des  caractères  romains  qui  faciliterait  singulièrement  le  tra- 
vail en  écartant  une  foule  de  difficultés,  provenant  de  la 
forme  bizarre  et  peu  commode  des  lettres  usitées  dans  la 
plupart  de  ces  langues.  Il  donne  même  un  essai  de  transcrip- 
tion générale,  qui  paraît  fort  ingénieux  et  dans  lequel  il  com- 
prend 16  alphabets,  savoir  :  le  Sanscrit,  le  Bengali,  le  Zend, 
le  Phénicien,  l'Hébreu,  le  Syriaque,  l'Arabe,  le  Persan, 
l'Ethiopien,  le  Copte,  l'Arménien,  le  Géorgien,  le  Mandchou, 
le  Thibétain,  le  Birman  et  l'Hindostani. 

Mais  une  telle  œuvre  est  bien  difficile  à  accomplir,  car 
elle  exige  le  consentement  de  tous  les  savans  européens  qui 
s'occupent  de  langues  orientales,  et  dans  la  discussion  qui  devra 
s'établir  pour  atteindre  ce  but ,  chacun  prétendra  suivre  et 
fair;-  adopter  son  système  particulier,  sans  -s'inquiéter  de  la 


HiSIOIRE.  173 

confusion  qui  en  résultera.  On  ne  peut  cependant  que  répéter 
avec  M.  Eichhoff  : 

«  Que,  par  une  transcription  claire  et  intelligible  à  tout 
»  Européen,  l'étude  des  langues  savantes  de  l'Orient  gague- 
»  rait  une  extension  rapide.  Les  difficultés  de  leur  vocabulaire 
»  et  de  leur  grammaire  ne  sont  pas  plus  sérieuses  que  celles 
»  que  nous  surmontons  dans  la  lecture  des  auteurs  grecs  et 
»  latins;  de  riebes  trésors  de  littérature  nous  attendent  dans 
»  cette  carrière  nouvelle,  et  le  nombre  de  ceux  qui  s'y  livrent 
»  avec  zèle  ne  serait  certainement  pas  si  restreint,  si  les  abords 
»  n'en  étaient  bérissés  par  cette  foule  de  caractères  étranges, 
»  qui,  semblables  aux  dragons  fabuleux  ,  gardent  l'entrée  du 
»  jardin  des  Hespérides,  et  forcent  à  une  lutte  opiniâtre  qui- 
»  conque  veut  en  cueillir  les  fruits.  Au  moyen  de  livres  élé- 
»  mentaires  écrits  en  caractères  européens,  l'œil  se  fainilia- 
»  userait  plus  facilement  avec  les  formes  orales  de  ebaque 
»  idiome;  on  en  connaîtrait  tous  les  mots  avant  de  les  lire 
»  dans  l'écriture  nationale,  que  l'on  apprendrait  avec  beau- 
»  coup  moins  de  peine,  quand  la  langue  elle-même  ne  serait 
»  plus  une  énigme.  » 


8.ETTRE  A  M.  LE  MINISTRE  DE  L'INSTRUCTION-  PUBLIQUE  ,   Slir    l'état 

actuel  des  Bibliothèques  publiques  de  Paris,  par  //.  Ternaiix-Com- 
ptias. — Paris,  1837.  ln-8. 

Cet  opuscule  a  pour  objet  d'examiner  l'état  actuel  des  bi- 
bliotbèques  publiques  de  Paris  et  de  faire  ressortir  les  abus 
nombreux  qu'entraîne  la  mauvaise  administration  à  laquelle 
plusieurs  d'entr'elles  sont  soumises.  Ces  établissemens  sont 
créés  dans  un  double  but  de  conservation  et  d'étude  ,  pour 
sauver  de  l'oubli  et  de  la  destruction  qui  en  est  la  suite  les 
antiques  mouumens  historiques  ou  littéraires  ,  et  pour  offrir 
au  public  les  moyens  de  consulter  une  foule  de  livres  que 
leur  prix  et  leur  rareté  ne  permettent  pas  de  rencontrer  ail- 
leurs. Mais  trop  souvent ,  faute  d'un  bon  règlement  bien 
ex  cuté,  il  arrive  que  les  bibliotbèques  ne  remplissent  nul- 
lement ces  diverses  t  ,  litions.  Depuis  long-temps,  à  Paris,  des 
voix  nombreuses  s  •  •  \  nt  pour  réclamer,  pour  faire  enten- 
dre des  avis  et  de>  plaintes  au  sujet  des  inconveniens  sans 
nombre  que  présente  l'organisation  actuelle  de  ces  établisse- 
mens. Dans  des  uns,  c'est  un  luxe  d'employés  inutiles  dont 
les  appointemens  absorbent  des  fonds  considérables  qui  se- 
raient bien  plus  avantageusement  consacrés  à  l'acliatdes  li- 
vres nécessaires  pour  tenir  la  bibliothèque  au  courant  des  pu- 
blications nouvelles  et  intéressantes.  Dans  d'autres,  c'est  au 
contraire  un  encombrement  de  livres  en  désordre,  dont  per- 


174  LITTÉRATURE, 

sonne  ne  peut  profiter,  parce  qu'il  manque  de  conservateurs 
pour  les  ranger,  les  classer,  les  cataloguer.  Une  répartition 
plus  juste ,  un  emploi  plus  judicieux  des  fonds  alloués  par 
le  Budget  au  chapitre  des  bibliothèques ,  pourraient  réparer 
le  mal  sans  qu'il  y  eût  une  augmentation  réelle  de  dépenses. 
S'il  y  en  avait  une  du  moins,  elle  ne  serait  que  temporaire  , 
destinée  ,  suivant  le  désir  de  l'auteur  qui  est  d'accord  en  cela 
avec  tous  lés  anciens  bibliothécaires ,  à  payer  des  employés 
extraordinaires  chargés  de  faire  des  catalogues  complets  et 
raisonnes  de  toutes  les  richesses  enfouies  pêle-mêle  dans  les 
rayons.  M.  Ternaux  entre  dans  de  grands  détails  au  sujet  de 
la  bibliothèque  Mazarine,  dont  il  fait  ressortir  la  mauvaise 
administration  en  la  comparant  avec  celle  de  sa  voisine  de 
l'Institut ,  qu'il  cite  au  contraire  comme  un  modèle  à  imiter. 
Il  voudrait  voir  ces  deux  établissemens  se  fondre  en  un 
seul ,  placé  sous  la  garde  de  l'Institut,  qui  a  montré  dans  la 
direction  de  sa  bibliothèque  particulière ,  aujourd'hui  pres- 
que tout-à-fait  publique ,  une  intelligence  parfaite  de  la 
manière  la  plus  convenable  d'utiliser  une  semblable  institu- 
tion . 

La  bibliothèque  de  l'Arsenal,  par  son  éloignement  du  cen- 
tre actuel  de  Paris,  n'est  à  la  portée  que  d'un  fort  petit 
nombre  d'érudits  qui  y  trouvent,  il  est  vrai,  des  riebesses 
précieuses  et  un  silence  tout  à-fait  propre  à  l'étude.  Mais 
elle  demeure  peut-être  trop  en  dehors  du  mouvement  scien- 
tifique ,  et  i!  pourrait  être  utile  ^ott  de  la  fondre  avec  quel- 
qu'autre,  soit  d'en  changer  le  local  et  de  lui  en  assigner  un 
plus  central ,  afin  nue  dos  lecteurs  plus  nombreux  pussent 
en  profiter. 

M.  Ternaux  pense  aussi  que  des  échanges  entre  les  divers 
établissemens  qui  ont  beaucoup  d'ouvrages  à  double  pour- 
raient utilement  servir  à  les  compléter  réciproquement.  Mais 
avant  de  songer  à  l'exécution  de  cette  mesure,  et  pour  lui  as- 
surer tout  le  succès  qu'elle  doit  avoir,  il  est  indispensable 
de  commencer  par  dresser  des  inventaires  exacts  de  ce  que 
possède  chaque  bibliothèque,  et  par  établir,  soit  dans  le  cata- 
logue ,  ^oil  il  ;n>  l'arrangement  des  livres,  l'ordre  le  plus  par- 
fait. Ces!  nue  chose  d'autant  plus  nécessaire  qu'elle  pourra 
seule  empêcher  les  pertes ,  les  abus  de  confiance  auxquels, 
d'après  le  rapport  même  de  la  commission  du  budget ,  on  n'a 
pu  encore  apporter  aucun  remède  efficace.  Il  y  aurait  un  cu- 
rieux travail  à  faire  sur  ce  genre  de  délits,  plus  communs 
qu'on  ne  pense  chez  les  savans  et  les  amateurs  de  livres. 
L'observateur  moral  trouverait  un  sujet  digne  de  ses  re- 
cherches et  de  ses  méditations  dans  cette  passion  qui  maîtrise 
souvent  avec  tant  de  violence  des  gens  du  reste  probes  et 


HISTOIRE.  S  7  5 

honnêtes  ,  qui  s'indignent  à  la  seule  pensée  de  faire  tort  d'un 
sou  à  leur  prochain,  mais  ne  peuvent  résister  au  désir  de 
s'approprier  un  livre  ,  un  parchemin  ,  un  chiffon  de  papier 
portant  la  signature  d'un  homme  célèbre.  On  ne  peut  vivre 
long-temps  dans  la  librairie  ou  au  milieu  des  bibliothèques 
sans  avoir  de  fréquentes  occasions  de  rencontrer  de  sembla- 
bles phénomènes  ,  dangereux  amateurs  ,  dont  un  seul  suffit 
pour  décoinpléter  les  plus  précieuses  collections ,  pour  rui- 
ner l'établissement  le  plus  riche. 

La  bibliothèque  Royale  est  la  dernière  dont  parle  M.  Ter- 
naux  ,  mais  il  entre  à  son  égard  dans  de  plus  grands  détails 
encore.  C'est  en  effet  la  plus  importante  de  toutes ,  soit  par 
la  quantité  immense  de  livres  qu'elle  renferme  ,  soit  par  ses 
manuscrits  et  ses  collections  de  gravures  et  de  cartes.  Aucune 
bibliothèque  publique  dans  l'Europe  entière  n'offre  d'aussi 
grandes  ressources  en  tout  genre.  Mais  c'est  justement  pour- 
quoi elle  exige  encore  plus  que  toutes  les  autres  une  prompte 
réforme  de  tous  les  abus  qui  s'opposent  à  son  entière  prospé- 
rité. Le  nombre  des  conservateurs  demande  évidemment  à 
être  augmenté  ,  et  il  est  à  souhaiter  qu'à  la  place  du  conser- 
vatoire chargé  de  sa  direction ,  on  nomme  plutôt  un  chef 
responsable  dont  l'activité  et  la  fermeté  puissent  donner 
l'impulsion  nécessaire  et  encourager  le  zèle  des  employés 
secondaires. 

M.  Ternaux  pense  que  l'achèvement  le  plus  prompt  du 
catalogue  est  ici  plus  urgent  encore  que  partout  ailleurs  ;  car 
le  dépôt  des  publications  nouvelles  vient  chaque  jour  accroî- 
tre le  désordre  et  grossir  l'arriéré.  La  commission  du  Budget 
s'est  prononcée  dans  le  même  sens ,  il  est  donc  à  espérer 
qu'on  se  mettra  sans  retard  à  l'œuvre  et  que  deux  ans  ne  se 
passeront  pas  avant  qu'on  ait  un  catalogue  complet  de  la  bi- 
bliothèque Royale,  si  ce  n'est  imprimé,  du  moins  manuscrit. 
Ce  catalogue  imprimé  serait  un  beau  monument  élevé  à  la 
gloire  de  la  France;  et,  en  consacrant  les  fonds  nécessaires 
à  cette  publication  ,  on  ne  fi-rait  que  suivre  le  bon  exemple 
donné  par  le  British-museum  ,  la  Bibliothèque  de  Vienne , 
plusieurs  bibliothèques  d'Allemagne,  de  Hollande  et  d'Ita- 
lie ,  celle  de  Genève ,  celles  de  Lyon  ,  de  Bordeaux  ,  de 
Rouen,  etc. 

Une  autre  amélioration  que  notre  auteur  réclame  et  qui 
parait  fort  désirabl  en  effet,  c'est  la  séparation  des  cartes 
géographiques,  aujourd'hui  mêlées  avec  les  gravures.  Les 
réflexions  suivantes  rt  ce  sujet  nous  sont  transmises  par  un 
homme  bien  placé  pour  en  juger,  et  que  ses  connaissances 
dans  cette  partie  rendent  digne  d'être  écouté  : 

«  La  collection  géographique  de  la  Bibliothèque  Royale  est 


176  LITTÉRATURE, 

»  le  seul  dépôt  public  où  chacun  peut  venir,  chaque  jour,  con- 
»  sulter  et  copier  les  cartes  nationales  et  étrangères.  Il  existe 
»  des  recueils  de  cartes  au  Dépôt  de  la  guerre  et  au  Dépôt  de 
»  la  marine  ;  mais  ils  ont  un  objet  tout  spécial,  ils  sont  pro- 
»  près  exclusivement  à  ces  deux  ministères,  ils  ne  sont  et  ne 
»  peuvent  être  publics  et  ouverts  à  tout  le  monde. 

»  Aujourd'hui,  plus  que  jamais,  l'on  doit  sentir  le  besoin 
»  d'une  collection  comme  celle  de  la  Bibliothèque  royale,  sur- 
»  tout  complétée  de  tout  ce  qui  y  manque  encore.  Cette  créa- 
»  tion  est  toute  dans  l  intérêt  des  expéditions  du  commerce 
»  et  des  voyages  de  découvertes  dans  l'intérieur  des  conti- 
»  nens.  Non-seulement  le  public  français  y  puisera  une  con- 
»  naissance  exacte  des  meilleures  cartes  connues,  mais  il  y 
»  trouvera  des  documens  précis  sur  le  relief  du  sol,  si  néces- 
»  saire  à  étudier  pour  les  grands  projets  de  communications 
»  intérieures,  pour  les  chemins  de  fer,  pour  les  canaux. 

»  Des  collections  géographiques  spéciales  plus  étendues 
»  sont  déjà  établies  a  Gottingue,  à  Weimar,  à  Berlin,  à  Pé- 
»  tersburgh,à  Vienne,  et  même  il  en  est  une  à  Bruxelles 
»  formée  par  un  simple  particulier:  en  Fiance,  il  n'existait 
»  aucune  collection  du  genre  dé  celle-ci.  Au  surplus,  le  con- 
»  servateur  invoque  avec  confiance  le  témoignage  des  nom- 
»  breux  -avans  allemands,  anglais',  italiens,  espagnols,  tusses, 
»  qui  sont  venus  visiter  cette  institution  naissante,  ce  com- 
»  nnicemcnt  de  nuise.'  géographique  ;  ii  atteste  les  voeux 
»  qu'ils  ont  tous  foi  mes  et  exprimés  pour  la  voir  prendre  tout 
j>  le  développement,  tout  l'accroissement  qu'elle  exige,  et 
»  surmonter  les  obstael  "S  qui  lui  sont  opposés.  Pour  arriver 
»  à  ce  but,  il  est  nécessaire  qu'un  Fonds  spécial  lui  soit  con- 
»  sacré;  jusqu'à  présent,  elle  n'a  existé  qu'en  enlevant  une 
»  petite  part  aux  anciens  dép  utemens  de  la  Bibliothèque.  » 

Nn[  ne  s'occupe  de  ce  qui  est  l'ouvrage  de  tous,  dit  M.  Tei- 
haux  ,  et  cette  vérité  s'applique  fort  justement  à  l'adminis- 
tration actuelle  de  la  Bibliothèque  royale. 

Le  besoin  cFun  chef  dequ'  émane  l'autorité,  s'y  fait  sen- 
tir plus  vivement  encore  depuis  la  mort  du  savant  et  mo- 
deste Van  Praet*,  dont  les  bibliographes  vénéreront  toujours 
la  mémoire. 


*  M.  Van  Prael ,  né  à  Bruges  en  1754,  auteur  de  Recherches  sur  la  vie  et 
les  écrits  de  Cc-lard  Mansion  ;  —  d'une  Notice  sur  le  tournoi  du  sire  de  la 
dhlthuysé  (publiée  en  1780  dans  l'Esprit  des  journaux,  et  imprimée  plus 
tard)  ;  —  d'une  Lettre  sur  les  chansons  de  Henri  111,  et  de  Jean  II  duc  de 
Brahant  (Ibid.)  ;  —  de  la  Notice  des  Manuscrits  du  duc  de  La  Vallière  (  2e 
partie  du  Catalogue,  en  17S3)  ;  —  entré  à  la  bibliothèque  Royale  en  1784; 
—  a  publié,  de  18...  1828,  son  Catalogue  des  livres  imprimés  sur  vélin  de  la 
Bibliothèque  du  Roi,  et  des  livres  sur  vélin  qui  se  trouvent  dans  les  BiDlio- 


HÎSTOIRÏi.  177 

Mais  le  talent,  la  science  de  tout  genre,  l'activité,  le  zèle 
de  celui  qui  lui  succède,  de  M.  Magnin,  et  de  son  nouveau  col- 
lègue, M.  Lenormant  ;  secondés  qu'ils  seront  (nous  n'en  dou- 
tons pas)  par  les  efforts  réunis  des  employés  de  ce  vaste  éta- 
blissement, promettent,  au  département  des  livres  imprimés 
de  la  Bibliothèque,  un  avenir  dont  auront  également  à  se 
louer  et  ceux  qui  y  concourront,  et  le  public  qui  en  retirera 
plus  particulièrement  le  fruit. 


LA  PERLE  DE  L'île  D'ISCHIA ,  par  Bénédict  d'O.— Paris,  chez  De- 
launay  ,  1837.   1  vol.  ln-18. 

M.  Sainte-Beuve  a  publié  certain  gros  livre  sur  le  titre 
duquel  il  a  inscrit  le  mot  de  Volupté,  quoiqu'en  vérité  l'on  ne 
trouve  rien  de  bien  voluptueux  dans  ses  rêveries  mvstiques. 
Combien  ce  titre  conviendrait  mieux  au  joli  petit  volume 
tout  rempli  d'amour  que  j'annonce  ici  !  C'est  une  histoire 
fort  simple,  racontée  avec  abandon,  mais  qui  plaît  et  qui 
émeut,- parce  qu'elle  est  dictée  par  le  sentiment  vrai  et  na- 
turel. C'est  l'enivrement  d'un  cœur  de  jeune  homme  qui  se 
livre  sans  frein  à  toutes  b-s  jouissances  de  l'amour.  Naples, 
avec  son  beau  ciel  et  sa  campagne  si  célèbre,  est  la  nouvelle 
Cythère  choisie  pur  notre  auteur.  Suis  doute,  il  ne  faut  pas 
soumettre  In  Perle  d'Isrhia  au  critérium  d'une  austère  morale; 
elle  n'est  point  destiner  à  servir  d'argument  à  quelque  pen- 
sée philosophique  ;  son  seul  but  a  été  de  peindre  une  pas- 
sion, et,  en  vérité,  re  but-là  se  trouve  rempli  d'une  manière 
fort  remarquable.  D'ailleurs  M:  d'O.  évite,  avec  le  plus  grand 
soin,  tout  ce  qui  pourrait  donner  à  ses  tableaux  quelque 
chose  di'  licencieux.  Il  conserve  à  son  amour  cette  fraîcheur, 
cette  pureté  qui  en  font  seules  une  passion  noble  et  infini- 
ment supérieure  à  l'instinct  de  la  brute. 

Allant  visiter  pour  la  première  fois  ce  golfe  de  Naples,  dont 
l'aspect  suffit,  dit-on,  pour  réveiller  l'amour,  il  était  bien  dé- 
cidé d'avance  à  combattre  de  toutes  ses  forces  cette  impres- 


thèques  publiques  et  particulières,  in-8°,  9  vol.  ; — en  1829  sa  Notice  sur  Colurtl 
Mansion  ;  —  reçu  en  1830  membre  de  l'Académie  des  Inscriptions  et  Bellrs- 
Letlres;  —  a  publié  en  1831  ses  Recherches  sur  Louis  de  Bruges,  seigneur 
de  la  Grufhùyse;  —  enfin  en  1836,  Inventaire  ou  Catalogue  de  l'ancienne 
librairie  ou  bibliothèque  du  Louvre.  —  Il  est  décédé  le  5  février  1S37.  Il 
laisse  de  nombreux  manuscrits.  —  M.  Magnin,  M.  P.  Paris,  lui  ont  consacré 
un  article  nécrologique,  le  premier  dans  !e  .Moniteur  du  10  février,  ie  second 
dans  le  Journal  des  Débats  (  reprod.  par  le  Temps  du  8  février).  Si.  Durean 
de  la  Malle,  collègue  de  M.  Van  Praet  à  TlDstitut,  a  aussi  payé  à  sa  mémoire 
le  tribut  d'usage.  iYo.'c  cummunU/u.c  par  M.  de  Hoffmanns. 


178  LITTÉRATURE, 

sion,  à  lutter  contre  l'enivrement  général,  et  à  conserver 
son  cœur  et  son  esprit  dans  leur  assiette  naturelle.  Mais  tou- 
tes ces  belles  résolutions  ne  tardent  pas  à  faiblir  devant 
le  séjour  de  Naples.  Il  résiste  aux  séductions  du  vice,  ce- 
pendant, avec  une  fermeté  inébranlable,  et  c'est  l'amour 
d'une  pauvre  fille  qu'il  trouve  sur  sa  route  qui  lui  fait  ou- 
blier tous  ses  projets  de  sagesse.  Il  l'enlève  à  des  misérables 
qui  avaient  formé  l'odieux  projet  de  spéculer  sur  ses  char- 
mes et  s'enfuit  avec  elle  dans  l'île  d'Ischia.  Là,  les  deux 
amans  se  livrent  à  toutes  les  joies  d'une  tendre  sympathie, 
qui  s'harmonise  si  bien  avec  l'aspect  ravissant  de  ce  beau 
climat  ;  ils  goûtent,  pendant  quelque  temps,  tous  les  plaisirs 
d'un  amour  heureux  et  sans  mélange,  dont  les  élans  si  sua- 
ves sont  la  vie  de  l'âme.  C'est  une  volupté  pure  de  tout  mé- 
lange, dont  les  descriptions  sont  passionnées,  mais  chastes, 
et  parlent  à  l'imagination  un  langage  digne  de  l'intelligence 
humaine,  créée  pour  sentir  autrement  que  les  animaux. 

«  Au  sein  de  cet  asile  que  nous  fit  le  ciel  dans  un  de  ses 
»  momens  de  plus  douce  indulgence,  rien  ne  manquait,  de 
»  ce  qu'il  fallait  à  leurs  cœurs.  Pourquoi  n'est-il  pas  donné 
»  au  fragile  mortel  d'éterniser  de  semblables  heures?  Non, 
»  rien  ne  manquait  aux  deux  amans,  assis  côte  à  côte  sous  le 
»  pin  majestueux  ;  ni  l'air  souple  et  parfumé,  qui  fait  boire 
»  la  vie  comme  un  vin  délicieux,  ni  cette  molle  volupté  qu'il 
»  fait  couler  doucement  dans  tous  les  sens ,  ni  l'éclat  et  la 
»  pompe  du  soleil  qui  baij;ne  sous  nos  yeux  le  large  faisceau 
»  de  ses  étincelans  rayons  dans  la  plus  joyeuse  des  mers  ,  ni 
»  la  brise  toujours  tidèie  à  cette  belle  terre,  qu'elle  vient  cha- 
»  que  soir  embrasser  et  féconder  de  son  amour,  ni  la  calme 
»  et  mélancolique  paix  de  la  nuit  qui  doit  ici  si  belle  sous 
»  son  dais  de  pures  étoiles. 

»  Ce  n'était  plus,  il  est  vrai,  cette  somptueuse  magnifi- 
»  cence  de  la  nature,  se  déployant  sous  un  vaste  horizon  qui 
»  avait,  sur  FEpomée,  salué  les  noces  de  l'époux  et  de  l'é- 
»  pouse  ;  ce  n'était  plus,  si  je  puis  parler  ainsi,  ce  cri  de  vic- 
»  toire  qui  s'était  échappé  pour  moi,  à  mou  réveil,  de  tous  les 
»  points  du  plus  riche  horizon  de  l'univers.  Non,  non,  c'é- 
»  tait  une  nouvelle  forme  «lu  bonheur,  mus  ce  n'en  était  pas 
»>  moins  le  bonbeur.  Mon  Eve,  au  haut  de  la  montagne, 
»  Avait  ouvert  pour  la  première  fois  les  yeux  sur  les  inei- 
»  veilles  du  paradis  terrestre  ;  maintenant  elle  en  jouissait, 
»  elle  en  savourait  la  douceur.  Mère  complaisante,  la  na- 
»  ture  avait  voulu  nous  faire  parcourir  toutes  les  phases  de 
•>  sa  volupté.  Du  plus  impétueux,  du  plus  délirant  des  sen- 
»  timens,  elle  nous  avait  fait  passer  aux  joies  les  plusintimes, 
»  aux  jouissances  les  plus  voluptueuses  d'une  heureuse  nié- 


HISTOIRE.  179 

»  lancolie,  ou  les  plus  adorables  d'une  gracieuse  paix  dans 
»  la  possession  de  l'objet  aimé.  » 

Cependant  ce  bonheur  n'était  pas  fait  pour  durer  ;  quel 
est  celui  qui  peut  braver  l'épreuve  du  temps?  Les  lois  de  la 
société,  trop  souvent  en  lutte  avec  celles  de  la  nature,  per- 
mettent bien  rarement  à  l'homme  de  trouver  cette  félicité 
pure  et  durable  qui  ne  peut  exister  que  dans  leur  concilia- 
tion parfaite. 

Un  voyage  à  Naples,  nécessité  par  les  devoirs  de  l'amitié, 
vint  briser  tout-à-coup  ces  liens  si  chers.  A  son  retour,  l'a- 
mant ne  trouva  plus  sa  Fioretta.  Les  persécuteurs  de  cette 
pauvre  enfant  avaient  su  découvrir  sa  retraite,  et  une  lettre 
d'adieu  fut  tout  ce  qu'ils  lui  permirent  de  laisser  à  son  ami. 
Le  cœur  navré  du  plus  cruel  de  tous  les  chagrins,  il  quitta 
le  beau  ciel  de  Naples  après  avoir  fait  de  vaines  recherches 
pour  retrouver  son  trésor.  Plus  tard,  il  apprit  que  les  ra- 
visseurs de  Fioretta  avaient  reçu  sur  l'échafaud  la  récom- 
pense de  leurs  crimes,  et  que  la  pauvre  fille,  rendue  enfin  à 
une  existence  honnête  et  paisible,  était  devenue  une  heureuse 
mère  de  famille. 

Cet  épisode  est  raconté  avec  beaucoup  de  charmes.  L'au- 
teur a  su  fort  adroitement  créer  un  enchaînement  de  circon- 
stances et  d'incidens  qui  pallient  et  excusent  en  quelque 
sorte  ce  que  cet  amour  peut  présenter  d'illicite.  Son  style 
est  souvent  noble,  plein  de  force  et  vraiment  passionné;  seu- 
lement il  offre  putois  un  peu  trop  d'abandon,  et  quelques 
négligences  le  déparent.  Le  prologue  et  l'épilogue,  surtout, 
qui  sont  en  vei  .  prêt  'raient  à  la  critique.  Mais,  dans  son 
ensemble,  la  Perle  d'ischia  est  u«6  jolie  <•(  fraîche  compo- 
sition qui  contraste  tort  agréablement  à  coté  <ie  tous  les  pré- 
tentieux romans  du  jour.  On  doit  accueillir  avec  indulgence 
toute  tentative  de  ram  lier  la  littérature  à  la  simplicité,  qui 
est  véritablement  son  ancie  de  salut. 


REVUE  nr  XORD,  3e  année,  n°  4.  Avril  18 37'.  On  souscrit  au  bureau, 
rue  du  Four  St. -Germain  ,  41 .  Prix  pour  Paris,  4o  fr.  par  an. 

Ce  Numéro  renferme  plusieurs  articles  d'un  grand  intérêt,  parmi 
lesquels  nous  citerons  les  suivans  : 

Les  Dieux  du  Nord,  poème  épique  d'Adam  Ochlenscldaeger, 
analyse  très-bien  faite,  qui  fait  connaître,  par  de  nombreuses 
citations,  le  poète  danois  dont  la  verve  s'est  inspirée  de  cette 
mythologie  Scandinave,  unique  monument  de  l'antiquité  des 
peuples  du  Nord.  Le  voyage  du  dieu  Thor  au  pays  des 
géans  est  l'épisode  choisi   par  le  traducteur,  et  il  inspirera 


180  LITTÉRATURE , 

sans  cloute  le  désir  de  mieux  connaître  ces  fables  qui,  moins 
gracieuses  peut-être  que  celles  de  la  mythologie  grecque, 
sont  remarquables  par  leur  originalité,  leur  teinte  énergique, 
et  les  documens  qu'elles  peuvent  nous  fournir  sur  les  mœurs 
des  anciens  Scandinaves. 

Un  fragment  d'Eugène  Oréghine,  roman  en  vers  d' Alexandre 
Pouschkine,  qui  vient  après,  nous  donne  un  échantillon  de 
la  poésie  russe,  s'inspirant  des  brillans  frimas  de  l'hiver, 
leur  empruntant  toutes  ses  images  et  décrivant  des  scènes 
qui  se  passent  au  milieu  des  neiges. 

Le  Mémoire  sur  l'histoire  politique  et  économique  et  sur  l'état 
actuel  de  l'Islande,  par  M.  Bjarni  Thorarensen,  premier  ma- 
gistrat de  la  province  orientale  et  septentrionale  de  cette  île, 
offre  un  tableaudu  plushaut  intérêt.  Son  auteur  le  rédigea  etle 
remit  au  célèbre  voyageur,  M.  Paul  Guimard,  en  août  1836. 
C'est  un  document  fort  curieux  pour  l'histoire  de  l'Islande, 
car  on  y  trouve  beaucoup  de  détails  sur  les  mœurs  et  le  genre 
de  vie  de  ses  habitans.  L'Islande  offre  le  bizarre  contraste 
d'un  pays  fort  arriéré  sous  le  rapport  des  commodités  de  la 
vie,  de  l'industrie  et  des  arts,  tandis  qu'il  est  au  contraire  plus 
avancé  que  nul  autre  peut-être  sur  la  route  du  perfectionne- 
ment intellectuel  et  moral. 

D'un  côté,  un  sol  ingrat,  mal  cultivé,  qui,  dans  les  rares 
années  où  la  température  ne  s'oppose  pas  aux  récoltes,  pro- 
duit à  peine  de  cpioi  nourrir  ceux  qui  le  cultivent,  et  qui 
n'ont  avec  cela  d'autre  ressource  que  celle  de  la  pèche,  à  la- 
quelle la  mer  ne  se  montre  pas  non  plus  toujours  favorable; 
de  l'autre,  un  peuple  heureux  et  sage  cbez  lequel  régnent 
l'égalité  la  plus  complète  et  l'instruction  la  plus  générale, 
avec  leurs  conséquences  morales  les  plus  bienfaisantes,  puis- 
que sur  une  population  de  plus  de  50,000  àmps,  on  n'a  eu  à 
déplorer  que  quatre  meurtres  pendant  un  espace  de  50  ans. 
Yoilà  ceites  un  phénomène  digne  d'être  étudié,  et  cpii  pour- 
rait peut-être  conduire  à  reconnaître  quelle  est  la  source  de 
la  véritable  civilisation  et  du  bonbeur  des  peuples.  De  tels 
laits  ont  plus  d'autorité  que  tous  les  discours  les  plus  élo- 
quens  ;  on  ne  saurait  du  moins  les  accuser  dHutopisme. 

Un  article  sur  les  caisses  des  pensions  des  veuves  et  des  orphe- 
lins renferme  d'excellens  conseils  sur  les  moyens  de  réprimer 
les  abus  qui  existent  dans  ces  sortes  d'institutions  en  Alle- 
magne. 

Enfin  on  lira  avec  plaisir  la  suite  d'un  Voyage  en  Bosnie  et 
en  Croatie,  qui  offre  des  détails  curieux  sur  ces  contrées  en- 
core peu  connues;  et  les  bonunes  qui  s'intéressent  à  la  mar- 
che de  la  science  économique  trouveront  un  grand  intérêt 
dans  les  recherches  historiques   de  AI.  Octave  Delepierre  sur 


HISTOIRE.  181 

Y  industrie  belge,  ainsi  que  dans  l'article  sur  les  modifications 
apportées  au  tarif  des  douanes  russes.  L'auteur  de  ce  dernier 
morceau  traite,  il  est  vrai,  de  folle  chimère  le  système  de  la 
liberté  absolue  du  commerce;  mais  les  éloges  qu'il  adresse 
au  gouvernement  russe,  pour  être  justement  entré  dans  cette 
voie,  prouvent  qu'il  n'y  a  pas  chez  lui  un  aveuglement  sys- 
tématique, et  que,  tout  en  rejetant  ce  but  comme  étant  in- 
compatible avec  l'état  actuel  des  relations  politiques,  il  ne  se 
refuse  pas  aux  mesures  capables  de  nous  y  conduire  graduel- 
lement. Plusieurs  petits  fiagmens  de  littérature  allemande 
terminent  ce  numéro,  qui  est,  en  son  entier,  digne  des  efforts 
du  directeur  de  la  Revue  du  Nord,  pour  la  placer  au  premier 
rang  parmi  les  recueils  périodiques  qui  se  publient  en  France. 


ROSEES  ,  par  Mme  Hermunce  Lesguillon,  auteur  de  Rêveuse. — Paris  , 
chez  L.  Janet.  1837.  In-8.  7  fr.  iO  c. 

•  «  Rêveuse  est  le  prélude  de  l'existence  de  la  femme.  Rosées 
»  la  commence.  Les  suivans  la  compléteront.  C'est  surtout 
»  par  son  bonheur  qu'on  sent  le  malheur  des  autres.  » 

Ces  paroles  qui  terminent  la  préface  de  l'auteur,  indiquent 
la  portée  de  ses  intentions  et  le  but  vers  lequel  tendent  ses 
chants,  car  Réreuse  et  Rasées  sont  des  recueils  de  vers.  Ma- 
dame Lesguillon,  après  avoir  exprimé  le  vague  sentiment 
qui  oppresse  l'àmede  la  jeune  fille  à  son  entrée  dans  la  vie,  a 
voulu  célébrer  les  ineffables  joies  de  la  femme  épouse  et  mère. 
Plus  tard  elle  se  réserve  sans  doute  de  plaindre  les  malheurs 
qui  trop  souvent  la  heurtent, et  la  brisent  sans  pitié  au  milieu 
de  sa  carrière.  Mais  je  ne  pense  pas  qu'il  soit  très -juste  de  dire 
que  c'est  surtout  par  son  bonheur  cpi'on  sent  le  malheur  des 
autres.  Ce  n'est  pas  du  moins  ce  qui  arrive  le  plus  ordinaire- 
ment ;  car  au  milieu  du  bonheur,  alors  que  tout  lui  sourit, 
l'homme  oublie  trop  souvent  h  s  malheureux  qui  souffrent,  et 
en  général  il  faut  avoir  vu  soi-même  de  près  les  misères  de 
ce  monde,  en  avoir  éprouvé  quelques  atteintes,  pour  les  bien 
comprendre,  pour  y  croire  et  pour  sentir  tout  ce  qu'elles  ont 
de  cruel.  Celui  qui  est  rentré  heureusement  dans  le  port 
après  avoir  essuyé  la  tempête  compatit  sans  doute  vivement 
aux  angoisses  de  ceux  que  les  vagues  de  la  mer  ballottent 
encore  au  milieu  des  écueils;  mais  celui  qui^n'a  jamais  quitté 
la  terre-ferme  n'y  songe  guère ,  à  moins  que  quelque  cir- 
constance particulière  ne  porte  son  attention  de  ce  côté-là. 

Enfin,  quoi  qu'il  en  soit,  cette  pensée  ,si  elle  n'est  pas  ri- 
goureusement vraie,  nous  prouve  du  moins  que  madame  Les- 
guillon est  douée  d'un  bon  creur  et  se  trouve  heureuse  de 
.-on  sort.  Ce  sont  doux  conditions  essentielles  ici-bas  et  qui 


182  LITTÉRATURE, 

semblent  bien  faites  en  vérité  pour  inspirer  la  verve  du 
poète.  Malheureusement  notre  auteur,  au  lieu  de  s'abandon- 
ner tout  simplement  au  sentiment  de  son  bonheur  et  de  lais- 
ser le  cri  du  cœur  se  refléter  dans  ses  vers,  se  livre  trop  souvent 
à  une  recherche  prétentieuse.  Elle  appartient  à  l'école  des 
rêveries  vagues  et  mystiques,  et  s'exprime  dans  un  langage 
bizarre,  dont  la  plupart  des  images  sont  forcées  ou  même 
fuisses. 

C'est  le  soleil  obscur ,  qui  brille  obscurci ,  et  dont  l'ombre 
maussade  éveille  la  journée. 

C'est  l'abîme  profond  que  creuse  ce  grand  vide, 
Que  jamais  rien  ne  comble  en  cette  terre  aride, 
Fragile  assez  pour  une  tleur! 

C'est  le  soleil  d'or  et  le  ciel  bleu;  c'est 

Le  bal,  avec  sa  foide  et  ses  brillans  flambeaux, 
Et  ses  femmes  de  gaze  et  ses  hommes  jabots! 

c'est  la  pensée  échappée  à  son  mors  qui  s'en  va  s'amonceler  aux 
poussières  des  morts.  C'est  l'ombre  qui  pâlit,  un  concert  de  nids 
et  de  buissons,  le  sang  de  l'esprit  ,1a  mort  qui  est  un  pont  sans 
arche ,  un  rêve  sans  corps ,  etc.,  etc.  On  reconnaît  là  l'influence 
funeste  exercée  de  nos  jours  sur  la  poésie  par  certains  hom- 
mes de  talent  que  l'ambition  a  jetés  sur  une  fausse  route. 
Semblables  à  ces  peintres  qui,  par  le  contraste  des  couleurs, 
cherchent  à  exciter  l'attention  publique  sur  leurs  tableaux,  ils 
ont  joué  avec  les  mots  et  ont  voulu  forcer  la  langue  à  produire 
des  effets  nouveaux  sans  doute,  mais  le  plus  souvent  puérils 
et  même  extravagans. 

L'harmonie  est  dédaignée  par  eux  comme  une  entrave,  et 
sous  ce  rapport  aussi  l'auteur  des  Rosées  les  imite  quelquefois 
de  manière  à  choquer  les  oreilles  délicates.  Ainsi  au  com- 
mencement de  sa  poésie  intitulée  :  Confession,  elle  débute 
par  : 

Quand  pour  moi  l'avenir  ouvre  un  autre  chemin, 
Quand  il  s'offre  joyeux  et  qu'il  me  tend  la  main, 
Quand  ma  vie  à  toujours  se  livre  ,  s'abandonne 
A  celui  que  mon  cœur  se  choisit  et  se  donne; 
Quand  je  marche  à  l'aurore  où  brille  l'horizon; 
Que  je  me  rebaptise,  en  déposant  mon  nom.       .   . 

etc.  Ces  quatre  quand ,  suivis  encore  de  plusieurs  autres,  ne 
seraient  pas  supportables  même  en  prose,  et  l'on  ne  peut  les 
lire  sans  songer  aussitôt  à  ceux  de  Petit-Jean  dans  les  Plai- 
deurs.  L'aurore  où   brille   l'horizon   n'est  guère  plus  heureux, 


HISTOIRE.  183 

car  jusqu'à  présent  on  avait,  au  contraire,  toujours  fait  bril- 
ler l'aurore  à  l'horizon. 

Combien  sont  aussi  laborieux  et  pénibles  à  lire,  ces  vers 
sur  le  découragement  : 

Un  beau  ciel  apparaît,  qu'aussitôt  un  orage 
S'amasse  et  se  grossit  de  nuage  en  nuage, 
Puis  d'éclair  en  éclair,  de  brouillard  en  brouillard, 
Ainsi  qu'un  long  cortège  après  un  corbillard. 

Rien  n'est  vrai ,  rien  n'est  sûr  ;  et  la  désespérance 
Est  l'ombre  qui  vacille  où  marche  1  existence  : 
Tout  est  lointain  mirage,  et  la  réalité 
Echappe  au  doigt  de  l'homme  avec  la  vérité  ; 
Le  seul  bien  ici-bas  que  notre  œil  voie  et  sonde; 
Qu'il  soit  sûr  de  trouver  dans  cette  mer  profonde, 
Ce  qui  paye  à  la  fin  de  tout  pénible  effort, 
Ce  que  chacun  aura,  grand,  petit,  pauvre  ou  riche, 
Ce  que  pour  nous  le  sol  garde,  promet,  défriche, 
C'est  l'ombre,  c'est  la  nuit,  c'est  l'oubli!  c'est  la  mort'. 

Pour  atteindre  ce  but  et  lutter  sur  la  plage , 
Qu'il  faut  de  force  encore  et  qu'il  faut  de  courage 
Pour  ne  pas  chanceler  dans  ce  large  torrent, 
Et  ne  pas  se  briser  aux  vagues  du  courant! 
Pour  sortir  triomphant  de  ces  cruelles  joutes, 
Où  la  nuit  et  le  jour  sont  des  heures  de  doutes , 
Où  le  penser  hâtif  appelle  un  avenir 
Qui  s'efforce  de  fuir  au  lieu  de  s'en  venir! 

exactement  comme  le  chien  de  Jean  de  Nivelle,  qui  s'en  va 
quand  on  l'appelle. 

Enfin  dans  une  pièce  adressée  à  George  Sand,  la  strophe  sui- 
vante n'est  pas  moins  curieuse  : 

Pourquoi  donc  voulez-vous  que  sa  pensée  ardente 
Ailie  se  fourvoyer  dans  la  commune  pente 

Où  les  bœufs  du  monde  ont  passé  ? 
Et  que  dans  un  sillon  1out  creusé  par  avance, 
Elle  envoie  un  nom  quisélance 
Bien  loin  dans  l'avenir  tracé  ? 

Merci  du  compliment,  madame;  les  bœufs  du  monde,  mais 
en  vérité  c'est  charmant  ! 

Après  les  bœufs ,  nous  ne  saurions  plus  rien  citer  dans  ce 
genre  ;  d'ailleurs  nous  avons  fait  la  part  de  la  critique  assez 
grande ,  et  il  serait  tout-à-fait  déloyal  de  ne  pas  dire  aussi 
ce  que  ce  livre  renferme  de  bon.  En  effet,  malgré  tous  ces 


184  LITTÉRATURE, 

défauts  ,  il  y  a  du  talent  poétique  chez  madame  Lesguillon, 
et  si  nous  avons  été  sévère  avec  elle,  c'est  que  nous  regret- 
tons de  ne  pas  rencontrer  plus  souvent  dans  ses  œuvres  des 
vers  tels  que  ceux-ci  de  La  Jeune  malade  : 

Regarde!  ainsi  que  cette  rose  blanche, 
Ma  joue  est  pâle  et  mon  regard  languit  ! 
Comme  elle  aussi  mon  jeune  front  se  penche 
Fuyant  le  jour  et  recherchant  la  nuit: 
Car  je  le  sens,  une  souffrance  amère 
Voile  mon  cœur  malade  ,  soucieux  ; 
Comme  en  exil ,  j'étouffe  sur  la  terre  : 
Adieu,  ma  mère,  au  revoir  dans  lescieux  ! 

Ces  nœuds  si  frais,  cette  riche  parure, 
Dont  j'étais  fière,  et  le  monde  et  le  bal, 
Où  l'on  vantail  ma  grâce  et  ma  tournure, 
Tout  me  déplaît  ;  sourire  me  fait  mal  ; 
Je  poi'te  envie  à  la  feuille  qui  tombe  , 
Au  lac  qui  dort  pur  et  silencieux: 
Je  porte  envie  au  vol  de  la  colombe  : 
Adieu  ,  ma  mère  ,  au  revoir  dans  les  cieux  ! 

Dans  la  plupart  des  morceaux  de  ce  recueil ,  dans  ceux  sur- 
tout qui  expriment  l'amour  maternel ,  ses  joies  et  ses  angois- 
ses ,  on  trouve  l'empreinte  d'un  sentiment  réel  et  vivement 
éprouvé.  C'est  bien  quelque  chose  ,  mais  ce  n'est  pas  tout  ce 
qu'il  faut  pour  faire  un  bon  poète  ,  et  le  langage,  pour  bien 
rendre  un  sentiment  vrai ,  doit  être  aussi  vrai  et  natu- 
rel. Que  notre  auteur  se  dépouille  donc  de  tout  cet  attirail 
prétentieux  de  phraséologie  creuse  qui  ne  dit  rien  en  affectant 
de  dire  beaucoup  ,  et  qui  dans  son  laborieux  enfantement 
tue  toute  inspiration.  Un  style  simple ,  pur  et  riche  en  pen- 
sées plus  qu'en  mots,  la  conduira  beaucoup  plus  sûrement  et 
plus  promptement  au  succès  et  à  la  gloire. 


LA  paysanne  ET  LE  dandy  ,  par  Cuy  d'Agde.  2  vol.  in-8.  15  fr.— 
la  maison  rouge  ,  par  Emile  Sôûvéstré.  2  vol.  in-8.  15  fr.— nou- 
velles impressions  de  voyages  ,  par  Alex.  Duiùas.  1  vol.  in-8. 
7  fr.  50  c.  —  MARIE  ANGE,  par  Alfred  llalnxud.  2  vol.  in-8.  15 
fr.  —  les  matelots  parisiens,  roman  maritime;  par  Suau  de 
Varennes,  ancien  officier  de  marine;  précédé  d'une  introducton  par 
Eugène  Sue.  2  vol.  in-8.  15  fr. — L'ILE  DE  LA  TORTUE  ,  roman  mari- 
time, par  Jules  Lecomte.  1  vol.  in-8.  15  fr.— les  montagnards 
des  ALPES  ,  par  Fubre  d'OlUet.  2  vol.  in-8.  15  fr.— RÊVERIES  DANS 
LES  MONTAGNES,  par  Mme  Camille  Badin.  2  vol.  in-8.  15  fr.— LA 
MARQUISE  et  la  jolie  fille  des  Halles  ,  par  Alfred  de  Beaulieu.  Paris, 
1837.  2  vol.  in-8.  15  fr. 

Dans  les  neuf  ouvrages   dont  les  titres  sont   inscrits   en 
tète  de  cet  article,  i!  ne  s'en  trouve  que  deux  qui  offrent  mu' 


HISTOIRE.  18* 

lecture  supportable  pour  les  gens  de  goût ,  et  qui  méritent 
d'être  recommandés.  Ce  sont  les  Rêveries  dans  les  nwntagnes , 
de  madame  Bodin  ,  et  la  Maison  rouge,  de  M.  Souvestre  , 
deux  recueils  de  contes  et  de  f;  agmens  dont  quelques  -  uns 
sont  d'un  intérêt  remarquable.  Les  titres  choisis  par  les  au- 
teurs n'ont  guère  de  rapports  avec  le  contenu  des  volumes  ; 
mais  il  est  d'usage  de  donner  ainsi  aux  recueils  de  ce  genre 
une  sorte  de  passeport  dans  les  cabinets  de  lecture  qui  n'ai- 
ment pas  les  contes  détachés  ,  et  s'imaginent  sans  doute  que 
le  lien  du  titre  suffit  pour  les  unir  les  uns  aux  autres  de  ma- 
nière à  forcer  le  lecteur  d'aller  jusqu'au  bout. 

—  Dans  la  Maison  rouge ,  les  morceaux  les  plus  saillans 
sont  :  le  Chirurgien  de  marine,  Bàle,  Brest  à  deux  époques. 

—  Les  Rêveries  de  madame  Bodin  sont  à  peu  près  égales 
d'un  bout  à  l'autre  ,  et  l'on  reprochera  peut-être  à  leur  au- 
teur la  monotomie  des  scènes,  des  passions,  des  infortunes,  qui 
sq  représentent  toujours  les  mêmes  dans  tous  ses  ouvrages. 

—  La  Paysane  et  le  Dandy  de  M.  Guy  d'Agde,  et  La  Mar- 
auise  de  M.  de  Beaulieu  sont  des  romans  vulgaires  tissus 
de  commérages  sans  intérêt,  de  longues  intrigues  d'amour 
pâles  et  ennuyeuses.  Des  lieux  communs  d'observation  ino- 
rale, servent  de  bases  à  des  récits  qui  n'offrent  ni  vérité  ni 
talent  de  style.  Ce  sont  des  produits  de  la  littérature  en  fa- 
brique, et  de  la  plus  médiocre  qualité.  Mais  du  moins  leurs 
auteurs  n'ont  pas  la  prétention  d'être  des  hommes  de  génie  , 
ni  de  prendre  rang  parmi  les  premiers  écrivains  de  l'époque. 
Le  public  se  montrera  donc  sans  doute  plus  indulgent  en- 
vers eux  qu'envers  M-  Alexandre  Dumas ,  auquel  on  doit 
demander  un  compte  sévère  de  l'emploi  qu'il  fait  du  ta- 
lent dont  il  a  donné  maintes  preuves  brillantes  au  début 
de  sa  carrière  littéraire.  On  a  d'autant  plus  le  droit  de 
le  juger  avec  rigueur  que  la  modestie  n'est  pas  son  défaut  ; 
il  paraît  avoir  une  conscience  très-assurée  de  ses  hautes  fa- 
cultés ,  et  ne  manque  jamais  l'occasion  de  le  faire  sentir  au 
lecteur.  Or  je  le  demande  à  quiconque  n'est  pas  aveuglé  par 
un  fol  engouement  qui  pardonne  tout  à  l'éclat  d'un  nom 
déjà  connu  ,  peut-  on  voir  quelque  chose  de  plus  niais  ,  de 
plus  misérable  que  les  Nouvelles  impressions  de  voyages  qui 
viennent  d'avoir  le  triple  honneur  de  paraître  :  1°  dans  les 
Feuilles  volantes  du  Figaro  ;  2°  dans  un  volume  in-8°  ,  forme 
de  ces  feuilles  ;  3°  dans  deux  volumes  in-8°  avec  grand  luxe 
de  papier  Rlanc  ? 

M.  A.  D.  paraît  voyager  sans  rien  voir,  sans  rien  connaî- 
tre, sans  rien  apprendre  des  pays  qu'il  parcourt.  Puis,  quand 
il  est  de  retour  dans  son  cabinet ,  il  forge  une  suite  de  petites 
anecdotes  plus  ou  moins  plates  ,  dans  lesquelles  il  s'adjuge 

'4 


186  LITTERATURE, 

toujours  le  principal  rôle,  et  qu'il  in  lit  nie  ses  Impressions  de 
voyages.  Il  vise  à  la  humour  anglaise  ,  mais  il  n'atteint  pas  ce 
but-là  aussi  bien  qu'il  prétend  avoir  atteint  celui  de  la  ca- 
rabine, où  il  dit  avoir  stupéfait,  par  son  adresse,  toute  une 
compagnie  des  meilleurs  tireurs  de  la  Suisse  allemande.  ïlien 
n'est  plus  plaisant  que  l'accès  de  vanité  naïve  auquel  s'aban- 
donne M.  A.  D.  ,  à  la  pensée  que  ces  hommes,  si  inférieurs  à 
lui ,  pourraient  s'imaginer  être  ses  maîtres  en  fait  de  tir  à  la 
carabine.  Comment  donc  ?  un  homme  de  la  grande  nation 
ne  sait  il  pas  tout  ?  et  ces  pauvres  patres  de  l'Helvéties'imagi- 
nent-ils  avoir  le  conp  d'ceil  plus  sûr  qu'un  élégant  de  Paris? 
Mais  ce  n'est  pas  tout.  ;  M.  A.  D.  ira  chasser  le  chamois  au 
milieu  des  glaciers  ,  et  ses  prochaines  impressions  nous  le 
montreront  sans  nul  doute ,  succombant  sous  le  poids  de  sa 
chasse  ,  mais  luttant  encore  d'agilité  avec  son  guide ,  et  sau- 
tant les  précipices  à  pieds  joints  aussi  aisément  qu'un  ruis- 
seau de  la  grande  ville.  En  voyant  avec  quel  succès  admira- 
ble il  exploite  les  Alpes,  on  regrettera  plus  vivement  encore 
qu'il  ne  mette  pas  à  exécution  son  grand  projet  de  voyage 
dans  la  Méditerranée.  Que  de  prodigieuses  découvertes  cetie 
entreprise  aurait  amenées  !  On  en  peut  juger  par  la  pèciie 
aux  truites  ,  le  ragoût  de  marmottes,  les  carabiniers  et  main- 
tes autres  choses  non  moins  merveilleuses  que  le  monde  doit 
à  ses  excursions  en  Suisse. 

—  Ullc  de  la  Tortue  et  les  Matelots  parisiens  peuvent  être 
regardés  comme  des  impressions  de  voyages  maritimes;  car 
les  deux  auteurs  sont  d'anciens  ofliciers  de  marine  qui  écri- 
vent sans  doute  sous  l'impression  de  leurs  souvenirs.  J'aime- 
rais bien  qu'on  m'expliquât  comme  il  se  fait  que  de  jeunes 
écrivains  puissent  être  d'anciens  ofliciers  de  marine.  Ces 
deux  qualités  ne  me  semblent  pas  trop  pouvoir  se  concilier 
avec  leurs  épithètes  respectives.  D'anciens  ofliciers  de  ma- 
rine peuvent  certainement  écrire  avec  talent ,  mais  ce  ne 
sont  pas  de  jeunes  écrivains  ,  et  ils  font  mieux  que  des  ro- 
mans médiocres  comme  ceux-ci,  où  l'on  ne  trouve  que  des 
peintures  assez  grossières,  unies  à  de  misérables  facéties  sans 
nul  intérêt.  Malgré  l'introduction  de  M.  Sue  ,  M.  Suau  ne 
nous  paraît,  point  destiné  à  relever  la  littérature  maritime 
dans  l'opinion  publique. 

—  Les  Montagnards  des  Alpes  de  M.  Fabre  d'Olivet,  dont 
une  composition  bistorico-romanesque,  dont  la  scène  se  passe 
au  milieu  des  sauvages  vallées  vaudoises  du  Piémont  Le  su- 
jet est  puisé  dans  les  longues  et  effroyables  persécutions  que 
le  fanatisme  exerça  contre  ces  paisibles  montagnards,  dont 
le  seul  crime  était  de  ne  pas  vouloir  renoncer  à  la  pureté  de 
leurs  croyances  antiques,  renier  la  simplicité  de  leur  culte. 


HISTOIRE.  187 

Avec  de  tels  élémens,  l'auteur  ne  pouvait  manquer  d'exciter 
l'intérêt.  Mais  il  montre  trop  de  goût  pour  les  conversations  ; 
ses  personnages  discourent  sans  cesse  au  lieu  d'agir,  et  sou- 
vent son  style  prend  une  teinte  héroïque  qui  ne  convient  ni 
aux  mcours  ni  aux  événemens  qu'il  veut  peindre.  Je  com- 
prends le  style  héroïque  dans  les  romans  de  chevalerie  pro- 
prement dits  ;  mais  dès  qu'on  veut  aborder  les  détails  his- 
toriques ,  peindre  la  réalité,  rien  n'est  inoins  héroïque  en 
vérité  que  toutes  les  turpitudes  et  les  horreurs  du  moyen 
âge  et  des  siècles  qui  l'ont  suivi. 

—  Quant  à  la  Marie-Ange ,  de  M.  A.  Yalnaud  ,  voici  un 
échantillon  de  la  langue  dans  laquelle  écrit  l'auteur  : 

«  Par  la  fin  d'un  beau  jour  de  printemps,  un  personnage 
»  à  lace  sévère  et  méditative  se  promenait  au  front  d'une 
»  colline,  à  quelque  distance  de  Florence.  11  s'arrêta  tout-à- 
»  coup.  La  colline  se  coupait  devant  ses  pieds,  présentant  d'a- 
»  pies  anfructuosités  sur  son  flanc  :  entre  ses  roches  mous- 
»  sues ,  pendaient  de  jeunes  chèvres  dont  la  lèvre  épointait 
»  les  chardons  ailés  et  les  citises  amers  ;  au  bas ,  un  ravon 
»  mourant  de  soleil  léchait  le  lit  sablonneux  d'un  torrent 
»  desséché etc.  » 

Si  c'est  là  un  langage  riche ,  il  n'est  du  moins  pas  harmo- 
nieux ;  et  pour  ce  qui  est  de  le  traduire,  je  m'en  charge 
d'autant  moins,  que  le  peu  que  j'y  ai  pu  comprendre  m'a 
paru  empreint  d'un  certain  vague  mystique  bien  obscur  , 
dans  lequel  l'auteur  semble  se  complaire  singulièrement. 
Ange  et  Marie  sont  les  noms  des  deux  amans  dont  il  peint 
les  amours  ,  et  l'on  peut  facilement  se  figuier  tout  le  parti 
que  l'auteur  tire  de  ce  caleinbourg  ascétique. 


MEMOIRES  ,    CORRESPONDANCE  ET    .MANUSCRITS    DE  GENERAL   LA- 
FAYETTE  ,  publiés  par  sa  famille.  Tomes  1,  2,  3.  3  vol.  in-8.  24  fr. 

Lafayette ,  beau  nom  digne  d'être  inscrit  à  côté  de  ceux 
de  Washington  et  de  Franklin  ;  gloire  la  plus  noble  et  la  plus 
pure  qu'ait  produite  la  France;  grand  homme  auquel  il  ne 
manqua  qu'un  caractère  plus  ambitieux  pour  exercer  la  plus 
haute  influence  sur  les  destinées  de  sa  patrie.  Mais  son  àme 
aussi  naïve  que  généreuse  n'était  pas  faite  pour  la  corruption 
de  son  époque.  Il  fut  constamment  la  dupe  de  son  désin- 
téressement et  de  sa  confiance  dans  les  autres,  qu'il  croyait 
tous  semblables  à  lui.  L'inébranlable  constance  de  ses  prin- 
cipes et  de  ses  convictions  ne  fut  trahie  que  par  son  cœur  , 
qui  plusieurs  fois  se  laissa  tromper,  et  dont  la  loyauté  n'en- 
tendait rien  aux  roueries  diplomatiques ,  non  plus  qu'aux 
intrigues  de  courtisans,  ni  aux  haines  aveugles  de  l'esprit  de 
parti. 


188  LITTÉRATURE, 

Le  beau  drame  de  la  guerre  de  l'indépendance  en  Amé- 
rique,  dont  il  fut  lui-même  témoin  et  acteur,  l'enflamma 
d'un  saint  amour  pour  la  liberté  qui  ne  s'éteignit  qu'avec  sa 
vie.  Il  rapporta  des  Etats-Unis  des  sympathies  tout-à-fait 
républicaines,  un  ardent  désir  de  doter  son  pays  d'institutions 
semblables  à  celles  qui  régissaient  l'Union;  beau  rêve  qui  ne 
pouvait  se  réaliser  au  milieu  d'un  peuple  courbé  depuis  des 
siècles  sous  le  joug  de  la  monarchie  absolue,  et  à  peine  dé- 
livré des  chaines  féodales  qui  avaient  arrêté  chez  lui  tout 
développement  moral  et  intellectuel. 

Toute  l'existence  de  Lafayette  ne  fut  qu'une  longue  lutte 
contre  les  innombrables  obstacles  qui  s'opposaient  à  l'accom- 
plissement de  ce  projet.  Et  malgré  les  déceptions  cruelles 
qui  vinrent  si  souvent  détruire  ses  plus  brillantes  illusions , 
on  ne  vit  jamais  sa  fermeté,  calme  et  basée  sur  la  conviction, 
se  démentir  un  seul  instant  ;  le  découragement  ne  trouva 
point  accès  dans  son  esprit,  et  il  ne  cessa  jamais  d'avoir  foi 
et  espérance  dans  l'avenir. 

Les  admirateurs  de  ce  noble  caractère  accueilleront  avec 
joie  la  publication  que  nous  annonçons  ici.  Ils  retrouveront 
Lafayette  tout  entier  avec  sa  simplicité  si  remarquable,  avec 
son  patriotisme  si  pur,  avec  sa  raison  si  éclairée  et  son  esprit 
si  judicieux,  dans  les  nombreux  fragmens  et  la  correspondance 
que  sa  famille  livre  aujourd'hui  à  la  publicité.  Un  puissant 
intérêt  s'attache  à  cette  vie  si  intimement  liée  à  tous  les 
événemens  historiques  des  cinquante  dernières  années.  Les 
trois  premiers  volumes  comprennent  la  période  qui  s'écoula 
depuis  son  départ  pour  l'Amérique,  jusqu'au  moment  où, 
obligé  de  fuir  la  France  pour  échapper  aux  poursuites  du 
parti  qui  l'accusait  de  royalisme  et  d'aristocratie,  il  se  vit 
traité  en  ennemi  au-delà  des  frontières,  et  jeté  en  prison 
comme  un  dangereux  démagogue.  On  y  trouve  une  foule 
de  détails  sur  la  guerre  d'Amérique,  sur  ses  relations  avec 
Washington,  ainsi  que  des  révélations  curieuses  sur  les  pre- 
mières années  de  la  Révolution  française  ,  sur  les  hommes 
éminens  qui  surgirent  alors  de  la  foule,  et  sur  les  intrigues 
de  la  Cour  pour  en  gagner  quelques-uns  à  sa  cause.  Au 
milieu  du  chaos  de  cette  époque  de  discordes  et  de  luttes 
violentes,  Lafayette  apparaît  comme  le  représentant  des  idées 
saines  et  raisonnables,  comme  le  seul  champion  du  bon  sens, 
que  tous  les  partis  foulaient  alors  aux  pieds  avec  un  égal 
aveuglement. 

On  ne  pouvait  élever  à  sa  mémoire  un  monument,  à  la 
fois  plus  honorable  et  plus  durable,  que  de  rassembler  et  de 
mettre  ainsi  au  jour  tous  les  documens  qui  doivent  servir  à 
le  jtfgër  dans  toutes  les  circonstances  où  il  a  joué  un  rôle. 


HISTOIRE.  189 


Peu  de  renommées  supporteraient  une  pareille  épreuve ,  la 
sienne  ne  fera  qu'y  gagner  en  éclat  et  en  respect. 


HISTOIRE  DE   LA     REPUBLIQUE   DE   FLOREXCE,    par     Mme   HoNense 
Allait.  Paris,  1837.  In-8.  7  fr.  50.  c. 

Ce  beau  volume  est  dédié  par  son  auteur  aux  femmes  ré- 
formée*.  On  demandera  sans  doute  ce  que  signifie  cette  bizarre 
épithète;  a-t-elle  voulu  s'adresser  aux  femmes  de  la  Réforme 
protestante ,  ou  bien  cet  adjectif  serait-il  employé  dans  le 
sens  qu'on  lui  donne  en  parlant  des  militaires  ou  des  chevaux? 
Mais  non  ,  il  n'est  point  question  ici  de  protestantisme  ;  et 
quant  à  la  seconde  supposition,  ce  serait  une  mauvaise  plai- 
santerie, et  je  vous  assure  que  Mme  Hortense  Allart  ne  plai- 
sante pas  du  tout.  Ses  femmes  réformées  sont  celles  qui  ne 
se  contentent  plus  d'une  existence  et  d'une  vertu  bornées,  qui 
protestent  énergiquement  pour  leur  réveil,  leur  courage  ,  leur 
probité.  Il  paraît  que  jusqu'à  ce  jour  elles  dormaient  sans 
courage  ni  probité.  A  l'avenir  leur  existence  sera  sans  bornes 
et  toutes  deviendront  des  dragons  de  vertu.  Mais  qu'ont  de 
commun  ces  folies  avec  l'histoire  de  Florence  ?  Laissons  de 
côté  la  dédicace,  sautons  à  pieds  joints  par-dessus  la  préface 
qui  ne  vaut  guères  mieux  ,  et  arrivons  au  livre. 

Les  annales  d'une  république  sont  une  mine  féconde  pour 
l'écrivain,  qui  sait  y  puiser  les  grandes  leçons  et  les  nobles 
exemples  qu'elles  renferment.  Là,  plus  qu'en  aucune  autre 
histoire,  on  retrouve  le  peuple  et  l'on  peut  suivre  le  déve- 
loppement de  l'esprit  humain  sous  toutes  ses  faces  diver- 
ses. Les  républiques  du  moyen-âge  elles-mêmes  ,  quelque 
imparfaite  que  fût  leur  constitution,  et  quelque  barbarie 
qu'on  y  remarque ,  offrent  un  tableau  plein  de  vie  de  cette 
lutte  continuelle  entre  la  noblesse  et  la  roture,  entre  le  pri- 
vilège et  la  multitude  ,  dont  les  monarchies  ne  présentent 
que  de  rares  exemples,  lorsqu'elles  sont  de  loin  en  loin  ru- 
dement secouées  par  le  flot  populaire. 

Florence  fut  certainement  l'un  des  plus  remarquables  de 
ces  états  libres  qui  jetèrent  tant  de  lustre  sur  l'Italie.  Mais 
celte  ville  célèbre  fut  aussi ,  plus  que  nulle  autre  peut-être, 
déchirée  par  des  querelles  de  partis ,  des  guerres  civiles, 
longues  et  acharnées.  L'époque  dont  Mme  Allart  retrace 
l'histoire,  est  justement  celle  des  luttes  les  plus  vives  ,  de- 
puis le  12me  siècle  jusqu'au  15me,  celle  où  les  Guelfes  et  les 
Gibelins  se  disputèrent  le  pouvoir  et  connurent  tour-à  tour 
les  malheurs  de  l'exil.  Ces  temps  furent  riches  en  grands 
caractères  et  en  évènemens  pleins  d'intérêts,  dans  lesquels 
les  passions  humaines  se  déchaînèrent  avec  une  violence 


190  LITTÉRATURE, 

extrême.  Mme  AUart  nous  en  donne  un  tableau  animé  des 
plus  belles  couleurs.  Son  style  concis  et  nerveux  s'accorde 
assez  bien  avec  l'esprit  de  l'époque.  Maison  lui  reprochera, 
je  crois,  d'avoir  trop  resserré  son  cadre,  d'écrire,  non  l'his- 
toire, niais  de  brillantes  esquisses  pour  ceux  qui  connais- 
sent déjà  tous  les  détails,  et  qui  trouveront  dans  ce  l'apide 
résumé  une  espèce  de  mémorial  destiné  à  rafraîchir  leurs 
souvenirs,  à  leur  redonner  la  vie,  à  reconstruire  à  leurs 
yeux  toutes  ces  scènes  dramatiques  si  émouvantes  qui  ont 
inspiré  au  Dante  sa  divine  comédie.  On  reprochera  surtout 
à  l'auteur  une  certaine  recherche  d'effet  dans  son  style  ; 
souvent  le  laconisme  est  un  peu  forcé,  et  le  désir  d'exprimer 
beaucoup  en  peu  de  mots  ,  lui  fait  oublier  que  la  clarté 
et  l'élégance  sont  deux  mérites  dont  l'historien  ne  saurait 
se  passer. 

Cependant ,  sauf  ces  imperfections  qu'un  peu  de  travail 
pourrait  faire  disparaître,  ce  volume  offre  un  vif  intérêt; 
Mrae  Allait  a  très-heureusement  profité  de  tous  les  documens 
que  lui  fournissaient  les  meilleurs  écrivains  de  l'Italie;  et  le 
grand  poète  de  Florence  occupe  dans  son  livre  une  place 
digne  de  lui. 

Le  but  de  l'historien  a  été  de  prouver  que  la  démocratie 
est  le  premier  élément  de  la  liberté  et  de  la  prospérité 
d'un  peuple,  mais  qu'elle  doit,  pour  être  durable,  avoir  un 
contre-poids  dans  l'aristocratie  du  génie  et  du  savoir.  Cette 
vérité  est  incontestable  ;  mais  ne  peut-on  pas  dire  que  cette 
aristocratie  se  formera  naturellement,  d'elle-même,  dans 
toute  démocratie  où  le  libre  développement  des  facultés 
humaines  ne  sera  gêné  par  aucune  entrave,  par  aucun 
privilège?  La  supériorité  intellectuelle  se  trace  elle-même 
sa  route,  elle  prend  sa  place  quand  les  institutions  ne  s'y 
opposent  pas;  mais  il  ne  faut  pas  que  ces  institutions  la  lui 
assignent  d'avance  et  créent  un  corps  privilégié  dans  lequel, 
grâce  aux  abus  inséparables  de  toute  hiérarchie  constituée, 
l'intrigue  et  la  spéculation  remplacent  et  excluent  bientôt 
la  vraie  science. 


LE  camtox  de  vaud  ,  sa  vie  et  son  histoire;  par  J.  Ol/h-ier.  —Lau- 
sanne, 1837.  2  vol.  in-8.  là  fr. 

Dans  l'élan  générai!  donné  depuis  quelques  années  aux 
études  historiques,  la  Suisse  n'est  pas  restée  en  arrière.  De 
toute  part  on  s'est  mis  à  compulser  les  vieilles  archives,  à 
fouiller  dans  les  annales  antiques,  et  chaque  canton  a  vu  de 
jeunes  écrivains  pleins  de  zèle  évoquer  les  glorieux  souvenirs 
du  passé  pour  assurer  à  son  pays  la  place  qu'il  mérite  d'oc- 
cuper dans  l'histoire  des  peuples,  si  ce  n'est  dans  celle  des 


HISTOIRE.  191 

empires.  L'ouvrage  de  M.  Ollivier  a  pour  but  de  retracer  les 
destinées  du  pays  de  Vaud  ,  depuis  les  temps  les  plus  anciens 
jusqu'à  nos  jours.  La  grandeur  et  l'importance  de  ce  canton 
riche  et  fertile ,  le  rendent  l'un  des  plus  remarquables  de  la 
Suisse.  Depuis  l'époque  surtout  où  ,  avant  secoué  le  joug  de 
Berne,  il  a  pu  développer  librement  toutes  ses  ressources  dans 
une  existence  indépendante  et  libre,  sa  prospérité  toujours 
croissante  en  a  fait  certainement  l'une  des  plus  heureuses  con- 
trées de  la  terre.  Ses  habita ns,  voués  principalement  à  l'agri- 
culture, se  distinguent  par  la  perfection  de  leur  culture,  par 
leur  industrie  et  leur  patriotisme.  En  parcourant  leurs  belles 
vallées,  le  vovageur  est  sans  cesse  frappé  de  l'aisance  qui  y 
rè^ne,  de  l'activité  et  de  la  gaîté  franche  et  cordiale  qui  les 
animent. 

Sous  ces  divers  rapports  le  travail  entrepris  par  M.  Olli- 
vier pouvait  offrir  un  grand  intérêt.  Il  est  en  effet  curieux  de 
rechercher  l'origine  des  mœurs  et  des  institutions  qui  font 
le  bonheur  d'un  peuple;  rien  n'est  plus  digue  des  médita- 
tions de  l'historien  que  la  vie  de  ces  peuplades  chez  lesquelles 
l'amour  de  la  patrie  ne  s'est  jamais  éteint,  et  qui  au  milieu 
des  bouleversemens  politiques  dont  l'Europe  a  été  tant  de 
fois  témoin  n'ont  jamais  perdu  leur  nationalité. 

Malheureusement  M.  Ollivier  ne  parait  pas  posséder  les 
qualités  qui  font  le  véritable  historien.  C'est  un  poète  qui 
chante  plut-jt  qu'il  ne  raconte.  Son  style  est  toujours  guindé 
sur  le  ton  de  l'épopée  ,  et ,  comme  il  arrive  souvent,  ses  des- 
criptions aux  formes  exagérées  ,  sa  verve  amph atique  ,  ne  ren- 
dent nullement  l'aspect  grandiose  des  majestueuses  beautés 
naturelles  de  la  Suisse.  Elles  ressemblent  à  certains  tableaux 
de  paysages  où  les  couleurs  les  plus  brillantes,  sans  cesse  op- 
posées les  unes  aux  antres,  fatiguent  la  vue,  la  troublent,  et 
n'offrent  bientôt  qu'une  image  confuse  sans  contours  ni  dé- 
tails. Poètes  et  artistes  oublient  trop  facilement  que  la  simpli- 
cité est  le  meilleur  moyen  de  se  rapprocher  de  la  nature , 
dont  les  œuvres  n'ont  besoin  que  d'être  fidèlement  reprodui- 
tes pour  enfanter  les  effets  les  plus  merveilleux,  et  que  les 
embellissemens  dont  ils  prétendent  les  surcharger  ne  servent 
qu'à  les  rapetisser ,  qu'à  changer  leurs  tableaux  en  de  mau- 
vaises caricatures.  Les  voyages  de  de  Saussure  offrent  à  cet 
égard  un  excellent  modèle  que  M.  Ollivier  aurait  bien  fait 
d'étudier.  Mais  l'inspiration  poétique  l'a  emporté,  et  tout  ce 
qu'il  décrit,  il  l'a  vu  au  travers  d'un  voile  nuageux  qui  jette 
sur  son  œuvre  un  certain  vague  mystique  très-fatigant  et  fort 
peu  favorable  surtout  aux  recherches  de  l'histoire. 

C'est  très-fàcheux ,  car  son  livre  décèle  des  travaux  cons- 
ciencieux et  aurait  obtenu  sans  doute  un  véritable  succès, 
si  ce  défaut  ne  fût  venu  en  gâter  tout  le  mérite.  Il  ren- 


192  RELIGION,  PHILOSOPHIE, 

ferme  une  foule  de  détails  curieux  sur  les  usages  du  pays, 
sur  les  mœurs  de  la  montagne  et  de  la  plaine ,  sur  les  fêtes 
et  les  superstitions  populaires;  il  respire  un  patriotisme  cha- 
leureux ;  il  est  fait  pour  exciter  et  entretenir  dans  les  cœurs 
ce  feu  sacré  qui  est  l'âme  des  états  républicains.  Je  repro- 
cherai seulement  à  l'auteur  de  restreindre  un  peu  trop  cet 
amour  de  la  patrie ,  en  lui  assignant  en  quelque  sorte  les 
limites  de  son  canton.  Dès  le  début  de  son  livre,  il  laisse 
percer  une  animosité  peu  raisonnée  contre  un  canton  voisin  ; 
il  traite  Genève  de  ville  impie  ou  du  moins  tout-à-fait  indif- 
férente, parce  que  sans  doute  la  tolérance  y  règne,  et  il 
l'accuse  bien  maladroitement  aussi  d'être  une  ville  plus 
française  que  suisse.  Ces  petites  jalousies  de  localités  qui 
ne  devraient  rivaliser  entr'elles  que  de  dévouement  à  la  pa- 
trie,  sont  bien  misérables.  Long-temps  elles  ont  rongé  le 
corps  de  la  Confédération  helvétique ,  et  plus  d'une  fois  elles 
firent  son  malheur.  Cependant  elles  commençaient  à  s'étein- 
dre ;  le  lien  fédéral  paraissait  avoir  pris  une  vie  nouvelle  dans 
l'oubli  du  passé,  et  l'on  verra  avec  peine  ce  triste  sentiment 
se  faire  jour  encore  dans  l'ouvrage  de  M.  Ollivier.  Sa  plume 
en  traçant  ces  mots  a  sans  doute  obéi  à  un  mouvement  irré- 
fléchi,  à  une  pensée  d'exclusisme  religieux  dont  la  charité 
chrétienne  devait  cependant  déjà  à  elle  seule  réprimer  l'essor, 
et  il  n'aura  pas  songé  que  cette  phrase  suffisait  pour  détruire 
en  quelque  sorte  le  but  de  tout  son  travail.  L'amour  de 
la  patrie  n'a  de  base  solide  que  dans  l'union  de  ses  enfans. 


RELIGION,    PHILOSOPHIE,    MORALE,    EDUCATION, 


LE  CHRISTIANISME  CONSIDERE  DANS  SES  RAPPORTS  AVEC  LA 
civilisation  moderne  ,  par  M.  I'âbbé  A.Sénac,  premier  au- 
mônier du  collège  Rollin.  —  Paris,  1837.  2  vol.  in-8.  15  fr. 

Le  catholicisme,  secouant  la  poussière  de  ses  vieilles  dra- 
peries, veut  se  mettre  à  la  mode.  Il  sent  le  besoin  de  se  ra- 
jeunir, et,  pour  séduire  les  yeux  par  un  extérieur  coquet,  le 
voici  qui  s'affuble  d'une  couverture  jaune,  comme  un  roman 
du  capitaine  Marryat  ou  un  poème  de  Lamartine.  Une  pa- 
reille tentative  lesauvera-t-elle  de  l'indifférence  complète  avec 
laquelle  le  public  le  traite  depuis  long-temps?  Espère-t-il 
échapper  par  là  à  l'oubli  auquel  le  condamnent  les  progrès 
des  lumières  et  de  la  civilisation  ?  Ce  serait  une  prétention 
folle,  si  on  voulait  le  restaurer  tel  qu'il  brillait  jadis  dans  toute 
la  splendeur  de  ses  pompes  et  de  son  pouvoir  temporel  :  on 
ne  fait  pas  rétrograder  l'esprit  humain  à  moins  de  le  replon- 
ger dans  un  état  voisin  de  la  barbarie,  et,  quelques  efforts 


MORALE,  ÉDUCATION.  193 

que  puissent  faire  les  partisans  de  l'orthodoxie  pour  la  con- 
cilier avec  notre  civilisation  moderne,  ils  ne  réussiront  à  rien, 
parce  qu'ils  ne  veulent  pas  accorder  la  moindre  concession 
à  celle-ci,  et  prétendent  courber  les  intelligences  du  xixe  siè- 
cle sous  le  même  joug  qui  pesa  pendant  si  long-temps  sur  la 
superstition  et  l'ignorance  du  moyen-âge. 

M.  l'abbé  Sénac  quitte  l'ornière  orthodoxe  et  cherche  à 
nous  montrer  que  le  christianisme  n'est  ni  dans  l'infaillibi- 
lité du  pape,  ni  dans  ce  système  d'abus  révoltans,  de  taxes 
vénales,  et  de  prétentions  théocratiques  qui  n'a  fait  que  trop 
de  mal  au  monde.  Sous  le  rapport  du  dogme,  il  s'incline  en 
fidèle  croyant  devant  le  mystère  de  la  chute  de  l'homme,  et 
regarde  la  raison  comme  tout-à-fait  impuissante  à  faire  le 
bonheur  de  l'homme,  à  lui  découvrir  la  vérité,  à  ie  diriger  sur 
la  route  du  progrès.  Mais  il  combat  les  systèmes  de  MM.  de 
Bonald,  de  la  Mennais,  de  Maïstre,  ne  reconnaît  d'autorité 
que  dans  les  Conciles,  et  semble  admettre  que  la  religion 
doit  modifier  ses  formes  selon  les  temps,  pour  se  trouver  tou- 
jours eu  harmonie  avec  la  civilisation  de  la  société.  La  cha- 
rité lui  parait  être  aujourd'hui  le  principe  le  plus  fécond  du 
christianisme,  et  il  signale  avec  joie,  comme  une  garantie  de 
l'avenir,  cette  sympathie  générale  qu'éveille  partout  le  sort 
des  classes  ouvrières. 

Sans  doute  ,  l'abbé  Senac  et  son  livre  ne  larderont  pas 
à  être  rangés  au  nombre  des  hérétiques  par  les  cerbères  de 
l'orthodoxie  catholique,  qui  ne  peuvent  souffrir  la  moindre 
déviation  des  enseignemens  que  prescrit  l'Eglise.  Tous  les 
hommes  éclairés  qui  ont  ainsi  tenté  de  raviver  le  catholi- 
cisme, ont  été  traités  de  même  par  ces  orthodoxes  fanatiques 
qui  ne  veulent  pas  souffrir  qu'on  change  ou  qu'on  supprime 
un  seul  des  vieux  oripeaux  de  leur  culte,  et  qui  vont  procla- 
mant que  les  pompes  de  l'Eglise,  ses  taxes  et  sa  fabrique  sont 
la  vraie  poésie  du  christianisme;  que,  sans  elles,  la  religion 
n'offre  plus  que  sécheresse  et  stérilité. 


L'Écolier  ,  ou  Raoul  et  Victor,  par  Mme  Guizot  :  ouvrage  couronné 
par  l'Académie,  comme  le  plus  utile  aux  mœurs.  4e  édition. — Paris, 
chez  Didier,  1837.  2  vol.  in-12  ,  fig.  8  fr. 

Cet  ouvrage  est  l'un  des  plus  beaux  titres  de  gloire  de 
madame  Guizot.  Il  obtint,  dès  sa  première  publication,  un 
succès  très-grand,  et  l'Académie  ne  tarda  pas  à  confirmer  le 
jugement  du  public  en  lui  décernant  un  prix.  Destiné  à  offrir 
une  lecture  à  la  fois  utile  et  intéressante  à  la  jeunesse,  dans 
cette  période  de  transition,  entre  l'enfance  et  l'adolescence, 
où  les  passions  commencent  à  fermenter,  il  présentait  de 
grandes  difficultés  à  vaincre,   et  exigeait,   chez  son  auteur, 


194  RELIGION,  PHILOSOPHIE, 

une  connaissance  profonde  du  cœur  humain,  unie  à  un  tact 
parfait  des  convenances.  Ecrit  principalement  pour  les  éco- 
liers de  collège,  il  devait,  par  l'action  du  drame,  fixer  l'atten- 
tion des  enfans,si  légère,  si  inconstante  à  cet  âge  où  la  lecture 
ne  leur  offre  presque  plus  d'attrait  et  devient  en  quelque  sorte 
pour  eux  une  étude  à  laquelle  ils  ne  consacrent  qu'à  regret 
quelques  instans  de  leurs  loisirs  dérobés  aux  jeux  bruvans, 
actifs,  passionnés,  qui  ont  alors  tant  de  charmes  et  sont  l'objet 
presque  exclusif  de  leur?  vœux  et  de  leurs  pensées.  Il  fallait 
donc,  pour  les  captiver,  unir  l'intérêt  du  roman  aux  leçons  de 
la  morale,  les  ressources  de  l'imagination  à  l'expérience  de  îa 
nature  humaine,  de  ses  pencbans  et  de  ses  faiblesses.  Pour 
atteindre  ce  but,  madame  Guizot  raconte  l'histoire  d'uu  jeune 
garçon  chez  lequel  fermente  cet  esprit  d'indépendance  qui 
se  développe  avec  tant  de  force  au  milieu  de  la  vie  des  col- 
lèges. Dans  ces  gymnases  où  les  enfans  sont  trop  souvent 
abandonnés  à  eux-mêmes,  séquestrés  loin  de  leurs  païens 
dont  l'affection  peut  seule  tempérer  ce  qu'a  de  trop  dur  et  de 
trop  sévère  l'autorité  du  maître,  on  voit  bientôt  surgir  l'envie 
de  briser  ces  chaînes  qui  paraissent  insupportables.  Raoul, 
dont  le  caractère  est  peint  de  main  de  maître,  trouve  le 
moyen  de  se  soustraire  à  toute  contrainte.  Il  fuit  à  la  fois  le 
collège  et  la  maison  paternelle,  il  se  lance  dans  immonde 
inconnu  avec  toute  la  folle  inexpérience  d'un  enfant  de  14 
ans.  Il  ne  tarde  pas  à  payer  bien  cher  cette  faute.  Sa  fierté 
naturelle,  qui  n'avait  pu  se  résoudre  à  plier  devant  un  père, 
est  sans  cesse  humiliée, heurtée,  froissée  par  de  bien  plus  rudes 
atteintes.  Il  acquiert  à  ses  dépens  une  cruelle  expérience  de 
la  vie,  et  c'est  par  des  épreuves  nombreuses  qu'il  est  amené 
à  reconnaître  combien  l'obéissance  est  une  qualité  indispen- 
sable à  la  jeunesse,  combien  l'état  de  dépendance  qu'elle 
supporte  impatiemment  lui  est  nécessaire,  et  combien,  à 
tout  âge,  il  est  bon  de  se  persuader  que  la  vraie  liberté  con- 
siste à  ne  vouloir  que  ce  qu'on  peut. 

L'intérêt  le  plus  vif  s'attache  à  tous  les  incidens  de  cette 
malheureuse  escapade,  et  la  pensée  morale  de  l'auteur  s'y 
développe  d'une  manière  fort  complète.  Mais  il  est  à  crain- 
dre que  ses  jeunes  lecteurs  s'intéressent  davantage  aux  aven- 
tures de  son  petit  héros  ,  qu'aux  résultats  moraux  qu'elles 
sont  destinées  à  amener.  Ce  reproche  a  déjà  été  adressé  à 
cet  ouvrage,  et  il  me  paraît  assez  fondé;  il  me  semble  même 
me  rappeler,  qu'étant  encore  enfant  lorsque  je  le  lus  pour  la 
première  fois,  le  sentiment  qu'il  excita  surtout  en  moi  fut 
justement  le  désir  de  jouir  de  cette  indépendance  qui  coûta 
tant  de  regrets  à  Raoul,  et  que  j'enviai  plus  d'une  fois  la  po- 
sition que  lui  avaient  faite  les  circonstances  qui  le  jetèrent 
ainsi  loin  des  barrières  de  la  maison  paternelle,  à  un  âge  où 


MORALE,  ÉDUCATION.  195 

tout  aliment  paraît  bon  à  cette  activité  dévorante,  qui  com- 
mence à  se  développer  avec  tant  d'énergie  dans  le  caractère 
de  l'homme.  J'ajouterai  que  madame  Guizot  a  peut-être  eu 
encore  un  autre  tort  en  donnant  au  père  de  Raoul  une  sévé- 
rité toute  militaire,  bien  faite  pour  pousser  à  bout  le  jeune 
étourdi,  et  pour  excuser  sa  faute  aux  yeux  du  lecteur,  en- 
chanté de  trouver  un  prétexte  à  sa  sympathie. 

Ces  deux  inconvéniens,  que  l'auteur  n'a  pas  su  éviter, 
viennent  du  reste,  je  crois,  de  l'état  actuel  de  la  société  fran- 
çaise. Ils  sont  inhérens  au  système  d'éducation  généralement 
adopté,  qui  sépare  les  enfans  de  leurs  païens  en  quelque 
sorte  dès  qu'ils  sont  nés,  et  ne  sait  pas  les  faire  jouir  des  bien- 
faits de  l'instruction  publique,  sans  les  priver  de  ceux  encore 
plus  précieux  de  l'éducation  de  famille.  Uccn/irr  se  trouve 
donc  offrir  la  critique  la  plus  forte  et  laplus  juste  qu'on  puisse 
faire  de  ce  faux  système.  Je  conseille  aux  parens  d'en  faire 
la  lecture  avec  leurs  enfans  ;  car  ils  pourront  ainsi,  non-seu- 
lement les  guider  dans  la  manière  de  le  comprendre  et  d'en 
retirer  quelque  profit,  mais  encore  y  puiser  eux-mêmes  d'ex- 
cellentes leçons  sur  les  moyens  les  plus  convenables  d'accom- 
plir dignement  l'œuvre  la  plus  importante  de  leur  vie,  l'édu- 
cation d'un  fils  qui,  bien  dirigé,  deviendra  un  jour  i\n  citoyen 
utile  à  sa  patrie,  quels  que  soient  la  vocation  qu'il  embrasse 
ou  les  taiens  dont,  la  nature  l'a  doué,  et  qui,  abandonné  aux 
circonstances  avec  cette  indifférence  coupable  qu'on  ne  ren- 
contre que  trop  souvent  dans  le  monde,  ne  saurait,  malgré 
les  facultés  les  plus  supérieures,  que  faire  honte,  dans  l'avenir, 
à  son  pays,  à  sa  famille  ou  à  lui-même,  ou  du  moins  ne  trou- 
ver au  fond  de  tous  les  succès  qui  pourront  venir  flatter  son 
ambition,  que  déception,  ennui,  dégoût  et  malheur. 


LEGISLATION,    ECONOMIE   POLITIQUE,   COMMERCE. 


LA  OUESTION  D'ALGER,  politique,  colonisation,  commerce  ;  par  A. 
Desjobert ,  député  de  la  Seine-Inférieure. — Paris,  chez  Dufart,  1837. 
In-8.  6  fr. 

Jamais  conquête  ne  fut  plus  embarrassante  que  celle  d'Al- 
ger. Depuis  que  le  drapeau  français  flotte  sur  la~Casauba, 
chaque  année  a  vu  se  reproduire  ces  questions  :  Que  fera-t- 
on d'Alger?  Colonisera-t-on,  ou  ne  colonisera-t-on  pas?  Pous- 
sera-t-on  la  conquête  plus  loin,  ou  se  bornera-t-on  à  garder 
le  littoral?  Et  tandis  qu'on  discutait  sans  fin  sur  ce  qu'il  y 
avait  à  faire,  la  conquête  devenait  chaque  jour  plus  lourde 
à  la  France.  Non-seulement  quelques  millions  de  plus  ve- 
naient grever  le  budget,  mais  encore  des  milliers  de  soldats 


196  LEGISLATION, 

étaient  inutilement  sacrifiés  dans  des  combats  sans  issue, 
dans  des  expéditions  sans  résultat.  Enfin  le  désastre  de  Con- 
stantine  a  couronné  l'œuvre,  en  donnant  une  cruelle  leçon 
aux  administrateurs  qui  s'imaginent  que  c'est  avec  le  fer  et 
le  feu  qu'on  parvient  à  coloniser  une  contrée  et  à  lui  faire 
accepter  une  civilisation  étrangère  à  ses  mœurs,  à  sa  religion, 
à  ses  intérêts.  Aujourd'hui  se  représente,  d'une  manière  plus 
pressante  encore,  cette  question  jusqu'ici  insoluble  :  Que  fe- 
ra-t-on  d'Alger? 

M.  Desjobert  a  essayé  de  la  résoudre,  et  le  plan  qu'il  pro- 
pose nous  paraît  neuf  et  digne  d'être  examiné. 

Après  avoir  passé  en  revue  toutes  les  fautes  commises,  tous 
les  revers  éprouvés,  il  signale  les  obstacles  qui  s'opposent  à  la 
colonisation  dont  il  combat  tour-à-tour  les  divers  systèmes. 
Puis,  en  jetant  un  regard  en  arrière  sur  l'état  du  pays  sous  la 
domination  turque,  il  se  demande  comment  il  se  fait  que  ce 
pouvoir  qu'on  dit  si  détestable,  ait  pu  durer  300  ans,  appuyé 
seulement  par  une  milice  de  800  soldats  et  environ  5  millions 
de  francs ,  tandis  que  depuis  la  conquête  la  France  emploie 
30,000  hommes,  dépense  quarante  millions,  et  n'a  pu  par- 
venir qu'à  rendre  le  pays  beaucoup  plus  malheureux?  C'est 
qu'd  n'avait  pas  la  folle  prétention  de  coloniser,  c'est  qu'il  ne 
cherchait  pas  à  dénationaliser,  et  savait  habilement  respecter 
la  propriété  arabe.  M.  Desjobert  voudrait  que  la  France  imi- 
tât les  Turcs  sous  ce  rapport,  et  allât  même  bien  plus  loinr 
en  aidant  Abd-el-Rader  à  reconstituer  la  puissance  arabe,  et 
en  se  contentant  de  conserver  la  possession  paisible  de  trois 
points  importans  sur  la  côte  d'Afrique,  qui,  en  cas  de  guerre 
maritime,  pourraient  être  utiles  aux  flottes  françaises.  L'Al- 
gérie, sous  la  domination  d'un  chef  arabe,  doué  de  hautes 
qualités  et  imbu  de  ces  idées  de  civilisation  qui  se  sont  déjà 
fait  jour  en  Orient  par  la  Turquie,  et  surtout  par  l'Egypte, 
sera  une  alliée  plus  utile  et  plus  glorieuse  pour  la  France 
qu'elle  ne  saurait  jamais  l'être,  réduite  à  l'état  de  colonie  ou 
de  province  française.  Le  pays  y  trouverait  d'ailleurs  une 
grande  économie,  et  le  commerce  des  avantages  aussi  grands. 
Encourager  ainsi  la  régénération  d'un  peuple  et  favoriser  ses 
progrès  en  lui  permettant  de  se  développer  lui-même  dans 
ses  propres  voies,  serait  certainement  une  mission  plus  noble 
et  plus  civilisatrice  que  la  guerre  d'extermination,  essayée 
jusqu'ici  d'une  manière  si  malheureuse. 

On  pourra  se  convaincre  de  l'impossibilité  de  la  colonisa- 
tion, en  lisant  la  lettre  adressée  à  ce  sujet  par  M.  Huber- 
Saladin  au  directoire  fédéral  et  insérée  dans  la  bibliothèque 
de  Genève.  Elle  renferme  une  foule  de  faits  et  de  renseigne- 
mens  puisés  sur  les  lieux  mêmes  par  l'auteur,  qui  visita 
l'Algérie  dans  le  dessein  de  s'assurer  si  les  émigrans  suisses  y 


ÉCONOMIE  POLITIQUE,  ETC.  19? 

trouveraient  des  établissemens  avantageux  à  former.  On  verra 
que  son  opinion  à  cet  égard  est  tont-à-fait  conforme  à  celle  de 
M.  Desjobert,  et  cette  autorité  a  d'autant  plus  de  poids,  que 
M.  Huber-Saladin  est  totalement  désintéressé  dans  la  ques- 
tion. 


PROGRÈS  de  la  Grande-Bretagne  ,  sous  le  rapport  de  la  population  et 
delà  production;  traduit  de  l'Anglais  de  M.  J. -R. Porter ,  et  accom- 
pagné de  notes  et  tableaux  présentant  les  progrès  comparés  pour 
la  France,  par  Ph.  Chemin-Dupontès;  précédé  d'une  préface  par 
M.  Michel  Chevalier.  —Paris ,  1837,  in-8.  8  fr. 

Ce  volume  offre  des  détails  et  des  documens  statistiques 
fort  curieux  et  intéressans,  quoiqu'on  ne  puisse  s'empêcher 
de  regretter  que  l'auteur  n'ait  pas  étendu  davantage  son  tra- 
vail, et  ne  l'ait  pas  rendu  complet  en  entrant  dans  tous  les 
développemens  dont  il  était  susceptible. 

La  marche  de  l'industrie  et  ses  rapports  avec  celle  de  la 
population  sont  aujourd'hui  les  sujets  qui  occupent  le  plus 
l'attention  des  philosophes  et  des  puhlicistes.  Les  progrès 
immenses  et  rapides  faits  dans  nos  temps  modernes  par  l'in- 
telligence humaine  appliquée  à  la  recherche  du  bien-être 
matériel  et  de  l'aisance,  ces  élémens  indispensables  de  la 
prospérité  nationale,  sont  les  causes  qui  ont  sans  doute  le 
plus  contribué  à  changer  la  nature  des  relations  sociales,  et  à 
rendre  nécessaire  aussi  de  changer  les  lois  qui  président  à 
ces  relations.  La  statistique  a  pris  ainsi  rang  au  nombre  des 
sciences  qui  peuvent  exercer  la  plus  grande  influence  sur 
le  bonheur  de  l'humanité,  et  grâce  aux  efforts  de  nombreux 
écrivains  qui  s'occupent  d'aider  à  ses  recherches,  on  peut  es- 
pérer qu'elle  parviendra  à  dresser  l'inventaire  exact  et  com- 
plet de  la  situation  de  la  société  dans  les  divers  états  euro- 
péens; mais  ses  progrès  sont  lents,  et  pour  arriver  à  formuler 
les  lois  sur  lesquelles  repose  le  développement  de  l'humanité, 
il  faut,  pouvoir  en  embrasser  tout  l'ensemble;  des  résultats 
partiels,  des  documens  particuliers,  ne  peuvent  fournir  en- 
core que  des  données  obscures,  sur  lesquelles  on  ne  saurait 
rien  fonder  sans  s'exposer  à  commettre  d'étranges  erreurs.  Il 
faut  arriver  à  faire  de  la  statistique  comparée,  de  pays  à  pays; 
ruais  pour  cela  on  doit  attendre  que  les  documens  se  trouvent 
amassés  en  nombre  assez  considérable  pour  fournir  des  points 
certains  de  comparaison.  M.  Chemin-Dupontès  a  tenté  un 
essai  de  ce  genre  en  ajoutant  à  la  traduction  de  l'ouvrage  de 
M.  Porter,  des  notes  et  des  tableaux  qui  présentent  les  pro- 
grès comparés  de  la  France.  On  trouvera  certainement  beau- 
coup d'intérêt  dans  cet  essai,  mais  la  statistique  française  est 
encore  trop  arriérée  et  trop  peu  riche  en  documens,  pour 
qu'il  ait  pu  être  ce  qu'on  voudrait  qu'il  fût,  entre  deux  con- 


198  LEGISLATION, 

trées  telles  que  la  France  et  l'Angleterre.  Un  tableau  bien 
complet  de  toutes  les  forces  industrielles,  de  leur  développe- 
ment et  de  leurs  résultats,  ainsi  que  du  mouvement  de  la 
population  dans  ces  deux  royaumes,  offrirait  certainement  le 
spectacle  le  plus  beau  et  le  plus  fécond  pour  la  science  du 
gouvernement,  de  la  législation  et  de  l'économie  politique; 
mais  il  faudrait  pour  le  dresser,  pouvoir  s'appuyer  sur  des 
travaux  antérieurs  dont  l'exactitude  ne  pût  être  sujette  à 
discussion.  Or  c'est  justement  ce  qui  manque  encore,  surtout 
pour  la  France. 

SOUVENIRS  DES  TRAVAUX  m'  simplos,  par  M.  Céard ,  ancien  pro- 
cureur-général à  Genève,  flls  de  feu  N.  Céard,  ingénieur,  sous  la  con- 
duite duquel  ont  été  exécutés  ces  travaux. —  Genève  et  Paris,  chez 
Ab.  Cherbuliez  [et  Ce ,  1837.  1  vol.  in-fol.  orné  de  .8  vues  lithogra- 
phiées  avec  le  plus  grand  soin  et  de  divers  plans  et  cartes.  Prix,  36  fi\ 
sur  papier  de  Chine,  46  fr. 

Cet  ouvrage  est  un  beau  monument  élevé  par  un  fils  à  la 
mémoire  de  son  père.  M.  N.  Céard  était  ingénieur  des  Ponts- 
et-Chaussées ,  inspecteur  divisionnaire  ,  et  ce  fut  lui  qui 
dirigea  tous  les  principaux  travaux  de  cette  admirable  route, 
percée  au  travers  des  rochers  du  Simplon.  De  tant  d'éclat 
jeté  par  )e  règne  brillant  de  Napoléon,  de  tant  d'efforts  que 
la  France  a  payés  si  cher,  ce  sont  les  Alpes  qui  ont  retiré  le 
meilleur  profit.  Grâce  à  cette  volonté  de  fer  qui  n'admettait 
ni  obstacles  ni  délais,  le  passage  du  Simplon,  jusqu'alors 
dangereux  même  pour  le  simple  piéton,  fut  en  peu  d'années 
métamorphosé  en  une  grande  route  que  les  avalanches  et 
les  glaces  peuvent  bien  quelquefois  encore  encombrer,  mais 
qui  presqu'en  toute  saison  est  praticable  pour  les  voitures  les 
plus  chargées.  , 

Les  talens  et  l'intelligence  des  ingénieurs  contribuèrent 
puissamment  à  acevnplir  la  pensée  de  l'Empereur  ;  et  cette 
fois  du  moins  ses  vues  militaires  se  trouvèrent  d'accord  avec 
l'utilité.  Le  chemin  ouvert  aux  armées  sert  aujourd'hui  à 
multiplier  les  relations  commerciales  entre  la  France  et 
l'Italie;  l'avenir  en  recueillera  sans  doute  de  plus  bienfai- 
sans  résultats  encore. 

M.  Céard  donne  tous  les  détails  des  plans  de  constructions 
et  des  correspondances  qui  eurent  lieu  à  ce  sujet,  entre  les 
ministres  de  la  guerre  et  de  l'intérieur,  ainsi  que  le  directeur- 
général  des  ponts-et-chaussées  et  les  ingénieurs  chargés  de 
l'exécution.  On  y  voit  que  dans  ces  travaux  une  belle  part 
de  gloire  revient  à  son  père  ,  dont  l'active  persévérance 
sut  vaincre  à  la  fois  tous  les  obstacles  de  la  nature  et  les 
lenteurs  de  l'administration.  Quant  à  la  partie  pittoresque, 
au  lieu  de  descriptions  qui ,  quelque  poétiques  qu'elles  puis- 
sent être,  rendent  en  général  la  vérité  des  sites  d'une  ma- 


SCIENCES  ET  ARTS.  199 

nière  fort  peu  satisfaisante  ,  ce  livre  nous  offre  une  suite  de 
dessins  dus  au  crayon  d'un  jeune  el  habile  artiste,  M.  Hostein, 
et  lithographies  par  Engelinann.  Les  vues  dessinées  d'après 
nature  tout  exprès  pour  cet  ouvrage ,  ont  été  choisies  avec 
goût  et  sagacité  dans  les  passages  de  la  route  qui  réunis- 
saient à  la  fois  l'aspect  le  plus  séduisant  et  les  particularités 
de  construction  les  plus  remarquables.  Malgré  les  nom- 
breuses vues  du  Simplon  qu'on  a  déjà  publiées,  celles  de 
M.  Hostein  offriront  certainement  un  attrait  de  nouveauté, 
car  elles  rendent  mieux  qu'on  ne  l'avait  fait  jusqu'ici,  la 
nature  si  sauvage  et  si  majestueuse  des  Hautes-Alpes. 


SCIENCES     ET    ARTS. 


FXEMENS  DE  PHYSIQUE  ,  par   C.  C.  Person.  2e  partie.— Paris,  chez 
Germer-Baillère.  1837.  In-8,  fig. 

Nous  avons  annoncé,  dans  le  courant  de  l'année  dernière, 
le  premier  volume  de  cet  ouvrage.  Le  second,  qui  paraît  au- 
jourd'hui, traite  de  la  chaleur  dans  tous  les  phénomènes  dont 
elle  est  la  cause  ,  dans  toutes  les  modifications  qu'elle  fait 
subir  aux  divers  corps ,  dans  tous  les  résultats  qu'elle  pro- 
duit. Il  renferme  le  Gme  livre  divisé  en  10  chapitres,  dont 
voici  la  table  :  1°  Températures,  mesure  des  températures  , 
températures  remarquables. 

2°  Changemens  de  volume;  mesures  des  dilatations ,  usages 
des  tables  qu'on  a  construites  dans  ce  but. 

3°  Changemens  d'état  ;  fusion  et  solidification  ,  formation  et 
liquéfaction  des  vapeurs. 

4°  Force  des  vapeurs  ;  mesure  de  la  force  des  vapeurs ,  phé- 
nomène de  l'ébullition  ,  machines  à  vapeur. 

5°  Vapeurs  considérées  dans  l'air  ;  phénomène  de  l'évapo- 
ration,  hygrométrie;  météores  aqueux. 

6°  Chaleur  spécifique;  des  solides  et  des  liquides  ,  des  gaz 
et  des  vapeurs. 

7°  Chaleur  latente;  chaleur  absorbée  par  la  dilatation  et 
dégagée  par  la  compression  ;  chaleur  absorbée  par  la  fusion 
et  dégagée  par  la  solidification  ;  chaleur  dégagée  par  la  liqué- 
faction et  absorbée  par  la  vaporisation. 

8°  Propagation  de  la  chaleur;  conductibilité,  rayonnement 
de  la  chaleur. 

9°  Echauffement  et  refroidissement;  leur  marche  générale; 
influence  de  la  chaleur  spécifique  et  de  la  chaleur  latente; 
influence  de  la  conductibilité;  pouvoirs  absorbans ,  rayon- 
nans ,  refléchissans  et  diatïiénniques  ;  echauffement  annuel 
et  journalier;  lois  de  Dulong  et  Petit. 


500  SCIENCES  ET  ARTS. 

10°  Production  et  nature  de  la  chaleur,  chaleur  produite  pat' 
la  combustion  ;  sources  de  la  chaleur  ;  théorie  de  la  chaleur 
d'après  les  idées  de  M.  Ampère. 


RECHERCHES  HISTORIQEES    ET    CHIMIQUES   SUR    LE   CACAO    et    ses 

diverses  préparations;  par  E.  Delcher. —  Paris,  1837.  1  vol.  ln-8. 
fig.  5  fr. 

Ce  volume  renferme  la  description  botanique  du  cacao, 
son  histoire  ,  sa  culture  ,  sa  récolte  ,  des  détails  sur  le  com- 
merce considérable  qui  s'en  fait ,  sur  les  caractères  auxquels 
on  reconnaît  les  meilleures  qualités  ,  enfin  un  traité  bien 
complet  sur  les  diverses  préparations  qu'on  lui  fait  subir,  et 
en  particulier  sur  la  fabrication  du  chocolat.  L'auteur  signale 
tous  les  abus  qui  se  glissent  dans  cette  fabrication  pour  cher- 
cher à  produire  du  chocolat  à  très  bon  marché.  Ici,  comme 
dans  tous  les  comestibles  ,  la  fraude  est  d'autant  plus  cou- 
pable qu'elle  compromet  la  santé  publique  ,  en  employant 
des  ingrédiens  dont  l'usage  peut  être  plus  ou  moins  dange- 
reux. M.  Delcher  s'est  livré  à  des  analyses  chimiques  sur 
le  cacao  et  ses  divers  produits  dont  il  donne  les  résultats, 
et  qui  pourront  servir  soit  à  dévoiler  les  falsificateurs,  soit  à 
éclaircir  la  question  de  savoir  si  l'emploi  journalier  du  choco- 
lat a  quelque  influence  nuisible  ou  avantageuse  sur  le  tempé- 
rament des  personnes  qui  en  font  leur  nourriture  habituelle. 

L'usage  du  chocolat  nous  vient  d'Amérique  ;  les  Espagnols 
l'apportèrent  du  Mexique  ,  où  depuis  des  temps  fort  recu- 
lés il  faisait  la  boisson  favorite  des  habitans.  On  l'accueillit 
avec  faveur  en  Europe,  d'abord  comme  remède  merveilleux, 
ensuite,  lorsque  l'addition  du  sucre  et  quelques  perfection- 
nemens  apportés  à  sa  fabrication  l'eurent  rendu  plus  agréa- 
ble ,  comme  un  aliment  délicieux  auquel  on  attribuait  d'ad- 
mirables propriétés.  De  même  que  le  café,  il  jouit  d'une  vo- 
gue prodigieuse  ,  suivie  également  d'une  réaction  violente. 
Après  l'avoir  loué  comme  une  panacée  universelle  ,  on  le 
maudit,  et  tous  les  maux  de  l'humanité  lui  furent  attribués 
l'un  après  l'autre.  Au  milieu  de  cettp  discussion  qui  dure  en- 
core aujourd'hui,  quoique  moins  violente,  le  chocolat  comme 
le  café  s'est  naturalisé  en  Europe ,  le  nombre  de  ses  ama- 
teurs a  toujours  été  en  augmentant  ,  et  les  tables  de  morta- 
lité ,  dont  les  sentences  en  dernier  ressort  sur  toutes  les 
questions  d'hygiène  publique  ne  sauraient  être  suspectes  ni 
de  passion,  ni  d'injustice,  nous  prouvent  que  la  vie  moyenne 
de  l'homme  n'a  pas  diminué,  depuis  l'introduction  de  ces 
comestibles  nouveaux  en  Europe. 

DE    t'iMPKIMCRIt   CE     EEAU,   »SAl.NT-CEnMAIN-lN-L»TE. 


Bulletin  littéraire 

ET  SCIENTIFIQUE. 

5*  eLu*U.  — #gA^  7.  —  fiJLu  1837. 


LITTERATURE,    HISTOIRE. 


PLAN  D'UNE  BIBLIOTHÈQUE  UNIVERSELLE  ,  études  des  livres  qui 
peuvent  servir  à  l'histoire  philosophique  et  littéraire  du  genre  hu- 
main ;  suivi  du  catalogue  des  chefs-d'œuvre  de  toutes  les  langues  et 
des  ouvrages  originaux  de  tous  les  peuples  ;  par  L.  Aimé-Martin.  — 
Paris,  1837.  1  vol.  in-8.  7  fr.  50  c. 

Ce  volume  renferme  un  brillant  inventaire  des  richesses 
littéraires  et  scientifiques  de  l'esprit  humain.  C'est  de  la  bi- 
bliographie bien  différente  de  celle  que  l'on  fait  en  général. 
L'esprit  philosophique  le  plus  noble  et  le  plus  large  est  venu 
animer  de  son  souffle  de  vie  ces  nomenclatures  d'ordinaire 
si  arides  et  si  sèches.  Toutes  les  ressources  d'un  style  riche- 
ment coloré  sont  employées  à  décrire,  à  analyser  non  les 
titres  seulement  des  livres,  mais  leur  contenu;  et  les  chefs- 
d'œuvre  de  la  pensée  sont  exposés  ,  jugés  ,  comparés  entre 
eux  dans  une  suite  d'aperçus  brillans ,  auxquels  on  n'a- 
dressera qu'un  seul  reproche ,  celui  d'être  trop  courts.  La 
plupart  des  chapitres  demanderaient  à  être  développés,  et, 
dans  cette  revue  rapide,  M.  Aimé  Martin  a  posé  les  bases 
d'une  histoire  de  l'esprit  humain,  considéré  dans  ses  mani- 
festations les  plus  hautes  et  les  plus  durables,  histoire  qu'on 
désirera  vivement  lui  voir  un  jour  écrire  d'une  manière  plus 
complète.  Le  plan  d'une  bibliothèque  universelle  doit  servir 
d'introduction  au  Panthéon  littéraire,  il  est  donc  destiné  à  of- 
frir le  tableau  des  ouvrages  qui  feront  partie  de  cette  grande 
collection.  Sans  nous  arrêter  à  examiner  si  l'esprit  mercantile 
ne  menace  point  de  fausser  la  direction  d'une  pareille  en- 
treprise, nous  reconnaîtrons,  avec  M.  Aimé-Martin,  combien 
est  grande  et  féconde  l'idée  de  rassembler  en  un  seul  fais- 
ceau toutes  les  lumières  que  la  longue  suite  des  siècles  passés 
a  vues  briller  dans  toutes  les  contrées  de  la  terre.  Populariser 
les  chefs-d'œuvre  du  génie  est  un  des  plus  puissans  moyens 
de  civilisation.  Il  peut  rendre  surtout  de  grands  services  à  la 
France,  où  l'instruction ,  restée  en  arrière  du  mouvement 
politique,  n'est  plus  du  tout  en  rapport  aujourd'hui  avec  les 

iS 


262  LITTÉRATURE, 

institutions.  Ce  contraste  fâcheux  est  la  cause  principale  du 
malaise  social ,  c'est  lui  qui  entrave  la  marche  de  toutes  les 
améliorations  et  qui  menace  de  replonger  la  société  dans  de 
nouveaux  désastres,  si  l'on  n'apporte  au  mal  un  remède  plus 
efficace  que  la  démagogie  grecque  eWomaine  des  collèges, 
ou  l'éducation  dévote  et  ascétique  des  écoles  chrétiennes. 
Puisque  la  loi  donne  au  peuple  une  paît  dans  le  gouverne- 
ment, ne  faut-il  pas  alors  qu'on  le  prépare  à  s'en  rendre 
digne  et  capable  par  une  instruction  forte ,  solide  et  bien 
complète  ?  Les  livres  seront  ses  maîtres,  et ,  pour  lui  former 
une  bibliothèque  vraiment  encyclopédique,  il  faut  «  tirer , 
»  parmi  des  millions  de  volumes  écrits  sur  tous  les  sujets,  à 
«  toutes  les  époques  et  dans  toutes  les  langues  ,  le  petit  nom- 
»  bre  d'ouvrages  qui  ont  reçu  la  sanction  du  génie  et  du 
»  temps.  y> 

La  violente  polémique  de  Voltaire  et  de  quelques  autres 
philosophes  du  xvme  siècle  a  combattu  avec  succès  la  su- 
perstition et  le  despotisme  théologiques.  Mais  trop  souvent 
l'autel  a  été  renversé  avec  le  prêtre,  et,  aveuglés  par  la  pas- 
sion, ces  écrivains  ont  remplacé  les  erreurs  qu'ils  attaquaient 
par  d'autres  erreurs  non  moins  dangereuses.  Pour  tenir 
l'homme  en  garde  contre  tous  les  préjugés  qu'enfantent  des 
doctrines  exclusives  et  systématiques,  contre  toutes  les  exa- 
gérations de  la  foi  et  de  l'autorité,  rien  ne  saurait  être  plus 
efficace  que  de  lui  présenter  les  livres  sacrés  de  tous  les 
peuples,  de  lui  montrer  chacun  regardant  sa  croyance  comme 
la  seule  vraie,  et  de  lui  faire  reconnaître  au  fond  de  tous  ces 
cultes,  plus  ou  moins  entachés  de  superstition ,  l'existence 
de  ce  sentiment  religieux  inné  au  cœur  humain,  qui  est  la 
source  de  toutes  les  vertus,  et  qui  fonde  la  morale  sur  les 
vues  manifestes  duCréateur.  Ainsi  la  bibliothèque  universelle 
renfermera  d'abord  la  Bible ,  avec  les  écrits  des  pères  de  l'E- 
glise, les  livres  sacrés  des  Chinois,  ceux  de  la  Perse,  les  Vedas 
de  l'Inde,  le  Coran. 

La  jurisprudence  n'y  tiendra  pas  une  bien  grande  place, 
car  la  législation  ancienne  n'offre  le  plus  souvent  qu'un  dé- 
dale de  lois  contradictoires  et  barbares;  et  nos  temps  mo- 
dernes n'ont  eux-mêmes  fait  que  bien  peu  de  véritables  pro- 
grès sous  ce  rapport. 

■<  Tant  que  les  lois  déshonoreront  en  punissant, tant  qu'elles 
fermeront  la  porte  au  repentir,  nous  serons  hors  de  l'Evan- 
gile et  de  la  nature.  Tant  que  les  lois  prononceront  la  peine 
de  mort;  en  d'autres  termes,  tant  qu'elles  ôteront  ce  qu'elles 
ne  peuvent  rendre,  nous  serons  hors  du  droit  et  de  l'huma- 
nité. 

»  Ce  dernier  fait  mérite  toute  l'attention  du   législateur 


HISTOIRE.  203 

»  Que  l'homme  à  demi  sauvage  tue  son  semblable,  ce  nirm» 
appartient  à  l'animal.  Mais  voyez  ce  qui  arrive  à  mesure  que 
l'âme  se  développe  :  nous  passons  de  la  cruauté  à  la  pitié,  de 
la  pitié  à  l'humanité,  et  de  l'humanité  au  doute.  C'est  le  mo- 
ment de  la  lutte.  L'homme  s'arrête,  s'interroge,  se  fait  juge 
du  meurtre  que  la  loi  couvre  de  son  égide.  Le  doute  lui  est 
apparu  comme  une  lumière;  et  l'action  de  tuer^  qui  tout-à- 
l'heure  lui  semblait  acte  de  justice,  maintenant  se  termine 
par  une  question  sur  le  droit  de  tuer.  Quelle  route  immense 
parcourue  par  la  conscience,  et  quel  progrès  sur  cette  route  ! 
L'âme  humaine  est  une  flamme  qui  dévore  toutes  les  erreurs  ! 
Je  ne  crois  pas  que  jamais  le  tigre  se  soit  enquis  du  droit  de 
déchirer  ses  victimes  ! 

»>  Pour  la  débattre,  cette  question,  il  faut  descendre  dans  la 
fange,  et  de  là  sur  la  dernière  marche  où  l'homme  a  faim  et 
où  il  apparaît  avec  sa  seule  intelligence  animale,  couvert  de 
baillons  et  la  main  armée  par  le  désespoir.  Il  a  tué,  et  vous 
voulez  le  tuer;  la  réaction  nous  semble  plus  forte  que  l'ac- 
tion. Vous  savez  ce  que  vous  faites  en  punissant  le  criminel  ; 
mais  lui  savait-il  bien  ce  qu'il  faisait  en  commettant  le  crime  ? 
Et  quand  donc  lui  avez-vous  enseigné  l'énormité  du  mal  ? 
quel  soin  avez-vous  prîs  de  son  enfance  ?  quelle  instruction 
avez-vous  donnée  à  son  âme?  avez-vous  songé  seulement  qu'il 
avait  une  âme?  Vous  le  tuez  parce  que  vous  l'avez  oublié; 
vous  le  tuez  parce  qu'il  est  né  dans  la  bassesse.  Tous  ses  dé- 
réglemens  viennent  de  son  ignorance  et  de  celle  de  sa  mère. 
Si  vous  l'aviez  instruite,  sa  mère, elle  l'aurait  éclairé.  De  quoi 
donc  venez-vous  lui  demander  compte ,  à  lui  qui  n'a  rien 
reçu,  à  lui  qui  n'a  jamais  possédé  une  seule  parcelle  de  cette 
science  qui  est  la  vie  de  l'âme,  de  ces  richesses  qui  sont  la  vie 
du  corps,  et  dont  vous,  qui  les  ^ugez,  êtes  les  heureux  déten- 
teurs ?  >• 

Quelques  ouvrages  sur  le  droit  de  la  nature  et  des  gens , 
quelques  traités  généraux  sur  les  lois,  voilà  tout  ce  qui  mé- 
rite d'être  conservé  parmi  ces  innombrables  volumes  de  chi- 
canes ,  de  commentaires,  de  discussions  puériles  qui  sont  à 
la  vraie  science  du  droit  ce  que  la  théologie  scolastique  est 
à  la  religion. 

La  philosophie  n'a  sans  doute  pas  été  non  plus  exempte  de 
ces  disputes  oiseuses  que  l'amour-propre  de  l'homme  enfante 
partout  ;  mais  du  moins  le  sujet  dont  elle  s'occupait  étant 
plus  élevé,  on  y  trouve  à  faire  une  plus  ample  moisson  de 
bons  grains.  Il  est  d'ailleurs  nécessaire  de  mettre  en  présence 
tous  ces  divers  systèmes,  dont  la  comparaison  est  féconde  en 
résultats  et  peut  seule  conduire  sur  le  chemin  de  la  vérité. 
Toutes  les  écoles  seront  donc  représentées  dans  le  Panthéon 


204  LITTÉRATURE, 

Littéraire,  qui  rassemblera  ainsi  les  écrits  des  philosophes 
grecs  et  latins,  à  côté  de  ceux  plus  modernes  des  philosophes 
français,  anglais,  allemands. 

La  république  de  Platon,  celle  de  Cicéron ,  la  politique 
d'Aristote,  les  écrits  de  Machiavel,  de  Hobbes,  de  J.-J.  Rous- 
seau, de  Filangïeri,  etc.  etc.,  formeront  la  partie  politique 
de  cette  collection.  On  sera  surpris  sans  doute,  et  avec  raison, 
de  ne  point  voir  figurer  dans  cette  catégorie  ni  dans  les  deux 
précédentes  le  nom  de  Benlham,  ce  grand  publieiste  anglais, 
dont  les  théories,  quelque  opposition  qu'elles  aient  soulevée 
par  leur  hardiesse,  par  leur  polémique  âpre  et  souvent  in- 
juste, sont  pourtant  destinées  à  exercer  une  grande  influence 
sur  l'avenir.  C'est  un  oubli  que  nous  signalons  et  qui  demande 
à  être  réparé. 

L'économie  politique  comprendra  les  noms  de  tous  les 
écrivains  dont  les  travaux  ont  contribué  à  poser  les  bases 
de  cette  science  moderne.  On  saura  gré  aux  éditeurs  d'y 
avoir  ajouté  quelques  écrits  rares  ou  peu  connus  d'économis- 
tes français ,  remarquables  par  leurs  vues  larges  et  avancées. 
Du  reste  le  fragment  suivant  pourra  faire  apprécier  dans  quel 
esprit  M.  Aimé-Martin  conçoit  cette  science. 

«  L'économie  politique  est  une  science  large,  universelle, 
fraternelle  ;  elle  repose  d'une  part  sur  la  loi  physique,  qui 
assigne  à  chaque  climat  des  produits  divers  ,  et  d'autre  part 
sur  la  loi  morale,  qui  ne  fait  qu'une  seule  famille  du  genre 
humain. 

»  Voyez  sorti?  des  ports  de  l'Europe  et  de  l'Asie  cette  mul- 
titude de  vaisseaux,  ceinture  animée  du  Globe  :  les  uns  ont 
le  soleil  au  zénith,  les  autres  ne  le  voient  qu'à  l'horizon  , 
ou  voguent  aux  lueurs  des  aurores  boréales.  Tous  vont  dis- 
tribuer les  productions  des  divers  pays  entre  des  peuples 
qui  ne  se  sont  jamais  vus.  Le  triste  Lapon  dissipe  ses  ennuis 
avec  le  tabac  que  lui  envoie  le  planteur  brésilien,  et  il  pare 
sa  compagne  d'un  mouchoir  teint  en  rouge  sur  les  bords 
du  Gange.  L'hermine,  tuée  dans  les  neiges  du  Kamtschatka, 
enrichit  le  dolman  des  princes  de  l'Asie,  et  le  nègre  de  l'A- 
frique échange  sa  poussière  d'or  contre  des  barres  de  fer 
coulées  en  Sibérie,  ou  des  feuilles  de  papier  blanc  qu'il  croit 
faites  avec  les  lames  de  son  ivoire.  Partout  où  l'homme  peut 
pénétrer ,  il  est  sûr  de  rencontrer  quelques  richesses  nou- 
velles. Ici  ce  sont  des  moissons  de  cannes  à  sucre,  là  des 
prairies  d'indigo  bleuâtre  et  des  forêts  de  cotonnier;  ailleurs 
la  cochenille,  ailleurs  le  cannellier  ;  plus  loin  les  gousses  du 
cacao  et  les  siliques  de  la  vanille.  Un  cercle  de  thé  fume 
depuis  la  Chine  jusqu'en  Angleterre ,  et  les  parfums  de  la 
fève  de  Moka  se  répandent  à  la  fois  sur  l'Asie  et  sur  l'Europe, 


HISTOIRE.  105 

tandis  que  les  vins  joyeux  de  France  pétillent  dans  la  coupe 
de  toutes  les  nations. 

»  Eh  bien  !  ces  trésors  de  la  nature  que  la  Providence  fait 
ressortir  à  la  moralité,  à  la  civilisation  de  la  grande  famille 
humaine,  des  prohibitions  insensées  les  circonscrivent  et  les 
arrêtent  aux  frontières  de  chaque  peuple.  Partout  vous  voyez 
des  gouvernemens  établir  des  lignes  contre  le  bien-être  et  l'a- 
bondance ,  comme  ils  en  établiraient  contre  la  peste.  Ici  des 
sentinelles  repoussent  à  coups  de  fusil  le  blé  qui  nous  arrive 
de  l'étranger  et  dont  les  riches  convois  feraient  tomber,  dit- 
on,  le  pain  à  trop  bas  prix;  là,  des  bandes  de  douaniers  sai- 
sissent et  brûlent  des  tissus  de  laine  et  de  coton  qui  auraient 
couvert  la  nudité  des  habitans  d'une  province.  Aujourd'hui 
on  prohibe  le  bétail  pour  favoriser  les  nounisseuis ,  demain 
on  prohibera  le  fer  pour  favoriser  les  maîtres  de  forges  ,  tou- 
jours aux  dépens  des  consommateurs.  Vainement  la  loi  de  la 
nature  donne  à  chaque  climat  son  produit ,  à  chaque  nation 
son  industrie,  à  chaque  territoire  sa  richesse.  La  loi  du  fisc 
aspire  à  changer  tout  cela.  Privilèges,  monopoles  ,  violences, 
tarifs  onéreux  ,  troupes  de  douaniers ,  elle  arme  tout  contre 
le  pauvre,  prohibe  la  marchandise,  met  à  l'index  la  pensée, 
poursuit  l'intelligence  au  profit  de  la  tyrannie  et  les  produc- 
tions industrielles  au  profit  de  quelques  privilégiés  ,  isole  les 
peuples,  et,  sous  prétexte  de  maintenir  la  balance  du  com- 
merce ,  va  soulevant  partout  des  famines  et  des  misères  fac- 
tices ,  au  milieu  des  richesses  de  l'univers  ! 

»  Terminons  en  rappelant  la  belle  maxime  de  Quesnay, 
inspirée  par  Fénélon  :  laissez  faire  et  laissez  passer!  Laissez 
faire  et  laissez  passer,  cela  veut  dire  :  plus  de  barrières,  plus 
de  tarifs,  plus  de  privilèges,  plus  de  prohibitions,  plus  de 
monopoles,  plus  de  douanes!  Laissez  faire  et  laissez  passer! 
c'est  la  loi  de  la  nature  opposée  aux  lois  humaines,  le  premier 
et  le  dernier  mot  de  la  science  économique  :  il  résume  tout 
par  la  liberté  !  » 

Cet  éloquent  plaidoyer  en  faveur  de  la  liberté  du  commerce 
ne  sera  certainement  pas  inutile  à  sa  cause.  C'est  bien  com- 
prendre la  mission  du  littérateur  que  d'employer  ainsi  son 
talent  à  propager  de  tels  principes  et  à  les  mettre  par  l'attrait 
du  style  à  la  portée  des  gens  du  monde ,  que  les  profondes 
abstractions  des  sa  vans  repoussent  trop  souvent. 

M.  Aimé-Martin  possède  à  un  haut  degré  l'art  de  revêtir 
la  science  de  formes  gracieuses  et  aimables.  On  lira  avec  un 
vif  plaisir  le  tableau  qu'il  trace  des  sciences  naturelles  et  de 
l'astronomie.  Dans  cette  dernière  partie  surtout  il  s'élève  à 
des  considérations  générales  et  philosophiques  pleines  de 
grandeur;  on  y  trouve  des  aperçus  ingénieux  et  féconds  qui 


206  LITTÉRATURE , 

font  regretter  que  l'auteur  n'ait  pu  développer  davantage  ses 
idées. 

On  remarquera  également  avec  satisfaction  que,  pour  l'his- 
toire naturelle ,  les  éditeurs  du  Panthéon  se  sont  surtout  at- 
tachés à  reproduire  les  œuvres  des  grands  observateurs  et 
qu'ils  font  figurer  dans  leurs  catalogues  les  noms  de  Bonnet, 
deSwammerdam,  de  Geer,  Trembley,  Réaumur,  etc.,  à  côté 
de  Pline,  Linnée,  Bufton  ,  etc. 

La  théorie  et  l'histoire  des  beaux-arts  formeront  quelques 
volumes  composés  en  grande  partie  d'ouvrages  allemands  et 
italiens. 

Enfin  les  belles-lettres  et  l'histoire  complètent  la  biblio- 
thèque universelle  et  fournissent  à  M.  Aimé-Martin  l'occa- 
sion de  passer  en  revue  l'histoire  littéraire  de  presque  to^s  les 
peuples.  C'est  une  brillante  esquisse,  dont  chaque  trait  peint 
le  génie  sous  quelqu'une  des  milles  formes  diverses  qu'il  a 
tour-à-tour  revêtues.  Nous  regrettons  que  les  bornes  d'un 
article  nous  empêchent  de  suivre  pas  à  pas  l'auteur  dans  cette 
galerie  magique  où  il  nous  conduit.  Mais  le  critique  est  un 
peu  semblable  au  Juif-Errant,  il  a  comme  lui  son  mauvais 
ange  qui  le  poursuit  et  lui  crie  :  Marche ,  marche  !  Si  quel- 
que pelouse  verte  et  fleurie  s'offre  à  lui ,  à  peine  y  a-t-il 
étendu  ses  membres  fatigués  qu'il  faut  reprendre  son  bâton 
de  voyage  et  recommencer  à  lutter  contre  les  durs  cailloux 
qui  encombrent  sa  route.  Avant  de  quitter  M.  Aimé-Martin, 
nous  ferons  seulement  remarquer  que  si  le  Panthéon  littéraire 
suivait  scrupuleusement  et  consciencieusement  le  plan  qui 
lui  est  ainsi  tracé ,  cette  collection  renfermerait  en  quelque 
sorte  tout  l'ensemble  de  la  véritable  révélation  divine,  telle 
qu'on  peut  dire  qu'elle  se  manifeste  dans  les  incarnations  du 
génie  au  milieu  de  tous  les  siècles  et  de  toutes  les  nations.  Ce 
serait  le  trésor  de  l'esprit  et  de  l'âme ,  le  seul  monument  hu- 
main peut-être  qui  n'eût  rien  à  craindre  des  injures  du  temps. 
Mais  il  faudra  pour  atteindre  ce  but  des  efforts  soutenus,  des 
travaux  sérieux  et  une  volonté  ferme,  car  aujourd'hui  plus 
qu'à  tout  autre  époque  la  spéculation  et  le  charlatanisme  se 
tiennent  prêts  à  fondre  sur  toute  entreprise  qui  offre  quelque 
chance  de  gain. 

LES  VOIX  INTÉRIEURES  ,  par  Victor  Hugo.  —  Paris,"1837.  1  vol.  in-8  de 
334  pages,  dont  87  blanches.  Prix  :  8  fr. 

«  Si  le  livre  qu'on  va  lire  est  quelque  chose  ,  il  est  l'écho  , 
»  bien  confus  et  bien  affaibli  sans  doute ,  mais  fidèle ,  l'auteur 
»  le  croit ,  de  ce  chant  qui  répond  en  nous  au  chant  que  nous 
»  entendons  hors  de  nous.  » 


HISTOIRE.  207 

Voilà  la  définition  que  M.  Victor  Hugo  donne  lui-même 
de  son  titre.  Par  voix  intérieure  il  entend  la  poésie  dans  son 
essence  intime,  et  ce  livre  doit  donc  être  considéré  comme 
l'expression  bien  complète  de  son  système ,  de  son  école.  Il 
mérite  d'autant  plus  d'être  examiné  avec  attention,  que  l'au- 
teur continue  dans  sa  préface  d'exalter  sur  le  ton  le  plus 
dogmatique  la  fonction  du  poète. 

«  Ce  que  ce  volume  contient,  dit-il,  les  autres  le  conte- 
naient; à  cette  différence  près  que  dans  les  Orientales ,  par 
exemple ,  la  fleur  serait  plus  épanouie  ;  dans  les  Voix  inté- 
rieures, la  goutte  de  rosée  ou  de  pluie  serait  plus  cachée.  La 
poésie ,  en  supposant  que  ce  soit  ici  le  lieu  de  prononcer  un  si 
grand  mot,  la  poésie  est  comme  Dieu  :  une  et  inépuisable.  » 

»  Le  poète  »  ,  ajoute-t-il  plus  loin ,  «  a  une  fonction  sérieuse. 
Sans  parler  même  ici  de  son  influence  civilisatrice,  c'est  à  lui 
qu'il  appartient  d'élever,  lorsqu'ils  le  méritent,  les  événe- 
mens  politiques  à  la  dignité  d'événemens  historiques.  » 

Voilà  donc  le  poète  érigé  en  juge  suprême  de  l'histoire,  et 
pour  justifier  de  si  hautes  prétentions,  l'auteur  débute  par 
deux  poésies  politiques,  l'une  sur  l'Arc-de-Triomphe  de 
l'Etoile  ,  l'autre  sur  la  mort  de  Charles  X. 

On  comprend  bien  sans  doute  que  l'Arc-de-Triomphe  avec 
les  grands  souvenirs  qu'il  rappelle  puisse  prêter  à  la  poésie. 
C'est  le  plus  grand  monument  du  règne  prodigieux  de  ce  fou- 
dre de  guerre  qui  secoua  si  violemment  toutes  les  nations  de 
l'Eure.  C'est  tout  ce  qu'il  reste  à  peu  près  de  cette  insatia- 
ble ambition  qui  voulait  conquérir  le  monde. 

Mais  pour  M.  Victor  Hugo ,  tout  cela  paraît  n'être  que 
secondaire,  et  ce  qu'il  admire  le  plus,  c'est  le  monument  lui- 
même  ,  c'est  sa  masse  matérielle  ;  il  s'enthousiasme  à  la  pen- 
sée que  dans  l'avenir  le  temps  en  fera  une  ruine  couverte 
de  mousse  et  à  moitié  écroulée. 

O  vaste  entassement  ciselé  par  l'histoire  ! 
s'écrie-t-il , 

Monceau  de  pierre  assis  sur  un  monceau  de  gloire  !. 

Edifice  iuoui! 
Toi  que  l'homme  par  qui  notre  siècle  commence, 
De  loin,  dans  les  rayons  de  l'avenir  immense. 

Voyait,  tout  ébloui1. 
A  ta  beauté  royale  il  manque  quelque  chose. 
Les  siècles  vont  venir  pour  ton  apothéose 

Qui  te  l'apporteront. 
Il  manque  sur  ta  tête  un  sombre  amas  d'années 
Qui  pendent  pêle-mêle  et  toutes  ruinées 

Aux  brèches  de  ton  front. 


208  LITTÉRATURE, 

La  pierre  est  toute-puissante  sur  la  verve  de  notre  poète  , 
surtout  la  pierre  noircie  ,  ébréchée ,  prête  à  écrouler. 

Ce  n'est  pas,  ce  n'est  pas  entre  des  pierres  neuves 
Que  la  bise  et  la  nuit  pleurent  comme  des  veuves. 
Hélas',  d'un  beau  palais  le  débris  est  plus  beau  ! 
Pour  que  la  lune  émousse  à  travers  la  nuit  sombre 
L'ombre  par  le  rayon  et  le  rayon  par  l'ombre  , 
Il  lui  faut  la  ruine  à  défaut  du  tombeau. 

Et  il  se  plaît  à  prévoir  un  temps  ou  de  Paris  tout  entier,  il 
ne  restera  plus  que  l'Arc-de-Triomphe,  la  colonne  de  la  place 
Vendôme  et  les  tours  de  Notre-Dame.  Cette  idée  est  féconde 
pour  la  méditation  ,  mais  il  s'arrête  à  la  surface ,  il  ne  voit 
toujours  que  la  partie  matérielle,  la  forme  des  choses  et 
comme  dans  son 

Monceau  de  pierre  assis  sur  un  monceau  de  gloire, 

il  enterre  volontiers  la  pensée  sous  la  matière  au  risque  de 
l'étouffer.  Ainsi  il  décrit  complaisamment  et  avec  les  plus 
minutieux  détails  tous  les  changemens  que  le  temps  fera 
subir  à  ces  masses  de  pierre  qui  lui  semblent  si  poétiques , 
et  laisse  aux  lecteurs  le  soin  d'en  tirer  toutes  les  réflexions 
philosophiques  que  leur  aspect  est  susceptible  d'inspirer. 

Après  avoir  passé  en  revue  toutes  les  cités  détruites,  il 
ajoute  :  0 

Mais  toi!  rien  n'atteindra  ta  majesté  pudique, 
Porte  sainte  !  jamais  ton  marbre  véridique 

Ne  sera  profané. 
Ton  cintre  virginal  sera  pur  sous  la  nue; 
Et  les  peuples  à  naître  accourront  tète  nue 

Vers  ton  front  couronné. 


C'est  qu'on  n'a  pas  caché  de  crime  dans  ta  base, 
Ni  dans  les  foudernens  de  sang  qui  s'extravase! 
C'est  qu'on  ne  te  fit  point  d'un  ciment  hasardeux, 
C'est  qu'aucun  noir  forfait  semé  dans  ta  racine 
Pour  jeter  quelque  jour  son  ombre  à  ta  ruine , 
Ne  mêle  a  tes  lauriers  son  feuillage  hideux  ! 

Tandis  que  ces  cités,  dans  leur  cendre  enfouies, 
Furent  pleines  jadis  d'actions  inouïes, 

Ivres  de  sang  versé  , 
Si  bien  que  le  Seigneur  a  dit  à  la  nature  : 
Refais-toi  des  palais  dans  cette  architecture 

Dont  l'homme  a  mal  usé! 


HISTOIRE.  309 

Aussi  tout  est  fini;  Le  chacal  les  visite! 
Les  murs  voiit  décroissant  sous  l'herbe  parasite;  ' 
L'élang  s'installe  et  dort  sous  le  dôme  brisé  ; 
Sur  les  Nérons  sculptés  marche  la  bête  fauve  ; 
L'antre  se  creuse  ou  fut  l'incestueuse  alcôve  ; 
Le  tigre  peut  venir  où  le  crime  a  passé. 

Ces  quatre  strophes  pèchent  également  par  la  fausseté  des 
idées,  des  images  et  le  mauvais  goût  du  style.  L'Arc-de- 
Triomphe  de  l'Etoile  n'a-t-ii  pas  au  contraire  coûté  des  torrens 
de  larmes  ,  des  misères  sans  nombre  ,  et  sa  base  ne  repose- 
t-elle  pas  sur  des  flots  de  sang  ?  N'est-il  pas  le  trophée  de  la 
victoire ,  et  la  victoire  peut-elle  se  remporter  sans  joncher  le 
champ  de  bataille  de  morts  et  demourans?  Et  puis,  que 
signifie  un  ciment  hasardeux  ?  Qu'est-ce  que  le  feuillage  hideux 
d'un  noir  forfait  ?  Quelle  majesté  y  a-t-il  dans  ce  Dieu  qui  dit 
à  la  nature  :  Refais-toi  des  palais,  etc. 

Je  n'ai  pas  besoin  d'ajouter  que  dans  toute  cette  pièce  les 
vers  se  traînent  laborieusement  comme  si  chacun  d'eux  por- 
tait une  des  plus  lourdes  pierres  de  l'édifice.  L'harmonie  et 
la  clarté  paraissent  être  au  reste  les  dernières  choses  dont 
se  soucient  nos  poètes  du  jour. 

La  mort  de  Charles  X  a  inspiré  à  M.  Victor  Hugo  une 
assez  longue  pièce  qui  offre  les  mêmes  défauts ,  et  qui  de 
plus  montre  une  singulière  prétention  à  la  générosité  ,  à  la 
grandeur  d'âme.  Le  sujet  par  lui-même  ne  semble  pas  fort 
poétique.  Charles  X  n'a  jamais  durant  sa  vie,  avant,  pendant 
ou  après  son  règne,  fait  aucune  de  ces  actions  d'éclat,  bonnes 
ou  mauvaises,  qui  méritent  d'être  chantées  et  exaltées  par 
la  poésie.  Esprit  faible ,  intelligence  bornée ,  dévotion  su- 
perstitieuse ,  voilà  quels  furent  les  ti'aits  distinctifs  de  son 
caractère.  Dans  des  temps  ordinaires,  il  eût  régné  comme 
tant  d'autres ,  sans  bruit,  au  milieu  des  petites  intrigues  de 
cour  et  de  sacristie.  Mais  les  circonstances  difficiles  dans  les- 
quelles il  arriva  sur  le  trône,  exigeaient  d'autres  facultés  que 
les  siennes  ;  elles  ne  développèrent  en  lui  rien  de  grand,  rien 
de  remarquable,  et  lorsque  renversé  par  les  luttes  des  factions, 
le  vieillard  se  vit  obligé  d'aller  finir  ses  jours  dans  l'exil,  il 
s'y  résigna  sans  peine  et  disparut  tout-à-fait  de  la  scène  po- 
litique si  peu  faite  pour  lui.  Sa  mémoire  ne  saurait  être  en 
butte  ni  à  la  haine  ,  ni  à  la  persécution.  Ce  n'était  pas 
l'homme  que  l'on  chassait ,  c'était  son  entourage  ,£c'était  ce 
dangereux  cortège  d'émigrés  et  de  prêtres  qui  en  faisaient 
l'instrument  de  leur  ambition.  On  ne  voit  donc  pas  ce  que  la 
fonction  du  poète  peut  avoir  de  commun  avec  un  semblable 
règne ,  et  surtout  quelle  espèce  de  courage  il  prétend  dé- 


210  LITTÉRATURE, 

ployer  en  consacrant  sa  lyre  à  en  rappeler  les  souvenirs.  Ce 
sont  là  de  grands  mots,  qui  ne  signifient  rien  ;  car  bien  certai- 
nement aujourd'hui,  nul  ne  se  soucie  des  regrets  que  peut 
exprimer  tel  ou  tel  fidèle  serviteur  du  vieux  roi.  Aussi  trouve- 
t-on  en  effet  bien  peu  de  vraie  poésie  dans  cette  pièce.  On  y 
distinguera  une  ou  deux  strophes  seulement,  dans  lesquelles 
le  poète  peint  les  trois  enfans  de  France  entourant  leur  mère, 
dont  ils  étaient  l'espoir  et  l'orgueil,  et  pour  laquelle  ils 
eussent  été  des  sujets  de  tourmens  cruels  et  d'angoisse  affreuse, 
si  elle  avait  pu  lire  dans  l'avenir  et  prévoir  les  destinées  qui 
attendaient  Louis  XVI  ,  Louis  XVIII  et  Charles  X.  Mais 
après  ce  court  passage ,  le  poète  s'écrie  : 

O  rois!  ô  familles  tronquées! 
Brusques  écroulemens  des  vieilles  majestés, 
O  calamités  embusquées 
Au  tournant  des  prospérités! 

et  continue  jusqu'à  la  fin  sur  ce  ton,  qui  est  indigne  du 
talent  qu'il  a  montré  d'autres  fois,  et  le  fait  en  vérité  des- 
cendre au-dessous  de  la  médiocrité. 

Mais  ce  n'est  encore  là  qu'une  des  voix  dont  parle  M.  V. 
H.  dans  sa  préface ,  la  voix  des  évènemens.  Il  y  a  de  plus  la 
voix  de  la  nature  et  la  voix  du  cœur.  Voyons  quels  échos  ces 
deux  dernières  font  vibrer  chez  lui.  Ici  comme  ailleurs, 
nous  trouvons  d'abord  dans  l'expression  des  idées  un  lan- 
gage embarrassé,  obscur,  trivial,  abrupte,  que  nous  avouons 
ne  pas  comprendre ,  et  dont  des  citations  peuvent  seules 
faire  la  critique.  Voici  pour  le  genre  descriptif  : 

Une  vache  était  Ta,  tout-a-1'henre  arrêtée, 
Superbe,  énorme,  rousse  et  de  blanc  tachetée, 
Douce  comme  une  biche  avec  ses  jeunes  faons; 
Elle  avait  sous  le  ventre  un  beau  groupe  d'enf'ans  , 
D'enfans  aux  dents  de  marbre,  aux  cheveux  en  broussailles, 
Frais  et  plus  charbonnés  que  de  vieilles  murailles, 
Qui,  bruyans,  tous  ensemble,  à  grands  cris  appelant 
D'autres  qui,  tout  petits,  se  hâtaient  en  tremblant, 
Dérobant  sans  pitié  quelque  laitière  absente, 
Soûs  leur  bouche  joyeuse  et  peut-être  blessante, 
Et  sous  leurs  doigts  pressant  le  lait  par  mille  trous, 
Tiraient  le  pis  fécond  de  la  mère  au  poil  roux. 
Elle,  bonne  et  puissante  et  de  son  trésor  pleine 
Sous  leurs  mains  par  momens  faisant  frémir  à  peine 
Son  beau  flanc  pius  ombré  qu'un  flanc  de  léopard, 
Distraite,  regardait  vaguement  quelque  part. 

Ailleurs,  c'est  une   pensée  qui  s'offre  à  vous  connue   un 


HISTOIRE.  211 

trait   profond,  si   profond  en  effet  qu'il  est  une  véritable 
énigme,  pour  quiconque  cherche  à  en  deviner  le  sens  : 

Dans  Virgile  parfois,  Dieu  tout  près  d'être  un  ange, 
Le  vers  porte  à  sa  cime  une  lueur  étrange. 

Que  de  gens  s'extasieront  devant  ces  deux  vers  en  s'écriant  : 
Suhlime  î  ô  poète  !  ô  génie  prodigieux  !  Car  le  monde  est 
ainsi  fait;  la  clarté  l'offusque  ;  comprendre  est  un  travail 
que  dédaigne  l'intelligence  paresseuse  ;  la  raison  doit ,  dit- 
on,  se  taire  devant  la  poésie  comme  devant  la  musique,  et 
l'on  s'extasie  d'autant  plus  que  l'on  comprend  moins. 

Mais  il  me  semble  alors  qu'on  doit  exiger  de  l'une  comme 
de  l'autre  cette  harmonie  pure  et  suave,  qui  satisfait  l'oreille 
si  elle  ne  parle  pas  à  l'esprit,  et  surtout  ce  sentiment  noble 
qui  émeut  et  élève  l'âme.  Or  écoutez  ces  vers  sur  la  nature 
et  sur  Dieu  : 

L'hiver  des  nuages  sans  nombre 

Sort,  et  chasse  l'été  du  ciel , 

Pareil  au  temps,  ce  faucheur  sombre 

Qui  suit  le  semeur  éternel  ! 

Le  pauvre  alors  s'effraie  et  prie. 

L'hiver  hélas  !  c'est  Dieu  qui  dort  ; 

C'est  la  faim  livide  et  maigrie 

Qui  tremble  auprès  du  foyer  mort. 

Un  ange  frappe  à  sa  porte ,  il  entre  et  dit  : 

Je  suis  la  Charité,  l'amie 
Qui  se  réveille  avant  le  jour, 
Quand  la  nature  est  rendormie 
Et  que  Dieu  m'a  dit  :  A  ton  tour  ! 

Quelle  majesté!  ce  Dieu  qui  dort  et  qui  dit  à  la  Charité  : 
à  ton  tour!  En  vérité,  c'est  un  Pont-Neuf  sur  l'air  d'un  can- 
tique. Il  n'y  a  là  ni  l'accent  de  la  foi,  ni  l'élan  de  l'âme. 
Il  n'y  a  que  des  mots,  et  dessous,  le  néant.  Cependant ,  la 
conviction  seule  peut  faire  le  poète.  Quelle  inspiration  y  a- 
t— il  là  où  elle  manque?  Et  sans  inspiration  qu'est-ce  que 
la  poésie  ?  Un  vain  jeu  de  l'esprit  qui  tord  péniblement  des 
mots  et  des  phrases  pour  s'astreindre  à  une  prosodie  gênante, 
qui  perd]alors  tout  son  mérite.  D'effort  en  effort,  on  arrive 
même  à  n'en    plus  respecter  les  règles  et  à  faire ,  comme 

I  M.  Victor  Hugo  ,  rimer  le  mois  de  mai  avec  aimé. 

Mais  du  moins  la  voix  du  cœur  vibre-t-elle  chez  notre 

j  poète?   Ici  encore  la   critique   ne  pouvant  descendre  dans 


î\1  LITTÉRATURE, 

le  for  intérieur  de  l'homme,  doit  se  borner  à  citer  le  pas- 
sage suivant  d'une  poésie  adressée  à  Eugène  Vte .  H.,  qui 
paraît  avoir  été  le  compagnon  des  jeux  de  son  enfance,"  s'il 
n'était  même  uni  à  notre  auteur  par  des  liens  plus  chers  : 

Puisqu'il  plut  au  Seigneur  de  te  briser,  poète; 
Puisqu'il  plut  au  Seigneur  de  comprimer  ta  tête 

De  son  doigt  souverain, 
D'en  faire  une  urne  sainte  à  contenir  l'extase, 
D'y  mettre  le  génie,  et  de  sceller  ce  vase 

Avec  un  sceau  d'airain  ; 

Puisque  le  Seigneur  Dieu  t'accorda,  noir  myslère! 
Un  puits  pour  ne  point  boire,  une  voix,  pour  le  taire, 

Et  souffla  sur  ton  front, 
Et  comme  une  nacelle  errante  et  d'eau  remplie, 
Fit  rouler  ton  esprit  à  travers  la  folie, 

Cet  Océan  sans  fond  ; 

Puisqu'il  voulut  ta  chute,  et  que  la  mort  glacée, 
Seule,  te  fit  revivre  en  rouvrant  ta  pensée 

Pour  un  autre  horizon; 
Puisque  Dieu,  l'enfermant  dans  la  cage  charnelle, 
Pauvre  aigle,  te  donna  l'aile  et  non  la  prunelle, 

L'âme  et  non  la  raison  ; 

Tu  pars  du  moins,  mon  frère,  avec  ta  robe  blanche  ! 
Tu  retournes  à  Dieu  comme  l'eau  qui  s'épanche 

Par  sou  poids  naturel! 
Tu  retournes  à  Dieu,  tête  de  candeur  pleine, 
Comme  y  va  la  lumière  et  comme  y  va  l'haleine 

Qui  des  fleurs  monte  au  fiel  ! 

Tu  vas  dormir  là  haut  sur  la  colline  verte, 
Qui,  livrée  à  l'hiver,  à  tous  les  vents  ouverte, 

A  le  ciel  pour  plafond  ; 
Tu  vas  dormir,  poussière,  au  fond  d'un  lit  d'argile  ; 
Et  moi  je  resterai  parmi  ceux  de  la  ville 

Qui  parlent  et  qui  vont  ! 

Et  plus  loin  ,  faisant  un  retour  sur  lui-même ,  mettant  en 
opposition  avec  le  repos  de  la  mort,  avec  la  poussière  du 
défunt,  sa  carrière  à  lui,  qui  est  resté  le  dernier,  il  dit  en- 
tr'autres  : 

Quand  le  peuple  au  théâtre  écoute  ma  pensée, 
J'y  cours,  et  là,  courbé  vers  la  foule  pressée, 

L'étudiant  de  près, 
Sur  mon  drame  touffu  dont  le  branchage  plie, 
J'entends  tomber  ses  pleurs  comme  la  large  pluie 

Aux  feuilles  des  lorêts! 


HISTOIRE.  213 

O  vanité  !  tu  séduis  l'homme  avec  tes  trompeuses  illusions. 
Tu  le  précipites  dans  un  gouffre  recouvert  de  belles  fleurs , 
et  il  semble  que  plus  il  enfonce  ,  plus  tu  fais  luire  à  ses 
yeux  leurs  couleurs  brillantes  et  variées. 

Quand  on  reporte  ses  regards  vers  les  heureux  débuts  du 
poète ,  et  qu'ensuite  dans  ses  œuvres  on  suit  pas  à  pas  les 
phases  de  sa  décadence,  on  ne  peut  s'empêcher  de  songer  à 
cet  arc-de-triomphe 

Monceau  de  pierre  assis  sur  un  monceau  de  gloire 

auquel^  il  manque  pour  être  parfait 

un  sombre  amas  d'années 

Qui  pendent  pèle  mêle  et  toutes  ruinées 
Aux  brèches  de  son  frout. 

On  dirait  vraiment  que  M.  V.  H.,  dans  son  amour  des 
ruines,  a  voulu  se  contempler  lui-même  réduit  à  cet  état 
de  béatitude.  Il  a  travaillé  à  s'écrouler  de  son  vivant,  et 
ravissant  aux  siècles  futurs  une  part  de  leurs  prérogatives, 
il  a  réussi  à  se  donner  une  apparence  de  vétusté  aux  yeux 
mêmes  de  ses  contemporains.  Il  a  pris  le  ciseau  du  temps, 
ce  grand  sculpteur,  comme  il  l'appelle  lui-même,  et  s'est 
mis  hardiment  à  l'œuvre.  On  peut  comparer  son  talent  à 
un  rocher  colossal ,  sur  lequel  son  génie  frappe  incessam- 
ment avec  un  lourd  marteau.  Chaque  coup  fait  voler  mille 
éclats  de  rocs  durs,  aigus,  qui  se  choquent  les  uns  contre 
les  autres  et  au  milieu  desquels  jaillissent  çà  et  là  quelques 
étincelles  brillantes,  mais  éphémères. 


LA  BATRACHOMYOMACHIE  D'HOMERE,  traduite  en  français  par  J.  Ber- 
ger de  Xivrey;  2e  édition  augmentée  d'une  dissertation  sur  ce  poëme, 
traduite  de  l'italien  de  M.  le  comte  Léopardi;  et  de  la  guerre  comi- 
que, ancienne  imitation  en  vers  burlesques.  —  Paris ,  1837.  In-18. 5  fr. 

Ce  petit  poëme  attribué  à  Homère,  et  toujours  publié  sous 
son  nom,  quoique  les  sa  vans  s'accordent  en  général  à  recon- 
naître qu'il  a  dû  avoir  un  autre  auteur,  est,  dans  son  genre, 
un  chef-d'œuvre  véritable.  La  grâce  et  l'invention  s'y  trouvent 
réunies  au  plus  haut  degré  avec  la  gaîté  des  détails  comiques 
et  l'esprit  mordant  de  la  satire;  car  il  y  a  bien  certainement 
quelque  intention  de  ce  genre  cachée  dans  ce  charmant  badi- 
nage  ;  soit  que  l'auteur  ait  voulu,  comme  le  pensent  quelques 
érudits,  parodier  l'Iliade,  soit  qu'il  ait  cherché  à  travestir 
cette  bravoure  guerrière  si  désastreuse,  si  commune,  et  pour- 


214  LITTÉRATURE, 

tant  si  généralement  vantée  comme  le  véritable  apanage  des 
héros. 

La  traduction  de  M.  Berger  de  Xivrey  était  déjà  connue, 
puisqu'une  première  édition  s'est  épuisée.  En  la  publiant  de 
nouveau,  il  y  a  ajouté  une  excellente  dissertation  de  M.  le 
comte  Léopardi  sur  les  discussions  littéraires  auxquelles  la 
Bratrachomyomachie  adonné  lieu,  et  une  ancienne  imitation 
en  vers  français,  qui,  publiée  pour  la  première  fois  en  1668, 
était  presqu'entièrement  oubliée.  On  lui  saura  gré  de  re- 
mettre au  jour  cette  Guerre  comique ,  dans  laquelle  se  trouve 
toute  la  plaisante  verve  de  Scan  on,  avec  moins  de  licence  et 
plus  de  délicatesse  que  n'en  a  montré  dans  ses  œuvres  ce 
poète  bouffon.  Toutes  ses  recherches  n'ont  pu  lui  apprendre 
à  quelle  plume  est  due  cette  bagatelle,  qui  offre  plusieurs  traits 
d'allusion  aux  événemens  historiques  des  deux  premiers  tiers 
du  xvume  siècle,  et  maints  détails  de  mœurs  fort  curieux.  Le 
morceau  suivant  nous  apprend  ce  qu'on  pensait  à  cette  épo- 
que des  rats  de  cave  : 

Gens,  depuis  que  Je  monde  est  monde, 

IN'ont  fait  sur  la  terre  et  sur  Tonde 

Tant  de  dommages  et  de  maux, 

Comme  ces  pestes  d'animaux. 

C'est  la  plus  méchante  vermine, 

La  soldatesque  plus  mutine, 

Les  espions  plus  fins  et  plus  cauts, 

Qui  soient  dans  tous  les  pieds  d'escaux. 

Leur  chef  estoit  un  maniacle, 

Plus  méchant  qu'un  démoniacle, 

Qui  s'appelait  Croquejambon, 

Un  vrai  Busire,  un  lestrigon, 

Un  mange-peuple,  un  intraitable. 

Un  loup,  un  tigre  inexorable, 

Qui  se  vantait  de  dégrader 

(  Mais  Dieu  l'eu  veuille  bien  garder  !  ) 

Jupiter,  et  dans  le  ciel  mesme 

Establir  le  gros  et  huitième; 

Et  si  cela  faschoit  les  Dieux, 

Mettre  des  garnisons  chez  eux. 

C'est  bien  plus  :  il  eût  fait  encore 

Pis,  s'il  eût  pu,  le  matamore; 

Car  il  n'avait  ni  foy,  ni  loy  : 

Pourtant  il  servoit  bien  le  roy. 

Nous  trouvons  aussi  plus  loin  la  preuve  que  les  pluies  de 
grenouilles  ne  sont  pas  chose  nouvelle,  car  en  parlant  des 
troupes  que  mit  sur  pied  le  peuple  des  marais,  pour  résister 
à  l'armée  formidable  des  rats,  l'auteur  dit  : 


HISTOIRE.  215 


Du  Nil  et  des  autres  rivières 
Il  en  sortit  des  fourmilières  : 
Mesme  il  en  plut  en  quelque  endroit 
Des  régimens.  à  ce  qu'on  croit. 


HISTOIRE   DE  LA    CROISADE  CONTRE  LES  HERETIQUES  ALRIGEOIS  . 

écrite  en  vers  provençaux  par  un  poète  conteaiporain  ;  traduite  et 
publiée  par  M.  C.  Fauriel.  —  Paris  ,  imprimerie  royale ,  1837,  1  gros 
vol.  in-4.  24  fr. 

Voici  un  monument  historique  bien  curieux,  qui  nous  pré- 
sente un  tableau  complet  de  la  croisade  contre  les  Albigeois. 
On  y  retrouve,  dans  les  plus  grands  détails,  l'image  de  cette 
lutte  désastreuse,  dans  laquelle  des  opinions  religieuses  d'a- 
bord, puis  des  rivalités  d'ambition  servirent  de  prétextes  aux 
plus  atroces  barbaries.  L'auteur,  qui  ne  saurait  être  suspect 
de  partialité,  puisqu'il  se  pose  dès  le  principe  comme  un  en- 
nemi déclaré  des  hérétiques,  contre  lesquels  il  épuise  toutes 
les  formules  de  l'indignation  pour  exprimer  sa  haine  de  l'hé- 
résie, l'auteur  peint  des  couleurs  les  plus  noires  la  marche  de 
cette  croisade,  qui  fondit  comme  une  affreuse  tempête  sur  la 
Provence,  traînant  partout  à  sa  suite  le  massacre  et  le  pillage. 
Le  fer  et  le  feu  détruisaient  tout  sur  son  passage.  On  ne  faisait 
pas  de  quartier.  Les  guerres  de  religion  sont  toujours  sans 
merci.  Les  hommes  étaient  égorgés,  les  femmes  brûlées,  les 
enfans  et  les  vieillards  écrasés  ou  torturés  de  mille  façons.  Enfin 
la  cruauté  des  chefs  alla  si  loin,  que  l'opinion  publique  en  fut 
révoltée.  Nous  en  avons  une  preuve  dans  notre  auteur  lui- 
même,  qui,  après  avoir  d'abord  donné  toutes  ses  sympathies 
à  l'armée  des  croisés,  dont  il  ne  peut  assez  louer  le  courage  et 
la  sainte  entreprise  dans  la  première  partie  de  la  guerre,  fait 
tout-à-coup  volte-face  vers  le  milieu  de  son  poème,  et  sans 
se  prononcer  davantage  pour  les  hérétiques ,  laisse  paraître 
ouvertement  toute  l'horreur  que  lui  inspire  la  barbare  con- 
duite des  croisés. 

On  ne  saurait  trouver  un  tableau  plus  vrai  et  plus  vivant 
de  cette  époque  agitée.  La  traduction  de  M.  Fauriel  repro- 
duit avec  bonheur  la  simplicité  et  la  grâce  naïve  de  l'original, 
tout  en  éclaircissant  le  sens,  souvent  obscur,  d'un  récit  un 
peu  diffus.  C'était  d'autant  plus  difficile,  que  ce  poème  n'est 
pas  écrit  avél  une  bien  grande  pureté,  et  contient  une  foule 
de  termes  corrompus  ou  peu  usités.  Il  a  fallu  que  le  traduc- 
teur en  fît  une  étude  toute  particulière.  Mais  M.  Fauriel  a 
été  soutenu  dans  ce  pénible  travail  par  la  pensée  de  vendre 
à  l'histoire  de  cette  époque  un  de  ses  documens  les  plus  im- 


216  LITTERATURE, 

portans.  En  effet ,  ce  poème,  tout  imparfait  qu'il  soit,  offre 
un  tableau  curieux  des  mœurs  et  des  usages  du  temps  où  il  a 
été  écrit.  Quoique  l'auteur  ne  fût  sans  doute  guère  préoccupé 
du  désir  de  peindre  la  société,  on  retrouve  cependant  une 
foule  de  traits  qui  nous  la  font  connaître,  et  d'ailleurs  cette 
chronique  en  vers  est  le  monument  le  plus  complet  qui  nous 
reste  de  cette  guerre  si  longue  et  si  sanglante.  La  plupart  des 
auteurs  qui  ont  écrit  sur  ce  sujet,  y  ont  puisé  plus  ou  moins 
directement,  mais  c'est  la  première  fois  qu'on  en  publie  le 
texte  entier.  M.  Fauriel  a  rendu  ainsi  un  vrai  service  aux 
lettres,  et  ce  volume  était  bien  digne  de  figurer  dans  la 
grande  collection  historique,  publiée  par  les  ordres  du  mi- 
nistre de  l'Instruction  publique. 


FABLES  ET  méditations,  par  Ulric  Giittinguer.  —  Paris,  chez  Jou- 
bert.  1837.  In-8.  3fr. 

Ce  volume  renferme  plusieurs  fables  qui  ne  sont  certai- 
nement pas  sans  mérite.  On  y  remarque,  en  général,  une 
simplicité  naturelle,  une  poésie  facile  et  gracieuse ,  qui  sont 
bien  appropriées  à  ce  genre  d'écrit.  Peut-être ,  n'y  a-t-il  pas 
toujours  assez  de  finesse  dans  la  manière  dont  la  morale  est 
amenée.  Quelquefois  on  sera  surpris  de  trouver  à  la  fin  de  la 
fable  une  sentence  assez  banale  ,  et  trop  peu  saillante  pour 
mériter  les  honneurs  de  l'apologue.  Cependant ,  je  dois  le 
dire ,  c'est  le  plus  petit  nombre  auquel  peut  s'adresser  ce  re- 
proche ,  et  on  lira  toujours  avec  plaisir  des  fables  telles  ,  par 
exemple  ,  que  les  Feuilles  et  le  Vent  : 

Sur  un  impur  fumier  des  feuilles  oubliées 
Y  languissaient  humiliées. 
Le  vent  souffle  !...  leurs  bataillons 
Montent  en  légers  tourbillons  , 
Voila  mes  folles  dispersées, 
Et  vers  les  cieux  en  tous  sens  élancées. 
Fièresde  leurs  nouveaux  destins, 
Les  sottes  se  croyaient  des  aigles  pour  le  moins  : 
Voyez!  voyez  donc,  criaient-elles 
Aux  oiseaux  qui,  comme  l'éclair, 
Franchissaient  l'espace  de  l'air, 
Nous  aussi  nous  avons  des  ailes!  ! 
Nous  irons  loin....  Personne  n'en  doutait 
Du  moins  tant  que  le  vent  soufflait; 
Mais  il  cessa,  leur  sort  changea  de  face; 
Et  le  bataillon  glorieux 
Revint  confus  et  furieux 
Reprendre  sa  première  place  ! 


HISTOIRE.  217 

Que  d'orgueilleux  sont  promptement  déçus! 
Que  de  sots  dont  le  temps  nous  venge, 
Et  qui  retombent  dans  la  fange 
Quand  le  vent  ne  les  soutient  plus  ! 

Les  Méditations  sont  empreintes  d'une  teinte  religieuse  très- 
prononcée.  L'auteur  cherche  dans  le  christianisme  un  refuge 
contre  toutes  les  déceptions  de  la  vie ,  et  y  appelle  avec  lui 
tous  ses  amis  qui  restent  encore  en  dehors  du  temple.  Une 
poésie  adressée  à  M.  Sainte-Beuve,  une  autre  à  M.  Alfred  de 
Musset ,  leur  reprochent  d'ouhlier  Jésus  et  la  Croix  ,  et  les 
conjurent  devenir  le  rejoindre  au  pied  du  Calvaire.  C'est  une 
dévotion  mystique  qui  a  inspiré  à  l'auteur  des  vers  sages  et 
harmonieux  dans  la  forme ,  mais  le  fond  en  paraîtra  vide  à 
bien  des  lecteurs. 

Dans  une  pièce  sur  Ncuilly ,  M.  Guttinguer  adresse  au  roi 
de  grands  éloges;  mais  il  faut  convenir  qu'il  emploie  de  bien 
singuliers  raisonnemens  pour  prouver  la  supériorité  de  la 
monarchie  sur  la  république.  Il  met  dans  la  bouche  d'un 
vieillard  ,  ces  étranges  paroles  : 

La  République!  ah!  ah!  je  connais  son  histoire; 

J'ai  de  ses  assignats  encor  daus  mon  armoire; 

Je  les  montre  a  mon  fils,  qui  m'a  l'air  quelquefois, 

En  lisant  les  journaux,  de  dédaigner  les  Rois; 

Et,  tirant  un  louis,   argument  sans  réplique  : 

Voila  ma  Royauté,  voila  ta  République  ; 

Et  je  lui  mets  en  main  le  vieux  papier  menteur 

Qui  ruina  mon  père,  au  temps  de  la  Terreur. 

De  tels  argumens  peuvent  bien  être  dans  l'esprit  de  notre 
époque  ;  mais  on  conviendra  qu'ils  ne  sont  guère  poétiques. 


les  quatre  premiers  livres  DE  tÉLÉMAoue  françaîs-anglais  et 
prononciation  figurée  en  regard ,  avec  la  traduction  interlinéaire 
selon  le  génie  de  la  langue  anglaise  ,  par  M.  Peyrot.  —  Paris ,  chez 
Mansut.  1837.  In-8.  obi.  4  fr.  50  c. 

Ce  Télémaque  est  comme  le  Manuel  de  la  langue  anglaise,  du 
même  auteur,  destiné  plus  particulièrement  à  l'usage  des  per- 
sonnes qui  veulent  étudier  seules,  sans  le  secours  d'un  maître. 
Dans  ce  but,  la  même  page  offre  sur  trois  colonnes,  1°  le  texte 
français  coupé  par  phrases  courtes,  faciles  à  saisir  et  à  retenir  ; 
2°  la  traduction  anglaise  ;  3°  la  prononciation  rendue  autant 
que  cela  est  possible,  par  des  syllabes  françaises  et  par  quelques 

16 


218  LITTERATURE, 

signes  conventionnels  qu'il  faut  d'abord  étudier.  Sur  la  page 
opposée  à  celle-  ci ,  on  retrouve  encore  la  traduction  anglaise  , 
avec  l'interprétation  française  interlinéaire  et  mot  à  mot.  De 
cette  manière,  il  est  facile  de  comprendre  et  de  comparer  l'un 
avec  l'autre  les  caractères  distinctifs  des  deux  langues,  de 
bien  saisir  le  génie  propre  à  cbacune  d'elles  ,  et  de  se  rendre 
compte  des  moyens  à  employer  pour  traduire  avec  fidélité  et 
élégance ,  en  faisant  passer  d'une  langue  dans  l'autre ,  sans 
trop  les  altérer ,  les  beautés  originales  du  style.  Sous  ces  di- 
vers rapports  ,  ce  petit  ouvrage  est  fort  bien  conçu  ,  et  peut 
être  d'une  très-grande  utilité.  Je  ferai  seulement  ici  la  même 
observation  que  j'ai  déjà  faite,  au  sujet  de  la  prononciation 
écrite,  eu  rendant  compte  du  Manuel  de  M..  Peyrot.  Il  me 
semble  impossible  d'apprendre,  de  cette  manière,  à  bien 
prononcer  l'anglais.  D'abord  il  est  des  sons  tels  ,  par  exemple, 
que  celui  du  th ,  qui  n'ont  aucune  espèce  de  correspondant 
en  français  ;  maintes  dipbtbongues  anglaises  se  trouvent  dans 
le  même  cas.  Et ,  en  général ,  les  sons  de  la  langue  anglaise 
sont  si  peu  francs  ,  si  incertains ,  qu'on  ne  parvient  jamais  , 
que  fort  imparfaitement,  à  les  rendre  par  l'écriture.  Ainsi 
lie  supposée!  ne  se  prononce  certainement  pas  comme  un  Fran- 
çais prononcera  hi  seuppost  ;  virtue  ne  se  dit  pas  vertchiou , 
etc.,  etc. 

Sans  doute  cette  interprétation  ,  quelque  grossière  qu'elle 
soit ,  peut  faciliter  au  maître  le  travail  de  se  faire  compren- 
dre de  ses  élèves.  Mais  dès  qu'il  ne  sera  plus  là  avec  sa  pro- 
nonciation correcte  ,  pour  leur  indiquer  comment  il  faut  pro- 
noncer cette  prononciation  écrite  ,  il  est  fort  à  craindre  qu'ils 
ne  tombent  dans  de  singulières  erreurs  ,  et  ne  finissent  par 
parler  une  langue  que  ni  Anglais  ,  ni  Français,  ne  sauraient 
comprendre. 

On  peut  apprendre  seul  à  lire  une  langue;  mais  pour  la 
prononcer  ,  il  faut  la  parler  ,  et  un  maître  est  indispensable 
dans  celte  étude  qui  est  toute  d'imitation.  Quelque  ingénieuse 
que  paraisse  la  méthode  de  M.  Peyrot ,  les  personnes  qui  dé- 
sirent en  retirer  tout  le  fruit  possible,  feront  bien  de  prendre 
plus  d'une  leçon  de  lui,  ou  de  tout  autre  bon  maître  d'an- 
glais. Du  reste,  quelque  méthode  qu'on  adopte  ,  le  Téêémaquc 
de  M.  Peyrot  doit  être  conseillé  comme  un  excellent  livre  élé- 
mentaire, parfaitement  bien  adapté  au  but  que  l'auteur  a  eu 
en  vue,  celui  de  rendre  moins  pénibles  et  moins  repoussans 
les  premiers  pas  qu'on  fait  dans  l'étude  d'une  langue  étrangère. 


HISTOIRE.  219 

la  coi'rtisane  ET  i.e  marïyb,  par  Edouard  Féal.  —  Paris  ,  chez 
SchwartzetGagnot,  libraires,  place  St. -Germain  l'Auxerroi s, n°  20. 
1837.il  vol.  in-8.  7  fr.  50  c. 

Ce  volume  renferme  la  première  partie  d'un  drame  histo- 
rique ,  que  l'auteur  nous  promet  en  sept  volumes  in-8°  ,  et 
dont  le  sujet  est  la  destinée  de  la  ville  de  Toulouse  ,  à  l'épo- 
que où  elle  comptait  parmi  les  plus  fameuses  cités  du  monde. 
Il  nous  la  montre  d'abord  au  milieu  de  la  lutte  du  christia- 
nisme contre  les  derniers  efforts  des  druides  gaulois  et  du 
paganisme  romain.  Il  veut  peindre  la  corruption  abominable 
des  mœurs  du  vieux  monde  ;  ce  chaos  moral  au  milieu  du- 
quel la  religion  du  Christ  vint  tout-à-coup  apporter  sa  ré- 
forme austère ,  son  renoncement  au  monde  ,  ses  doctrines  de 
charité  et  de  sacrifice.' Un  grand-prêtre  du  culte  druide  animé 
d'un  fanatisme  cruel  et  féroce,  un  gouverneur  romain  livré  à 
tous  les  excès  de  la  luxure  la  plus  effrénée,  lafille  du  prêtre  gau- 
lois vouée  d'abord  à  la  débauche  et  à  la  prostitution  ,  puis 
convertie  au  christianisme  ;  enfin,  un  apôtre  du  christianisme 
qui  périt  victime  de  la  rage  aveugle  de  ses  ennemis,  et  dont 
le  martyr  ne  sert  qu'à  mieux  assurer  le  succès  de  la  cause  à 
laquelle  il  sacrifie  courageusement  sa  vie  :  voilà  les  princi- 
paux personnages  mis  en  scène  par  l'auteur.  Avec  de  tels  élé- 
mens  ,  il  pouvait  nous  offrir  des  tableaux  pleins  de  vie,  d'in- 
térêt, d'originalité,  et  faire  de  curieuses  études  sur  cette 
période  de  transition  si  peu  connue  et  si  importante.  Mal- 
heureusement M.  Féal  ne  paraît  pas  s'être  bien  pénétré  de 
l'esprit  des  temps  qu'il  veut  décrire.  Ses  druides  parlent  un 
langage  qui  ne  put  jamais  être  que  celui  de  leurs  ennemis  les 
plus  ardens;  ses  Romains  sont  de  vils  débauchés  ,  sans  esprit 
ni  grandeur  ;  il  ôte  au  paganisme  toute  espèce  de  poésie  ,  et 
fait  de  ses  cérémonies  de  dégoûtantes  orgies ,  sans  la  moindre 
teinte  de  foi  religieuse  ;  ses  chrétiens  eux-mêmes  ne  sont  que 
de  pâles  et  froides  copies  de  ces  figures  énergiques  et  grandes  , 
qui  nous  apparaissent  entourées  d'une  auréole  brillante  ,  au 
milieu  de  ces  siècles  de  ténèbres  ,  auxquels  ils  apportaient  la 
lumière  au  péril  de  leur  vie.  M.  Féal  aurait  mieux  fait , 
peut-être  ,  d'écrire  l'histoire  d'une  autre  manière.  La  forme 
dramatique  qu'il  a  adoptée  est  sans  doute  plus  propre  à 
frapper  le  lecteur,  et  à  peindre  l'époque  avec  sa  phvsionomie 
originale  et  ses  mœurs  si  différentes  des  nôtres;  mais  elle 
exige  un  talent  bien  supérieur  et  des  études  beaucoup  plus 
profondes.  Combien  n'avons-nous  pas  vu  déjà  d'écrivains  dis- 
tingués se  fourvoyer  sur  cette  route!  et  parmi  toutes  les  tenta- 
tives de  ce  genre  essayées  dans  ces  derniers  temps  ,  c'est  à 
peine  si  l'on  en  compte  une  ou  deux  qui  soient  dignes  d'être 


220  LITTÉRATURE, 

citées,  La  seule,  peut-être,  qui  soit  une  œuvre  hors  de  ligne, 
et  qui  mérite  de  prendre  place  parmi  les  gloires  littéraires  de 
notre  époque  ,  est  due  à  la  plume  d'un  homme  de  génie.  C'est 
Goetz  de  Berlichingen  à  la  main  de  fer ,  qui  nous  offre  un 
admirable  tableau  de  ce  moyen-âge  ,  tant  prôné  et  si  peu 
compris  par  la  plupart  de  nos  écrivains  modernes.  Un  tel 
chef-d'œuvre  est  bien  fait  pour  exciter  la  plus  noble  ambi- 
tion ;  mais  il  est  plus  facile  d'admirer  que  d'imiter  Goethe. 


■REVUE  DU  NORD  :  Numéro  de  mai  1837.  ln-8.  Le  prix  de  l'abonnemenî 
est  40  fr.  par  an  pour  Paris. 

Ce  numéro  renferme  les  articles  suivans  : 

1°  Des  Klccdes  de  C.  L.  Woitsitski.  Sous  ce  titre  un  sa- 
vant va  publier  le  recueil  des  traditions  et  des  chants  popu- 
laires de  la  Pologne  et  de  la  Russie.  C'est  une  mine  tout-à- 
fait  neuve  à  exploiter  et  qui ,  si  l'on  en  juge  par  les  extraits 
que  renferme  cet  article,  promet  d'être  féconde.  Cette  poésie 
du  Nord  est  empreinte  d'une  teinte  sauvage  et  mystérieuse 
qui  excite  vivement  la  curiosité.  Sa  mythologie  étrange ,  le 
merveilleux  qui  règne  dans  tous  ses  récits,  le  sentiment  pro- 
fond qui  s'y  révèle,  enfin,  les  détails  de  mœurs  qu'on  ne 
peut  retrouver  que  là,  et  qui  servent  à  faire  connaître  les  an- 
ciens peuples  slaves,  tout  se  réunit  pour  donner  un  vif  intérêt 
à  ces  débris  d'une  littérature  presque  tout-à-fait  ignorée. 

1°  Sur  la  littérature  flamande,  les  poètes  flamands  et  les  res- 
titutions littéraires  à  faire  aux  Belges  ;  fragment  trop  court  et 
un  peu  sèchement  écrit ,  dans  lequel  on  passe  rapidement  en 
revue  les  principaux  titres  de  gloire  des  vieilles  provinces 
belges.  L'auteur  aurait  donné  plus  d'intérêt  à  ses  recher- 
ches en  y  ajoutant  quelques  développemens  ;  et  la  littérature 
belge  est  si  peu  connue  qu'il  serait  nécessaire  aussi  de  don- 
ner des  analyses  et  des  citations  de  la  plupart  des  ouvrages 
dont  il  fait  mention. 

3°  Goethe  jugé  par  Menzcl;  article  traduit  de  l'un  des  plus 
célèbres  critiques  de  l'Allemagne.  Le  génie  de  Goethe  y  est 
apprécié  d'une  manière  assez  juste  sans  engouement  ni  pré- 
vention. Il  rond  hommage  aux  puissantes  facultés  du  poète 
allemand ,  mais  il  fait  aussi  ressortir  la  funeste  influence 
qu'il  a  exercée  sur  son  siècle,  dont  il  a  reflété  dans  sa  poésie 
toutes  les  faiblesses  et  tous  les  vices.  11  fut  le  poète  du  maté- 
rialisme et  n'employa  presque  constamment  son  talent  qu'à 
chanter  et  à  exalter  les  jouissances  physiques.  L'âme  et  ses 
besoins  religieux  furent  trop  souvent  oubliés  par  lui. 

4°  Recherches  sur  les  Scandinaves  et  la  Scandinavie  ;  travail 


HISTOIRE  TU 

de  géographie  antique  et  d'histoire  par  le  général  G,  de  Vau- 
doncourt ,  dans  lequel  il  considère  Odin,  le  chef  mystique 
des  Ases  et  de  la  nation  gothique,  comme  un  personnage 
fictif  qui  désignait  le  soleil,  objet  de  l'adoration  de  ces  an- 
ciens peuples.  Il  présente  un  tableau  chronologique  des  rois 
Scandinaves,  depuis  la  plus  vieille  époque  historique  qui  suc- 
céda à  la  dissolution  du  gouvernement  théocratique  central. 
La  durée  de  ce  gouvernement  est  inconnue,  mais  semble  se 
rapporter  à  ce  que  les  récits  de  l'Edda  appellent  le  règne 
d'Odin.  M.  de  Vaudoncourt  donne  un  court  abrégé  de  l'his- 
toire du  Daneinarck  ,  de  la  Suède  et  de  la  Nonvège  ,  jusque 
vers  le  milieu  du  onzième  siècle.  Ces  savantes  recherches  of- 
frent un  haut  intérêt. 

5°  De  l'influence  de  la  distribution  du  revenu  agricole  sur  le 
développement  économique  et  politique  des  nations.  Cet  article, 
dû  à  la  plume  d'un  économiste  allemand,  a  pour  but  de  mon- 
trer combien  le  degré  de  liberté  et  de  prospérité  d'un  peuple 
se  trouve  toujours  en  rapport  avec  les  institutions  qui  régis- 
sent la  distribution  du  revenu  agricole.  L'indépendance  du 
cultivateur  est  la  première  condition  et  la  plus  sûre  base  de 
la  liberté  politique.  Un  coup-d'œil  jeté  sur  les  diverses  con- 
trées de  l'Europe  suffit  pour  s'assurer  de  ce  rapport  constant, 
et  il  est  assez  généralement  reconnu  aujourd'hui  que  la 
grande  division  de  la  propriété  produit  une  distribution  plus 
égale  et  plus  juste  de  la  riebesse. 

6°  Documcns  inédits  sur  l'Islande  ;  tableaux  statistiques  des 
mariages,  des  naissances,  des  morts,  des  maladies  et  de  la 
population  de  différentes  villes. 

7°  Particularités  sur  la  Suisse,  traits  historiques  ,  détails  de 
mœurs  qui  servent  à  faire  connaître  le  pays  et  ses  habitans. 
Nous  citerons  le  suivant  comme  l'un  des  plus  caractéristiques 
et  des  plus  remarquables  :  «  Le  landammaun  d'Àppenzell , 
Gebhard  Zûrcher  ,  était  laboureur  ,  et  charpentier  de  profes- 
sion. Le  matin  ,  il  présidait  le  conseil  et  prenait  part  aux  tra- 
vaux des  commissions  ;  l'après-midi ,  il  cultivait  son  champ 
ou  travaillait  dans  son  atelier.  Un  patricien  d'une  des  prin- 
cipales villes  de  la  Suisse ,  qui  avait  des  affaires  importantes 
dans  le  canton  d'Appenzell ,  trouva  le  landamann  chez  lui  et 
occupé  des  travaux  de  son  état  ;  mais  ,  voyant  cet  homme  en 
tablier  de  cuir  ,  le  patricien  se  mit  à  l'aise  ,  se  couvrit  ,  et , 
jouant  avec  sa  badine,  il  lui  exposa  ce  qui  l'amenait.  Quand  il 
eut  terminé , — A  qui  voulez-vous  parler?  lui  demanda  le  lan- 
dammann,  est-ce  au  paysan  Gebhard  Ziircher  ou  au  landam- 
mann  du  canton? — Au  landaminann  naturellement,  répondit 
le  patricien  d'un  ton  dégagé.  —  Dans  ce  cas,  découvrez- vous, 
reprit  Gebhard  Zûrcher,  avec  une  noble  fierté,  et  répétez-moi 


222  LITTÉRATURE, 

l'affaire  à  laquelle  le  landàmann  n'a  rien  compris  ,  car  il  pen- 
sait que  vous  parliez  au  paysan  votre  égal.  » 

8°  Miscellanées,  choix  de  fragmens  de  littérature  traduits  du 
russe  ou  de  l'allemand,  et  correspondance  scientifique  de 
Russie, de  Suède, d'Autriche, de  Hongrie  etdeValachie.  L'un 
des  morceaux  les  plus  remarquables  de  cettp  dernière  partie 
est  Un  déjeuner  en  enfer,  par  le  baron  Bramheus.  On  y 
trouve  une  mordante  critique  de  la  littérature  moderne. 


HISTOIRE  DE  LA  CONFÉDÉRATION  SUISSE,  par  Jean  de  Millier,  Robert 
Gloutz-Dlozheim  et  / .-./.  Hottinger ,  traduite  de  l'allemand  avec  des 
notes  nouvelles  et  continuée  jusqu'à  nos  jours  par  Ch.  Monnard  et 
L.  Vulliemin.—  Paris,  1837.  Tome  2.  In-8.  7  fr. 

Le  serment  du  Grùtli ,  l'expulsion  des  baillis  autrichiens 
qui  en  fut  la  conséquence  ,  la  bataille  de  Morgarten  où  les 
Suisses  surent  si  bien  défendre  la  liberté  qu'ils  avaient  con- 
quise ,  les  destinées  de  Zurich  sous  son  dictateur  Rodolphe 
Broun,  celles  plus  brillantes  de  Berne,  sous  le  commande- 
ment de  son  grand  citoyen  Rodolphe  d'Erlach  ,  enfin  la  ba- 
taille de  Laupen  :  tels  sont  les  grands  événemens  qui  se  pres- 
sent dans  ce  volume  et  qui  forment  la  partie  vraiment 
héroïque  de  l'histoire  de  Suisse.  Le  plus  vif  intérêt  s'attache 
au  récit  de  Muller,  et  son  traducteur  a  heureusement  repro- 
duit cette  éloquence  mâle  et  simple  avec  laquelle  l'historien 
allemand  trace  le  beau  tableau  de  ce  petit  peuple,  qui  par  sa 
prudence  et  son  courage  sut  se  créer  une  existence  indépen- 
dante, secouer  le  joug  de  l'Autriche  et  se  maintenir  contre 
les  nombreuses  armées  qui  furent  plus  d'une  fois  levées  dans 
le  but  de  le  faire  rentrer  dans  la  servitude.  C'est  là  qu'il  faut 
étudier  comment  un  pays,  quelque  pauvre  et  quelque  peu 
étendu  qu'il  soit ,  peut  être  fécondé  par  l'amour  de  la  li- 
berté, par  le  vrai  patriotisme  ,  et  s'assurer  ainsi  une  longue 
prospérité  dans  l'avenir ,  une  belle  place  dans  les  fastes  de 
l'histoire.  La  révolution  de  1308,  qui  posa  les  premières  bases 
de  la  Confédération  Helvétique,  fut  pure  de  tout  excès.  Con- 
fiais dans  leur  bon  droit,  les  habitans  des  Waldstetten  ne 
versèrent  pas  une  goutte  de  sang,  lisse  contentèrent  de  faire 
jurera  leurs  ennemis  qu'ils  ne  rentreraient  plus  dans  le  pays, 
et  lorsque  ceux-ci,  infidèles  à  leur  parole,  s'avancèrent  avec 
une  puissante  armée  sur  le  champ  de  bataille  de  Morgar- 
ten ,  les  Suisses  se  jetant  à  genoux  implorèrent  le  secours  du 
Tout-Puissant  et  se  précipitèrent  avec  un  courage  indomp- 
table sur  les  rangs  bardés  de  fer  de  la  noblesse  autrichienne. 

Ce  fut  un  étrange  spectacle  au  milieu  des  ténèbres  du 
moyen  âge,  que  de  voir  des  paysans  vaincre  des  seigneurs,  et 


HISTOIRE.  223 

ceux-ci  durent  éprouver  une  humiliation  bien  forte,  lorsque, 
après  avoir  fait  de  grands  préparatifs  pour  marcher  à  une 
conquête  qu'ils  regardaient  comme  facile  et  assurée,  ils  se  vi- 
rent obligés  de  fuir  en  désordre,  en  laissant  à  Morgarten  bon 
nombre  des  leurs.  L'alliance  étemelle  fut  alors  renouvelée  en- 
tre les  trois  premiers  cantons,  auxquels  vint  bientôt  se  joindre 
Lu  cerne. 

Les  villes  de  Zurich  et  de  Berne  commencèrent  aussi  à 
prospérer  et  à  s'assurer  une  existence  indépendante ,  en  ra- 
chetant de  divers  seigneurs  des  droits,  privilèges  et  hypothè- 
ques, et  en  se  plaçant  comme  villes  libres  sous  la  protection 
de  l'Empire.  Zurich  fut  agitée  par  des  dissensions  intestines, 
qui  altérèrent  sa  constitution  et  la  soumirent  pendant  quel- 
que temps  à  une  faction  populaire,  ou  plutôt  au  pouvoir 
d'un  ambitieux  qui  savait  flatter  la  foule  et  s'en  servir  comme 
d'un  instrument. 

Berne  eut  une  autre  lutte  à  soutenir.  La  noblesse,  irritée 
des  prétentions  et  de  la  fierté  de  ces  bourgeois  qui  paraissaient 
se  croire  les  égaux  des  seigneurs,  entreprit  une  formidable 
expédition  contre  cette  petite  république.  De  tous  côtés,  des 
comtes  et  des  barons,  des  ducs  et  des  princes,  accouraient 
pour  prendre  part  à  cette  entreprise  qui  promettait  un  riche 
butin  et  une  satisfaction  complète  a  l'honneur  blessé  de  tous 
ces  nobles. 

Berne,  dans  ce  péril,  confia  sa  bannière  aux  mains  du  cheva- 
lier d'Erlach,  et  députa  auprès  des  Waldstetten  pour  leur  expo- 
ser sa  position.  Quoique  l'alliance  de  ceux-ci  avec  les  Ber- 
nois fût  expirée,  ils'répondirent  à  l'envoyé  :  «  Cher  sire  de 
»  Krambourg,  ;la  véritable  amitié  paraît  dans  le  péril;  allez  à 
»  Berne,  dites  à  vos  concitoyens  que  le  peuple  des  Waldstet 
»  ten  leur  fera  voir  comment  il  pense.  »        , 

Bientôt  neuf  cents  hommes  des  Waldstetten,  trois  cents,  du 
Hasli,  quatre  mille  bourgeois  de  Berne  et  quatre-vingts  cava- 
liers de  Soleure  furent  réunis  près  de  Laupen,  où  Erlach  ju- 
gea convenable  de  se  poster  pour  attendre  l'ennemi. 

Les  deux  armées  ne  tardèrent  pas  à  se  trouver  en  présence, 
et  des  défis  furent  échangés  entre  les  hommes  des  divers  par- 
tis. Enfin  le  signal  fut  donné.  «  Les  frondeurs  se  précipitè- 
rent les  premiers  sur  l'ennemi  ;  ils  firent  chacun  trois  jets, 
troublèrent  ses  rangs  et  se  retirèrent.  De  lourds  chariots  de 
guerre  en  fer  roulèrent  avec  fracas  dans  les  rangs  rompus  ; 
des  guerriers  combattaient  avec  fureur  du  haut  de  ces  chars 
qu'ils  ne  pouvaient  faire  reculer.  Cependant  ceux  de  l'arrière- 
garde,  inaccoutumés  aux  manœuvres  des  frondeurs,  prirent 
leur  retraite  pour  une  fuite  et  se  sauvèrent  dans  la  forêt;  leur 
action    remarquée  jeta  du    trouble  dans  les   esprits   et   fut 


224  LITTÉRATURE , 

rapportée  au  général  ;  à  cet  instant,  Erlach  cria  aux  troupes, 
avec  un  visage  calme  et  serein  :  «  Amis,  nous  sommes  vain- 
queurs, les  lâches  sont  partis;  »  et  Sur-le-champ,  tandis  que 
les  chariots  de  guerre  continuaient  d'agir,  lui,  la  bannière  de 
la  ville  de  Berne  dans  ses  mains,  et  accompagné  de  ces  jeunes 
gens,  le  noyau  de  son  armée,  il  pénétra  puissant,  irrésistible, 
dans  l'infanterie  ennemie.  Bientôt  les  Bernois  et  leurs  alliés 
furent  en  effet  vainqueurs.  La  noblesse  en  déroute  combattit 
en  vain  avec  courage,  ses  plus  vaillans  guerriers  tombèrent 
sur  le  champ  de  bataille,  les  autres  durent  prendre  la  fuite. 

»  Quand  après  la  poursuite  des  ennemis ,  les  troupes  se 
fuient  réunies  sur  le  champ  de  bataille,  toute  l'armée  de  la 
ville  de  Berne  se  mit  à  genoux  pour  remercier  Dieu  d'avoir 
béni  l'habileté  d'Erlach  et  leur  courage  ,  comme  il  aime  à  le 
faire.  Erlach  loua  leur  subordination  :  «  Je  n'oublierai  jamais, 
»  dit-il,  que  je  dois  cette  victoire  à  la  confiance  de  mes  conci- 
»  toyens  et  à  votre  vaillance,  braves,  loyaux,  chers  amis  et 
»  soutiens  des  Waldstetten  et  de  Soleure  ;  quand  nos  descen- 
»  dans  ouïront  l'histoire  de  cette  bataille,  ils  estimeront  par- 
»  dessus  tout ,  comme  dans  ce  jour,  cette  amitié  mutuelle  ; 
»  dans  leurs  dangers  et  dans  leurs  guerres,  ils  réfléchiront  de 
»  quels  aïeux  ils  sont  les  enfans.  »  Pendant  ce  temps,  d'autres 
pansaient  les  blessés  ;  on  donna  des  sauf-conduits  à  ceux  qui 
désiraient  emporter  les  corps  des  leurs  dans  les  tombeaux  de 
leurs  familles  ;  d'autres  furent  entassés  dans  de  grandes  fos- 
ses, à  l'endroit  où  ils  succombèrent.  Lorsque  la  garnison  de 
Laupen  vit  arriver  les  bannières  amies,  beaucoup  pleurèrent 
comme  on  pleure  à  la  lecture  ou  au  récit  de  grandes  actions 
auxquelles  on  eût  voulu  concourir. 

»  L'armée  victorieuse  passa  cette  nuit-là  sur  le  champ  deba- 
taille  ,  suivant  la  coutume.  Le  lendemain ,  chacun  fut  de 
bonne  heure  sur  pied.  En  avant  marchaitDieboldBaselvvind; 
suivaient  les  bannières  conquises,  les  armes  et  les  cuirasses 
des  grands  qui  périrent;  sur  toutes  les  figures  brillait  la 
victoire  remportée  par  la  vertu  qui  dépend  de  l'homme  sur 
la  puissance  que  donne  la  fortune.  Au  milieu  de  ces  pensées, 
ils  entrèrent  dans  la  ville  de  Berne.  Erlach  après  avoir  re- 
nouvelé la  gloire  de  son  père  en  sauvant  la  république,  dé- 
posa le  suprême  pouvoir.  Les  Bernois  et  les  Suisses  des 
Waldstetten  se  prêtèrent  un  serinent  de  confédération.  » 

Ce  fut  ainsi  que  la  ville  de  Berne  s'acquit  un  rang  et  une 
renommée  que  sa  petite  étendue  semblait  ne  devoir  jamais 
lui  permettre  d'atteindre.  Elle  se  distingua  par  la  sagesse  de 
ses  conseils,  par  la  prudence  de  ses  actions,  par  sa  valeur 
dans  les  combats,  et  commença  dès-lors  à  s'élever  à  un  haut 
degré  de  prospérité. 


HISTOIRE.  22J 

Le  récit  de  Mullcr  offre  un  intérêt  toujours  plus  vif  à  me- 
sure qu'il  avance,  on  y  rencontre  une  foule  de  détails  de 
mœurs  fort  curieux  ;  c'est  vraiment  l'histoire  du  peuple  suisse 
et  non  pas  seulement  celle  de  ses  gouvernemens.  Les  vues 
élevées  de  l'auteur  savent  faire  jaillir  du  moindre  trait  de  ce 
genre  une  pensée  profonde,  formulée  avec  clarté  et  conci- 
sion. 


FLOREXCE  ET  SES  VICISSITUDES  :  1215  -  1790;  par  M.  Delécluze.  — 
Paris,  1837.  2  vol.  in-8.  iig.  16  fr. 

Cet  ouvrage  est  remarquable,  sous  le  rapport  des  recher- 
ches historiques  ;  mais  il  n'offre  pas  un  récit  suivi  :  ce 
sont  plutôt  des  documens  précieux  à  consulter  sans  doute, 
mais  qui  ne  présentent  pas  beaucoup  d'attrait  à  la  lecture. 
M.  Delécluse  a  divisé  son  travail  en  six  parties  distinctes  :  les 
ti'ois  premières  renferment  une  sorte  de  chronique  des  évé- 
nemens  les  plus  remarquables  des  annales  de  Florence  ,  dans 
les  trois  périodes  de  la  république ,  de  l'oligarchie  et  de  la 
monarchie  que  cette  ville  célèbre  a  successivement  traver- 
sées pendant  ces  six  siècles. 

Les  trois  dernières  parties  traitent  du  gouvernement ,  de  la 
philosophie  et  des  mœurs.  On  voit  que  l'auteur  s'est  livré  à 
de  sérieuses  études;  il  a  compulsé  tous  les  monumens  des 
temps  passés  ;  il  s'est  inspiré  de  l'aspect  des  lieux  qu'il  décrit, 
il  ne  parle  que  d'après  des  autorités  certaines.  Mais  son  œu- 
vre n'est  pas  terminée  ;  elle  manque  d'ensemble  et  paraît  être 
un  assemblage  de  matériaux  plutôt  qu'une  histoire  propre- 
ment dite.  C'est  un  dépouillement  d'archives  et  de  chroni- 
ques fait  avec  érudition,  qui  aplanira  la  route  aux  historiens 
tentés  d'aborder  ce  même  sujet.  On  trouvera  de  l'intérêt 
dans  les  considérations  sur  l'influence  et  les  résultats  des  di- 
verses formes  de  gouvernement  qui  se  succédèrent  à  Flo- 
rence. Le  tableau  des  vicissitudes  politiques  de  cette  ville  est 
riche  en  grandes  leçons,  en  expériences  cruelles. 

«  En  jetant ,  dit  M.  Delécluze ,  un  regard  rapide  sur  les 
trois  phases  de  l'histoire  de  Florence  :  la  république ,  l'oli- 
garchie et  enfin  la  monarchie  médicéenne,  on  peut  faire  une 
observation  importante  :  c'est  que  les  résultats  heureux  ,  ob- 
tenus par  le  peuple  florentin  à  ces  trois  époques,  sont  d'une 
nature  différente  ,  tandis  que  le  mal  qui  a  miné  constamment 
et  détruit  chacun  de  ces  gouvernemens  est  le  même.  Sous  la 
république,  la  cité  de  Florence  conquiert  sa  franchise  ,  fonde 
son  commerce  et  voit  naître  un  poète  et  une  poésie  qui  se- 
ront toujours  pour  elle  un  titre  de  gloire;  le  gouvernement 


226  LITTÉRATURE , 

oligarchique  rend  le  commerce  plus  florissant  encore.  L'éru- 
dition ,  la  philosophie  ,  les  arts  prennent  un  essor  non  moins 
élevé  ,  non  moins  glorieux  que  la  poésie  ,  sous  la  monarchie 
des  grands-ducs  de  la  maison  Médicis  ;  l'agriculture  est  remise 
en  honneur,  les  sciences  et  la  philosophie  grandissent ,  s'éten- 
dent et  s'élèvent  avec  le  génie  puissant  de  Galilée.  Mais 
malgré  tous  ces  élémens  de  vie  intellectuelle  pour  le  peuple 
florentin,  depuis  1218  jusqu'à  1700,  un  mal  incurable  a  tou- 
jours arrêté  le  développement  des  institutions  et  des  lois  qu'il 
a  voulu  se  donner  ou  qu'on  lui  a  imposées;  ce  mal  est  la  mau- 
vaise administration  de  la  justice. 

»  En  cdhsidérant  la  politique  des  Etats  sous  l'aspect  moral, 
la  forme  des  gouvernemens  n'est  jamais  qu'une  question  ac- 
cessoire. Ce  qui  importe  avant  tout ,  est  que  les  droits  de 
chacun  ,  si  restreints  ou  si  étendus  qu'ils  puissent  èlre,  soient 
définis,  reconnus  ,  respectés  et  défendus  par  les  lois.  Or  c'est 
ce  qui  a  manqué  à  cette  belle  et  malheureuse  Florence,  sous 
la  république ,  pendant  l'oligarchie  et  quand  elle  a  été  gou- 
vernée par  les  grands-ducs  Médicis.  Riche  par  son  commerce, 
par  sa  poésie,  par  ses  arts  et  par  sa  science  ,  elle  a  été  pau- 
vre de  lois,  ignorante  de  justice  ,  vivant  toujours  d'illusions 
folles  et  s'attachant  à  l'ombre,  sans  s'inquiéter  même  de  quel 
bien  elle  devait  se  saisir.  »  Cette  observation  est  pleine  de 
justesse,  les  formes  politiques  sur  lesquelles  on  se  dispute 
avec  tant  de  passion,  avec  tant  de  violence  et  de  déraison, 
ne  sont  point  dignes  de  l'importance  qu'on  leur  donne.  On 
veut  les  poser  comme  des  principes,  tandis  qu'au  contraire 
elles  sont  des  conséquences  que  le  temps  seul  peut  amener. 
L'éternelle  justice  avec  tous  ses  résultats  logiques,  voilà  l'uni- 
que base  sur  laquelle  puisse  s'élever  une  liberté  féconde  et 
durable.  Les  modifications  de  formes  viennent  après  et 
d'elles-mêmes,  lorsque  le  moment  est  arrivé  où  elles  doivent 
passer  de  l'opinion  publique  dans  les  institutions  de  l'Etat. 

Les  mœurs  des  Florentins  sont  peintes  par  des  extraits  de 
mémoires  écrits  à  diverses  époques,  qui  contiennent  une  foule 
de  détails  très-curieux  sur  la  vie  privée  des  citoyens  au  mi- 
lieu des  luttes  acharnées  de  la  guerre  civile,  ou  dans  la  bril- 
lante prospérité  d'une  paix  glorieuse  qui  fait  fleurir  les  lettres 
et  les  arts  avec  tant  d'éclat. 

Il  est  fâcheux  que  M.  Delécluze  donne  souvent  à  son  style 
un  tour  pénible  et  diffus.  Au  lieu  de  parler  à  la  première 
personne  ,  soit  du  singulier,  soit  du  pluriel ,  il  emploie  con- 
stamment le  pronom  impersonnel  ,  on.  On  a  dit,  on  ajoutera, 
on  remarquera ,  sont  des  expressions  qui  reviennent  à  chaque 
page  avec  une  affectation  marquée  ,  et  cette  manière  avec  la- 
quelle  l'auteur  s'isole  du  public,  paraissant  dédaigner  de 


HISTOIRE.  22" 


s'adresser  directement  à  lui ,  n'est  ni  gracieuse ,  ni  favorable 
à  la  narration. 

Un  plan   de  Florence  et  divers  médaillons   gravés  avec 
beaucoup  de  soins  ,  accompagnent  ces  deux  volumes. 


PROVINCE  DE  CONSTAXTIXE.  RECUEIL  DE  REXSEIGXE.MEXS  pour 
l'expédition  ou  l'établissement  des  Français  dans  cette  partie  de 
l'Afrique  septentrionale  ;  par  M.  Dureau  de  la  Malle ,  membre  de 
l'Institut.  Paris  ,  chez  Gide,  1837.  In-8.  Avec  une  carte.  6  fr. 

Chargé  de  réunir  tous  lesdocumens  historiques,  topographi- 
queset  archéologiques  qui  pouvaient  servir  à  faire  connaître  la 
province  de  Constantine,  M.  Dureau  de  la  Malle  a  puhliédivers 
articles  à  ce  sujet,  dans  les  Annales  des  Voyages,  et  les  réunit 
aujourd'hui  en  un  volume  qui  pourra  offrir  un  grand  intérêt , 
si  surtout  le  projet  d'expédition  n'est  pas  abandonné.  M.  Du- 
reau de  la  Malle  n'ayant  pas  été  dans  le  pays  ,  ne  le  décrit  que 
d'après  ce  qu'en  ont  dit  les  auteurs  anciens  ou  modernes,  et 
d'après  les  renseignemens  à  lui  fournis  par  quelques  voya- 
geurs. Il  sera  donc  curieux  de  vérifier  sur  les  lieux  mêmes 
l'exactitude  de  ces  rapports,  et  de  voir  jusqu'à  quel  point 
un  mémoire  de  savant,  rédigé  uniquement  d'après  des  livres, 
peut  servir  à  la  connaissance  d'une  contrée. 

Ce  travail  est  divisé  en  trois  parties  principales  :  Description 
du  pays  ;  Statistique  spéciale;  Géographie  comparée;  Archéolo- 
gie. La  première  et  la  dernière  sont  sans  doute  celles  qui  peu- 
vent inspirer  le  plus  de  confiance  ;  la  province  de  Constan- 
tine avait  été  occupée  par  les  Romains  ,  et  ils  ont  laissé  de 
nombreux  renseignemens  sur  la  nature  du  sol  et  sur  la  géo- 
graphie. C'est  également  sur  ces  deux  points ,  ainsi  que  sur  les 
monumeils  antiques  dont  les  ruines  subsistent  encore,  que 
les  voyageurs  modernes  fournissent  les  données  les  plus  cer- 
taines ;  et  les  recherches  de  M.  Dureau  de  la  Malle  présen- 
tent ,  sous  ce  rapport ,  un  véritable  intérêt.  Tous  les  écrivains 
anciens  et  modernes  ,  qui  ont  parlé  de  cette  province  ,  s'ac- 
cordent à  vanter  la  fertilité  de  son  sol.  Elle  parait  offrir  la 
position  la  plus  avantageuse  pour  l'établissement  des  Euro- 
péens sur  la  côte  d'Afrique.  Son  climat  est  plus  sain  que 
celui  des  autres  parties  de  la  Régence;  «  le  voisinage  et  la  tem- 
pérature froide  des  montagnes  ne  doivent  pas  peu  contribuer 
à  préserver  Constantine  de  l'influence  morbifique  des  cha- 
leurs. »  Les  nombreux  monumens  antiques  dont  elle  ren- 
ferme les  ruines,  prouvent  quel  développement  elle  avait 
S  ris  sous  la  domination  des  Romains  et  sous  celle  des  rois 
[umides. 


228  PHILOSOPHIE, 

Quant  à  la  partie  statistique  du  livre  de  M,  Dureau  de  la 
Malle  ,  elle  ne  peut  être  que  fort  hypothétique.  Dansées  con- 
trées à  demi  barbares ,  il  n'existe  pas  de  documens  officiels  , 
et  les  voyageurs  ne  sauraient  se  procurer  que  des  données 
tout;à-fait  vagues  sur  la  population  ,  sur  les  revenus ,  sur  les 
mœurs  des  pays  dans  lesquels  ils  séjournent  si  peu.  Pour 
tout  ce  qui  concerne  la  statistique  ,  l'occupation  seule  pourra 
fournir  des  renseignemens  exacts;  et  d'ailleurs,  à  cet  égard 
surtout,  la  conquête ,  si  elle  avait  lieu ,  changerait  rapide- 
ment toutes  les  relations  existant  aujourd'hui. 

Une  fort  belle  carte  d'une  partie  de  la  province  de  Con- 
stantine  accompagne  ce  volume. 


PniLOSOPniE,    MORALE,    EDUCATION. 


ETIENNE  ET  VALEXTIN  ou  mensonge  et  probité  ,  par  M11"  S.  lilliac 
Trémadeure;  ouvrage  couronné.  — Paris,  chez  Didier,  1837.  1  Toi. 
In-12.  3fr.  50  c. 

Ce  volume ,  qui  s'offre  à  nous  sous  la  couverture  de  la  Bi- 
bliothèque d'Education,  ne  doit  pas  plus  que  tous  les  autres 
livres  du  même  auteur,  être  confondu  avec  la  foule  des  pro- 
ductions de  ce  genre.  Non-seulement  il  se  place  hors  de  ligne, 
par  le  talent  avec  lequel  il  a  été  conçu  et  écrit ,  mais  encore 
le  but  que  s'est  proposé  l'écrivain  ,  lui  assure  un  rang  distin- 
gué parmi  les  ouvrages  de  haute  morale,  dont  l'influence  peut 
amener  les  résultats  les  plus  utiles. 

La  Société  pour  le  patronage  des  jeunes  libérés  a  su  di- 
gnement apprécier  son  mérite ,  en  accordant  à  mademoi- 
selle Ulliac  le  prix  qu'elle  avait  fondé  pour  le  meilleur  livre 
destiné  à  être  mis  entre  les  mains  des  malheureux  en  fan  s  , 
dont  elle  s'occupe  avec  tant  de  sollicitude.  On  ne  saurait 
ter  que  le  public  ne  s'empresse  de  confirmer  ce  jugement, 
et  que  bientôt  l'expérience  qu'on  fera  de  sa  lecture,  parmi  les 
jeunes  détenus ,  n'y  ajoute  une  sanction  plus  haute  encore  , 
en  lui  assurant  un  succès  aussi  durable  que  bienfaisant. 

Essayons  d'analyser  cet  excellent  petit  livre.  Deux  pau- 
vres enfans  de  onze  à  treize  ans  se  voient  enlever  à  la 
fois ,  par  un  affreux  incendie ,  leurs  païens  et  tout  moyen 
d'existence.  L'aîné  ,  Etienne ,  possède  un  de  ces  caractè- 
res aimans,  mais  non  passionnés,  qui  paraissent  souvent  à 
l'extérieur  faibles  et  nuls ,  jusqu'à  ce.  que  des  circonstances 
viennent  les  développer.  Valentin,  au  contraire,  est  ce  qu'on 
appelle  une  mauvaise  tète,  et  son  cœur  a  été  gâté  par  la  cou- 


MORALE,  ÉDUCATION.  229 

pable  indulgence  de  ses  païens,  'dont  il  était  le  favori,  le 
Benjamin  auquel  on  pardonnait  tout;  tandis  que  son  frère 
était  souvent  repoussé  et  obligé  de  concentrer  ses  affections 
en  lui-même. 

Etienne  et  Valentin  avaient  été  passer  quelques  jours  à 
Syrod,  chez  un  oncle  forgeron;  et  c'est  à  leur  retour  au  vil- 
lage natal ,  qu'ils  ne  trouvent  plus  qu'un  monceau  de  cendres 
encore  fumantes  ,  à  la  place  de  la  maison  de  leur  père.  Ce  dé- 
sastre affreux  les  plonge  d'abord  dans  un  morne  désespoir.  Ils 
s'éloignent  en  pleurant,  et  ne  sachant  de  quel  côté  diriger 
leurs  pas.  L'oncle  de  Syrod  et  quelques  autres  païens  leur 
restent  encore  ;  mais  le  premier  élan  de  la  douleur  passé, 
Valentin  reprend  bientôt  sur  son  frère  l'ascendant  que  lui 
donne  son  caractère  léger,  mais  volontaire,  habitué  à  n'être 
pas  contrarié;  et  il  déclare  que ,  puisque  les  circonstances 
l'ont  rendu  libre,  il  ne  veut  pas  s'aller  mettre  sous  de  nou- 
velles chaînes,  ni  être  à  charge  à  personne.  Le  désir  de  voya- 
ger, si  attrayant  pour  le  jeune  âge,  lui  suggère  l'idée  d'aller 
à  Paris  ;  il  propose  à  son  frère  d'employer  le  peu  d'argent 
qu'ils  ont  dans  leurs  poches  à  acheter  quelques  marchan- 
dises qu'ils  vendront  le  long  de  la  route ,  et  Etienne ,  qui 
aime  trop  son  frère  pour  le  contredire,  consent  à  tout. 

Voilà  donc  nos  deux  orphelins  sur  le  chemin  de  la  Capi- 
tale. L'un  ,  toujours  profondément  affecté  par  son  chagrin  ,  se 
reprochait  parfois  de  ne  pas  être  plutôt  retourné  deman- 
der un  asile  à  quelque  membre  de  sa  famille;  l'autre,  au 
contraire,  oubliant  déjà  ou  du  moins  chassant  loin  de  lui  ces 
tristes  souvenirs  de  la  veille  ,  se  berçait  de  rêves  brillans  ,  et 
bâtissait  d'admirables  projets  d'avenir.  Cependant  le  com- 
merce ,  sur  lequel  les  deux  frères  avaient  fondé  leur  premier 
espoir,  n'allait  pas;  et  ils  se  virent  bientôt  obligés  de  tendre 
la  main  aux  passans  pour  avoir  du  pain.  Cette  humiliation 
chagrinait  vivement  le  pauvre  Etienne  ;  mais  Valentin  n'y 
voyait  qu'une  ressource  toute  naturelle;  et,  cédant  à  un  pen- 
chant malheureux  qu'il  avait  toujours  eu  pour  le  mensonge  , 
il  n'était  pas  d'embellissement  qu'il  ne  brodât  sur  le  canevas 
de  leur  aventure,  pour  exciter  la  commisération  en  leur  fa- 
veur. Le  modeste  atelier  du  tourneur ,  leur  père ,  se  changeait 
en  une  vaste  fabrique ,  et  cette  tactique  réussissait  si  bien , 
que  l'argent  abondait,  et  bon  gré  malgré,  Etienne  se  vit 
forcé  d'en  profiter  jusqu'à  Paris. 

Arrivés  dans  cette  grande  ville  ,  les  deux  frères  cherchèrent 
à  s'occuper  pour  gagner  leur  vie  ;  mais  sans  aucun  guide , 
sans  aucun  appui ,  il  est  impossible  que  d'aussi  jeunes  garçons 
trouvent  à  se  placer.  Réduits  à  attendre  leurs  seuls  moyens 
d'existence  du  produit  de  quelques  commissions  qu'ils  étaient 


230  PHILOSOPHIE , 

rarement  charges  de  faire,  ils  sont  exposés  à  souffrir  de  la 
faim.  Yalentiu  se  laisse  entraîner  par  quelques  mauvaises 
connaissances  ;  il  commet  de  petits  vols  ,  et  se  voit  arrêté  et 
conduit  au  dépôt  de  Saint-Denis,  où  il  retrouve  son  fière 
qui  a  été  également  arrêté ,  mais  seulement  comme  vaga- 
bond, parce  qu'il  n'avait  ni  papiers  ni  domicile.  Triste  aber- 
ration de  la  loi,  qui  confond  ainsi  le  coupable  avec  l'innocent 
malheureux,  et  les  entasse  pêle-mêle  comme  pour  les  cor- 
rompre les  uns  par  les  autres. 

L'aumônier  de  cette  maison  se  trouve  être  un  de  ces  hom- 
mes rares  et  précieux  qui  accomplissent  avec  un  zèle  éclairé, 
avec  un  dévouement  intelligent,  les  nobles  fonctions  du  prê- 
tre. Il  s'intéresse  au  sort  des  deux  frères,  obtient  la  mise  en 
liberté  d'Etienne  ,  et  le  place  en  apprentissage  chez  un  horlo- 
ger de  Saint-Denis.  Quanta  Yalentin  ,  il  subit  un  jugement  ; 
mais  réclamé  au  nom  de  son  oncle ,  il  est  également  libéré  ,  et 
le  bon  prêtre  leur  fournit  les  moyens  de  se  mettre  en  route, 
pour  retourner  à  Syrod.  Tandis  qu'Etienne  ,  profitant  des  le- 
çons de  l'aumônier,  avait  travaillé  sérieusement  chez  son  pa- 
tron pour  réparer  le  temps  perdu ,  Valentin,  resté  au  milieu 
des  mauvais  sujets  qui  peuplaient  la  maison  de  Saint-Denis,  y 
avait  puisé  de  détestables  principes ,  pris  des  leçons  de  crime  , 
et ,  lorsqu'il  en  était  sorti ,  il  avait  trompé  l'aumônier  ,  en 
ajoutant  l'hypocrisie  à  la  dépravation.  Un  misérable  s'était 
chargé  de  lui  servir  de  mentor,  et  trop  docile  à  ses  leçons  , 
Valentin  forme  l'abominable  projet  de  dépouiller  son  frère. 
A  Dijon  ,  après  une  nuit  du  plus  profond  sommeil,  Etienne 
en  se  réveillant  ne  trouve  plus  Valentin  à  ses  côtés;  la  cein- 
ture contenant  leur  petit  trésor  a  disparu,  et  bientôt  il  ne 
peut  plus  douter  de  l'affreuse  vérité  :  son  frère  l'a  volé.  Ne 
voulant  pas  perdre  Valentin  dans  l'esprit  de  son  oncle  ,  en 
dévoilant  son  infâme  conduite ,  Etienne  préfère  retourner  à 
Saint-Denis,  où  le  bon  abbé  Duménil  le  fait  rentrer  dans  la 
maison  de  l'horloger.  Là,  il  réussit  à  se  faire  aimer  et  à  se 
rendre  utile,  si  bien  qu'après  la  mort  de  son  maître,  il  est 
chargé  de  la  conduite  des  affaires  ;  et,  quelques  difficultés  s'é- 
tant  élevées  à  ce  sujet  avec  le  fils  de  la  maison,  il  trouve  à 
acheter  un  fonds  d'horlogerie  à  Paris  ,  et  s'établit  avec  le  pe- 
tit héritage  que  lui  laisse  l'oncle  de  Syrod ,  qui  meurt  aussi 
sur  ces  entrefaites.  La  réputation  d'activité  et  de  probité  que 
s'acquiert  alors  Etienne ,  commençait  à  le  faire  prospérer  , 
lorsqu'un  incident  vient  tout-à-coup  ébranler  son  crédit.  Une 
lettre  de  Valentin  lui  apprend  que  ce  malheureux  enfant  est 
détenu  à  Poissy,  par  suite  d'une  nouvelle  condamnation  pour 
vol.  Aussitôt  Etienne  se  rend  à  la  prison,  obtient  de  le  voir; 
rt ,  après  une  entrevue  touchante  ,  dam  laquelle  l'amour  fia- 


MORALE,  ÉDUCATION.  231 

ternel  pardonne  toutes  les  fautes  du  passé  ,  il  fait  les  démar- 
ches nécessaires  pour  rendre  la  liberté  à  Valentin ,  et  le  ra- 
mène dans  sa  propre  maison ,  où  il  le  prend  en  qualité  de 
commis.  Cet  acte  si  noble  ,  si  beau  en  lui-même  ,  ne  pouvait 
être  compris  de  tous  ceux  qui  avaient  quelque  intérêt  engagé 
dans  le  commerce  d'Etienne.  La  plupart  le  menacent  de  lui 
retirer  leur  confiance  ;  mais  il  tient  ferme  ,  il  résiste  à  l'orage 
et  garde  son  frère  avec  lui.  Le  succès  couronne  enfin  de  si 
grands  efforts;  mais  ce  n'est  pas  sans  peine  que  Valentin  pai- 
vient  à  refaire  sa  réputation.  Il  a  de  rudes  combats  à  soutenir 
contre  ses  mauvais  penchans  ;  la  sage  prudence  d'Etienne 
vient  plus  d'une  fois  à  son  secours;  il  se  trouve  surtout  ex- 
posé à  de  difficiles  épreuves  ,  et  ce  n'est  qu'à  force  de  cou- 
rage et  de  persévérance  qu'il  sort  vainqueur  de  la  lutte. 

rfous  ne  pouvons  dans  cette  trop  courte  analvse  faire  sen- 
tir tout  ce  qu'offrent  de  remarquable  les  détails  de  cet  inté- 
ressant récit.  Plusieurs  chapitres  sont  écrits  avec  un  sentiment 
si  vrai  ,  si  profond  qu'on  ne  saurait  les  lire  sans  être  vive- 
ment ému.  Les  exhortations  du  digne  abbé ,  la  rencontre  des 
deux  frères  dans  la  prison  de  Poissy  ,  la  dernière  épreuve  à 
laquelle  est  soumis  Valentin,  lorsque,  devenu  le  commis- 
voyageur  de  son  frère  et  d'un  autre  négociant,  il  se  retrouve 
en  présence  d'un  jeune  homme  que  ,  dans  le  temps  de  sa 
vie  criminelle  il  avait  indignement  trompé  ,  sont  autant 
de  scènes  admirablement  décrites.  Point  de  déclamations 
inutiles ,  de  sermons  ennuyeux  ;  d'un  bout  à  l'autre  les  faits 
parlent  d'eux-mêmes,  et  l'intérêt  qu'ils  présentent  ne  peut 
manquer  de  produire  le  plus  grand  effet.  Mademoiselle  Ulliac 
a  su  s'associer  ainsi  de  la  manière  la  plus  efficace  à  l'œuvre 
que  se  propose  la  Société  pour  le  patronage  des  jeunes  libérés, 
œuvre  qui  est  certainement  l'une  des  plus  utiles  et  des  plus 
importantes  qu'ait  entreprises  la  philantbropie  moderne.  De 
semblables  travaux  resteront  comme  les  monumens  les  plus 
honorables  de  notre  époque,  car  eux  seuls  seront  capables  de 
faire  sortir  les  gouvernemens  de  cette  apathie  dans  laquelle 
ils  demeuraient  jusqu'à  présent  plongés  pour  tout  ce  qui 
concerne  la  morale  et  les  plus  chers  intérêts  de  l'humanité. 


DES  aveugles  et  de  leur  éducation,  ouvrage  couronné  par  la  Société 
de  la  morale  chrétienne  ,  etc.  ,  par  Mme  Eugénie  JS'iboyet.  —  Paris, 
chez  Ah.  Cherbuliezet  Ce.  1837.  1  vol.  in-12.3  fr. 

Ce  petit  volume  renferme  l'historique  des  institutions  éta- 
blies pour  les  aveugles  ,  des  considérations  sur  le  genre  d'in- 
struction dont  ils  sont  susceptibles,  et  un  plan  d'améliorations 


232  PHILOSOPHIE, 

à  introduire  soit  pour  rendre  les  établissemens  actuels  plus 
dignes  de  leur  destination,  soit  pour  en  augmenter  le  nombre 
et  les  mettre  plus  en  rapport  avec  l'état  présent  de  la  popu- 
lation et  des  lumières. 

L'hospice  des  Quinze-Vingts  fut  fondé  par  Saint-Louis,  qui 
offrit  ainsi  un  asile  à  300  chevaliers,  frappés  de  cécité  durant 
les  guerres  des  croisades.  Plus  tard,  il  devint  le  refuge  des 
pauvres  aveugles;  mais  aucun  soin  n'était  pris  de  leur  éduca- 
tion morale,  aucune  tentative  n'était  faite  pour  leur  fournir, 
par  l'enseignement  d'une  profession,  les  moyens  de  soutenir 
eux-mêmes  leur  existence.  Long-temps  on  se  contenta  de 
nourrir  le  petit  nombre  d'aveugles  que  les  ressources  bornées 
de  l'établissement  permettaient  d'admettre  ,  et  l'on  demeura 
persuadé  qu'il  était  absolument  impossible  de  les  tirer  de 
cet  isolement  forcé  ,  auquel  semblait  les  condamner  leur 
malheureuse  infirmité.  Ce  ne  fut  que  vers  la  fin  du  18e  siècle 
que  les  travaux  d'un  philanthrope  distingué  ,  de  Valentin 
Ilaiïy,  le  frère  du  célèbre  minéralogiste,  attirèrent  l'attention 
publique  sur  cet  objet  et  fondèrent  un  institut  pour  les  jeunes 
aveugles  qui,  après  des  tribulations  diverses,  occasionées 
par  les  changemens  politiques  dont  la  France  a  été  le  théâtre 
depuis  cette  époque ,  se  trouve  aujourd'hui  placé  rue  Saint- 
Victor. 

Cet  établissement,  l'un  des  premiers  en  ce  genre  qui  aient 
été  formés ,  excita  d'abord  à  un  haut  degré  l'intérêt  des 
savans  et  des  philosophes,  qui  y  voyaient  à  la  fois  une  géné- 
reuse pensée  d'humanité  et  un  sujet  d'études  fort  curieuses. 
Mais  malheureusement  le  zèle  qui  avait  su  vaincre  les  pre- 
miers obstacles  s'est  ralenti ,  on  n'a  point  cherché  à  perfec- 
tionner les  premiers  essais  ,  et  pas  une  amélioration  en 
quelque  sorte  n'a  été  introduite  dans  l'institut  des  jeunes 
aveugles  depuis  Hauy.  La  plupart  des  élèves  ne  retirent 
presque  aucun  fruit  de  l'instruction  qu'ils  y  reçoivent ,  car  il 
en  est  bien  peu  qui  puissent  obtenir  des  places  de  professeur 
dans  l'établissement ,  et  l'on  ne  s'occupe  point  assez  de  pro- 
curer aux  autres  une  profession  qui  puisse  les  faire  vivre 
sans  avoir  recours  à  la  charité  publique. 

Il  est  cependant  bien  prouvé  que  les  aveugles  peuvent  en 
grande  partie  remplacer  par  le  toucher  et  l'ouïe  la  vue  qui 
leur  manque.  Non-seulement  une  foule  de  faits  particuliers 
prouvent  jusqu'à  quel  haut  degré  de  perfection  s'élèvent 
alors  ces  deux  autres  sens ,  mais  encore  les  instituts  améri- 
cains, organisés  sur  des  bases  bien  plus  larges  que  ceux 
de  l'Europe ,  offrent  des  résultats  fort  remarquables.  On  s'y 
attache  non  pas  à  former  deux  ou  trois  élèves  capables,  par 
leurs  facultés  supérieures,  de  satisfaire  l'amour -propre  des 


y 


MORALE,  EDUCATION.  IXi 

maîtres  en  attirant  l'attention  publique  ,  mais  bien  à  éclairer 
la  masse  des  élèves  d'une  manière  égale  et  aussi  complète 
que  possible. 

Madame  Niboyet  fait  remarquer  avec  beaucoup  de  raison 
que  la  prospérité  de  ces  établissemens  dans  le  Nouveau- 
Monde,  tient  peut-être  à  ce  qu'ils  sont  la  propriété  de  so- 
ciétés particulières.  Pour  cet  objet  comme  pour  beaucoup 
d'autres  ,  l'émulation  et  la  responsabilité  sont  deux  élémens 
qui  manquent  au  gouvernement,  et  dont  l'absence  rend 
impuissans  ses  efforts  pour  le  bien  public. 

Il  serait  donc  à  désirer  que  des  sociétés  se  formassent  dans 
les  divers  départemens  pour  fonder  autant  d'instituts  sembla- 
bles, qu'en  exigent  les  20,000  aveugles  que  l'on  compte  en 
France  et  dont  environ  une  centaine  seulement  ont  été 
jusqu'à  ce  jour  admis  à  jouir  des  bienfaits  de  l'éducation 
publique. 

Madame  Niboyet  donne  des  détails  curieux  sur  le  déve- 
loppement des  facultés  morales  chez  les  aveugles,  ainsi  que 
sur  les  moyens  employés  pour  aider  leur  intelligence  et 
éclairer  leur  esprit.  On  regrettera  seulement  que  son  livre 
soit  si  court.  Un  sujet  pareil  pouvait  facilement  s'étendre 
sous  la  plume  et  donner  lieu  à  des  dissertations  du  plus 
haut  intérêt.  Mais  l'auteur  s'est  plutôt  renfermé  dans  les 
faits.  Un  chapitre  cependant  est  consacré  à  l'éducation 
morale  et  renferme  des  pensées  nobles  et  justes  ;  je  repro- 
cherai seulement  à  madame  Niboyet  d'avoir  mal  choisi 
la  citation  par  laquelle  elle  repousse  l'opinion  qui  prétend 
que  les  aveugles  sont  prédisposés  à  l'athéisme.  Ce  fragment 
dans  lequel  un  aveugle  dit  :  «  Renoncer  à  croire,  ce  serait 
»  non-seulement  renier  nos  professeurs,  mais  aussi  nos  études 
»  littéraires  et  historiques,  pour  nous  refaire  au  hasard  un 
»  système  qui  ne  nous  satisferait  pas.  »  Ce  fragment  ne 
prou  verien  du  tout,  puisqu'il  base  la  foi  sur  l'autorité  et 
la  fait  entièrement  dépendre  du  professeur.  Qu'arriverait- 
il  donc  si  ce  professeur  était  lui-même  un  athée  ? 


LES  enfans  ,  Contes  à  l'usage  de  la  jeunesse,  par  M"""  (iuizot  :  4e  édi- 
tion. 2  vol.  in-12,  fig.  8  fr.  —  NOUVEAUX  CONTES  à  l'usage  de  la 
jeunesse,  par  la  .même.  2  vol.  in-12,  fig.  8  fr.  —  Paris,  1837.  Chez 
Didier. 

Vcici  d'anciennes  connaissances,  de  vieux  amis  d'enfance 
qu'on  retrouve  toujours  avec  un  nouveau  plaisir,  quand  on 
les  rencontre  sur  sa  route.  Lorsque  les  contes  de  Mme  Guizot 
parurent  pour  la  première  fois,  nous  étions  encore  des  en- 

l7 


234  l'HlLOSOPHlh, 

fans,  et  nous  n'avons  pas  oublié  l'intérêt  avide  avec  lequel 
nous  dévorions  ces  charmantes  scènes,  où  toutes  les  meil- 
leures leçons  pour  l'enfance  sont  habilement  cachées  dans 
des  récits  pleins  d'un  attrait  irrésistible.  Que  de  soirées  dé- 
licieuses passées  à  lire  les  Aventures  d'un  Luuis  d'or ,  les  tri- 
bulations du  Premier  jour  de  Collège ,  ou  les  vicissitudes  de  la 
pauvre  Franrou!  Et  avec  quel  chagrin  on  se  voyait  forcé  de 
fermer'  le  volume  lorsque  sonnait  l'heure  du  repos.  Que  de 
fois  on  soupirait  après  l'époque  où  l'on  serait  assez  grand 
pour  pouvoir  veiller  tant  qu'on  voudrait  avec  ses  auteurs  fa- 
voris !  Hélas!  le  temps  s'enfuit  rapidement,  cet  âge  arrive 
bientôt  ;  mais  avec  les  années  vient  aussi  la  raison,  le  juge- 
ment se  forme,  les  illusions  s'envolent,  et  combien  peu  il 
■.este  alors  d'ouvrages  d'imagination  qui  résistent  au  critérium 
«lu  bon  sens  froid  et  posé  ! 

Mais  si  aujourd'hui  nous  n'éprouvons  plus  les  mêmes  joies 
et  les  mêmes  émotions  en  parcourant  ces  pages  qui  remuaient 
si  fortement  notre  cœur  dans  l'enfance ,  nous  sommes  aussi 
plus  capables  d'apprécier  dignement  les  mérites  de  l'écrivain, 
tant  sous  le  rapport  du  but  moral  que  sous  celui  de  la  forme 
et  du  style.  Cet  examen  estl'écueil  contre  lequel  viennent  se 
briser  la  plupart  de  nos  premières  sympathies;  bien  des  au- 
teurs qui  avaient  fait  les  délices  de  notre  jeune  âge,  tombent 
alors  tout-à-coup  du  piédestal  sur  lequel  nous  nous  étions 
plu  à  les  élever  ;  mais  il  en  est  aussi  dans  le  nombre  quelques- 
uns  qui  résistent,  car  l'enfance  bien  dirigée  n'est  pas  toujours 
un  mauvais  juge,  et  ses  suffrages  naïfs  sont  quelquefois  con- 
firmés par  la  raison  de  l'âge  mûr.  IMme  Guizot  est  peut-être, 
parmi  les  écrivains  du  commencement  de  ce  siècle,  celle  qui 
a  le  mieux  mérité  et  le  plus  complètement  obtenu  celte 
gloire  durable  et  précieuse,  parce  que  ses  ouvrages  ont  tou- 
jours été  inspirés  par  un  but  moral,  noble  et  élevé,  qu'elle  a 
constamment  suivi  avec  une  ferme  persévérance,  et  auquel 
l'imagination  s'est  subordonnée,  sans  abdiquer  pour  cela  son 
pouvoir  magique.  Ses  contes  sont  en  général  vrais  d'un  bout 
à  l'autre,  et  si  un  reproche  peut  leur  être  adressé,  c'est  que 
parfois  là  grâce  de  la  narration  est  sacrifiée  à  la  réalité,  les 
détails  sont  un  peu  crus,  la  forme  un  peu  sèche.  Mais  ce  dé- 
faut, si  c'en  est  un  aux  yeux  de  l'homme  de  lettres,  passe 
inaperçu  pour  l'enfant,  et  contribue  même  à  lui  faire  mieux 
comprendre  le  sens  du  récit.  D'ailleurs,  hâtons-nous  de  le  dire, 
ce  n'est  que  le  plus  petit  nombre  de  ses  écrits  qui  offre  cette 
mm  l>  t  fiction.  La  plupart  sont  aussi  remarquables  par  la 
foi  tue  que  par  le  fond,  et  quelques-uns  de  ses  contes  sont  de 
i  ha;  niantes  esquisses  tracées  avec,  autant  d'art  que  de  vérité. 
Us   nit  eelade  précieux  smtout  >  que  tout  y  est  à  la  portée  des 


ÉCONOMIE  POLITIQUE,  ETC.  23) 

jeunes  lecteurs  auxquels  ils  sont  destinés  etqu'on  peut  les  leur 
abandonner  entièrement  sans  craindre  qu'ils  y  rencontrent 
aucun  préjugé,  aucune  idée  fausse,  aucune  impression  fâ- 
cheuse. On  peut  être  certain  qu'ils  n'y  puiseront  ni  exagéra- 
tion sentimentale,  ni  sensibilité  prétentieuse.  Il  y  règne  une 
piété  élevée,  une  religion  pure  et  raisonnable,  un  saint  amour 
de  la  vertu,  dont  les  semences  jetées  dans  des  cœurs  encore 
tout  neufs,  ne  peuvent  que  produire  d'excellens  fruits  pour 
l'avenir.  Mais  une  chose  dont  devraient  bien  se  convaincre  les 
païens  qui  mettent  de  semblables  livres  entre  les  mains  de 
leurs  enfans,  c'est  qu'il  faut  cultiver  le  sol  pour  que  la  se- 
mence germe,  c'est  qu'il  ne  faut  pas  repousser  les  premiers 
élans  de  ces  jeunes  âmes  par  l'indifférence,  ou  ce  qui  est  pire 
encore,  par  l'ironie  du  doute.  L'éducation  est  l'affaire  la  plus 
importante  de  la  vie,  et  c'est  celle  dans  laquelle  la  plupart 
des  hommes  agissent  avec  le  plus  de  légèreté,  à  laquelle  ils 
consacrent  la  moindre  partie  de  leur  temps  et  de  leurs  pei- 
nes. Ltonnez-vous  après  cela  si  le  monde  va  de  travers,  si  la 
société  présente  tant  de  tableaux  tristes  et  bonteux  !  Là  est  le 
véritable  siège  du  mal,  là  est  la  plaie  qui  ronge  notre  ordre 
social. 


LEGISLATION,    ECONOMIE    POLITIQUE,   COMMERCE. 


TRAITÉ  DE  LÉGISLATION,  ou  Exposition  des  lois  générales  suivani 
lesquelles  les  peuples  prospèrent ,  dépérissent  ou  restent  stationnai- 
res  ;  par  Charles  Comte.  T  édition.  —  Paris  ,  chez  Chamerot.  4  vol. 
in-8.  32  fr. 

N'ayant  point  rendu  compte  de  cet  ouvrage  lors  de  sa  pu- 
blication ,  nous  saisissons  avec  empressement  l'occasion  qui 
s'offre  à  nous  de  réparer  cet  oubli.  M.  Ch.  Comte  fut  un  de 
ces  hommes  malheureusement  trop  rares  qui  cultivent  la 
science  par  amour  pour  elle,  pour  son  heureuse  influence  sur 
le  bonheur  de  l'humanité,  et  non  dans  de  simples  vues  de 
gloire  ou  d'ambition  personnelles.  Il  ne  fit  (peut-être  pas 
son  chemin  comme  bien  d'autres,  mais  il  en  fit  faire  quelque 
peu  du  moins  à  ces  idées  de  vérité  et  de  justice  qui  ont  tant 
de  peine  à  se  propager  dans  le  monde,  parce  que  chacun, 
après  s'en  être  servi  comme  d'un  moyen  pour  parvenir,  les 
abandonne  bientôt  et  les  foule  aux  pieds  dès  qu'il  pense  n'en 
avoir  plus  besoin. 

Le  principal  but  de  ses  travaux  fut  d'appliquer  l'analyse  à 
l'étude  des  sciences  morales  et ,  cherebant  les  expériences 


236  LÉGISLATION, 

qu'offrent  les  faits  accomplis  et  qui  sont  les  seules  qu'on 
puisse  avoir,  de  discerner  quelles  sont  les  causes  qui  entraî- 
nent tel  ou  tel  résultat  clans  la  société,  afin  de  pouvoir  corri- 
ger ou  détruire  celles  qui  ne  produisent  cpie  de  funestes  abus, 
que  des  maux  déplorables. 

Remontantà  l'origine  de  la  législation,  il  commence  par  com- 
battre l'opinion  de  ceux  qui  veulent  que  tout  soit  basé  sur  le 
sentiment  moral  inné  dans  le  cœur  de  l'homme,  et  prétendent 
ainsi  ériger  la  conscience  en  principe  absolu.  Il  fait  voir  com- 
bien peu  sont  sûres  et  claires  les  données  de  ce  sentiment  moral , 
il  montre  combien  peu  ceux-là  mêmes  qui  veulent  en  faire  la 
base  des  lois,  le  croient  infaillible,  puisqu'ils  se  garderaient 
bien  de  le  laisser  seul  diriger  leurs  enfans  dès  leurs  premiers 
pas  sur  le  sentier  de  la  vie.  On  prétend  que  nous  avons  en  nous 
une  conscience  qui  nous  fait  distinguer  le  bien  et  le  mal,  qui 
nous  avertit  de  nos  fautes,  nous  approuve  lorsque  nous  agis- 
sons avec  droiture  ,  nous  blâme  lorsque  nous  foulons  aux 
pieds  la  justice;  et  cependant,  loin  de  se  fier  à  ce  sentiment 
qu'on  dit  si  certain,  on  ne  cesse  de  travailler,  en  quelque 
sorte  dès  notre  naissance,  à  nous  inculquer  des  principes,  à 
nous  prescrire  ce  qu'on  regarde  comme  bon,  à  nous  défendre 
ce  qui  est  mauvais.  C'est  qu'on  est  bien  forcé  de  reconnaître 
que  la  conscience  a  besoin  d'être  formée  par  l'éducation,  que 
ce  sentiment  vague  comme  il  a  dû  l'être  pour  que  l'homme 
fût  libre  et  responsable  de  sa  conduite,  doit  être  déterminé 
par  l'influence  sociale.  La  conscience  ne  peut  donc  pas  être 
un  principe  ;  c'est  un  instrument  qui  rend  des  sons  divers 
suivant  la  manière  dont  il  est  accordé,  et  la  morale  qui  doit 
lui  servir  de  diapason  est  obligée  de  chercher  ailleurs  sa  base. 
M.  Comte  rejette  aussi  les  diverses  définitions  données  avant 
lui  de  ce  qu'on  appelle  lois  naturelles.  Il  ne  pense  pas  qu'elles 
existent  d'une  manière  bien  déterminée  et  croit  que  nous  de- 
vons appeler  de  ce  nom  simplement  certaines  causes  de 
prospérité  et  certaines  causes  de  dépérissement,  qui  produi- 
sent constamment  les  mêmes  effets  sans  que  nous  puissions  y 
-rien  changer.  Un  homme  a  pris  du  poison,  il  en  meurt;  voilà 
la  loi  naturelle  :  c'est  la  logique  qui  veut  qu'un  principe  une 
fois  posé,  toutes  ses  conséquences  en  découlent.  La  principale 
et  la  première  étude  du  législateur  doit  donc  être  celle  des 
résultats  que  produit  tel  ou  tel  principe.  11  faut,  ne  pouvant 
faire  des  expériences  nouvelles  sur  un  pareil  sujet,  qu'il  pro- 
fite de  celles  du  passé  et  recherche  dans  les  annales  de  tous  les 
peuples  du  monde,  les  données  qu'elles  peuvent  lui  fournir 
sur  l'influence  de  toutes  les  institutions  établies  au  milieu 
d'eux.  Le  sentiment  moral  ne  lui  servira  pas  de  seul  guide 
dans  ce  travail,  car  ce  serait  vouloir  juger  d'après  lesprin- 


ÉCONOMIE  POLITIQUE,  ETC.  337 

cipes  de  son  étlucation  particulière  des  conditions  sociale» 
qui  leur  sont  tout-à-fait  étrangères,  et  prétendre  établir  dès 
l'entrée  sa  propre  supériorité,  fort  contestable  cependant  aux 
yeux  des  autres.  Il  faudra  donc  prendre  un  autre  critérium 
pour  juger  la  bonté  de  chaque  système,  et  ii  est  bien  évident 
qu'on  ne  saurait  en  trouver  un  meilleur  que  le  bien-être  et 
la  conservation  de  la  société.  L'homme  ayant  été  créé  pour 
vivre  dans  de  continuelles  relations  avec  ses  semblables  ;  son 
bonheur  ou  son  malheur  ici-bas  dépendant  presque  entière- 
ment de  la  condition  dans  laquelle  il  se  trouve  vis-à-vis 
d'eux,  il  est  naturel  que  toutes  les  lois  destinées  à  assurer 
son  repos,  son  bien-être  et  son  développement  moral,  aient 
pour  but  aussi  le  repos,  le  bien-être  et  le  développement  de 
la  société. 

Notre  auteur  partage  une  grande  partie  iles  idées  de  Ben- 
'  tham,  mais  il  reproche  au  publiciste  anglais  de  se  poser  d'une 
manière  trop  absolue.  Il  ne  reconnaît  pas  au  législateur  une 
autorité  qui  ne  soit  pas  appuyée  sur  des  faits,  et  c'est  par 
l'analyse  de  ceux-ci  qu'il  veut  arriver  à  peu  près  au  même 
principe  que  Bentham  émet  dès  l'abord  comme  un  article 
de  foi.  Il  reproche  à  celui-ci  de  baser  toute  sa  théorie  sur  un 
(/avoir  qu'il  impose  aux  savans  ou  aux  législateurs;  il  ajoute 
que  d'ailleurs  Bentham  n'a  rien  inventé  de  nouveau,  et  n'a 
fait  que  développer  les  conséquences  d'un  principe  déjà  posé 
par  la  plupart  des  publicistes  qui  l'avaient  précédé.  Mais 
quel  est  l'écrivain  qui  puisse  se  vanter  de  n'avoir  pas  pro- 
fité des  travaux  de  ses  devanciers,  d'avoir  inventé  quelque 
idée  qui  n'eût  jamais  été  émise  avant  lui?  Le  genre  humain 
tourne  constamment  dans  un  certain  cercle  qu'il  ne  lui  est 
pas  donné  de  franchir,  et  la  plus  grande  gloire  du  génie  est 
de  dévoiler  aux  hommes  quelqu'une  des  admirables  voies  de 
cette  logique  qui  forme  l'essence  de  la  vérité. 

M.  Comte  semble  d'ailleurs  tomber  à  son  tour  dans  un  ex- 
trême opposé ,  quand  il  prétend  renfermer  toute  la  science 
dans  l'analyse.  Il  est  bien  certain  que  l'étude  approfondie 
des  faits  doit  précéder  toute  théorie  législative ,  mais  cette 
étude  elle-même  ne  doit-elle  pas  partir  d'un  principe  qui, 
pour  n'être  pas  posé  d'une  manière  absolue,  n'en  influe  pas 
moins  sur  tout  le  travail  de  l'esprit? 

Dans  le  second  livre  de  son  traité,  l'auteur  examine  la  na- 
ture des  lois,  les  élémens  qui  les  constituent ,  les  effets  qu'el- 
les produisent  et  les  diverses  manières  dont  elles  affectent  les 
hommes.  Les  peines  et  les  plaisirs  moraux  sont  considérés  par 
lui  comme  l'un  des  principaux  élémens  de  puissance  des  lois 
qui  sont  appelées  à  régir  la  société.  Il  fait  voir  comment  la 
force  de  la  loi  morale  résulte  des  rapports  qui  existent  entre 


238  LEGISLATION  , 

le  bien-être  individuel  et  le  bonheur  social.  Il  expose  enfin 
comment  il  arrive  fréquemment  que,  faute  de  bien  étudier 
les  conséquences  logiques  d'un  principe  et  leur  influence  sur 
les  relations  sociales,  on  voit  la  perturbation  et  le  désordre 
causés  par  l'établissement  d'institutions  qui  sont  cependant 
dictées  par  les  meilleures  intentions  et  semblent  en  elles- 
mêmes  excellentes. 

Le  livre  troisième  est  destiné  à  examiner  ce  qui  constitue 
le  perfectionnement  et  la  dégradation  de  l'homme;  les  causes 
de  ces  effets  opposés  et  les  diverses  catégories  qui  en  résul- 
tent dans  le  classement  du  genre  humain  ,  d'après  le  degré 
de  civilisation  et  de  développement  des  différons  peuples  de 
la  terre.  L'influence  du  climat  est  l'objet  principal  des  re- 
cherches de  l'auteur.  Il  passe  en  revue  toutes  les  régions  du 
j;lobe,  et  combat  le  système  qui  veut  faire  du  froid  et  de  la 
chaleur  les  principes  invariables  du  développement  intellec- 
tuel. Rien  n'influe  plus  sur  l'homme  que  l'homme  lui-même. 
Indépendamment  de  toutes  les  causes  extérieures  qui  peu- 
vent varier  en  effet,  suivant  les  climats,  il  porte  toujours  au 
dedans  de  lui  des  facultés  identiques,  des  forces  qui  sont  par- 
tout les  mêmes.  Aussi  voyons-nous  sous  toutes  les  tempéra- 
tures des  institutions  semblables  produire  à  peu  près  les 
mêmes  résultats,  le  despotisme  et  l'esclavage  entraîner  à  leur 
suite  l'abrutissement  et  la  barbarie ,  tandis  qu'au  contraire 
la  liberté  relève  l'espèce  humaine  et  In  pousse  vers  le  perfec- 
tionnement. Et  rien  ne  prouve  encore  qu'aucune  contrée  de 
la  terre  puisse  être  inaccessible  aux  bienfaits  de  la  civilisa- 
tion. Les  faits  d'ailleurs  ont  été  encore  trop  peu  étudiés 
sous  ce  point  de  vue  pour  qu'on  en  puisse  tirer  aucune  con- 
clusion bien  certaine.  Tout  ce  qu'on  peut  en  inférer ,  c'est 
que  les  climats  chauds  paraissent  avoir  été  en  général  le  ber- 
ceau de  cette  civilisation  qui  de  là  s'est  répandue  petit  à  petit 
vers  les  pôles.  Mais  si  en  effet,  dans  l'origine,  le  Nord  semble 
être  le  séjour  de  la  barbarie,  à  mesure  qu'on  avance  dans  la 
suite  des  siècles,  on  voit  au  contraire  les  nations  méridiona- 
les retomber  comme  épuisées  dans  une  dégradation  morale 
presque  complète,  tandis  que  la  civilisation  transplantée 
chez  les  peuples  du  Nord  y  pousse  de  vigoureuses  racines,  y 
porte  des  fruits  abondans. 

«  En  considérant  les  diverses  nations  répandues,  sur  la  sur- 
face du  globe,  dit  M.  Comte,  nous  observons  quelques  phé- 
nomènes très-remarquables;  nous  voyons  la  civilisation  se 
former  autour  de  la  terre  ;  se  répandre  de  là  graduellement 
vers  les  pôles,  et  ^arrêter  à  un  certain  degré  d'élévation; 
nous  voyons  les  populations  non  civilisées  des  extrémités  on 
des  parties  plus  élevées,  tendre  continuellement  vers  le  cen- 


ÉCONOMIE  POLITIQUE,  ETC.  Ï39 

tic  ou  vers  les  terres  les  plus  fertiles  ,  asservir  les  peuples  qui 
oat  déjà  fait  plus  de  progrès,  et  y  porter  leurs  préjugés  et 
leurs  vices;  nous  voyons  des  gouvernemens  analogues  s'éta- 
blir chez  toutes  les  populations  conquises  ;  nous  voyons  les 
conquérans  perdre  parmi  les  vaincus  une  partie  de  leur 
ignorance  et  de  leur  férocité,  tandis  que  les  peuples  de  même 
espèce  qui  restent  dans  leurs  pavs  originaires  ,  conservent 
leurs  mœurs  primitives;  enfin,  nous  voyons,  dans  tous  les 
pays,  les  vices  inséparables  de  la  barbarie ,  et  la  même  dégra- 
dation morale  presque  partout  où  nous  observons  le  même 
défaut  de  développement  intellectuel. 

»  Si  nous  n'observions  ces  phénomènes  que  sur  quelques 
points  du  globe  ou  chez  une  seule  espèce  d'hommes,  nous 
pourrions  les  attribuer  à  quelques  circonstances  fortuites  :  à 
l'apparition  d'un  génie  extraordinaire  qui  aurait  réuni  des 
hommes  épais,  qui  leur  aurait  enseigné  les  arts  et  donné  des 
lois;  mais  ces  phénomènes  sont  généraux,  ils  ont  existé  sur 
tous  les  continens  et  chez  des  nations  de  toutes  les  espèces; 
chacun  des  peuples  les  plus  anciennement  civilisés  a  attri- 
bué à  quelque  grand  homme  les  progrès  qu'il  avait  faits  : 
les  Chinois ,  les  Indous  ,  les  Perses ,  les  Arabes  ,  les  Juifs,  les 
Egyptiens,  les  Grecs,  les  Romains  ,  les  Péruviens,  les  Mexi- 
cains ,  ont  eu  leurs  sages  ,  leurs  législateurs  ;  mais  pourquoi 
les  Kamtchadales ,  les  habitans  des  îles  Aleutiennes ,  les 
Esquimaux,  les  Groenlandais,  les  Iroquois  ,  les  Polonais,  les 
Russes  et  les  habitans  de  la  Sibérie,  n'ont-ils  pas  eu  aussi  les 
leurs  ?  Pourquoi  trouvons-nous  Bacchus  dans  l'Inde ,  en 
Egypte  et  en  Grèce  ,  et  pourquoi  ne  le  trouvons-nous  pas  sur 
les  vastes  plateaux  du  centre  de  l'Asie,  dans  la  Sibérie,  dans 
la  Nouvelle-Zélande  ou  dans  les  îles  des  Renards  ?  »  Mais  est- 
on  bien  certain  que  les  Ramtschadales  ,  les  Groenlandais, 
les  Esquimaux  n'aient  pas  eu  aussi  leurs  sages  ?  Les  tradi- 
tions de  la  mvthologie  Scandinave  ne  nous  montrent-elles 
pas  également  un  passé  héroïque  dans  le  Nord  ?  Et  ne  pour- 
rait-on pas  en  retournant  la  question  demander  pourquoi 
aujourd'hui  la  Chine,  l'Inde,  la  Perse  sont  stationnaires  ; 
pourquoi  l'Egvpte ,  l'Arabie  ,  la  Grèce  sont  retombées  dans 
la  barbarie? 

Les  deux  derniers  livres  renferment  une  foule  de  détails 
du  plus  grand  intérêt  sur  les  effets  produits  au  milieu  des 
hommes  par  toutes  les  diverses  influences  auxquelles  ils  sont 
soumis.  Cette  partie  de  l'ouvrage  de  31.  Comte  est  le  résultat 
de  recherches  immenses,  et  offre  des  faits  innombrables  re- 
cueillis dans  l'histoire  du  inonde  entier  et  dans  les  récits  des 
plus  fameux  voyageurs.  C'est  une  mine  féconde  pour  la  mé- 
ditation ,  c'est  un  véritable  trésor  pour  l'observateur.  On  y 


240  LEGISLATION , 

remarquera  surtout  ce  qui  concerne  l'esclavage,  ses  divers 
genres  et  les  déplorables  résultats  qu'il  produit  pour  les  maî- 
tres comme  pour  les  esclaves.  L'auteur  a  rassemblé  sur  ce 
dernier  point  tous  les  documens  possibles.  Il  trace  un  tableau 
bideux  des  formes  cruelles  sous  lesquelles  s'est  toujours  pré- 
senté l'esclavage,  et,  par  la  seule  exposition  des  faits  ,  il  in- 
spire l'horreur  la  plus  forte  pour  ce  reste  de  barbarie,  que  la 
civilisation  moderne  n'a  pu  encore  effacer  tout-à-fait.  Le  livre 
cinquième,  tout  entier  consacré  à  cet  important  sujet,  est  le 
plus  éloquent  plaidoyer  qu'on  puisse  faire  en  faveur  des  mal- 
heureuses populations  encore  courbées  sous  le  joug  de  l'escla- 
vage. Il  termine  dignement  cet  excellent  ouvrage,  qui,  s'il 
n'offre  pas  réellement  un  traité  de  législation,  remplit  du 
moins  de  la  manière  la  plus  satisfaisante  le  second  titre  que 
l'auteur  lui  a  donné.  Il  présente,  en  effet,  un  tableau  bien 
complet  de  l'influence  qu'exercent  sur  la  prospérité  ou  le  dé- 
périssement des  peuples  les  lois  qui  les  régissent ,  et  il  déve- 
loppe avec  clarté  les  conséquences  inévitables  que  la  logique 
fait  découler  de  tout  principe  admis  pour  base  d'un  système. 
C'était  un  travail  non  moins  difficile  qu'important,  et  non- 
seulement  M.  Comte  s'en  est  acquitté  avec  un  talent  fort  re- 
marquable en  vue  de  la  science  elle-même,  mais  encore  il  a 
su  lui  donner  la  forme  la  plus  intéressante ,  la  mieux  faite 
pour  attacher  et  convaincre  le  lecteur. 


statistique  de  la  Grande-Bretagne  et  de  l'Irlande ,  avec  une  carte  , 
par  Al.  Moreau  de  Jonnès—  Paris  ,  1837.  Tome  1er.  In-8.  7  fr.  50  c. 

Ce  volume,  beaucoup  plus  détaillé  et  plus  complet  que 
celui  de  M.  Porter  sur  le  même  sujet ,  présente  un  tableau 
du  plus  haut  intérêt.  C'est  la  récapitulation  de  toutes  les 
conquêtes  de  l'industrie,  si  brillantes  et  si  rapides  depuis 
cinquante  à  soixante  ans ,  surtout  en  Angleterre.  L'auteur  a 
consulté  tous  les  documens  les  plus  certains  qu'il  a  pu  se 
procurer  sur  les  productions  agricoles  et  industrielles  de 
cette  contrée ,  depuis  les  temps  les  plus  reculés.  Les  chif- 
fres qu'il  nous  donne  comme  résultat  de  ses  recherches, 
pour  diverses  dates  historiques,  fournissent  par  leur  com- 
paraison un  moyen  d'apprécier  les  progrès  de  la  civilisation. 
On  voit  par  là  combien  sa  marche  ,  long-temps  entravée, 
a  été  rapide  depuis  la  fin  du  siècle  dernier.  C'est  de  cette 
époque  que  datent  la  plupart  des  perfectionnemens  appor- 
tés à  l'industrie  ,  et  l'impulsion  qui  a  porté  les  esprits  à 
s'en  occuper  avec  tant  d'activité  et  de  succès.  Presque  tou- 
tes les  commodités   de  la   vie  ,  aujourd'hui    répandues  jus- 


ÉCONOMIE  POLITIQUE,  ETC.  241 

que  dans  la  cabane  du  paysan  ,  étaient  inconnues  des  siè- 
cles antérieurs ,  même  chez  les  princes  et  dans  les  palais 
des  rois.  «  Nous  apprenons  par  la  Vision  de  Pierre  le  labou- 
reur, espèce  de  satire  et  de  moralité  qui  appartient  au  XVe 
siècle ,  qu'alors  on  faisait  communément  le  pain  sans  blé  , 
avec  des  pois  et  des  fèves  seulement.  Sous  Henri  VIII  , 
les  maisons  des  villes  étaient  encore  sans  cheminées  ,  leurs 
fenêtres  étaient  garnies,  au  lieu  de  vitres,  de  petits  carreaux 
de  corne  ou  de  treillis  de  bois.  Le  plancher  était  jonché  de 
roseaux.  On  se  servait  d'assiettes  d'étain  dans  les  châteaux, 
et  de  plats  de  bois  chez  les  bourgeois.  En  1298  ,  les  couteaux 
à  manche  d'argent ,  les  cuillers  et  les  gobelets  de  ce  métal 
étaient  un  luxe  que  se  permettait  seulement  la  plus  riche 
noblesse.  On  se  servait  d'éclis  de  bois  résineux  ,  en  guise  de 
chandelle  ou  de  lampe  ,  pour  éclairer  les  appartemens.  » 

Lorsque  l'attention  se  dirigea  vers  l'industrie  ,  et  que  l'in- 
telligence humaine  en  fit  le  but  de  ses  recherches  et  de  ses 
travaux,  les  perfectionnemens  ,  les  découvertes  ,  les  inven- 
tions se  succédèrent  avec  rapidité.  La  civilisation  marcha 
alors  de  progrès  en  progrès  ,  la  population  s'accrut ,  des 
bourgs  furent  bientôt  changés  en  villes  florissantes  ,  riches  et 
laborieuses.  Depuis  le  commencement  de  ce  siècle  surtout, 
cette  progression  continuelle  est  facile  à  constater  et  à  suivre 
dans  ses  admirables  résultats. 

M.  Moreau  de  Jointes,  après  quelques  considérations  pré- 
liminaires et  fort  détaillées  sur  l'état  physique  du  territoire 
de  la  Grande-Bretagne,  sa  division  administrative  et  agri- 
cole ,  sa  population  ancienne  et  actuelle  ,  commence  sa  sta- 
tistique par  un  tableau  de  l'état  de  l'agriculture  depuis  les 
temps  les  plus  reculés  ,  des  changemens  qu'elle  a  subis  ,  et 
de  sa  prospérité  présente.  On  y  trouve  une  foule  de  détails 
fort  intéressans  ,  et  l'auteur  ne  néglige  rien  pour  faire  ap- 
précier, comme  elle  le  mérite,  la  marche  rapide  de  l'Angle- 
terre sur  la  route  de  la  civilisation.  Un  des  témoignages  les 
plus  curieux  qu'il  cite  en  faveur  de  la  supériorité  de  l'agri- 
culture anglaise,  c'est  l'accroissement  considérable  du  poids 
des  animaux.  Il  y  a  cent  cinquante  ans,  dix  bœufs  ne  four- 
nissaient que  2,600  livres  de  viande ,  aujourd'hui  ils  en 
donnent  plus  de  8,000;  dix  moutons  n'en  donnaient  que  280, 
aujourd'hui  c'est  800  ;  dix  veaux  en  fournissaient  400  ,  au- 
jourd'hui c'est  1400  ;  etc. 

Pour  arriver  à  de  tels  résultats,  il  a  fallu  certainement  de 
bien  grands  efforts ,  et  le  progrès  qu'ils  indiquent  dans  la 
classe  agricole,  la  plus  lente  de  toutes  à  s'émouvoir,  peut  d'au- 
tant mieux  faire  juger  l'ensemble  du  pays  ,  que  l'Angleterre 
est  une  contrée  essentiellement  industrielle  et  commerçante. 


242  LEGISLATION , 

Les  manufactures ,  les  usines  ,  présentent  des  laits  encore 
bien  plus  extraordinaires,  et  qui  tiennent  presque  de  la  ma- 
gie. Leur  marche  ascensionnelle  ne  date  guère  que  de  soi- 
xante à  quatre-vingts  ans,  mais  elle  ne  s'est  pas  arrêtée  ,  et 
dans  ces  dernières  années  surtout  elle  a  été  vraiment  prodi- 
gieuse. Depuis  1820,  par  exemple,  l'importation  et  la  con- 
sommation des  cotons  a  doublé  ;  les  manufactures  anglaises 
en  emploient  aujourd'hui  pour  une  somme  de  300  millions  , 
et  la  valeur  en  étant  à  peu  près  quadruplée  par  la  fabrica- 
tion ,  on  peut  estimer  cette  production  seule  à  plus  de 
900  millions  de  francs.  Plusieurs  autres  industries  ont  mar- 
ché du  même  pas,  et  on  lira  avec  le  plus  vif  intérêt  tous  les 
documens  cpie  renferme  ce  volume.  ïl  est  à  regretter  seulement 
que  l'impression  n'en  ait  pas  été  mieux  soignée.  Les  erreurs 
y  sont  assez  fréquentes,  et  dans  les  chiffres  ia  moindre  faute 
suffit  pour  dérouter  le  lecteur  peu  accoutumé  aux  calculs. 

M.  Moreau  de  Jonnès  ,  tout  en  exprimant  avec  enthou- 
siasme son  admiration  pour  la  puissance  industrielle  de  l'An- 
gleterre ,  a  prévu  les  objections  qu'on  ne  manquerait  pas  de 
lui  opposer  au  sujet  des  misères  affreuses  qui  accompagnent 
son  développement  et  semblent  sans  cesse  menacer  son  exis- 
tence. Il  répond  avec  beaucoup  de  sagesse,  que  l'industrie  , 
cette  puissance  colossale  du  xixc  siècle,  a,  comme  toutes  les 
grandeurs  humaines ,  ses  plaies  douloureuses  et  inévitables. 
Mais  n'est-ce  pas  au  prix  de  semblables  épreuves  ,  que  sont 
achetés  chacun  des  pas  de  l'homme  sur  la  route  de  la  civilisa- 
tion? Doit-on  s'étonner  surtout  de  ce  que  dans  ce  mouvement 
rapide  ,  nos  vieilles  institutions  faites  pour  d'autres  temps  , 
pour  d'autres  mœurs  ,  étant  demeurées  à  peu  près  intactes, 
il  en  résulte  des  froissemens  pénibles ,  des  contrastes  dange- 
reux ?  Des  relations  nouvelles  ,  établies  entre  les  diverses 
classes  de  la  société ,  appellent  impérieusement  des  lois  nou- 
velles, et  le  temps,  ce  grand  réparateur  des  maux  que  causent 
sans  cesse  l'impatience  et  l'imprévoyance  humaines  ,  saura 
certainement  répartir  avec  plus  de  justice  les  bienfaits  de  la 
civilisation. 

«  On  ne  saurait  en  douter ,  le  plus  grand  nombre  des 
>  maux  attachés  à  l'industrie  peuvent  être  prévenus  ou  dé- 
tournés. Déjà  des  efforts  couronnés  de  succès  ont  été  faits 
en  France  ,  par  Darcet ,  pour  rendre  plusieurs  professions 
moins  insalubres.  On  recherche  partout  avec  activité  les 
moyens  d'empêcher  l'explosion  des  machines  à  vapeur.  Le 
parlement  britannique  a  réglé  le  travail  des  enfans  dans 
les  manufactures  ,  pour  l'empêcher  d'être  exclusif.  Les 
écoles  du  dimanche  leur  permettent  d'acquérir  quelque 
instruction.   En  l' raine,    les  ouvriers   ont.   dans  plusieurs 


ÉCONOMIE  POLITIQUE,  ETC.  243 

'>  villes,  des  cours  publics  et  gratuite*  très-bien  organisés. 
»  Les  caisses  d'épargne  leur  procurent  le  moyen  de  faire  des 
»  économies.  En  Angleterre  ,  des  associations  libres  leur 
»  donnent  des  secours  pendant  leur  maladie  et  prennent  soin 
»  de  leur  famille  après  leur  mort. 

»  Il  reste  sans  doute  beaucoup  à  faire  ;  mais  il  est  bien 
»  prouvé  par  les  heureux  résultats  qu'on  a  déjà  obtenus , 
»  qu'il  n'y  a  rien  d'impossible  : 

»  1°  Dans  le  perfectionnement  des  procédés  de  l'industrie, 
»  non-seulement  pour  qu'il  en  résulte  un  plus  grand  nombre 
»  de  meilleurs  produits,  à  des  prix  moins  hauts,  mais  en- 
»  core  pour  qu'ils  deviennent  progressivement  moins  insalu- 
»  bres ,  moins  pénibles  et  moins  dangereux; 

»  2°  Dans  l'éducation  physique,  intellectuelle  et  morale 
»  des  ouvriers  ; 

»  3°  Dans  l'amélioration  de  leur  existence  domestique  et 
»  sociale. 

»  Ce  triple  objet  est  recommandé  par  la  bienfaisance  pu- 
»  blique ,  par  l'intérêt  national,  par  les  vœux  de  la  religion 
»  et  de  la  philosophie ,  aux  investigations  des  sciences ,  à  la 
»  haute  protection  des  gouvernemens  et  aux  efforts  généreux 
»  des  citoyens  voués  au  culte  de  la  patrie  et  de  l'humanité.» 


DE  LA  DEPENSE  ET  DU  PRODUIT  DES  CANAUX  ET  DES  CHEMINS  DE 

FER  ,  et  rte  l'influence  des  voies  de  communication  sur  In  prospérité 
industrielle  de  la  France,  par  le  comte  Pillet-Will.  —  Paris,  («37. 
2  vol.  in-4  ,  dont  1  de  planches.  38  fr. 

Ce  bel  ouvrage  renferme  le  précieux  inventaire  d'une  par- 
tie des  richesses  industrielles  de  la  France,  de  la  partie  la 
plus  importante  peut-être,  car  l'influence  des  voies  de  com- 
munication sur  le  développement  de  la  prospérité  nationale 
est  immense.  Le  commerce  et  l'industrie  d'un  pavs  sont  pres- 
que entièrement  subordonnés  à  la  facilité  plus  ou  moins 
grande  qu'ont  les  produits  de  se  transporter  d'une  extrémité 
à  l'autre  du  territoire.  Beaucoup  de  travaux  ont  été  entrepris 
en  Fiance  pour  doter  le  pays  de  ces  ressources  précieuses  qui 
lui  manquaient;  mais  soit  par  suite  des  secousses  politiques 
qui  l'ont  presque  continuellement  agitée  depuis  cinquante 
ans,  soit  à  cause  de  l'inconstance  et  de  la  légèreté  qu'elle  ap- 
porte souvent  dans  l'exécution  de  ses  projets  ,  une  grande 
partie  des  canaux  et  des  chemins  commencés  sont  restes 
inachevés  et  par  conséquent  inutiles,  nuisibles  même,  car  ils 
absorbent  d'immenses  capitaux  qui  ne  rendent  ainsi  aucun 
intérêt. 


>4i  SCIENCES  ET  ARTS. 

M.  Pillet-Will  présente  le  tableau  de  toutes  les  dépenses 
déjà  faites,  des  travaux  admirables  entrepris  avec  un  zèle  et 
une  activité  qui  ne  se  sont  malheureusement  pas  soutenus 
jusqu'à  la  fin  ;  il  insiste  avec  force  sur  la  nécessité  de  faire 
encore  quelques  efforts  généreux  pour  achever  l'œuvre  et  ré- 
pandre ainsi  la  vie  dans  tous  les  départemens,  dont  la  prospé- 
rité ne  tarderait  pas  à  en  éprouver  la  bienfaisante  influence. 
Des  planches  nombreuses  et  gravées  avec  une  grande  perfec- 
tion donnent  le  tracé  des  diverses  constructions  de  canaux,  de 
ponts,  de  cbemins,  les  plans  et  les  cartes  topographiques  des 
contrées  qu'ils  traversent.  C'est  à  la  fois  un  beau  monument 
élevé  à  la  gloire  industrielle  et  un  livre  utile  par  les  résul- 
tats qu'il  pourra  produire  en  attirant  l'attention  publique  sur 
ce  qui  reste  à  faire  à  cet  égard. 

Mais  dans  l'introduction  que  l'auteur  a  placée  eu  tète  du 
premier  volume ,  il  se  prononce  avec  plus  de  vivacité  que 
de  raison  en  faveur  du  système  protecteur;  il  traite  de  géné- 
reuse utopie,  de  rêve  d'honnêtes  gens ,  la  liberté  du  com- 
merce, et  soutient  ainsi  les  erreurs  économiques  les  plus  gra- 
ves. On  regrettera  d'autant  plus  ce  défaut  de  logique  chez 
M.  Pillet-Will,  que  sur  divers  autres  points  il  se  montre  par- 
tisan d'idées  plus  avancées  et  plus  justes.  Ce  qu'il  dit  sur 
la  prodigalité  stérile  et  corruptrice  des  gouvernemens  sera 
vivement  approuvé  par  tous  les  hommes  sages    et  éclairés. 


SCIENCES     ET    ARTS. 


MEMOIRES  POUR  SERVIR  V  L'HISTOIRE  ANATOMIQUE  ET  PHYSIOLO- 
GIQUE DES  VÉGÉTAUX  ET  DES  ANIMAUX  ,  pat'  1M.  //.  Dlltrocllct , 
membre  de  l'Institut.  —  Paris,  1837.  2  vol.  in-8  et  atlas.  24  fr. 

M.  Dutrochet  a  réuni  dans  ces  deux  volumes  tous  ses  di- 
vers mémoires,  publiés  à  différentes  époques  sur  des  points 
curieux  de  physiologie.  C'est  un  recueil  rempli  du  plus  haut 
intérêt,  car  il  offre  les  détails  d'une  foule  d'observations  faites 
avec  soin  et  habileté,  et  les  résultats  de  recherches  qui  ten- 
dent à  soulever  quelque  coin  du  voile  qui  cache  à  nos  yeux 
les  secrets  de  la  nature. 

L'auteur  pense  avec  raison  que  les  lois  de  la  physique 
générale  ne  sont  pas  étrangères  aux  phénomènes  de  la  phy- 
siologie animale  et  végétale  ;  c'est  à  ces  lois  sans  doute  que 
doivent  plus  ou  moins  directement  se  rapporter  la  plupart 
des  mystérieuses  merveilles  que  nous  voyons  s'accomplir 
chez  les  êtres  organisés,  et  il  est  déjà  assez  probable  que  le 


SCIENCES  ET  ARTS.  24ô 

mode  d'accroissement  des  êtres  vivons  doit  être  assimilé  à 
celui  des  corps  inertes.  Il  veut  de  même' que  le  mouvement 
vital  soit  considéré  comme  un  phénomène  physique  excep- 
tionnel et  temporaire,  comme  le  résultat  d'une  modification 
particulière  de  quelques-unes  des  causes  physiques  générales 
qui  impriment  le  mouvement  aux  molécules  de  la  matière. 
Ses  travaux  tendent  à  détruire  le  mysticisme  introduit  dans 
la  science  par  certains  systèmes,  et  à  poser  les  premières  hases 
d'une  science  nouvelle  ,  la  physiologie  générale,  qui  donnera 
peut-être  un  jour  la  clé  de  hien  des  phénomènes. 

Voici  quels  sont  les  mémoires  renfermés  dans  ces  deux 
volumes  : 

i.  De  l'endosmose. 

•2.  Des  élémeus  organiques  des  végétaux. 
3.  Recherches  sur  l'accroissement  des  végétaux. 
4-   De    la  déviation    descendante  ,    ascendante    et  latérale   de 
l'accroissement  des  arbres  en  diamètre. 

5.  Observations  sur  les  variations  accidentelles  du  mode. 

6.  Observations  sur  la  forme  et  la  structure  primitive  des 
embryons  végétaux. 

7.  Recherches  sur  les  organes  pneumatiques  et  sur  la  respira- 
tion des  végétaux. 

8.  Recherches  sur  les  conduits  de  la  sève  et  sur  les  causes  de 
sa  progression. 

9.  Coup-d'œil  général  sur  les  mouvemens  des  végétaux  ;  exa- 
men du  mécanisme  des  modes  élémentaires  de  mouvement  par 
incurvation  et  par  torsion. 

1  o.   Du  réveil  et  du  sommeil  des  plantes. 

1 1 .  De  l'excitabilité  végétale  et  des  mouvemens  dont  elle  est  la 
source. 

12.  De  la  direction  opposée  des  tiges  et  des  racines. 

i3.  De  la  tendance  des  végétaux  à  se  diriger  vers  la  lumière 
et  de  leur  tendance  à  la  fuir. 

14.  De  la  génération  sexuelle  des  plantes  et  de  l'embryologie 
végétale. 

i5.  Observations  sur  les  transformations  végétales. 

16.  Sur  les  champignons. 

17.  Sur  l'origine  des  moisissures. 

18.  Recherches  sur  les  enveloppes  du  fœtus. 

19.  Observations  sur  l'ostéogénie  et  sur  le  développement  des 
parties  végétantes  des  animaux. 

20.  Recherches  sur  la  métamorphose  du  canal  alimentaire 
chez  les  insectes. 

2 1 .  Observations  sur  la  structure  et  la  régénération  des  plumes, 
avec  des  considérations  générales  sur  la  composition  de  la  peau 
des  animaux  vertébrés. 

22.  Recherches  sur  les  rotifères. 

23.  Du  mécanisme  de  la  respiration   des  insectes. 


246  SCIENCES  ET  ARTS. 

aii,   Observations  sur  !a  spongille  rameuse. 

•_>.5.  Observations  sur  les  organes  de  !a  génération  chez  les 
pucerons, 

26.  De  l'usage  physiologique  de  l'oxigène,  considéré  dans  ses 
rapports  avec  l'action  des  excitans. 

•27 .  De  la  structure  intime  des  organes  des  animaux  et  du 
mécanisme  de  leurs  actions  vitales. 

•28.   Essai  d'une  nouvelle  théorie  de  la  voix. 

APPENDICE. 

1.  Comment  agit  la  diatase  pour  déterminer  la  rupture  des 
léguinens  des  graines  de. fécule. 

1.  Expériences  sur  la  circulation  des  liquides  dans  les  tubes 
de  verre  verticaux. 


NOTIONS  ÉLÉMENTAIRES  de  GÉOLOGIE,  de  Physique  ,  de  Chimie , 
de  Botanique  et  de  Physiologie  végétale,  appliquées  à  l'Agriculture; 
parM.f/e Marivault.  —  Paris,  chez  Mathias.  1837.  1  vol.  in-18.2fr.  50e. 

Ge  volume  offre  une  espèce  de  petit  mémorial  fort  commode 
pour  se  rappeler  ou  même  pour  apprendre  une  foule  de  no- 
tions utiles  dont  on  a  sans  cesse  besoin  lorsqu'on  se  livre  à 
des  travaux  agricoles.  Tl  est  divisé  en  quatre  sections,  qui 
traitent  de  la  Géologie,  la  Physique,  la  Chimie  et  la  Botanique. 
Dans  la  première  est  exposé  le  système  de  la  structure  du 
globe  et  le  tableau  des  divers  terrains  qui  forment  son  écorce 
extérieure,  ainsi  que  des  différentes  sortes  de  terres  qui  com- 
posent le  sol. 

La  seconde  s'occupe  des  principes  vivifians  :  de  l'air,  de  la 
lumière,  delà  chaleur,  de  l'électricité,  de  l'eau  et  de  leurs 
phénomènes.  On  y  trouve  également  quelques  détails  sur  le 
mouvement  des  astres,  sur  l'influence  de  la  lune  et  celle  du 
rayonnement ,  sur  l'attraction  et  sur  les  lois  du  mouvement. 

Dans  la  troisième,  l'auteur  examine  les  causes  de  l'état  et 
du  changement  d'état  des  corps  ;  il  nous  présente  leurs  com- 
binaisons et  analyse  rapidement  la  nomenclature  chimique. 
11  fait  aussi  l'application  de  maints  secrets  de  la  chimie  à 
divers  usages  domestiques,  et  en  particulier  à  la  connaissance 
de  la  nature  et  des  qualités  des  terres. 

Enfin  la  quatrième  et  dernière  partie  traite  de  la  nature 
des  végétaux,  de  leurs  caractères,  des  vaisseaux  séveux ,  du 
càmbium.  de  l'irritabilité  des  végétaux  et  de  l'action  chimi- 
que des  agens  qui  concourent  à  leur  nutrition. 

Ces  notions   scientifiques  sont  en  général  claires  et  con- 

1  ises 


SCIENCES  ET  ARTS  247 

GUIDE  aux   eaux   minérales  de  la  France,  de  l'Allemagne,  de  la 

Suisse  et  de  l'Italie;  par  Isid.   Bourdon.   T  édition.  —  Paris  ,  chez 
Crochard  et  Ce.  1837.  In- 18.  5  fr. 

Les  nombreux  voyageurs  que  chaque  été  réunit  aux  Eaux, 
soit  pour  cause  de  maladie  ,  soit  pour  leur  plaisir ,  trouveront 
dans  le  guide  de  M.  Isid.  Bourdon  tous  les  renseignemens  dé- 
sirables, non-seulement  sur  les  divers  pays  où  sont  situées  des 
sources  minérales,  mais  encore  sur  la  composition  chimique 
et  les  vertus  médicales  de  chacune  d'elles  en  particulier.  Je 
élirai  même  que  cette  dernière  partie  est  la  plus  intéressante, 
car  l'auteur  ne  brille  pas  dans  le  genre  descriptif  ,  il  ne  pa- 
raît pas  être  un  bien  fort  littérateur;  mais  il  est  membre  de 
l'Académie  royale  de  Médecine,  ainsi  que  de  la  Commission 
permanente  des  Eaux  Minérales  du  royaume,  et  par  con- 
séquent apte  à  traiter  un  pareil  sujet.  Ses  conseils  pourront 
être  fort  utiles  pour  le  choix  des  eaux  et  la  conduite  du 
traitement  II  a  rendu  cette  seconde  édition  plus  complète  en 
y  ajoutant  plusieurs  eaux  nouvellement  découvertes  ,  ou  du 
moins  dont  il  n'avait  pas  encore  parlé. 

En  France  seulement,  on  compte  87  établissemens  de  bains 
de  cette  espèce,  savoir  :  douze  du  premier  ordre,  onze  du  se- 
cond et  soixante-quatre  du  troisième.  On  estime  à  environ 
38,000  le  nombre  des  baigneurs  qu'ils  reçoivent  chaque  été  ; 
et  l'on  calcule  que  cela  met  en  circulation  un  capital  de  10 
à  12  millions. 

C'est  donc  un  objet  de  haute  importance,  qui  mérite  d'en- 
trer en  ligne  de  compte  dans  les  revenus  du  pays. 


LE  chasseur-médecin  ,  ou  traité  complet  sur  les  maladies  du  chien  , 
à  l'usage  des  chasseurs  ,  des  fermiers ,  des  bergers ,  etc. ,  par  Francis 
Clater ,  traduit  de  l'anglais.  —  Paris,  chez  Mathias.  In-18.  2  fr. 

Ce  petit  volume  renferme  toutes  les  directions  nécessaires 
pour  soigner  les  chiens  dans  les  diverses  maladies  auxquelles 
ils  sont  sujets.  C'est  un  guide  indispensable  pour  toutes  les 
personnes  qui  ont  des  chiens,  car  plus  on  s'attache  à  ce  fidèle 
et  bon  animal,  plus  on  doit  rechercher  tous  les  moyens  de 
le  soulager  et  de  lui  épargner  les  souffrances.  On  y  trouve 
également  de  sages  conseils  sur  la  manière  de  les  dresser 
et  sur  l'hygiène  qu'il  est  bon  de  leur  faire  suivre  pour  les 
conserver  toujours  en  bonne  santé.  L'auteur  décrivant  avec 
soin  les  symptômes  des  maladies,  en  exposant  avec  clarté  les 
causes,  et  donnant  les  plus  grands  détails  sur  la  manière 
d'administrer  les  médecines  dont  il  indique  les  doses  avec 
exactitude,  chacun  peut  facilement  soigner  soi-même  son 
chien. 


248  SCIENCES  ET  ARTS. 

DE  L'ORIGINE  ET  DU  PROGRÈS  DU   CAFE  ,    opuscule  du   17e  siècle  ,  par 

Galland ,  auteur  des  Mille  et  une  Nuits;  nouvelle  édition,  aug- 
mentée d'instructions  sur  les  propriétés  de  cette  fève  et  le  meilleur 
procédé  pour  en  obtenir  la  boisson  dans  toute  sa  perfection.  Brocb. 
in-8  de  64  pages.  Prix  :  1  fr. —  Paris  ,  chez  Deracbe  ,  libraire,  rue  du 
Rouloy  ,  n°  7  ,  au  2e. 

Réimpression  d'un  petit  opuscule  du  savant  orientaliste 
Galland  ,  qui  avait  été  publié  pour  la  première  fois,  en  1699, 
à  Caen  ,  et  qui  était  devenu  fort  rare.  C'est  une  lettre  adressée 
à  M.  Chassebras  de  Camaille,  dans  laquelle  Galland,  après 
quelques  remarques  sur  l'étymologie  du  mot  Café,  raconte, 
d'après  un  auteur  arabe,  que  le  café  fut  d'abord  en  usage 
dans  l'Ethiopie  et  dans  la  Perse ,  d'où  il  fut  apporté  en  Arabie 
par  un  Muphti ,  nommé  Gémaleddin  Abouabdallah  Mo- 
hammed Bensaïd,  Aldhabani.  Les  Arabes  l'accueillirent  avec 
transport,  et  le  goût  en  devint  si  général,  si  passionné,  que  les 
prêtres  de  la  religion  se  crurent  obligés  d'y  mettre  un  frein 
par  leurs  défenses.  Galland  décrit  en  détail  tout  ce  qui  a  rap- 
port à  l'établissement  des  cafés  en  Turquie,  et  termine  par 
quelques  considérations  sur  les  propriétés  de  la  graine  de 
Moka.  On  a  ajouté  à  cette  lettre  des  fragmens  extraits  du  dic- 
tionnaire des  sciences  naturelles  et  une  notice  de  Cadet  de 
Vaux  sur  la  préparation  du  café. 


manuel  DE  maréchalerie  ,  à  l'usage  des  élèves  maréebaux  de  l'é- 
cole royale  de  cavalerie.  —  Saumur  ,  chez  Dubosse.  Paris,  chez  Le- 
neveu.  I836.1n-12. 

Ce  petit  ouvrage ,  rédigé  par  demandes  et  par  réponses , 
traite  en  détail  de  tout  ce  qui  a  rapport  à  l'art  du  maréchal- 
ferrant.  Il  est  divisé  en  quatre  parties,  savoir  :  1°  De  l'art  de 
forger  ;  description  de  l'atelier  de  maréchalerie ,  du  fer  et  du 
charbon  ,  de  la  confection  des  fers  ;  2°  De  l'art  de  ferrer;  ana- 
tomie  du  pied ,  manière  d'appliquer  le  fer,  différentes  ferru- 
res suivant  la  conformation  des  pieds;  3°  Des  opérations  chi- 
rurgicales dépendantes  de  la  maréchalerie ,  opérations  d'un 
usage  journalier,  maladies  accidentelles  ,  précautions  à  pren- 
dre dans  l'administration  des  remèdes  ;  4°  Notions  d'anatomie  ,- 
de  la  dentition  ou  connaissance  de  l'âge ,  description  du  sque- 
lette. 


IIP.    I  'iMPMMF.FlE  DE     BEAU,   A    VUHT-C  F.RM  A  1  N-fcW-l.A  VC. 


Bulletin   £ittévaive 

ET  SCIENTIFIQUE. 

5»  (SLu.ée.  —  oA^  8.  —  ÊIoûl.  1837. 


LITTERATURE,    HISTOIRE. 


MAUPRAT  ,  par  Georges  Sand.  —  Paris ,  1837,  2  vol.  in-8.  15  fr. 

Récit  plein  d'intérêt  et  écrit  avec  ce  brillant  style  qui  a 
lait  la  réputation  de  l'auteur.  Si  G.  Sand  avait  toujours  su 
rester  ainsi  dans  la  vérité ,  et  employer  son  talent  à  raconter 
des  faits ,  à  tracer  des  caractères  que  sa  féconde  imagination 
enfante  si  aisément,  personne  sans  doute  ne  lui  disputerait 
la  première  place  parmi  nos  romanciers  du  jour.  Mais  de  plus 
hautes  prétentions  lui  ont  malheureusement  parfois  tourné 
la  tête ,  et  elle  s'est  écartée  de  la  bonne  route  sans  paraître 
s'apercevoir  que,  malgré  les  complaisantes  flagorneries  des 
amis  ou  les  applaudissemens  des  badauds,  chaque  écart  était 
marqué  par  une  chute.  On  reconnaissait  alors  la  femme  qui 
veut  se  faire  homme ,  qui  chausse  le  pantalon  ,  fume  et  boit; 
on  y  sentait  toujours,  plus  ou  moins,  l'estaminet  et  l'orgie. 

Au  contraire ,  dès  que ,  mieux  inspirée ,  elle  rentre  dans 
la  voie  du  roman  proprement  dit ,  on  retrouve  la  femme 
ardente,  passionnée  sans  doute,  mais  douée  d'un  cœur  et 
d'une  âme,  mais  faite  pour  sentir  et  pour  exprimer  toutes  les 
plus  délicates  nuances  du  sentiment.  C'est  ainsi  que  dans  Mau- 
prat elle  se  montre  infiniment  supérieure  à  ce  qu'elle  était 
dans  les  Lettres  d'un  voyageur.  Son  but  est  de  peindre  les  bru- 
tales passions  de  ces  petits  tyrans  féodaux  ,  dont  la  France 
était  semée  avant  89 ,  en  opposition  avec  le  développement 
moral  et  intellectuel  du  peuple ,  qui  s'accomplissait  sourde- 
ment et  préparait  la  révolution.  Les  Mauprat  sont  une  de 
ces  familles  seigneuriales  qui  ,  à  défaut  de  talens  ou  de 
vertus  ,  s'étaient  rendues  célèbres  à  force  d'audace  et  de 
crimes.  Leur  nom  seul  glaçait  de  terreur  à  plusieurs  milles 
à  la  ronde,  et  le  manoir  de  la  Roche- Mauprat  était  fui 
comme  un  repaire  de  brigands.  Retirés  derrière  leurs  fossés 
et  leurs  murailles,  les  propriétaires  bravaient  impunément 
les  lois,  et  il  se  passait  un  long  temps  avant  que  l'autorité 
se  décidât  à  recourir  aux  grands  moyens  pour  les  soumettre, 

18 


250  LITTÉRATURE , 

à  faire  faire  le  siège  en  règle  de  leurs  châteaux.  Ces  nobles  et 
dignes  restes  du  moyen-âge  sont  fort  bien  peints  par  G.  Sand 
qui ,  malgré  son  exagération  et  les  travers  auxquels  se  livre 
souvent  son  esprit,  possède  un  tact  parfait  de  ce  qui  convient 
à  notre  siècle  et  un  instinct  populaire  qui  lui  fait  haïr  le  passé 
dans  tout  ce  qu'il  avait  d'oppressif ,  deseivile,  d'aristocrati- 
que. Ces  rares  qualités  font  regretter  d'autant  plus  vivement 
de  les  voir  si  fréquemment  gâtées  par  une  malbeureuse  affec- 
tation qui  fausse  tout  ce  qu'elle  touche.  La  partie  romanes- 
que de  ce  livre  en  offre  encore  plus  d'une  trace.  Le  héros  est 
le  dernier  des  Mauprat  qui,  soumis  à  des  influences  étrangè- 
res, et  obéissant  malgré  lui  à  l'impulsion  donnée  par  la  marche 
des  idées  et  des  événemens,  a  réhabilité  ce  nom  détesté  dans 
sa  province.  C'est  une  femme  qui  est  le  principal  acteur  de 
cette  conversion  morale.  L'amour  y  joue  un  grand  rôle,  et 
en  effet  c'est  bien  la  passion  qui  dompte  le  mieux  toutes  les 
autres.  Mais  pourquoi  G.  Sand  peint-il  toujours  l'amour  sous 
des  couleurs  si  fausses,  si  exagérées?  C'est  de  la  frénésie,  c'est 
de  la  rage  ,  de  la  folie;  mais  ce  n'est  pas  l'amour  tel  qu'on  le 
rencontre  ici-bas,  timide  et  réservé  chez  la  femme,  quoique 
pouvant  lui  faire  faire  les  plus  grandes  comme  aussi  les  plus 
tristes  choses,  entreprenant  et  impatient  chez  l'homme,  quoi- 
que accompagné  d'une  crainte  respectueuse  qui  enchaîne  sou- 
vent l'impétuosité  de  ses  désirs  et  le  rend  esclave  des  moindres 
caprices  de  celle  qu'il  aime.  Non,  G.  Sand  ne  connaît  que  les 
élans  passionnés,  sans  frein  ni  repos,  vrais  amours  de  lions 
ou  de  tigres.  Mais  ce  défaut  ne  ressort  point  trop  vivement 
dans  Mauprat,  où  tous  les  événemens  sont  empreints  de  la 
teinte  énergique  de  l'époque.  D'ailleurs  les  ligures  calmes  du 
bonhomme  Patience ,  du  curé  et  du  sergent,  n'en  brillent 
que  davantage  au  second  rang.  Ce  sont  des  portraits  pleins 
d'originalité,  qui  jettent  du  charme  et  de  la  variété  dans  le 
récit.  En  résumé ,  Mauprat  m'a  paru  supérieur  aux  autres 
ouvrages  du  même  auteur,  parce  qu'il  s'y  trouve  plus  de  sim- 
plicité, moins  d'affectation  et  par  conséquent  plus  de  vrai- 
semblance. Car,  malgré  tout  ce  qu'on  a  pu  écrire  sur  l'art  de 
faire  de  l'art ,  sur  l'idéal,  etc.  etc.  on  en  reviendra  toujours  à 
la  maxime  du  poète  : 

Rien  n'est  beau  que  (e  vrai 


HISTOIRE.  251 

LE  CHATEAU  »E  PïERREFOXDS  ;  ,1594;  par  Jtlelhm  Bernier.  2  vol. 
in  -8.  |j  fr. —  l  Exco.mmcxjé  ,  roman  posthume,  entièrement 
inédit.  2  vol.  in-8.  15  fr.  —  aventures  d'en  gentilhomme  pa- 
risien. 2  vol.  in-8.  15  fr.  —  IL  regiale;  romans  et  nouvelles  par 
Th.  de  Puymctigre.  —  Paris ,  1837.  In-8.  7  fr.  50  c. 

De  ces  quatre  romans,  les  deux  premiers  sont  d'une  médio- 
crité désespérante.  Je  ne  pense  pas  qu'il  soit  possible  de  lire 
plus  de  deux  pages  du  Château  de  P  ierre fonds  ;  encore  n'est-il 
pas  sûr  qu'on  les  comprenne  bien  d'un  bout  à  l'autre.  C'est  un 
style  barbare  ,  surchargé  d'épithètes,  employées  le  plus  sou- 
vent fort  mal  à  propos  ,  et  dont  la  construction  n'est  pas  tou- 
jours française.  L'auteur  a  voulu  nous  oifrir  des  tableaux  de 
mœurs  du  xvie  siècle ,  mais  j'avoue  que  j'ignore  totalement  s'ils 
sont  vrais  ou  faux ,  bien  ou  mal  exécutés,  car  je  n'ai  pas  eu 
*  le  courage  d'affronter  l'ennui  d'une  pareille  façon  d'écrire. 

—  L'Excommunié  est  un  de  ces  romans  que  l'on  attribue, 
comme  dit  l'éditeur,  au  plus  fécond  de  nos  romanciers.  En  d'au- 
tres termes  c'est  une  de  ces  compositions  fort  m<  diocres  que 
M.  de  Balzac  a  écrites  sous  le  pseudonyme  de  Saint-Aubin, 
avant  de  s'être  fait  la  réputation  qu'il  a  aujourd'hui ,  et  que 
maintenant  il  vend  volontiers  au  libraire,  mais  ne  signe  pas. 
V Excommunié  s'annonce  comme  inédit,  mais  on  reconnaîtra 
facilement  qu'd  date  d'une  époque  déjà  un  peu  ancienne, 
car  on  n'y  rencontre  pas  encoie  de  traces  de  celangage  forcé 
et  bizarre  que  M.  de  Balzac  a  adopté  et  auquel  il  doit  ses  suc- 
cès auprès  d'un  certain  public. 

C'est  un  roman  historique,  sans  vérité  dans  les  détails,  sans 
énergie  dans  l'action,  qui  peut  à  peine  être  mis  sur  la  même 
ligne  que  ceux  de  M.  JJinocourt.  Quel  que  soit  le  ridicule  en- 
gouementavec  lequel  on  accueille  tout  ce  qui  sort  de  la  plume 
de  M.  de  Balzac,  je  doute  fort  que  les  romans  inédits  ou  non  de 
Saint-Aubin,  obtiennent  jamais  une  grande  vogue.  Le  public 
le  plus  débonnaire  finit  par  se  lasser  d'être  dupe,  et  le  charla- 
tanisme se  suicide  en  poussant  trop  loin  ses  audacieuses  en- 
treprises. 

—  Les  Aventures  d'un  gentilhomme  parisien,  écrites  sans  pré- 
tention, sans  jactance,  offrent  un  intérêt  bien  supérieur  et 
obtiendront  certainement  un  succès  estimable  parmi  les  lec- 
teurs fatigués  de  tout  ce  faux  brillant  qu'on  sème  aujourd'hui 
à  pleines  mains  sur  les  ouvrages  de  cegenre.  Le  gentilbomme 
parisien  peint  d'une  manière  fort  piquante  la  société  de  Lon- 
dres et  donne  beaucoup  de  détails  sur  les  mœurs  anglaises. 
Aprèsfjs'ètre  ruiné  à  Paris ,  de  telle  façon  que  le  séjour  de 
cette  capitale  lui  fut  rendu  impossible  par  les  nombreux 
ciéaucie,.'}  qu'dy  rencontrait  à  chaque  pas,  il  va  cherche!  un 


252  LITTÉRATURE , 

refuge  à  Londres.  Là  il  continue  sa  vie  de  fashionable  jusqu'à 
ce  qu'il  ne  lui  reste  plus  un  sou;  puis,  quand  il  a  épuisé  tout 
le  crédit  qu'il  peut  encore  trouver,  il  se  fait  chevalier  d'in- 
dustrie pour  se  procurer  les  moyens  de  vivre,  et  se  voit  en 
butte  à  de  nombreuses  vicissitudes  qui  lui  permettent  d'étu- 
dier l'une  après  l'autre  toutes  les  classes  de  la  société.  Son 
récit  est  très-amusant  et  la  trame  en  est  fort  simple. 

—  Il  B  agi  aie  n'offre  sans  doute  pas  le  même  intérêt;  mais 
il  m'a  paru  cependant  mériter  sous  quelques  rapports  d'être 
distingué  de  la  foule.  C'est  un  recueil  de  nouvelles  pour  la 
plupart  historiques,  qui  sont  en  général  écrites  avec  simpli- 
cité; quelques-unes  surtout  seront  lues  avec  plaisir.  Ce  qu'il 
y  a  de  moins  bon  dans  ce  volume ,  c'est  le  titre.  Pourquoi 
prendre  un  mot  étranger  et  un  mot  surtout  qui  ne  signifie 
rien  ?  On  est  alors  obligé  de  faire  dans  la  préface  un  com- 
mentaire sur  le  titre,  et  le  lecteur,  mécontent  des  mauvaises 
raisons  alléguées  par  l'auteur,  ferme  souvent  le  livre,  sans 
vouloir  aller  plus  loin.  A  quoi  bon  cette  recherche  pédan- 
tesque?  Quand  on  écrit  pour  des  Français  et  qu'on  l'est  soi- 
même  ,  on  ne  saurait  trouver  pour  exprimer  ses  pensées  un 
meilleur  instrument  que  la  langue  française. 


LA  VIE  MILITAIRE  SOUS  l'esipire  ,  ou  mœurs  de  la  garnison  ,  du 
bivouac  et  de  la  caserne,  par  E.  Blaze.  —  Paris,  1837.  2  vol.  in-8. 
15  fr. 

Ce  titre  effarouchera  sans  doute  plus  d'un  lecteur,  et  en 
effet,  l'auteur  nous  en  prévient  par  son  épigraphe  empruntée 
à  Lafontaine  : 

Les  mères,  les  maris  me  prendront  aux  cheveux, 
Pour  dix  on  douze  contes  bleus, 
Voyez  un  peu  la  belle  affaire! 

On  doit  nécessairement  s'attendre  à  trouver  dans  la  Vie 
militaire  plus  d'une  aventure  galante  ,  et  surtout  plus  d'une 
anecdote  de  corps  de  garde.  Mais  l'auteur  n'a  point  abusé  de 
cette  licence ,  il  s'est  montré  très-sobre  de  scandale,  et  son 
livre  contient  certainement  bien  moins  de  scènes  et  de  ta- 
bleaux de  ce  genre  que  maints  romans  du  jour.  Il  renferme 
de  plus  qu'eux  un  grand  fond  de  gaîté  et  un  naturel  rare 
aujourd'hui.  Dans  un  style  simple  et  agréable,  M.  Blaze  nous 
trace  des  esquisses  pleines  de  vérité  et  nous  fait  assister  ainsi 
à  la  plus  spirituelle  revue  de  toutes  les  jouissances  et  d<e  tou- 
tes les  misères  de  l'état  de  soldat.  On  y  trouve  des  portraits 
fnppansde  la  vraie  bravoure  comme  de  la  gloriole  françaises. 


HISTOIRE.  253 

L'auteur ,  ancien  militaire,  qui  raconte  ce  qu'il  a  vu ,  en 
parle  sans  prévention  ni  pour,  ni  contre  ;  il  n'adopte  ni  le 
style  des  bulletins  officiels,  ni  celui  des  mécontens  ;  son  juge- 
ment est  constamment  dirigé  par  le  bon  sens ,  et  il  ne  perd 
pas  un  moment  de  vue  son  but  principal,  qui  est  d'amuser 
ses  lecteurs,  de  leur  offrir  une  galerie  piquante,  de  leur  mon- 
trer souvent  le  côté  ridicule  que  présente,  comme  toutes 
cboses  en  ce  monde,  la  carrière  héroïque  des  conquérans.  La 
rapidité  de  l'avancement  pendant  les  guerres  de  la  Révolu- 
tion avait  placé  dans  tous  les  grades  de  l'armée  une  foule 
d'hommes  plus  braves  que  savans.  Il  n'était  pas  rare  de 
rencontrer  des  lieutenans,  des  capitaines,  des  généraux  même 
qui  savaient  à  peine  écrire,  quoiqu'ils  s'entendissent  admira- 
blement bien  à  conduire  leurs  troupes  à  l'ennemi  et  à  rem- 
porter la  victoire.  Ce  contraste  singulier  entre  l'autorité  du 
grade  et  la  culture  intellectuelle  donnait  souvent  lieu  à  de 
curieuses  scènes,  et  M.  Blaze  a  trouvé  dans  ses  souvenirs  une 
foule  de  traits  plaisans  ,  dont  il  profite  pour  nous  peindre  ce 
courage  gai  et  léger  avec  lequel  le  militaire  fiançais  affronte 
la  mort  sur  le  champ  de  bataille. 

De  graves  pensées  philosophiques  accompagnent  souvent 
ces  récits ,  et  quelque  plaisir  qu'on  éprouve  à  la  lecture  de 
la  Vie  militaire,  on  ne  se  sent  nullement  tenté  de  la  connaître 
autrement.  Car  au  milieu  des  jouissances  courtes,  mais  vives, 
de  cette  vie  nomade  et  insouciante,  on  retrouve  à  chaque  pas 
la  servitude  de  la  discipline ,  et  l'homme  que  la  mort  a 
épargné  sur  le  champ  de  bataille,  après  avoir  consacré  ses 
plus  belles  années  à  pratiquer  l'art  de  iuer  ses  semblables,  à 
exercer  des  fonctions  qu'on  est  convenu  d'appeler  honorables, 
quoiqu'elles  ressemblent  singulièrement  à  celles  de  l'exécu- 
teur des  hautes-œuvres  ,  se  trouve  le  plus  souvent  au  bout  de 
sa  carrière  avec  des  infirmités  précoces  pour  tout  profit,  pour 
toute  récompense. 

Puisse  bientôt  arriver  le  temps  où  il  n'y  aura  plus  nulle 
part  d'autres  soldats  que  les  citoyens  armés  pour  la  défense 
de  la  patrie  contre  toute  aggression  de  l'étranger  !  Alors  la 
bravoure  ne  sera  plus  indignement  employée  à  soutenir  des 
projets  injustes  ou  ambitieux;  alors  les  guerres  deviendront 
de  plus  en  plus  rares ,  et  il  ne  restera  plus  enfin  de  la  vie 
militaire  que  des  souvenirs  tels  que  ceux  de  M.  Blaze. 


HISTOIRE  DE  LA  FILIATION    ET    DES  MIGRATIONS   DES    PEUPLES  , 

par  F.  de  Brotonne.  —Paris,  1837.  2  vol.  in-8.  15  fr. 

Le  sujet  de  cet  ouvrage  est  de  la  plus  haute  importance, 


2j4  LITTÉKAÏURE, 

et  les  recherches  savantes  de  l'auteur  sont  bien  f «ites  pour 
exciter  un  grand  intérêt.  Les  destinées  de  l'humanité,  ses 
vicissitudes  diverses,  la  route  qu'elle  a  suivie  dès  l'origine  du 
monde  pour  s'avancer  vers  un  progrès  continuel,  tels  sont 
les  graves  objets  qui  y  sont  traités.  Etablissant  d'abord  la 
mémoire  comme  la  première  faculté  nécessaire  au  dévelop- 
pement de  l'homme,  puisque  c'est  par  elle  seule. qu'il  peut 
acquérir  l'expérience,  M.  de  Biotonne  envisage  l'humanité 
dans  son  ensemble,  comme  un  tout  auquel  doivent  se  rap- 
porter les  faits  particuliers  et  dont  chaque  peuple  n'est 
qu'une  fraction,  chaque  époque  historique  une  période,  qui 
indique  sa  marche  vers  un  perfectionnement  que  nul  obstacle 
ne  saurait  l'empêcher  d'atteindre,  parce  qu'il  parait  être  sa 
destination  évidente.  Si  les  nations  semblent  jusqu'ici  en- 
chaînées dans  un  cercle  qu'elles  parcourent  l'une  après 
l'autre,  en  passant  successivement  delà  barbarie  à  la  civilisa- 
tion, puis  de  celle-ci  à  la  corruption,  qui  les  replonge  dans  la 
barbarie;  si  l'homme  a  été  ainsi  porté  avec  une  apparence  de 
raison  à  ies  comparer  à.  sa  propre  destinée  individuelle  qui 
le  conduit  de  l'enfance  à  l'âge  mur,  puis  à  la  vieillesse  et  à  la 
mort;  l'humanité  ne  saurait  être  astreinte  par  analogie  à  ces 
mêmes  conditions,  pas  plus  que  le  règne  végétal  n'est  con- 
d  unné  à  périr,  parce  que  les  individus  qui  le  composent  sont 
sujets  à  la  décomposition,  cette  loi  générale  qui  régit  toutes 
les  métamorphoses  de  la  matière.  Bien  plus,  l'humanité  est 
destinée  à  marcher  vers  un  but  inconnu,  auquel  la  conduit 
l'expérience  du  passé,  dont  les  traditions  toujours  mieux  con- 
servées agrandissent  sans  cesse  la  science  de  l'avenir.  Au 
milieu  des  bouleversemens  de  toute  espèce  qui  paraissent 
menacer  de  jeter  le  monde  dans  le  chaos,  aucun  progrès  ne  se 
perd,  et  en  passant  en  revue  l'histoire  universelle  ,  on  recon- 
naît facilement  que  ,  malgré  l'antagonisme  constant  des  pas- 
sions humaines,  l'homme  considéré  en  général  s'est  amélioré, 
a  toujours  mieux  développé  ses  facultés  morales  et  a  fait,  en 
dépit  de  toutes  les  chaînes  dont  il  s'est  lui-même  chargé,  des 
progrès  certains  sur  la  route  de  la  vérité. 

Cette  idée  est  grande  et  féconde,  on  sent  qu'elle  doit  être 
vraie  parce  qu'elle  est  d'accord  avec  la  logique  et  qu'elle 
seule,  arrachant  au  hasard,  à  la  fatalité,  l'aveugle  pouvoir 
qu'on  prétend  leur  donner,  répond  dignement  à  l'intelligence 
toute-puissante  qui  n\  pas  créé  sans  but  l'univers  et  tout  ce 
que  contient  son  étendue  infinie.  Elle  ramène  à  l'unité  tous 
les  phénomènes  divers  qui  happent  notre  vue  et  nous  rem- 
plit d'une  admiration  nouvelle  pour  ces  innombrables  formes 
sous  lesquelles  se  manifestent  les  lois  simples  et  sublimes  qui 
président  à  la  conservation  et  au  perfectionnement  du  tout. 


HISTOIRE.  255 

La  vie  sociale  apparaît  alors  comme  la  destination  de 
l'homme  sur  la  terre,  comme  le  caractère  propre  qui  le  dib- 
tingue  des  autres  animaux  et  lui  donne  sur  eux  une  si  haute 
supériorité.  C'est  dans  ce  but  que  le  don  de  la  parole  lui  a 
été  exclusivement  réservé.  Mais  ces  deux  principes  posés, 
leur  développement  a  été  tout-à-fait  abandonné  à  sa  volonté, 
afin  qu'il  fût  un  être  libre  et  responsable.  De  là  les  applica- 
tions différentes  qu'ils  ont  reçues  chez  tous  les  peuples  et  à 
toutes  les  époques;  de  là  les  luttes  dans  lesquelles  l'expé- 
rience s'acquiert,  l'esprit  s'élève,  l'homme  se  perfectionne  ; 
de  là  enfin  ce  sentiment  d'une  plus  haute  destination  qui 
nous  soutient  au  milieu  de  toutes  les  misères  de  ce  inonde 
et  nous  rend  capables  de  grandes  choses.  Mais  de  là  aussi 
devraient  découler  la  tolérance  la  plus  parfaite ,  l'esprit  de 
support  et  de  charité,  la  noble  émulation  qui  exclut  toute 
pensée  de  haine ,  de  prévention  ou  de  jalousie.  Nous  ne 
sommes  tous  ici-bas  que  des  ouvriers  travaillant  au  même 
œuvre,  et  la  raison  nous  dit  que  mieux  nous  concerterons  nos 
efforts  ,  plus  nous  approcherons  du  but.  Malheureusement 
ce  flambeau  divin  offusque  bien  des  yeux  trop  faibles  pour 
supporter  son  éclatante  lumière/t  le  plus  souvent  les  hommes 
l'éteignent  en  jetant  sur  lui  le  voile  épais  de  leurs  passions 
et  de  leurs  préjugés. 

L'auteur  du  livre  inscrit  en  tète  de  cet  article,  tout  en  re- 
connaissant et  en  exposant  avec  beaucoup  d'indépendance 
ces  grands  principes  qu'il  appelle  humanitaires,  et  que  j'aime- 
rais mieux  nommer  tout  simplement  universels  ,  ne  sait  pas 
secouer  tout-à-fait  le  joug  des  préjugés  ,  et  sacrifie  à  la  mode 
du  jour  sur  deux  points  qui,  gâtant  son  travail,  lui  ôtent  l'au- 
torité que  sans  cela  il  aurait  justement  obtenue.  Après  avoir 
rangé  d'abord  au  nombre  des  obstacles  que  rencontre  la  civi- 
lisation ,  l'étroite  nationalité  qui  place  entre  les  divers  peu- 
ples des  murs  d'airain,  il  proclame  la  nation  française  la  pre- 
mière de  toutes  ,  la  seule  qui  ait  envisagé  les  questions  sous 
le  point  de  vue  humanitaire ,  la  seule  qui  ait  toujours  eu  dans 
sa  politique  des  vues  grandes  et  généreuses.  Sans  parler  de 
la  contradiction  qui  ressort  de  cet  oubli  d'un  principe  d'abord 
posé,  nous  demanderons  à  M.  de  Brotonne  sur  quels  faits 
s'appuie  une  pareille  assertion,  dans  quelle  époque  historique 
l'expérience  lui  a  fourni  un  semblable  résultat.  Sera-ce  sous 
les  règnes  de  François  Ier,  de  Louis  XI ,  de  Louis  XIV,  de 
Louis  XV,  qu'il  ira  chercher  des  exemples  de  cette  politique 
large  et  généreuse?  Ou  bien  les  trouvera- t-il  dans  l'époque 
désastreuse  de  la  Terreur,  et  dans  l'esprit  envahisseur  et  des- 
potique de  l'Empire?  Une  autre  erreur  du  même  genre  se 
trouve  dans  la  manière  dont  il  parle  de  la  Réforme.  Après 


256  LITTERATURE, 

avoir  montré  les  dangers  du  pouvoir  pontifical  et  indiqué 
sa  chute  comme  un  progrès  ,  il  accuse  le  protestantisme  d'é- 
goïsme.  Il  répète  cette  phrase  vide  de  sens  et  démentie  par 
les  faits  :  «  Les  tendances  politiques  présentent  plusparticu- 
»  lièrement  le  caractère  d'égoïsme  national  dans  les  pays  de 
»  protestantisme.  » 

Or,  nous  le  demandons,  quel  est  le  peuple  qui  partout  où 
il  à  porté  ses  armes  et  sa  domination  ,  a  prétendu  tout  plier 
à  ses  usages,  à  ses  lois,  à  ses  préjugés,  anéantir  toute  nationa- 
lité pour  y  substituer  la  sienne ,  et  foulant  aux  pieds  non-seu- 
lement les  tendances  politiques ,  mais  encore  les  croyances 
religieuses,  n'a  pu,  justement  à  cause  de  cela,  se  maintenir 
dans  aucune  de  ses  conquêtes  ,  fonder  nulle  part  des  colonies 
riches  et  prospères  ?  Ce  peuple ,  il  faut  bien  le  dire,  n'est  ni 
anglais,  ni  américain,  ni  protestant,  c'est  le  peuple  français, 
chez  lequel  vous  prétendez  que  le  catholicisme  a  fécondé  les 
doctrines  humanitaires. 

Nous  ne  le  disons  pas  pour  le  placer  au-dessous  de  nul  au- 
tre, car  rien  n'est  plus  ridicule  que  ces  rivalités  étroites  ,  qui 
divisent  l'humanité  en.  familles  ennemies.  La  nation  fran- 
çaise possède  assez  de  droits  à  être  rangée  au  premier  rang, 
elle  a  une  part  assez  belle  dans  la  gloire  commune,  pour  qu'il 
ne  soit  pas  nécessaire  de  dépouiller  les  autres  en  sa  faveur. 
Mais  chaque  peuple,  comme  chaque  individu,  a  ses  travers  à 
côté  de  ses  belles  qualités,  et  le  premier  devoir  de  tout  his- 
torien est  de  dépouiller,  à  cet  égard  ,  toute  espèce  de  vanité 
glorieuse,  d'amour-propre  étroit,  pour  se  poser  en  juge  im- 
partial et  désintéressé.  On  ne  saurait  surtout  repousser  avec 
trop  d'énergie  ces  paradoxes  bizarres  qui,  se  glissant  aujour- 
d'hui à  travers  les  idées  les  plus  larges  et  les  plus  fécondes, 
menacent  d'anéantir  toute  leur  influence  en  jetant  le  désor- 
dre dans  les  esprits  et  en  rompant  sans  cesse  la  chaîne  du 
raisonnement.  Ce  n'est  pas  entre  le  pape  et  Luther  qu'il  faut 
se  prononcer;  c'est  entre  l'autorité  et  la  raison  ,  c'est  entre  le 
despotisme  et  la  liberté;  vous  aurez  beau  employer  tous  les 
sophismes  d'un  esprit  ingénieux  pour  intervertir  la  question, 
vous  n'arriverez  jamais  à  un  accommodement  entre  tes  deux 
principes,   qui  diffèrent  l'un   de  l'autre  comme  la  nuit  du 

Jour- 

Les documens sur  la  filiation  et  les  migrations  des  peuples, 

sont  trop  incertains  et  trop  peu  nombreux  pour  fournir  à  une 

histoire  complète  et  bien  suivie.  On  ne  peut  que  se  renfermer 

dans  un  cercle  d'hypothèses  plus  ou  inoins  contestables,  se 

contenter  de  comparer  ensemhle  les  diverses   traditions  de 

l'antiquité  et  faire  ressortir  les  rapports  qui  les  lient,  ainsi  que 

ceux  qui  se  trouvent  dans  les  mœurs,  les  lois  et  les  religions 


HISTOIRE.  267 

desdifférenspeuplesde  l'univers.  Sous  ce  rapport,  l'ouvrage  de 
M.  de  Brotonne  est  fort  remarquable  et  atteste  uue  érudition 
profonde,  des  recherches  consciencieuses.  Les  seuls  faits  qui 
paraissent  à  peu  près  prouvés  et  qu'il  expose  comme  tels , 
d'après  les  meilleures  sources,  sont  1°  l'existence  de  trois  ra- 
ces humaines  distinctes,  qui  se  trouvent  placées  à  des  degrés 
différens  sur  l'échelle  de  la  civilisation.  Ici  l'auteur  appuie 
peut-être  trop  sur  cette  différence,  et  en  induit  un  peu  légè- 
rement une  inégalité  de  facultés  intellectuelles.  Sommes-nous 
bien  sûrs  que  la  race  mongole,  ou  même  la  race  nègre  ,  n'aient 
jamais  tenu  en  main  le  sceptre  de  la  civilisation?  Et  alors  ne 
pouvaient-elles  pas  aussi  se  croire,  à  cette  époque,  supérieures 
à  la  race  caucasienne  ,  plongée  encore  dans  la  barbarie? 

2°  L'unité  primitive  du  langage  ,  qui  ne  se  «divisa  que  peu 
à  peu  en  langues  diverses,  dont  on  peut  encore  aujourd'hui 
•saisir  quelques-uns  des  rapports  communs  qui  semblent  leur 
donner  à  toutes  une  même  origine. 

3°  L'existence  primitive  d'un  peuple  unique  ,  appelé  Indo- 
Perse  ou  Bactrian ,  duquel  sont  sortis  tous  les  autres.  Cette 
dernière  hypothèse  parait  la  moins  sûre  et  la  plus  difficile  à 
prouver.  Elle  semble  surtout  se  contredire  avec  l'existence  de 
trois  races  humaines  distinctes. 


HISTOIRE  DE  FRANCE  ,  par  M.  Michèle t,  professeur  à  l'école  Normale  ; 
tome  3.  —  Paris  ,  chez  Hachette ,  1837.  1  vol.  in-8.  7  fr.  50  c.  —  ORI- 
GINES du  droit  français,  cherchées  dans  les  symboles  et  for- 
mules du  droit  universel;  par  le  même.  Paris,  chez  Hachette  ,  1837. 
1  vol.  in-8.  7  fr.  40  c. 

Les  Vêpres  Siciliennes,  la  révolte  du  roi  de  France  contre  le 
pape  ,  le  supplice  des  Templiers,  la  guerre  avec  l'Angleterre  , 
la  Jacquerie  et  l'expulsion  des  Anglais ,  tels  sont  les  principaux 
événemens  relatés  dans  le  premier  de  ces  deux  volumes  ,  qui 
comprend  un  siècle,  de  1270  à  1380.  C'est  l'époque  où  le 
moyen-âge  commence  à  décliner  devant  le  pouvoir  royal,  qui 
lutte  à  la  fois  contre  l'Eglise, et  la  féodalité.  Philippe-le-Bel 
accomplit  rudement  sa  part  de  cette  tâche  difficile.  Il  débute 
dès  les  premières  années  de  son  règne  par  exclure  tout-à-fait 
les  prêtres  de  l'administration  de  la  justice.  Cette  première 
attaque  contre  le  pouvoir  du  clergé  est  bientôt  suivie  d'une 
rupture  avec  Rome.  L'Eglise  française  est  soustraite  à  la  do- 
mination directe  du  pontife ,  et  le  roi  se  substitue  en  quelque 
sorte  au  pape  vis-à-vis  d'elle,  du  moins  pour  ce  qui  concernait 
les  revenus  et  redevances  à  en  tirer,  et  pour  une  bonne  part 
de  la  suprématie  à  exercer  sur  le  clergé.  Puis  vient  le  procès  des 


258  LITTÉRATURE, 

Templiers ,  grande  injustice  qui  enrichit  le  trésor  de  Philippe, 
et  augmenta  le  pouvoir  royal  en  brisant  la  plus  puissante  de 
ces  confréries  qui  formaient  autant  d'états  dans  l'Etat,  autant 
de  gouvernemens  indépendans  qui  usaient  et  abusaient  d'un 
pouvoir  arbitraire.  La  ruine  des  Templiers  lut  suivie  de  celle 
de  .plusieurs  autres  ordres  dont  les  richesses  tentaient  la  cupi- 
dité royale,  et  dont  l'influence  pouvait  être  redoutée.  Les 
roturiers  sont  admis  à  l'acquisition  des  biens  féodaux  ,  les 
gens  de  chicane-  et  les  marchands  d'argent  commencent  à 
surgir  du  milieu  de  la  plèbe  ,  jusque  là  comptée  pour  rien. 
Ainsi  tombe  pièce  à  pièce  ce  moyen-âge  si  brillant  et  si  che- 
valeresque. Il  cède  graduellement  la  place  à  notre  organisa- 
tion moderne,  et,  on  ne  saurait  le  nier,  au  premier  abord, 
le  changement  ne  pouvait  paraître  bien  avantageux.  Au  bri- 
gandage audacieux  et  poétique  des  seigneurs  féodaux  ,  qui  op- 
primaient et  massacraient  les  marchands  pour  s'enrichir  de 
leurs  dépouilles,  succède  la  fourbe  chicanière  qui  ne  vaut 
guère  mieux,  quoiqu'elle  procède  autrement,  dépouillant 
d'abord  sa  victime  pour  la  laisser  ensuite  périr  de  misère  ou 
de  chagrin.  L'insolence  brutale  des  nobles,  jusque  là  sans 
bornes,  trouve  un  contre-poids  dans  l'impassible  fermeté  de 
ces  officiers  de  la  justice  chargés  de  l'application  de  la  loi,  de- 
vant laquelle  tout  doit  plier. 

«  Ces  Chevaliers  en  droit ,  ces  âmes  de  plomb  et  de  fer  , 
»  les  Plasian,  les  Nogaret ,  les  Marigni  ,  procédèrent  avec 
»  une  horrible  froideur  dans  leur  imitation  servile  du  droit 
»  romain  et  de  la  fiscalité  impériale.  Les  Pandectes  étaient 
»  leur  Bible,  leur  Evangile.  Rien  ne  les  troublait  dès 
»  qu'ils  pouvaient  répondre  à  tort  ou  à  droit  :  Scriptiwi 
»  est —  Avec  des  textes,  des  citations,  des  falsifications, 
»  ils  démolirent  le  moyen-âge ,  pontificat ,  féodalité ,  cheva- 
»  lerie.  Ils  allèrent  hardiment  appréhender  au  corps  le  pape 
»  Boniface  VIII ;  ils  brûlèrent  la  croisade  elle-même  dans  la 
»  personne  des  Templiers. 

»  Ces  cruels  démolisseurs  du  moyen-âge  sont ,  il  coûte  de 
»  l'avouer  ,  les  fondateurs  de  l'ordre  civil  aux  temps  moder- 
»  nés.  Us  organisent  la  centralisation  monarchique.  Us  jet- 
»  tentdans  les  provinces  des  baillis,  des  sénéchaux  ,  des  pré- 
»  vôts,  des  auditeurs,  des  tabellions,  des  procureurs  du  roi , 
»  des  maîtres  et  peseurs  de  monnaie.  Les  forêts  sont  envahies 
»  par  les  verdiers,  les  gruyers  royaux.  Tous  ces  gens  vont  chi- 
»  caner,  décourager,  détruire  les  juridictions  féodales.  Au 
»  centre  de  cette  vaste  toile  d'araignée,  siège  le  conseil  des 
»  légistes  sous  le  nom  de  Parlement  (fixé  à  Paris  en  1302). 
»  Là  ,  tout  viendra  peu  à  peu  se  perdre,  s'amortir  sous  l'au- 
»  torité  royale.  Ce  droit  laïque  est  surtout  ennemi  du  droit 


HISTOIRE.  259 

»  ecclésiastique.  Au  besoin,  les  légistes  appellent  à  eux  les 
»  bourgeois.  Eux-mêmes  ne  sont  pas  autre  chose  ,  quoiqu  ils 
»  mendient  l'annoblissement  ,  tout  en  persécutant  la  no- 
»>  blesse.  » 

Sous  les  successeurs  de  Pbilippe-le-Bel ,  la  noblesse  cher- 
cha bien  à  ressaisir  le  pouvoir  qui  allait  lui  échapper,  et  la 
guerre  avec  l'Anglais  sembla  lui  venir  en  aide  pour  lui  en 
fournir  une  belle  occasion  ,  en  la  rendant  plus  indispensable 
que  jamais  au  roi ,  qui  ne  pouvait  compter  que  sur  elle  pour  la 
défense  de  ses  états.  Mais ,  au  milieu  de  tous  ces  beaux  faits 
d'armes  que  l'historien  chroniqueur  par  excellence, Froissait, 
se  plaît  tant  à  conter,  le  peuple  souffrait  cruellement; car  vain- 
queurs et  vaincus  l'opprimaient,  le  pillaient  également,  et, 
de  quelque  côté  que  fût  le  triomphe,  c'était  lui  qui  le  payait  de 
§es  sueurs ,  de  ses  épargnes,  de  son  sang.  Les  paysans  poussés 
à  bout  se  soulevèrent  donc,  et  l'on  eut  les  horribles  scènes  de 
la  Jacquerie.  Ce  fut  le  prélude  sanglant  de  cette  lutte  si  lon- 
gue entre  le  peuple  et  ses  tyrans  privilégiés.  Le  pays  se  vit 
jeté  dans  une  anarchie  presque  complète,  à  la  vérité,  mais 
de  laquelle  devait  sortir  sa  régénération.  Le  désordre  arrivera 
bientôt  a  son  comble,  lorsque  le  sceptre  se  trouvera  dans  la 
main  débile  d'un  roi  fou  ,  mais: 

«  Patience!  sous  la  rude  éducation  des  guerres,  sous  la 
»  verge  de  l'Anglais,  la  brute  va  se  faire  homme.  Serrée  de 
»  plus  près  tout-à-l'heure ,  et  comme  tenaillée ,  elle  échap- 
»  pera,  cessant  d'être  elle-même,  et  se  transfigurant;  Jacques 
»  deviendra  Jeanne  ,  Jeanne  la  vierge ,  la  Pucelle. 

»  Le  mot  vulgaire,  un  bon  Français,  date  de  l'époque  des 
»  Jacques  et  de  Marcel.  La  Pucelle  ne  tardera  pas  à  dire  :  «  Le 
»  cœur  me  saigne ,  quand  je  vois  le  sang  d'un  Français.  » 

»  Un  tel  mot  suffirait  pour  marquer  dans  l'histoire  le  vrai 
»  commencement  de  la  France.  Depuis  lors  .,  nous  avons  une 
»  patrie.  Ce  sont  des  Français  que  ces  paysans,  n'en  rougissez 
»  pas;  c'est  déjà  le  peuple  français  ,  c'est  vous  ,  ô  France.  Que 
>  l'histoire  vous  les  montre  beaux  ou  laids,  sous  la  capucede 
»  Marcel ,  sous  la  jaquette  des  Jacques ,  vous  ne  devez  pas  les 
»  méconnaître.  Pour  nous,  parmi  tous  les  combats  des  no- 
>>  blés,  à  travers  les  beaux  coups  de  lance  c<ù  s'amuse  l'in- 
»  souciant  Froissait ,  nous('  chercherons  ce  pauvre  peuple. 
»  Nous  Tirons  prendre  dans  cette  grande  mêlée  ,  sous  l'éperon 
»  des  gentilshommes,  sous  le  ventre  des  chevaux.  Souillé, 
»  défiguré,  nous  l'amènerons  tel  quel  au  jour  de  la  justice  et 
»  de  l'histoire,  afin  que  nous  puissions  lui  dire,  à  ce  vieux 
»  peuple  du  quatorzième  siècle  :  Vous  êtes  mon  père  ,  et  vous 
»  êtes  ma  mère.  Vous  m'avez  conçu  dans  les  larmes.  Vous 
»  avez  sué  la  sueur  et  le  sang  pour  me  faire  une  France.  Bénis 


260  LITTÉRATURE, 

»  soyez-vous  dans  votre  tombeau.  Dieu  me  garde  de  vous 
»  renier  jamais.  » 

Cette  citation  donne  une  idée  du  style  nerveux ,  concis , 
énergique  de  M.  Miclielet ,  qui  cherche  sans  cesse ,  peut-être 
même  un  peu  trop ,  à  frapper  par  l'originalité  de  l'expression  , 
à  graver  dans  la  mémoire  par  la  force  de  l'image.  Il  oublie 
souvent  que  l'historien  doit  d'abord  raconter,  et  il  se  laisse  vo- 
lontiers entraîner  par  son  talent  à  esquisser  à  grands  traits  les 
caractères  des  hommes  et  des  époques ,  sans  trop  se  soucier 
du  détail  des  événemens.  Cependant  il  ne  néglige  rien  de  ce 
qui  tient  aux  mœurs  et  peut  servir  à  faire  connaître  le  peu- 
ple. Sous  ce  rapport  il  est  bien  supérieur  à  la  plupart  des  his- 
toriens ,  il  se  montre  franchement  du  peuple  ,  et  du  peuple 
de  notre  siècle ,  qui ,  éclairé  sur  ses  véritables  droits ,  place 
aussi  sa  véritable  gloire  dans  les  efforts  de  ses  ancêtres  poul- 
ies conquérir.  Son  style  peut  paraître  quelquefois  bizarre , 
mais  cette  bizarrerie  même  lui  donne  en  certains  passages 
une  vigueur  tout-à-fait  remarquable.  Ecoutez-le  nous  peindre 
l'état  du  clergé  au  commencement  du  xive  siècle  : 

«  Entre  ce  roi  affamé  et  ce  peuple  étique,  il  y  avait  pour- 
»  tant  quelqu'un  de  rick?.  Ce  quelqu'un ,  c'était  l'Eglise. 
»  Archevêques  et  évêques,  chanoines  et  moines,  moines  an- 
»  ciens  de  Saint- Benoît ,  moines  nouveaux,  dits  mendians, 
»  tous  étaient  riches  et  luttaient  d'opulence.  Tout  ce  monde 
»  tonsuré  croissait  des  bénédictions  du  ciel  et  de  la  graisse  de 
»  la  terre.  C'était  un  petit  peuple  heureux,  obèse  et  reluisant, 
»  au  milieu  du  grand  peuple  affamé  qui  commençait  à  le  re- 
»  garder  de  travers.  » 

Et  plus  loin  avec  quelle  énergie  il  trace  le  portrait  du 
Juif: 

«  Au  moyen-âge,  celui  qui  sait  où  est  l'or,  le  véritable  alchi- 
»  miste,  le  vrai  sorcier,  c'est  le  Juif;  ou  le  demi-Juif,  le  Lom- 
»  bard.  Le  Juif,  l'homme  immonde,  l'homme  qui  ne  peut 
»  toucher  ni  denrée  ni  femme,  qu'on  ne  la  brûle  ;  l'homme 
»  d'outrage  sur  lequel  tout  le  monde  crache,  c'est  à  lui  qu'il 
»  faut  s'adresser. 

»  Sale  et  prolifique  nation  ,  qui  par  dessus  toutes  les  au- 
»  très  eut  la  force  multipliante,  la  force  qui  engendre,  qui 
»  féconde  à  volonté  les  brebis  de  Jacob  ou  les  sequinsde  Shy 
»  lock.  Pendant  tout  le  moyen  âge,  persécutés,  chassés,  rap- 
»  pelés,  ils  ont  fait  l'indispensable  intermédiaire  entre  le  fisc 
»  et  la  victime  du  fisc,  entre  l'agent  et  le  patient,  pompant 
»  l'or  d'en  bas,  et  le  rendant  au  roi  par  en  haut  avec  laide 

»  grimace Mais  il  leur  en  restait  toujours  quelque  chose... 

»  Patiens,  indestructibles,  ils  ont  vaincu  par  la  durée.  Ils 
»  ont  résolu  le  problème  de  volatiliser  la  richesse;  affranchis 


HISTOIRE.  261 

»  par  la  lettre  de  change,  ils  sont  maintenant  libres,  ils  sont 
»  maîtres;  de  soumets  en  soumets,  les  voilà  au  trône  du 
»  monde.  » 

On  le  voit ,  si  cette  manière  d'écrire  est  vivement  colorée 
et  pleine  de  vie,  il  serait  dangereux  d'en  abuser  cependant, 
parce  qu'elle  fatiguerait  bientôt  le  lecteur  par  sa  mardi e  sac- 
cadée. De  plus  elle  peut  facilement  tomber  dans  la  familiarité 
et  perdre  ainsi  le  ton  digne  et  grave  de  l'bistoire. 

Au  reste,  elle  s'accorde  peut-être  mieux  que  tout  autre 
avec  l'époque  historique  que  M.  Michelet  avait  à  retracer. 
Sa  libre  allure  tient  de  la  brusque  naïveté  et  de  la  rudesse 
franche  et  grossière  de  ces  âges  reculés.  Mais  s'il  nous  était 
permis  d'adresser  à  l'auteur  une  observation ,  nous  lui  con- 
seillerions de  modifier  son  style  à  mesure  qu'il  se  rappro- 
chera de  notre  temps,  et  d'ajouter  ainsi  un  mérite  de  plus 
à  son  travail  par  une  teinte  locale  qui  pourra  servir  à  faire 
mieux  comprendre  encore  les  diverses  époques  de  l'histoire. 

—  Les  Origines  du  droit  sont  un  livre  savant  qui  a  dû 
coûter  de  longues  et  pénibles  recherebes,  mais  qui  cependant 
intéressera  les  hommes  les  moins  versés  dans  l'étude  du  droit. 
Il  a  pour  objet  d'établir  la  filiation  qui  unit  les  coutumes  du 
vieux  droit  français  avec  les  anciennes  coutumes  germaniques 
et  autres,  si  poétiques  dans  leur  naïveté  primitive.  La  poésie 
du  droit  est  morte  aujourd'hui;  à  ses  antiques  formules,  à 
ses  images  symboliques  ont  succédé  les  formes  simples,  gra- 
ves ,  prosaïques  du  droit  moderne.  A  mesure  que  la  barbarie 
s'en  allait ,  elle  a  emmené  avec  elle  tous  ces  symboles,  tons 
ces  signes  par  lesquels  on  cherchait  jadis  à  impressionner  vi- 
vement les  esprits.  Sans  regretter  précisément  ces  formes , 
M.  Michelet  croit  qu'elles  ont  eu  leur  utilité,  leur  influence 
bienfaisante,  et  il  les  considère  d'ailleurs  comme  un  sujet 
historique  fort  curieux.  Prenant  l'homme  dès  son  entrée  dans 
le  monde  et  suivant  les  diverses  phases  de  sa  vie,  il  nous  ex- 
pose toutes  les  formules  qui  l'entouraient  depuis  le  berceau 
jusqu'à  la  tombe,  donnant  un  sens  profond  et  mystérieux  à 
la  plupart  de  ses  actions  et  employant  pour  agir  sur  son  esprit 
encore  peu  éclairé  la  crainte  superstitieuse,  le  mysticisme  reli- 
gieux, à  la  place  de  la  raison  dont  il  n'eût  pu  comprendre  la 
voix.  L'auteur  a  emprunté  à  tous  les  peuples  de  l'antiquité 
leurs  pratiques  et  leurs  usages  pour  en  former  un  tableau 
curieux  dans  son  ensemble  et  dans  ses  détails.  On  y  trouve 
une  foule  de  coutumes  bizarres,  naïves,  touchantes,  qui  rap- 
pellent la  simplicité  primitive  et  les  premiers  développe- 
mens  de  l'organisation  sociale  ;  d'autres,  cruelles  et  barbares , 
témoignent  de  la  rudesse  des  mœurs  chez  ces  peuples  guer- 
riers, pour  lesquels  la  justice  était  toujours  armée  d'un  glaive 


262  LITTEIUTURE , 

et  d'une  hache,  prête  à  frapper  sans  pitié  le  coupable.  Ici 
ce  sont  des  cérémonies  pleines  d'une  douce  et  tendre  allégorie 
qui  entourent  le  berceau  du  nouveau  né  ;  c'est  le  miel  et  l'or 
que  les  lois  de  l'Inde  veulent  qu'on  lui  fisse  goûter  dès  sa 
naissance;  c'est  son  bien  dont  la  coutume  allemande  s'in- 
quiète et  qu'elle  ne  permet  de  vendre  qu'en  cas  de  nécessité 
suprême,  pour  lui  sauver  la  vie.  Ce  sont  les  formules  gra- 
cieuses et  poétiques  du  mariage,  qui  chez  la  plupart  des  peu- 
ples apparaît  comme  une  seconde  naissance,  comme  l'entrée 
de  l'homme  dans  une  vie  nouvelle,  où  il  doit  accomplir  la 
plus  belle  part  de  sa  destinée.  C'est  la  symbolique  féodale 
avec  toutes  ses  allures  bizarres,  puériles  en  apparence,  sou- 
vent cruelles  dans  tout  ce  qui  touche  surtout  à  la  justice  et 
aux  châtimens  des  coupables.  Les  usages  qu'avait  créés  la 
féodalité  sont  innombrables  ;  la  vie  se  trouvait  cernée  dans  un 
rempart  de  pratiques  extérieures  qui  ne  laissaient  sans  doute 
pas  à  l'esprit  le  temps  dépenser,  à  l'âme  celui  de  sentir,  à  l'in- 
telligence celui  de  se  l'éveiller.  Enfin,  le  dernier  acte  de  la  vie 
humaine,  la  mort  se  présente  encore  avec  mille  cérémonies 
diverses,  suivant  la  manière  dont  les  différens  peuples  l'ont 
envisagée.  Chez  beaucoup  d'entre  eux  la  vieillesse  eut  be- 
soin pour  être  respectée  de  l'autorité  des  lois  qui  commandè- 
rent aux  enfans  d'honorer  la  tête  blanche  de  leur  vieux  père, 
et  de  lui  rendre  dans  ses  derniers  ans  les  soins  qu'ils  en 
avaient  reçus  durant  leurs  premières  années.  Ailleurs  le 
vieillard  sentant  venir  sa  fin,  s'éloigne  de  la  société  et  va  dans 
la  solitude  attendre  la  mort. 

«  Quand  le  brahmane  voit  ses  cheveux  blanchir,  et  qu'il 
»  a  sous  ses  yeux  le  fils  de  son  fils,  il  s'en  va  dans  quelque 
»  forêt,  habiter  seul  sous  le  ciel,  parmi  les  racines  d'un  figuier 
»  indien.  Ayant  déposé  en  lui  le  feu  sacré,  il  n'a  plus  de  feu 
»  domestique;  il  vit  de  fleurs  ou  de  racines.  Il  attend,  silen- 
»  cieux  comme  l'ouvrier,  le  salaire  du  jour.  Il  ne  désire  point 
»  la  mort,  il  ne  désire  point  la  vie.  Bientôt,  il  laissera  l'odieuse 
»  enveloppe  comme  l'oiseau  quitte  la  branche,  comme  des 
»  bords  d'une  rivière,  la  terre  et  l'arbre  se  détachent. 

»  Le  christianisme,  entre  toutes  les  religions,  a  aimé  la 
»  la  mort;  il  l'a  embellie  à  plaisir,  l'a  parée  tendrement, 
»  comme  une  sœur  qu'on  mène  à  l'autel.  Il  a  fait  mieux;  il 
»  lui  a  changé  son  nom,  il  a  juré  qu'elle  était  la  vie.  11  a 
»  appelé  le  dernier  jour  :  Natatis  dics.  —  «  Non  nioriar,  sed 
>'  vivam ,  et  narrabo  opéra  Domini.  »  —  La  légende  dit  d'un 
»  Saint  qui  meurt  :  Et  alors,  il  commença  de  vivre  et  cessa  de 
»  mourir!  «  Et  tune  viverc  ineœpit,  morujue  riesiit.  » 

Mais  toutes  ces  formes  poétiques  ne  pouvaient  convenir 
qu'à  des  temps  d'ignorance  primitive  et  de  foi  naïve.  Du  mo- 


HISTOIRE.  563 

ment  où  le  raisonnement  se  glissa  dans  les  esprits  elles  durent 
perdre  toute  leur  efficacité  ,  et  devenir  bientôt  une  source 
d'erreurs  et  d'injustices  nombreuses.  Ceux  qui  profitèrent  de 
ces  abus  y  prirent  goût ,  et  quand  ils  virent  que  ces  ruines  du 
moyen-âge  ne  pouvaient  plus  subsister,  ils  surent  babilement 
remplaces  les  formes  pratiques,  par  les  formules  de  l'Ecriture. 
La  poésie  des  formes  fut  reléguée  dans  le  domaine  des  tradi- 
tions ,  mais  les  abus  qu'elles  recouvraient  furent  scrupu- 
leusement conservés.  Ils  substituèrent  à  ces  vieux  usages 
l'astuce  d'un  langage  obscur,  à  double  entente,  d'un  stvle 
barbare,  embrouillé  à  dessein  et  tout-à-fait  étranger  au  lan- 
gage vulgaire.  Tristes  monumens  d'un  égoïsme  anti-social, 
qui  jusqu'à  nos  jours  a  résisté  à  tout  et  obstrue  encore  aujour- 
d'bui  les  voies  de  la  justice  même  cbez  les  nations  les  plus 
civilisées. 


mémoires  de  GRÉGOIRE,  ancien  évêquc  de  Blois-,  député  à  l'assem- 
blée Constituante,  etc.,  précédés  d'une  notice  historique  sur  l'auteur 
par  M.  H.  Carnot.  —Paris,  1837,  2  vol.  in-8.  15  fr. 

La  vie  de  l'abbé  Grégoire  se  rattache  trop  à  tous  les  événe- 
mens  de  la  révolution  française,  pour  ne  pas  exciter  un  vif 
intérêt.  Ce  prêtre  fut  un  de  ceux  qui  se  jetèrent  le  plus  fran- 
chement dans  le  mouvement  qui  entraînait  alors  tous  les 
esprits  éclairés.  Il  embrassa  avec  ardeur  les  idées  révolution- 
naires et  fut  un  des  premiers  à  prêter  serment  aux  nouvelles 
institutions ,  mais  sans  jamais  renoncer  au  caractère  sacré  de 
sa  vocation.  Son  attachement  à  la  religion  l'exposa  même  plus 
d'une  fois  à  de  vives  attaques  de  la  part  de  ses  collègues  à  la 
Convention  ;  mais  la  ténacité  de  son  caractère  et  la  hardie 
fermeté  avec  laquelle  il  soutint  son  rôle  l'emportèrent  à  la  fin 
sur  toutes  les  résistances.  lise  montra  le  plus  zélé  à  rouvrir  les 
temples  au  culte  catholique,  et  soutint  avec  une  égale  per- 
sistance la  double  lutte  dans  laquelle  il  s'engagea  ainsi  d'une 
part  avec  les  conventionnels  jacobins,  qui  ne  voulaient  plus 
de  prêtres,  et  de  l'autre  avec  les  prêtres  récalcitrans  et  la  cour 
de  Rome,  qui  les  appuyait  de  son  approbation.  Cette  position 
difficile  lui  suscita  une  foule  d'ennemis,  et  il  se  vit  durant  toute 
sa  vie  en  butte  à  la  calomnie.  Mais  l'activité  infatigable  de 
son  esprit  ne  lui  laissait  pas  le  temps  de  s'en  tourmenter  beau- 
coup. Aux  attaques  de  la  méchanceté ,  aux  persécutions  du 
pouvoir,  il  répondait  par  une  charité  intarissable  qui  semait 
ies  bienfaits  à  profusion,  et  par  un  zèle  peu  commun  pour  la 
propagation  des  lumières ,  zèle  qui  lui  faisait  employer  une 
bonne  part  de  son  revenu  à  acheter  des  livres  pour  les  répan- 
dre d'un  bout  du  monde  à  l'autre,  partout  où  il  pensait  qu'il 


264  LITTERATURE , 

fût  nécessaire  d'éclairer  et  d'instruire.  Les  mémoires  que  pu- 
blie M.  Carnot  ont  été  rédigés  par  M.  Grégoire  lui-même,  en 
l'année  1808,  et  offrent  des  détails  curieux  sur  les  hommes  et 
les  choses  de  la  Révolution.  On  y  trouve  surtout  beaucoup  de 
faits  peu  connus  relatifs  au  clergé.  L'éditeur,  dans  une  notice 
fort  remarquable  qui  remplit  presque  tout  le  premier  volume, 
raconte  la  dernière  partit;  de  sa  vie,  et  complète  ainsi  sa  bio- 
graphie qu'il  livre  au  public  comme  un  monument  élevé  à  la 
mémoire  d'un  homme  probe,  vertueux  et  véritable  ami  de 
son  pays. 


ÉLOGE  de  BENJAMIN  CONSTANT,  prononcé  le  12  juin  1833,  dans  la 
chaire  de  l'Athénée  royal  de  Paris,  par  Michel  Derr,  In-8.  —  LET- 
TRES DE  VOLTAIRE  à  Mme  Du  Deffant,  au  sujet  du  jeune  de  Re- 
hecque,  devenu  plus  tard  cclèhre  sous  le  nom  de  Benjamin  Con- 
stant. Paris,  1837.  Iu-8.  1  fr. 

B.  Constant  fut  sans  contredit  un  des  publicistes  les  plus 
remarquables  de  notre  époque.  Sa  place  était  au  premier 
rang  de  cette  courageuse  et  persévérante  opposition  qui ,  soit 
à  la  tribune  ,soit  dans  les  journaux,  combattit  pendant  quinze 
ans  la  déplorable  influence  de  la  Restauration.  Né  et  élevé  en 
Suisse,  mais  venu  fort  jeune  à  Paris,  il  s'était  promptement 
distingué  par  le  talent  avec  lequel  il  maniait  la  plume  et  trai- 
tait les  questions  politiques.  Lorsque  la  carrière  parlementaire 
lui  fut  ouverte  ,  il  se  montra  aussi  éloquent  orateur  que  bon 
écrivain ,  et  il  eût  sans  doute  déployé  d'autres  capacités  en- 
core dans  la  nouvelle  condition  que  lui  eût  probablement  faite 
la  révolution  de  Juillet,  si  la  mort  n'était  venue  le  frapper 
peu  après  ce  grand  événement. 

L'éloge  de  M .  Berr  relate  toutes  les  circonstances  de  la  vie  de 
B.  Constant  et  donne  une  analyse  de  ses  nombreux  travaux 
ainsi  qu'une  appréciation,  un  peu  exagérée  peut-être  par  l'a- 
mitié, de  leurs  divers  mérites.  Le  style  de  l'auteur  est  fort  pro- 
lixe, surchargé  de  phrases  incidentes ,  de  digressions,  de  pa- 
renthèses, à  mettre  hors  d'haleine  tout  lecteur  qui  ne  possède 
pas  au  même  point  que  lui  cette  merveilleuse  volubilité  de 
langue  dont  il  est  doué.  M.  Michel  Berr,  comme  quiconque 
poursuit  un  but,  un  système,  une  idée  fixe,  entremêle  à  tout 
ses  vues  sur  la  régénération  de  la  race  juive.  Israélite  lui- 
même,  il  a  compris  que  le  temps  était  venu  de  réformer  aussi 
cet  ancien  culte  et  de  contribuer  à  combler  la  distance  qui 
sépare  les  Juifs  des  Chrétiens,  en  faisant  faire  aux  premiers 
la  moitié  du  chemin.  Avec  un  zèle  fort  louable  sans  doute, 
mais  jusqu'ici  peu  récompensé,  il  cherche  à  propager  ses 
idées  à  cet  égard  et  à  se  ci'ier  quelque  influence  au  milieu 


HISTOIRE.  265 

de  ses  coreligionnaires  ,  chez  lesquels  il  rencontre  une  double 
opposition  ,  dans  les  fidèles  adorateurs  des  anciens  usages  et 
dans  l'aristocratie  d'argent,  qui  ne  se  soucie  guère  du  progrès 
intellectuel  ou  moral.  Nous  ne  connaissons  pas  assez  l'état  de 
cette  question  pour  pouvoir  juger  la  portée  des  vues  de 
M.  Berr,  mais  ce  que  nous  voudrions  ,  ce  que  nous  appelons 
de  tous  nos  vœux,  c'est  qu'on  se  hâte  de  rendre  partout  aux 
Juifs  les  droits  civils  ,  dont  on  les  a  si  long-temps  injustement 
privés;  c'est  qu'on  anéantisse  ainsi  ce  barbare  anatbème  que 
le  christianisme  a  malheureusement  contribué  à  perpétuer, 
quoiqu'il  fût  si  peu  d'accord  avec  les  principes  de  chanté  et 
d'amour  qui  forment  la  base  de  sa  divine  morale. 

—  Les  Lettres  de  Voltaire  au  sujet  de  Benjamin  Constant 
offrent  un  piquant  intérêt.  Il  est  curieux  de  voir  comment  la 
sagacité  du  Patriache  de  Ferney  découvre  dans  les  saillies 
d'un  enfant  de  douze  à  treize  ans  tout  l'avenir  d'un  homme 
célèbre.  Mais  ces  lettres  sont-elles  bien  autbentiques  ?  Nous 
avouons  avoir  des  doutes  à  cet  égard,  non  qu'on  n'y  retrouve 
bien  le  caractère  et  le  cachet  du  grand  écrivain ,  si  aimable 
causeur  dans  les  innombrables  lettres  de  toute  sorte  qu'il 
écrivait  chaque  jour  ;  mais  une  préface  dans  laquelle  l'éditeur 
explique  comment  ces  lettres  sont  venues  entre  ses  mains  et 
dévoile,  en  cherchant  à  la  pallier,  une  erreur  de  date  dans 
l'âge  du  petit  de  Rebecque,  nous  a  fait  soupçonner  qu'il  pour- 
rait bien  y  avoir  là-dessous  quelque  bonne  mystification  lit— 
téraire.  Si  cela  est ,  l'éditeur  n'en  a  que  plus  de  mérite.  Il  est 
impossible  de  mieux  rendre  la  légèreté  spirituelle  et  gaie  , 
la  grâce  parfaite ,  et  la  plaisanterie  mordante  du  vieillard  de 
Ferney.  11  a  fallu  pour  cela  une  étude  approfondie  de  son  style 
jointe  à  une  facilité  d'imitation  bien  grande.  C'est  en  quel- 
que sorte  l'art  du  comédien  transporté  dans  les  lettres  et  la 
faculté  imitative  appliquée  aux  pensées  et  au  style,  au  lieu  de 
l'être  aux  paroles  et  aux  gestes. 


le  comte  D'Artois  et  l'Émigratiox  ,  histoire  impartiale,  par 
P.  Pierre  de  Champrobert.  —  Paris,  1837.  ln-8,  7fr.  50c. 

L'émigration  fut  certainement  la  période  la  plus  active 
et  la  plus  intéressante  de  la  vie  de  Charles  X.  A  cette  époque 
seulement  il  joua  un  rôle  sur  la  scène  politique,  et  l'on  put 
juger  quels  étaient  ses  moyens  et  ses  sentimens  réels.  Jusque 
là  sa  vie  s'était  écoulée  entre  les  plaisirs  et  les  petites  in- 
trigues d'une  cour  dissolue.  Elevé  au  milieu  de  la  corruption 
qui  entourait  les  marches  du  trône  pendant  les  dernières 
années  du  règne  de  Louis  XV,  il  avait  pour  ainsi  dire  respiré 

•9 


26C  LITTÉRATURE , 

dès  l'enfance  les  plus  détestables  principes.  Les  succès  que 
lui  valaient  et  sa  qualité  de  prince  et  ses  avantages  physiques 
plus  réels,  enivraient  facilement  le  jeune  homme  cpii  s'appli- 
quait alors  à  briller  bien  plus  par  l'élégance  de  ses  manières, 
par  l'extravagance  de  ses  caprices ,  et  par  ses  goûts  effrénés 
de  dissipation,  qu'en  travaillant  à  acquérir  la  science  des 
hommes  et  des  choses. 

Lorsque  plus  tard  il  monta  sur  le  trône,  Charles  X  disparut 
entièrement  derrière  la  faction  qui,  s'emparant  de  lui,  en  avait 
fait  son  instrument,  son  mannequin  destiné  à  porter  le  man- 
teau royal  et  le  sceptre,  tandis  qu'elle  se  réservait  le  pouvoir, 
pour  faire  à  son  gré  rétrograder  la  nation  française  vers  ces 
temps  d'ignorance  et  de  féodalité  dont  elle  regrettait  si  vive- 
ment tous  les  privilèges  tyranniques.  Elle  devina  parfaite- 
ment bien  quel  était  le  côté  faible  du  monarque  et,  comme 
le  dit  avec  beaucoup  de  justesse  l'auteur  dans  sa  préface,  «la 
«  couronne  de  Charles  X  fut  jouée  contre  un  peu  d'encens  et 
»  quelques  bouffées  de  vanité  dévote  !  » 

Quand  la  Révolution  commença  à  faire  retentir  les  premiers 
accens  de  la  terrible  voix  |populaire ,  le  comte  d'Artois ,  livrg 
à  cette  vie  de  plaisirs  et  de  folles  dépenses  qui  précipita  si 
rapidement  la  ruine  de  la  monarchie,  ne  comprit  ni  l'esprit 
de  l'époque,  ni  les  événemens  qui  se  préparaient.  Il  crut 
d'abord  que  des  intrigues  suffiraient  pour  arrêter  l'élan  dé- 
mocratique,  et  lorsque  le  débordement  rompit  toutes  les 
digues ,  il  fut  le  premier  à  donner  le  signal  de  la  fuite.  Son 
exemple  entraîna  la  foule  des  courtisans  et  des  peureux,  qui 
allèrent  le  rejoindre  dans  l'émigiation,  donnant  pour  excuse 
à  une  conduite  si  peu  d'accord  avec  leurs  fanfaronnades  et 
leurs  protestations  de  dévouement,  le  mépris,  et  la  crainte  de 
se  compromettre  en  daignant  combattre  des  ennemis  que  le 
prince  lui-même  jugeait  indignes  d'un  tel  honneur. 

Pendant  tout  le  temps  que  dura  ce  long  exil,  le  comte  d'Ar- 
tois demeura  entouré  de  tout  ce  qu'il  y  avait  de  plus  exalté 
dans  la  vieille  noblesse  et  dans  le  clergé.  On  le  regardait 
comme  le  représentant  de  cet  esprit  chevaleresque  sur  lequel 
on  comptait  pour  reconquérir  le  royaume.  L'esprit  plus  éclairé 
et  parfois  assez  caustique  de  son  frère  éloignait  de  celui-ci 
un  grand  nombre  d'émigrés  ;  d'ailleurs  le  comte  d'Artois 
était  doué  d'un  cœur  plus  sensible  et  accueillait  mieux  bien 
des  dévouemens  que  Louis  XVIII  repoussait  avec  une  du- 
reté,  une  sécheresse  d'âme  que  l'exil  même  n'avait  point 
modifiées.  Quoi  qu'il  en  soit ,  le  prétendu  héroïsme  du  comte 
d'Artois  ne  sut  trouver  aucune  occasion  de  se  montrer  autre- 
ment qu'en  paroles.  Il  s'occupait  plus  volontiers  de  négocier 
que  d'agir.  Plusieurs  missions  auprès  des  souverains  étran- 


HISTOIRE.  267 

gers,  pour  les  engager  à  soutenir  la  cause  des  princes  exilés, 
lui  plurent  d'autant  plus  qu'elles  lui  permettaient  d'étaler 
encore  quelque  magnificence  et  de  se  procurer  toutes  les 
jouissances  du  luxe.  Mais  la  seule  entreprise  à  la  tète  de  la- 
quelle il  se  mit  pour  tenter  un  débarquement  en  France  se 
termina  brusquement ,  avant  qu'il  pût  seulement  se  montrer 
sur  le  champ  de  bataille.  Aussi  le  livre  de  M.  Champrobert, 
qui  parait  écrit  avec  une  haute  impartialité,  sans  la  moindre 
trace  d'esprit  de  parti ,  ni  de  prévention  quelconque ,  ne 
donne-t-il  pas  une  grande  idée  des  facultés  intellectuelles  du 
dernier  roi  de  France.  Il  nous  le  représente  comme  le  type 
de  ces  émigiés  pour  qui  les  grandes  leçons  de  la  révolution 
française  furent  comme  non  avenues,  et  qui  après  vingt  ans 
d'exil  rentrèrent  dans  leur  patrie  avec  les  mêmes  préjugés, 
les  mêmes  haines,  les  mêmes  espérances  que  s'il  n'en  étaient 
partis  que  la  veille.  Et  pour  dernier  trait  de  ressemblance, 
Charles  X  n'avait  aucune  des  qualités  nécessaires  pour  faire 
un  despote,  pour  combattre  avec  avantage  les  idées  révolu- 
tionnaires et  pour  ramener  sous  le  joug  uu  peuple  qui  avait 
secoué  ses  liens. 

VOYAGE  du  maréchal  duc  de  Raguse  en  Hongrie,  en  Transylvanie,  dans 
la  Russie  méridionale,  en  Crimée  et  sur  les  bords  de  la  mer  d'Azoff, 
à  Constantinople ,  dans  quelques  parties  de  l'Asie- Mineure ,  en  Syrie, 
en  Palestine  et  en  Egypte.  —  Paris ,  1837.  tomes  I  et  H.  2  vol.  in-8. 
16  fr. 

Si  nous  en  croyons  le  prospectus  qui  se  trouve  en  tête  de 
cet  ouvrage  ,  M.  de  Raguse  est  tout  à  la  fois  un  Xénophon, 
un  Vauban  et  un  Ulysse.  Ses  Mémoires  sont  le  livre  le  plus 
remarquable,  le  plus  important,  et,  selon  la  curieuse  expres- 
sion employée  par  celui  qui  a  écrit  ce  prospectus  ,  le  plus  uni- 
que qu'on  ait  publié  depuis  bien  des  années. 

Quelque  accoutumé  que  l'on  soit  au  style  boursoufflé  de  la 
littérature  marchande ,  on  ne  pourra  qu'être  frappé  de  la 
dose  plus  qu'ordinaire  d'exagération  et  de  charlatanisme  ré- 
pandue dans  cette  prodigieuse  annonce.  Elle  produit  d'autant 
plus  d'effet ,  qu'elle  contraste  singulièrement  avec  le  journal 
de  M.  de  Raguse  ,  dont  le  style  fort  simple  et  souvent  même 
trop  négligé  ne  semble  guère  cacher  de  si  hautes  prétentions. 
Désireux  sans  doute  d'employer  utilement  les  loisirs  de  l'exil 
volontaire  que  lui  avait  imposé  la  révolution  de  1830,  M.  de 
Raguse  a  parcouru  des  contrées  en  général  peu  connues,  et  il 
raconte  jour  par  jour  les  événemens  de  son  voyage  ,  ainsi  que 
les  observations  qu'il  a  pu  faire.  Il  donne  quelques  détails 
intéressans  sur  l'état  actuel  de  la  Hongrie  et  de  la  Russie  mé- 
ridionale, ainsi  que  sur  celui  de  la  Turquie.  Malheureuse- 


268  RELIÔION, 

ment  il  voyage  trop  en  grand  seigneur,  et  séjourne  en  général 
fort  peu  de  temps  dans  les  divers  lieux  qu'il  décrit.  D'ail- 
leurs les  principaux  objets  de  ses  remarques  sont  circonscrits 
dans  une  sphère  assez  étroite,  qui  ne  s'étend  guère  au-delà 
de  l'hippiatrique  et  de  l'art  militaire.  Le  cheval  et  le  soldat 
semblent  être  à  ses  yevix  les  deux  premières  richesses  de  tout 
pays,  les  élémens  véritables  de  sa  force  et  de  sa  prospérité.  Ce 
sont  du  moins  ceux  dont  il  parle  le  plus  et  auxquels  il  con- 
sacre toujours  la  meilleure  place  dans  ses  souvenirs.  Sous  ce 
rapport,  son  livre  offre  peut-être  un  assez  grand  intérêt  de 
spécialité  ;  mais  la  plupart  des  lecteurs  regretteront  sans 
doute  de  n'y  pas  rencontrer  plus  de  charmes  dans  les  descrip- 
tions ,  plus  de  traits  de  mœurs  et  d'incidens  de  voyage.  De 
son  côté ,  M.  le  maréchal-duc  saura  probablement  fort  peu  de 
gré  à  son  éditeur  d'avoir  été  si  maladroitement  accoler  son 
nom  à  ceux  de  Xénophon  ,  de  Vauban  et  d'Ulysse.  La  fable 
de  Y  Ours  et  de  l'Amateur  des  jardins  ne  figurerait  pas  mal  en- 
tre le  Prospectus  et  le  livre  de  M.  de  Raguse. 


RELIGION,    MORALE,     EDUCATION. 


HISTOIRE  DU  PEUPLE  JUIF  mêlée  de  réflexions  à  l'usage  de  la  jeunesse, 
par  Mme  Mary  Meynieu.  —  Paris,  chez  Ab.  Cherbuliez  et  C,  1837. 
1  vol.  in-12.  2  fr. 

L'auteur  de  ce  livre  a  voulu  réunir  dans  un  résumé  clair  et 
concis  tout  ce  que  l'histoire  du  Peuple  juif  peut  offrir  d'inté- 
ressant et  d'utile  pour  la  jeunesse.  Empruntant  à  Y  Ancien- 
Testament  ceux  de  ses  récits  qu'elle  a  jugés  les  plus  propres  à 
remplir  son  but,  madame  Meynieu  les  a  mis  à  la  portée  de 
l'enfance,  soit  parla  simplicité  et  la  clarté  de  son  style,  soit 
par  les  réflexions  dont  elle  les  a  entremêlés.  L'esprit  le  plus 
éclairé  paraît  l'avoir  guidée  dans  ce  travail,  qui  est  fort  supé- 
rieur à  tout  ce  qu'on  avait  fait  jusqu'ici  en  ce  genre.  Autant 
que  possible ,  elle  s'efforce  de  ne  mettre  aucune  idée  fausse 
dans  la  tète  de  ses  jeunes  lecteurs  ;  elle  concilie  la  foi  avec  la 
raison  ,  et  s'attache  surtout  à  leur  faire  saisir  le  sens  moral,  ca- 
ché sous  le  langage  allégorique  oriental, si  souvent  usité  dans  la 
Bible.  Ecrit  avec  un  talent  fort  remarquable ,  ce  petit  volume, 
quels  que  soient  les  préjugés  qu'il  aura  à  vaincre,  quels  que 
soient  les  obstacles  qu'il  rencontrera,  finira  sans  doute  par 
obtenir  le  succès  qu'il  mérite.  Il  vaut  mieux  écrire  pour  l'a- 
venir que  pour  le  passé.  On  est  moins  bien  accueilli  peut-être 


MORALE,  ÉDUCATION.  Î89 

dès  le  premier  abord  ;  mais  on  peut  espérer  de  survivre  à  tant 
de  médiocrités  littéraires ,  dont  l'éphémère  succès  est  suivi 
bientôt  du  plus  complet  oubli. 


AVENTURES  DE  ROBIXSOff  CRUSOE ,  par  Daniel  de  Foé,  trad.  par 
Mme  A.  Tastu  ,  suivies  d'une  notice  sur  Foé  et  sur  le  matelot  Selkirk, 
par  Louis  Reybaud,  et  ornées  de  50  gravures  sur  acier,  d'après  les 
desseins  de  M.  de  Sainson.  —  Paris,  chez  Didier.  2  vol.  in-8.  fig. 

Le  chef-d'œuvre  de  Foé,  en  possession  depuis  si  long-temps 
déjà  de  la  première  place  parmi  les  livres  destinés  à  la  jeunesse, 
a  été  en  général  plus'"  ou  moins  gâté  par  les  traducteurs ,  imita- 
teurs et  faiseurs  de  toute  espèce ,  qui  se  sont  mêlés  de  lui  faire 
passer  le  détroit  pour  le  naturaliser  en  France.  Les  uns  lui 
ont  enlevé  toutle  charme  de  naturel  etde  simplicité  qu'offre  le 
style  de  l'auteur;  les  autres  ont  voulu  l'abréger  ,  et  ont  mon- 
tré peu  de  discernement  dans  les  retranchemens  qu'ils  ont 
jugé  couvenable  d'y  faire.  L'esprit  religieux,  qui  domine  d'un 
bout  à  l'autre  l'histoire  du  pauvre  Robinson  ,  était  trop 
étranger  au  caractère  français  du  siècle  dernier,  pour  pouvoir 
être  compris  et  bien  rendu.  Foé  avait  certainement  une  ten- 
dance prononcée  vers  la  religiosité  ,  qui  ne  pouvait  être  ap- 
prouvée des  philosopbes  incrédules  ,  et  qui  en  même  temps  , 
dépouillée  de  toute  pratique  superstitieuse  ,  apparaissait  au 
parti  contraire  sous  une  couleur  plus  philosophique  que  reli- 
gieuse. 

Aujourd'hui  il  s'est  opéré  un  changement  à  cet  égard  dans 
les  esprits.  On  commence  à  séparer  la  religion  de  la  théologie, 
et  à  comprendre  que  la  première  gît  dans  le  sentiment  et 
non  dans  de  vaines  pratiques.  Robinson  Crusoé  a.  donc  été  étu- 
dié de  nouveau,  mieux  compris,  et  l'on  a  essayé  d'en  donner  une 
nouvelle  traduction.  Commencée  par  M.  L.  Reybaud,  avec  un 
peu  de  négligence  peut-être  ,  elle  a  été  terminée  avec  plus  de 
soin  par  madame  Tastu.  L'œuvre  de  Foé  y  est  reproduite 
dans  son  entier ,  avec  toutes  les  réflexions  quelquefois  as- 
sez longues  de  l'auteur.  Comme  travail  littéraire,  on  a  bien 
fait  peut-être  de  respecter  ainsi  l'original  ;  mais  alors  on  fera 
bien  également,  pour  une  seconde  édition  ,  de  revoir  le  style, 
de  lui  donner  plus  d'élégance,  plus  de  mouvement.  Comme 
ouvrage  destiné  à  la  jeunesse ,  il  faudra  en  élaguer  les  médita- 
tions mystiques  ,  qui  entravent  la  marche  des  événemens  et 
sont  au-dessus  de  la  portée  des  enfans.  Un  livre  tel  que  celui- 
là  ,  dont  le  succès  est  assis  sur  des  bases  inébranlables ,  mérite 
bien  qu'on  s'y  reprenne  à  plusieurs  fois,  et  pour  envoyer  son 
nom  à  la  postérité  à  côté  de  celui  de  l'écrivain  anglais,  un  tra- 
ducteur ne  doit  pas  reculer  devant  le  travail  ;  il  faut  qu'il  re- 


270  RELIGION, 

motte  sou  ouvrage  sur  le  métier,  jusqu'à  ce  qu'il  soit  parvenu 
à  le  rendre  complètement  digne  du  chef-d'œuvre  original. 


CONTES  AUX  JEUNES  GARÇONS,  par  MmeZ.  S.  Belloc  et  Miss  Edge- 
wortk.  1  vol.  in- 18.  t  fr.  50  c.  —  contes  aux  jeunes  filles,  par 
les  mêmes.  Paris,  chez  Hachette.  1  vol.  in-18.  1  fr.  50  c. 

Trois  contes ,  dont  deux  de  miss  Edgeworth  et  l'autre  de 
madame  Belloc,  remplissent  ces  deux  petits  volumes  qui  sont 
un  fort  joli  cadeau  à  faire  à  un  enfant.  L'histoire  de  Simple 
Suzanne  ou  La  Reine  de  mai ,  est  très-touchante  et  remplie 
d'utiles  leçons.  C'est  le  triomphe  de  la  vertu  simple  et  naïve 
sur  les  machinations  des  médians  qui  la  persécutent.  Il  y  a 
beaucoup  d'intérêt  dans  ce  récit.  On  n'y  trouve  point  cette 
sécheresse  qui  se  remarque  souvent  dans  les  écrits  ,  d'ailleurs 
excellens  et  fort  nombreux ,  que  les  Anglais  possèdent  pour  la 
jeunesse.     . 

Garry  Owen ,  ou  La  Femme  sous  la  neige,  fait  également 
honneur  au  bon  goût  de  madame  Belloc  dans  le  choix  de  ses 
traductions. 

C'est  encore  une  histoire  simple  et  faite  pour  exciter  de  dou- 
ces émotions.  On  reprochera  seulement  peut-être  au  style 
d'avoir  quelquefois  un  peu  trop  de  prétention  à  la  naïveté. 
A  quoi  bon  mettre  sous  les  yeux  des  enfans  un  langage  incor- 
rect ?  C'est  une  teinte  de  couleur  locale  qui  est  pour  eux  sans 
aucune  valeur,  et  plutôt  nuisible  qu'utile. 

Dans  Persévérance ,  de  madame  Belloc  ,  nous  trouvons 
l'histoire  de  Bernard  de  Palissy,  le  célèbre  potier  qui  inventa 
le  premier  l'art  de  colorer  et  de  vernir  la  faïence.  Pauvre  et 
chargé  d'une  nombreuse  famille ,  cet  homme  de  génie  em- 
ploya sa  vie  à  des  études  profondes,  à  des  essais  réitérés  avec 
une  admirable  patience,  jusqu'à  ce  qu'il  eût  atteint  le  but 
qu'il  s'était  proposé.  Il  eut  à  lutter  non-seulement  contre 
la  misère,  mais  encore  contre  le  découragement,  mal  bien 
plus  cruel  et  plus  difficile  à  guérir.  Sa  volonté  ferme,  sa 
philosophie  stoïque ,  le  soutinrent  au  milieu  des  plus  rudes 
échecs,  et  il  finit  par  se  faire  un  nom  célèbre,  une  position 
brillante.  Cette  esquisse  biographique  est  à  la  fois  très-inté- 
ressante et  riche  en  leçons  utiles.  C'est  un  genre  d'écrit  qui 
me  paraît  plus  que  tout  Mitre  convenable  pour  la  jeunesse , 
car  il  joint  l'intérêt  et  la  véracité  de  l'histoire  au  charme  qui 
s'attache  à  une  vie  aventureuse  et  semée  d'épisodes  variés. 
Il  est  d'ailleurs  très-propre  à  exciter  l'esprit,  à  réveiller  les 
facultés,  en  montrant  ce  que  l'homme  peut  faire  avec  du  tra- 
vail et  de  la  persévérance. 


ÉCONOMIE  POLITIQUE,  ETC.  Vt 

LÉGISLATION,  ECONOMIE  POLITIQUE,  COMMERCE. 


DE  LA  DÉMOCRATIE  NOUVELLE,  par  Edouard  Alletz.  —  Paris,  1837. 
2  vol.in-8.  15  fr. 

L'auteur  de  cet  ouvrage  donne  le  nom  de  démocratie  nou- 
velle à  la  puissance  des  classes  moyennes  en  France.  On  pourra 
contester  la  justesse  de  cette  dénomination  ,  car  si  notre  épo- 
que présente  une  tendance  différente  de  celle  des  époques 
précédentes,  c'est  précisément  en  ce  que  les  classes  moyen- 
nes, qui  formaient  bien  réellement  jadis  la  démocratie  ou  le 
tiers-état,  semblent  vouloir  aujourd'hui  se  constituer  au  con- 
traire à  leur  tour  en  aristocratie.  M.  Ed.  Alletz  le  reconnaît 
lui-même,  puisque  dès  ses  premières  pages  il  nous  montre  la 
fortuue  ayant  détrôné  la  noblesse  et  régnant  à  sa  place.  Sans 
doute  cette  nouvelle  aristocratie  est  bien  moins  restreinte  que 
l'autre,  bien  moins  stationnaire  surtout,  car  chacun  peut  y 
aspirer  par  le  travail ,  et  l'homme  de  talent  pouvant  y  arriver 
même  du  sein  des  classes  ouvrières  ,  on  comprend  que  cet  état 
de  choses  paraisse  à  quelques-uns  réaliser  ce  qu'on  entend  par 
une  démocratie.  Mais  ce  sont  là  des  subtilités  phraséologiques 
qui  ne  mènent  à  rien  ;  voilà  cinquante  ans  qu'on  se  dispute 
sur  les  mots ,  il  est  temps  d'en  venir  aux  choses  et  de  chercher 
le  bien  ailleurs  que  dans  des  formes  politiques,  dont  les 
brusques  et  nombreux  changemens  entravent  la  marche  des 
véritables  progrès;  tandis  qu'on  se  querellait  sur  la  place  pu- 
blique pour  de  vagues  théories ,  les  abus  ont  subsisté  dans  la 
pratique,  et  n'ont  souvent  même  fait  que  s'accroître  et  deve- 
nir plus  intolérables.  Il  est  temps  de  faire  cesser  ces  luttes 
insensées  et  d'examiner  les  institutions  existantes  dans  leurs 
rapports  avec  l'état  réel  des  hommes  qu'elles  sont  appelées  à 
régir.  Il  est  temps  enfin  de  prendre  les  hommes  tels  qu'ils 
sont,  et  non  pas  tels  qu'ils  ont  été  ou  tels  qu'ils  pourront 
être  un  jour. 

M.  Alletz  a  bien  senti  cette  nécessité,  et  son  livre  renferme 
un  examen  assez  détaillé  des  mœurs  actuelles,  des  modifica- 
tions apportées  par  les  événemens  politiques  aux  diverses 
relations  sociales,  des  contrastes  qu'offre  l'état  arriéré  de 
l'instruction  populaire  à  côté  des  idées  de  progrès  qu'on  a 
semées  le  plus  souvent  au  hasard,  et  qui  ont  germé  dans 
un  terrain  qui  n'était  point  assez  préparé  à  les  recevoir. 
Toutes  ses  sympathies  sont  pour  le  gouvernement  qui  régit 
actuellement  la  France ,  et  dans  lequel  il  voit  la  seule  forme 
politique  qui  puisse  convenir  au  pays.  Il  pense,  avec  raison  , 


272  LEGISLATION, 

que  dans  le  calme  qui  a  succédé  aux  orages  des  passions  et  de 
l'esprit  de  parti,  on  pourra  porter  plus  sûrement  et  d'une 
main  ferme  la  réforme  dans  toutes  les  parties  de  l'administra- 
tion qui  la  réclament.  Ainsi  se  consolidera  de  plus  en  plus  le 
pouvoir  des  classes  moyennes  ,  les  principes  de  liberté  passe- 
ront des  idées  dans  les  institutions ,  de  là  dans  les  mœurs , 
et,  sans  secousse  ni  mouvemens  trop  violens,  le  pays  mar- 
chera d'un  pas  sûr  vers  cet  avenir  de  grandeur  et  de  pro- 
spérité dont  il  n'est  donné  à  personne  de  prévoir  les  bornes. 
M.  Alletz  ne  partage  point  les  craintes  de  ceux  qui  croient 
voir  la  France  marcher  à  une  dissolution  générale.  Il  perce 
la  superficie,  et,  sous  cette  apparence  de  corruption  et  d'im- 
puissance, il  retrouve  un  principe  de  vie,  qui  ne  demande 
qu'à  être  favorisé  dans  son  développement  pour  régénérer  le 
monde.  On  ne  peut  qu'applaudir  à  ces  vues  consolantes ,  ainsi 
qu'aux  vœux  pleins  de  sagesse  et  de  philanthropie  que  l'auteur 
émet  en  faveur  de  l'agriculture  et  de  l'industrie,  qu'il  voudrait 
voir  petit  à  petit  débarrassées  des  entraves  qui  gênent  ces  deux 
grandes  sources  de  la  richesse  publique. 

Il  est  fâcheux  seulement  que  ce  livre  ne  soit  en  quelque 
sorte  qu'ébauché.  C'est  un  recueil  dépensées,  de  méditations, 
qui  manque  de  cet  enchaînement  logique  si  nécessaire  lors- 
qu'on traite  des  sujets  d'une  telle  importance.  On  y  reconnaît 
bien  l'auteur  des  Esquisses  de  la  souffrance  morale;  c'est  le 
même  stvle,  pur,  correct,  parfois  poétique,  mais  qui  con- 
vient bien  moins  au  publiciste  qu'au  philosophe  moraliste. 
Du  reste,  il  traite  en  effet  la  question  plutôt  sous  ses  rapports 
philosophiques,  et  le  principal  but  qu'il  se  propose  est  d'ob- 
tenir l'établissement  des  moyens  propres  à  /aire  avancer  de  plus 
en  plus  l'éducation  de  la  classe  moyenne.  Et  c'est  bien  là  que  gît 
en  réalité  tout  l'avenir.  On  a  déjà  beaucoup  tenté  pour  ré- 
pandre l'instruction;  l'impulsion  une  fois  donnée,  on  a  vu  et 
l'on  voit  tous  les  jours  le  mouvement  se  dessiner  avec  plus 
de  force  ;  mais  pour  l'éducation  tout  est  encore  à  faire  ,  et  il 
est  d'autant  plus  urgent  d'y  songer  que  c'est  l'unique  moyen 
do  rappeler  les  hommes  à  la  morale,  d'imprimer  uni1  direc- 
tion bienfaisante  à  la  science,  et  d'assurer  le  triomphe  de  la 
vraie  liberté.  Nous  n'examinerons  pas  quels  moyens  propose 
M.  Alletz  pour  atteindre  ce  but,  mais  nous  le  féliciterons  d'a- 
voir employé  sa  plume  et  son  talent  à  fixer  sur  ce  grave  sujet 
l'attention  de  tous  les  hommes  éclairés. 


ÉCONOMIE  POLITIQUE,  ETC.  373 

Rxql'ÈTE  sur  les  causes  patentes  ou  occultes  de  la  faible  proportion 
des  naissances  à  Montreux ,  par  sir  Francis  d'Ivernois.  —  Genève , 
1837.  In-8°. 

Cette  enquête  a  pour  objet  le  curieux  phénomène  que  pré- 
sente une  petite  commune  du  canton  de  Vaud,  dans  laquelle, 
grâce  à  l'influence  de  causes  qu'il  est  aujourd'hui  bien  diffi- 
cile de  reconnaître,  la  population  est  arrivée  à  ses  plus  ex- 
trêmes limites  de  décroissemenl.  Tandis  que  dans  le  reste  de 
la  Suisse  le  taux  commun  des  naissances  est  de  1  sur  27  ou  28 
habitans,  il  est  à  Montreux  de  1  sur  46.  M.  d'Ivernois  attri- 
bue cela  à  la  prudente  prévoyance  des  habitans  de  ce  village, 
et  les  loue  beaucoup  d'avoir  atteint  ainsi  un  résultat  qui  de- 
vrait être  le  but  des  efforts  de  tout  peuple  désireux  d'échapper 
aux  malheurs  qu'ont  prédits  Malthus  et  les  autres  économistes 
anti-populationistes. 

«  La  force  intrinsèque  des  peuples,  »  dit-il,  «  et  leur  degré 
de  civilisation ,  dépendent  beaucoup  moins  du  nombre  des 
têtes  recensées ,  que  de  celui  des  années  vécues  ou  des  vies 
utilisables.  Plus  s'agrandit  le  nombre  des  nouveaux  nés,  plus 
se  rapetisse  la  proportion  de  ceux  qu'on  conserve  ;  et  vice 
versa,  plus  on  en  conserve,  moins  il  en  renaît.  » 

Cette  vérité  est  appuyée  sur  plusieurs  faits  qui  ont  conduit 
M.  d'Ivernois  à  la  regarder  comme  tout-à-fait  incontestable. 
La  marche  de  la  civilisation  doit  donc  tendre  vers  le  double 
but  de  diminuer  le  nombre  des  naissances  et  d'augmenter  la 
proportion  des  enfans  que  l'on  conserve.  On  comprend  bien 
en  effet  qu'un  tel  résultat  est  fort  désirable,  puisqu'en  retran- 
clrant  une  foule  de  maux  et  de  misères  qui  suivent  l'encom- 
brement de  la  population,  il  augmentera  réellement  l'aisance 
des  individus,  la  puissance  de  l'état  et  le  bien-être  général. 
Les  paysans  de  Montreux  sont  sans  doute  fort  heureux  de 
l'avoir  atteint  et  de  voir  ainsi  la  naissance  et  la  mortalité 
également  rares  parmi  eux.  Mais  comment  y  sont-ils  arrivés? 
Quel  moyens  ont-ils  emplovés?  Comment  les  autres  peuples 
pourront-ils  réussir  à  suivre  leur  exemple?  Ce  sont  là  trois 
questions  que  l'enquête  de  M.  d'Ivernois  examine,  mais 
qu'elle  ne  résout  point.  Ici  comme  dans  la  plupart  des  phé- 
nomènes que  nous  présente  le  monde,  nous  apercevons  fort 
bien  les  effets,  sans  pouvoir  parvenir  à  découvrir  les  causes. 

Les  mariages  tardifs  apparaissent  à  M.  d'Ivernois  comme 
devant  donner  le  mot  de  l'énigme,  et  il  en  conclut  qu'il  faut 
encourager  ces  sortes  de  mariages,  il  va  jusqu'à  proposer  un 
impôt  basé  sur  l'âge  des  conjoints.  Mais  il  avoue  lui-même 
que  de  semblables  mesures  ont  été  à  peu  près  impuissantes 
partout  où  elles  ont  été  prises,  et  d'ailleurs  il  faut  convenir 


274  SCIENCES  ET  ARTS. 

qu'elles  ne  s'accordent  guère  ni  avec  la  liberté  individuelle, 
ni  avec  la  moralité,  deux  élémens  essentiels  cependant  de  la 
civilisation. 

Comment  en  effet  élever  une  barrière  fiscale  contre  le  ma- 
riage du  pauvre  et  lui  interdire  les  jouissances  les  plus  pures, 
les  plus  légitimes  qui  puissent  adoucir  sa  malheureuse  car- 
rière, sans  entraîner  de  graves  désordres  dans  les  mœurs,  sans 
risquer  de  corrompre  la  société. 

C'est  une  matière  qui  semble  trop  délicate  pour  pouvoir 
être  réglée  par  des  lois;  d'ailleurs,  l'exemple  de  Montreux 
prouve  qu'il  n'est  pas  nécessaire  d'employer  de  pareils  moyens. 
11  faut  probablement  attendre  à  cet  égard  tout  du  temps  et  de 
l'influence  des  institutions  libérales.  La  seule  mesure  à  pren- 
dre est  de  s'abstenir  de  tout  encouragement  à  une  procréa- 
tion surabondante.  Mais  il  est  bon  d'accueillir  avec  faveur  et 
de  populariser  tout  travail  du  genre  de  celui-ci,  qui  a  pour  but 
l'étude  de  ces  grandes  questions  si  importantes  pour  l'hu- 
manité, et  qui  cherche  à  signaler  au  monde  les  résultats  bien- 
faisans  que  produit  la  marche  de  la  civilisation  dans  les  rares 
et  petites  localités  où  les  circonstances  lui  permettent  de 
prendre  tout  son  développement,  du  moins  sous  certains  rap- 
ports matériels. 


SCIENCES     ET    ARTS. 


OEUVRES  D'histoire  naturelle  DE  GOETHE,  contenant  scs  mé- 
moires sur  l'anatomic  comparée,  la  botanique  et  la  géologie  ;  tra- 
duits et  annotés  par  Ch.  F.  Martins,  docteur  médecin,  avec  un  atlas 
renfermant  les  planches  originales  de  l'auteur  et  trois  belles  plan- 
ches de  botanique  accompagnées  d'une  explication  par  M.  Turpin, 
de  l'Institut.—  Paris,  chez  Ab.Cherbuliez  ctComp6.  1837. 1  vol.  grand 
in-8  [et  atlas  grand  in-folio.  21  fr. 

Si  Goethe  s'est  acquis  durant  sa  vie  une  haute  renommée 
comme  poète,  ses  travaux  scientifiques  méritent  également 
de  le  faire  ranger  parmi  les  premiers  naturalistes  de  notre 
époque.  Quittant  les  régions  fantastiques  de  l'imagination,  il 
employait  souvent  à  l'étude  de  la  nature  les  puissantes  fa- 
cultés de  son  esprit  Avec  le  coup  d'œil  juste  et  hardi  du  génie, 
il  cherchait  à  percer  les  mystères  de  la  créaàon  et  se  livrait 
à  l'observation  la  plus  assidue,  la  plus  patiente.  Ayant  décou- 
vert dans  l'homme  l'os  intermaxillaire,  que  jusque  là  on  lui 
avait  refusé  en  croyant  ainsi  élever  une  barrière  entre  sa 
structure  anatomique  et  celle  du  singe  ,  Goethe  conçut  l'idée 
d'un  type  idéal,  qui  devait  avoir  servi  en  quelque  sorte  de  mo- 


SCIENCES  ET  ARTS.  275 

dèle  à  la  nature  et  auquel  se  rapporteraient  toutes  les  orga- 
nisations diverses  dont  le  globe  nous  offre  des  exemples.  L'i- 
dée d'unité  s'unit  chez  l'homme  à  celle  de  puissance,  d'ordre 
et  de  majesté;  elle  séduit  d'ailleurs  son  esprit  comme  plus 
facile  à  saisir  dans  son  ensemble  et  dans  ses  développemens. 
Aussi  trouvons-nous  dans  la  plupart  des  systèmes  une  ten- 
dance à  nous  y  ramener.  Tous  les  efforts  de  la  science  se 
dirigent  vers  ce  but,  et  sous  ce  rapport  les  travaux  de  Goethe 
pourront  contribuer  beaucoup  à  son  avancement.  Avec  une 
audace  qui  n'appartient  qu'au  génie,  il  reconstruit  le  type 
idéal  de  tous  les  êtres  vivans.  Il  nous  le  montre  composé 
comme  eux  de  trois  parties  principales,  la  tète,  le  thorax, 
l'abdomen.  Dans  chacune  de  ces  parties  se  développent  con- 
stamment des  organes  semblables  dans  leur  destination  res- 
pective, quoiqu'ils  présentent  souvent  des  différences  très- 
grandes  dans  leurs  formes  extérieures.  «  La  tète  occupe  la 
partie  antérieure  :  c'est  le  point  de  concours  des  organes  des 
sens;  le  cerveau,  formé  par  la  réunion  de  plusieurs  ganglions 
nerveux,  règle  et  concentre  ces  moteurs  tout-puissâns.  La 
partie  moyenne,  le  thorax,  contient  les  organes  de  la  vie 
intérieure  qui  agissent  sans  cesse  de  dedans  en  dehors.  La 
partie  postérieure  ou  l'abdomen  est  occupée  par  les  organes 
de  la  nutrition,  de  la  reproduction ,  et  de  la  sécrétion  des 
liquides  peu  élaborés.» 

Chacune  de  ces  parties  se  développe  de  diverses  manières, 
suivant  le  milieu  dans  lequel  vit  tel  ou  tel  animal ,  et  selon 
les  habitudes  auxquelles  il  est  destiné.  Le  poisson ,  l'oi- 
seau, le  quadrupède  mammifère,  nous  offrent  trois  systèmes 
différens  bien  tranchés ,  qui  se  subdivisent  eux-mêmes  en 
des  milliers  de  variétés  ,  d'après  les  mœurs  de  chaque  espèce. 
C'est  leur  harmonie  qui  constitue  ce  que  nous  appelons  la 
beauté.  Mais  il  arrive  souvent  que  cette  harmonie  est  dé- 
truite par  le  développement  extraordinaire  de  l'une  d'elles  , 
qui  a  toxijours  lieu  aux  dépens  des  autres.  Ainsi,  dans  la  gi- 
raffe  ,  un  long  cou  se  trouve  accompagné  d'un  petit  corps;  le 
premier  semble  avoir  absorbé  presque  toute  la  matière  dont 
il  n'est  pas  resté  assez  pour  faire  le  reste  de  l'animal  en  pro- 
portion avec  ce  cou  qui  s'est  élevé,  allongé,  jusqu'à  ce  que  la 
tête  se  trouvât  à  la  hauteur  des  arbres  dont  elle  broute  les 
feuilles. 

Ces  idées  sont  les  mêmes  que  celles  que  le  savant  M.  Geof- 
froy-St-Hilaire  a  émises  et  soutenues  dans  tous  ses  écrits,  et  qui 
occasionèrent  ses  discussions  avec  Cuvier.  Mais,  chez  Goethe, 
elles  sont  accompagnées  d'une  tendance  assez  prononcée 
vers  le  panthéisme,  forme  sous  laquelle  se  manifeste  sou- 
vent ,  dans  les  esprits  allemands  ,  ce  doute  qui  produisit  chez 


276  SCIENCES  ET  ARTS. 

!es  philosophes  français  du  dernier  siècle  les  funestes  doc- 
trines du  matérialisme.  Ceux-ci  ne  voulaient  plus  voir  Dieu 
nulle  part  ;  les  autres ,  au  contraire  ,  prétendent  le  voir  par- 
tout. Entre  ces  deux  partis  s'en  présente  un  troisième  qui , 
personnifiant  Dieu  et  lui  donnant  les  facultés  humaines  per- 
fectionnées à  un  haut  degré,  le  font  intervenir,  comme  un  in- 
tendant, en  tout  ce  qui  se  passe  ici-bas,  et  expliquent  tout  par 
les  causes  finales.  La  raison  humaine  est  impuissante  à  pro- 
noncer dans  ce  débat  ;  mais  il  est  assez  probable  que,  dans  l'un 
comme  dans  l'autre  de  ces  trois  systèmes  ,  il  y  a  de  l'exagéra- 
tion. Où  l'homme  n'en  met-il  pas?  Le  désir  de  faire  triom- 
pher ses  idées  l'emporte  toujours  au-delà  des  bornes,  et  l'a- 
mour-propre  lui  fait  faire  plus  d'un  faux  pas  sur  la  route  de 
la  vérité. 

Deux  planches  d'anatomie  ,  lithographiées  avec  le  plus 
grand  soin  par  M.  Jacob,  sont  destinées  à  accompagner  cette 
partie  des  œuvres  de  Goethe.  Elles  représentent  plusieurs 
têtes  d'animaux  et  d'hommes,  sur  lesquelles  l'os  intermaxil- 
Ia.ii  e  peut  facilement  se  reconnaître. 

Dans  la  botanique,  c'est  l'idée  de  la  métamorphose  qui  do- 
mine Goethe,  et  dont  il  se  sert  pour  expliquer  le  développe- 
ment de  tous  les  organes.  La  feuille  constitue  en  quelque  sorte 
à  ses  yeux  tout  le  végétal.  Il  nous  la  montre  déjà  contenue 
dans  le  cotylédon,  lorsque  celui-ci  est  encore  renfermé  dans 
la  graine  ;  il  la  suit  dans  son  développement  successif  et  dans 
les  diverses  transformations  qu'elle  subit  jusqu'à  la  fleur,  où 
elle  se  métamorphose  en  une  graine  nouvelle.  Ce  tableau  est 
exposé  avec  une  clarté  et  une  concision  admirables.  Il  décèle 
une  connaissance  approfondie  de  la  nature  ,  puisée  dans  l'ob- 
servation de  ses  phénomènes  et  de  leur  marche  ,  ainsi  que 
dans  les  hautes  méditations  d'un  esprit  supérieur  auquel  les 
moindres  données  suffisent  pour  lui  faire  deviner  les  plus 
grandes  choses. 

Le  beau  travail  de  Goethe  se  trouve  complété  et  commenté 
parles  trois  planches  de  botanique  et  l'esquisse  d'organogra- 
phie  végétale  que  M.  Turpin  a  insérées  dans  l'atlas  de  cet  ou- 
vrage. La  première  de  ces  trois  planches  représente  un  végé- 
tal-type idéal,  dont  tous  les  détails,  puisés  dans  la  nature,  nous 
montrent  les  métamorphoses  de  la  feuille  dans  les  deux  sys- 
tèmes, aérien  et  terrestre ,  de  la  plante.  M.  Turpin  considère 
tout  végétal  comme  se  développant  en  forme  sphérique  ,  de 
manière  à  figurer  une  boule,  si  on  refoule  par  la  pensée  tous 
les  rameaux  et  les  racines  vers  le  centre.  C'est  comme  un  ar- 
bre qui,  trempé  dans  l'eau  jusqu'aux  branches  inférieures, 
s'y  réfléchit  et  représente  deux  hémisphères,  l'une  dans  l'air, 
et  l'autre  dans  l'eau.  De  même  chaque  plante  se  divise  en 


SCIENCES  ET  ARTS.  277 

deux  demi-sphères ,  en  supposant  une  ligne  passant  par  le 
point  central ,  duquel  partent  d'un  côté  la  tige  ,  de  l'autre  la 
racine.  Dans  son  végétal-type  ,  M.  Turpin  expose  ce  double 
développement  supérieur  et  inférieur,  aérien  et  terrestre, 
dans  ses  phases  diverses  et  avec  tous  les  organes  nombreux 
auxquels  il  peut  donner  naissance.  On  suit  pas  à  pas  le 
travail  de  la  nature,  et  l'on  surprend  en  quelque  sorte  la 
feuille  à  l'instant  même  des  merveilleuses  métamorphoses 
qu'elle  subit.  Cette  grande  planche,  qui  prendra  rang  sans 
doute  parmi  les  plus  belles  que  l'on  ait  encore  faites  en  bo- 
tanique ,  représente  avec  une  clarté  parfaite  le  système  de 
Goethe  ,  et  l'on  regrettera  seulement  que  ce  grand  homme 
n'ait  pas  vécu  assez  long-temps  pour  voir  réaliser  ainsi  l'un 
de  ses  vœux  les  plus  chers  ;  car,  dans  les  dernières  années  de  sa 
.vie,  il  exprimait  l'ardent  désir  de  voir  M.  Turpin  entrepren- 
dre ce  travail ,  que  seul ,  disait-il ,  il  était  capable  d'exécuter. 

Une  seconde  planche,  composée  de  détails  propres  à  com- 
pléter la  première  et  à  appuyer  par  de  nouveaux  exemples  la 
transformation  des  organes  les  uns  dans  les  autres  ,  fait  égale- 
ment honneur  à  l'esprit  d'observation  et  au  talent  de  M.  Tur- 
pin. Ainsi,  appuyées  sur  une  étude  profonde  de  la  nature, 
les  idées  de  Goethe  en  reçoivent  un  lustre  nouveau  et  une 
autorité  plus  grande.  Les  adversaires  qu'elles  pourront  ren- 
contrer ne  seront  plus  du  tout  fondés  à  les  repousser  comme 
les  rêveries  d'un  poète.  Il  faudra  nécessairement  descendre 
dans  l'arène  publique  de  la  discussion  ,  et  les  principes  fé- 
conds de  la  métamorphose  des  plantes  ne  tarderont  pas  à 
produire  pour  la  science  les  plus  beaux  résultats. 

Le  moment  est  opportun  pour  une  semblable  publication. 
Les  esprits  fatigués  d'une  sèche  analyse,  qui  détaille  tout  et 
ne  conduit  le  plus  souvent  qu'à  compliquer  les  systèmes  de 
classification  ,  par  la  découverte  de  quelque  nouveau  caractère 
presque  imperceptible,  qui  fait  multiplier  les  genres  et  les  es- 
pèces; les  esprits,  fatigués  de  ce  travail  pénible  et  sans  résul- 
tat, semblent  se  tourner  avec  anxiété  vers  la  synthèse  pour 
lui  demander  la  raison  des  choses.  Par  un  travers  qui  est  le 
propre  de  l'homme,  on  ne  tarderait  sans  doute  pas  à  passer 
d'un  extrême  dans  un  autre  ,  et  proscrivant  l'analyse  comme 
inutile,  on  se  jetterait  bientôt  dans  des  rêveries  funestes 
pour  la  science.  C'est  pourquoi  le  livre  de  Goethe  arrivera  fort 
à  propos  pour  rappeler  une  vérité  qu'on  oublie  trop  souvent; 
c'est  que  la  synthèse,  pour  être  féconde,  doit  s'appuyer  sur 
l'analyse,  et  que  ce  n'est  jamais  qu'à  l'aide  de  ces  deux 
moyens  qu'un  esprit  supérieur  s'élève  au-dessus  de  la  foule  et 
parvient  à  lui  imprimer  une  forte  direction. 

Une  dédicace  à  la  mémoire  de  Buffon  ,  accompagnée  d'un 


278  SCIENCES  ET  ARTS. 

parallèle  fort  remarquable  entre  ces  deux  grands  hommes , 
dont  l'œuvre  est  aujourd'hui  continuée  par  M.  Geoffroi-Saint- 
Hilaire,  indique  le  lien  qui  unit  Goethe  au  grand  naturaliste 
français.  Tous  les  deux  suivirent  à  peu  pi  es  la  même  route, 
commençant  par  étudier  la  nature  autour  d'eux,  s' élevant  petit 
à  petit  à  des  vues  générales,  et  finissant  par  développer  les 
grandes  lois  qui  dirigent  l'univers.  Chez  le  second  seulement, 
l'esprit  synthétique  se  développa  plus  tôt,  marcha  de  front 
avec  l'anlyse,  et  le  conduisit  rapidement  à  se  distinguer  sur  la 
route  que  le  génie  de  son  prédécesseur  avait ,  à  la  vérité,  déjà 
frayée.  Comme  lui  il  embrassa  la  nature  dans  son  ensemble,  et 
rien  ne  demeura  étranger  à  sa  vaste  intelligence.  Les  phéno- 
mènes géologiques  furent  pour  Goethe  des  sujets  de  profonde 
méditation.  Dans  tous  les  pays  qu'il  parcourait,  au  milieu  des 
travaux  littéraires  et  administratifs  qui  remplissaient 'sa  vie, 
il  ne  perdait  pas  de  vue  la  configuration  des  grandes  masses 
inorganiques  et  consacrait  à  leur  étude  ses  promenades  et  ses 
loisirs.  Carlshad ,  Marienbad  ,  le  Marienbrunnen,  le  Kammer- 
berg,  le  Wolfsberg,  etc.,  ont  été  explorés  par  lui  le  marteau 
à  la  main  ,  et  tout  eu  donnant  un  catalogue  de  leurs  roches 
diverses  ,  il  sait  faire  jaillir  du  milieu  de  ces  détails  des  idées 
générales  qui  les  lient  ensemble  et  les  rattachent  aux  plus 
hautes  questions  de  la  science.  Quelques  blocs  de  granit  con- 
fusément dispersés  en  un  lieu  nommé  Luisenburg,  dans  les 
environs  d'Alexandersbad,  sont  pour  lui  un  trait  de  lumière 
qui  lui  dévoile  la  marche  lente  et  continue  par  laquelle  la 
nature  accomplit  avec  les  siècles  et  presque  insensiblement 
les  travaux  les  plus  prodigieux 

Enfin  le  temple  de  Jupiter  Sérapis  fut  pour  Goethe  l'ob- 
jet de  recherches  curieuses ,  et  c'est  lui  le  premier  qui  a  donné 
une  explication  rationnelle  du  singulier  phénomène  que  pré- 
sente ce  temple,  dont  les  colonnes  ont  été,  à  une  certaine 
hauteur ,  perforées  par  des  coquillages  marins.  Il  supposa 
qu'une  éruption  volcanique  avait  enfoui  la  base  de  ces  co- 
lonnes ,  et  qu'un  lac  s'était  formé  au-dessus.  Mais,  depuis,  on 
a  étudié  de  nouveau  ce  problème,  et  d'après  la  note  ajoutée 
par  M.  Martins  au  mémoire  de  Goethe ,  il  paraît  qu'on  a 
découvert  d'une  manière  assez  positive  que  le  terrain  sur 
lequel  repose  le  temple  de  Jupiter  Sérapis,  est  oujet  à  des 
oscillations  qui  le  placent  tantôt  au-dessus,  tantôt  au-dessous 
du  niveau  de  la  mer  et  l'exposent  par  conséquent  quelque- 
fois à  être  inondé  parles  eaux  de  celle-ci. 

On  voit,  d'après  cette  courte  analyse,  que  l'ouvrage  que 
j'annonce  ici  touche  à  toutes  les  questions  les  plus  importantes 
de  l'histoire  naturelle.  Le  monde  savant  y  trouvera  un  intérêt 
tout  particulier,  et  les  littérateurs,  ceux  même  qui  sont  le  plus 


SCIENCES  ET  ARTS.  279 

étrangers  aux  sciences  naturelles,  seront  curieux  de  savoir 
comment  le  poète  est  devenu  naturaliste.  Ils  liront  avec  un 
plaisir  véritable,  les  nombreux  fregmens  autobiographiques 
dans  lesquels  Goethe  faitl'histoire  de  ses  études  et  se  complaît 
à  raconter,  avec  les  plus  grands  détails,  la  marche  de  son  esprit. 
M.  Martins  a  recueilli  avec  soin  tous  ces  précieux  fragmens, 
et  les  a  intercalés  entre  les  divers  mémoires  scientifiques  de 
Goethe  ,  comme  des  points  de  repos  qui ,  si  je  puis  m'expri- 
mer  ainsi,  permettent  à  l'esprit  de  reprendre  haleine,  et  en 
même  temps,  comme  des  jalons  échelonnés  sur  la  route  par- 
courue par  ce  puissant  génie,  et  destinés  à  servir  de  guides  à 
ceux  qui  entreprennent  de  le  suivie. 

Tout  semble  ainsi  réuni  pour  donner  à  ce  livre  une  haute 
importance,  et  je  ne  saurais  mieux  faire  l'éloge  de  la  traduc- 
tion qu'en  disant  qu'elle  est  d'un  bout  à  l'autre  digne  d'un 
paieil  ouvrage. 

DE  LA  CONNEXION  DES  SCIENCES  PHYSIQUES  ,  OU  exposé  simple  et 
rapide  de  tous  les  principaux  phénomènes  astronomiques,  physiques, 
chimiques,  géologiques  et  météorologiques;  accompagné  des  dé- 
couvertes et  expériences  les  plus  remarquables  des  savans  modernes, 
tant  français  qu'étrangers  ;  par  Mary  Somenilie ;  trad.  de  l'anglais 
par  M""  Meulien.  —  Paris,  1837.  1  vol.  in-8.  7  fr.  50c. 

Toutes  les  sciences  physiques  se  tiennent.  Un  lien  mysté- 
rieux les  unit  l'une  à  l'autre.  Pour  les  étudier  avec  fruit  et 
succès,  il  faut  les  embrasser  dans  leur  ensemble  et  dans  leurs 
rapports  multiples.  L'analyse  seule  ne  suffit  pas,  elle  n'est 
bonne  qu'à  enregistrer  quelques  faits  nouveaux  sur  le  cata- 
logue des  observations  stériles,  parce  qu'elles  sont  isolées.  La 
synthèse  doit  venir  féconder  l'analyse  et  profiter  de  ses  maté- 
riaux pour  jeter  un  hardi  regard  dans  les  profondeurs  ca- 
chées où  la  nature  accomplit  son  travail.  L'astronomie  sem- 
ble être  le  point  de  rencontre  de  toutes  ces  sciences,  car  elle 
les  renferme  toutes,  elle  embrasse  à  la  fois  la  science  des  nom- 
bres et  des  quantités ,  celle  du  repos  et  du  mouvement.  Elle 
élève  l'âme  d  ailleurs,  agrandit  l'esprit  et  forcebientôt  l'homme 
à  quitter  les  ornières  communes  pour  s'élancer  dans  les  espa- 
ces et  contempler  avec  ravissement  le  sublime  spectacle  de 
l'univers  entier.  C'est  donc  par  elle  que  madame  Somerville 
débute  dans  son  livre,  et  c'est  avec  autant  de  précision  que 
de  clarté  qu'elle  expose  tout  ce  que  les  travaux  de  tant 
d'hommes  de  génie  ont  pu  découvrir  sur  les  mouvemens  des 
corps  célestes  et  les  lois  qui  les  régissent.  De  là  elle  passe  à 
tous  les  phénomènes  que  présentent  l'air,  le  son  ,  la  lumière, 
la  chaleur,  etc.  C'est  un  tableau  immense  qui  se  déroule  à 
nos  yeux  sous  la  baguette  d'une  magicienne  et  qui  nous  con- 


580  SCIENCES  ET  ARTS. 

duit  à  la  connaissance,  imparfaite  sans  doute  encore,  mais 
déjà  sublime,  des  lois  générales  que  le  Créateur  a  établies 
dans  l'univers.  On  ne  lira  pas  sans  surprise  un  livre  semblable 
dû  à  la  plume  d'une  femme.  Il  atteste  en  elle  des  connais- 
sances plus  profondes  que  celles  que  l'on  a  coutume  de  ren- 
contrer chez  les  personnes  de  son  sexe.  Peut-être  même  lui 
reprochera-t-on  parfois  trop  de  science.  Il  est  vrai  qu'elle  se 
trouvait  obligée  de  se  résumer  et  de  se  renfermer  dans  un 
cadre  fort  étroit,  en  élaguant  une  foule  de  détails  et  de  digres- 
sions utiles  peut-être  pour  l'intérêt  et  la  forme  de  l'ouvrage. 
Quoi  qu'il  en  soit,  ce  livre  se  recommande  par  la  quantité  de 
notions  scientifiques  qu'il  renferme  et  il  paraît  très-propre  à 
donner  une  idée  exacte  de  l'état  actuel  des  sciences  physiques. 


PRÉCIS  HISTORIQUE  ET  ANALYTIQUE  DES  ARTS  DU  DESSIN,  avec 
7  planches  ;  suivi  d'un  précis  de  la  danse  ancienne  et  moderne,  par 
C.  J.  Jiuteux. —  Paris,  chez  Ah.  Cherhuliez  et  Ce.  1  vol.  in -8.  fig, 
6  fr. 

Ce  volume  renferme  des  notions  théoriques  sur  la  sculpture, 
la  peinture  et  l'architecture ,  sur  les  principes  qui  doivent 
diriger  l'artiste  dans  la  recherche  du  beau  et  un  abrégé  de 
l'histoire  de  ces  divers  arts ,  ainsi  que  de  la  danse  chez  les  peu- 
ples anciens  et  modernes.  Ecrit  avec  simplicité  et  cherchant 
surtout  à  rassembler  tous  les  faits  les  plus  importans,  il  pré- 
sente un  intérêt  assez  vif  et  peut  sous  ce  rapport  être  recom- 
mandé pour  la  jeunesse,  qui  y  puisera  une  foule  de  connais- 
sances qui  ne  se  rencontrent  pas  ailleurs,  et  dont  cependant 
l'utilité  est  incontestable.  M.  B.  retrace  rapidement  les  diverses 
vicissitudes  qu'ont  éprouvées  les  formes  architecturales  chez 
les  différens  peuples  delà  terre  ,  et  quelques  gravures  au  trait 
permettent  d'apprécier  les  caractères  dislinctifs  de  chaque 
genre,  depuis  les  gracieux  et  sévères  contours  de  l'architec- 
ture grecque,  jusqu'aux  colossales  proportions  des  ruines  gi- 
gantesques de  l'Amérique  du  Sud.  L'essai  sur  la  danse  est  plu  - 
tôt  une  espèce  de  mémorial,  renfermant  des  documens  précis 
et  nombreux  pour  l'histoire  de  cet  exercice  corporel  qui  se 
retrouve  chez  presque  toutes  les  nations  du  globe.  Il  se  ter- 
mine par  quelques  réflexions  fort  justes  touchant,  les  ballets 
modernes  et  l'état  actuel  de  la  danse  sur  les  théâtres. 


L'iMPKIHERIB  DE     BEAU,  »    3ilNT-CEI\MilN-LN-LlTÏ. 


iSuUitm  JTittératre 

ET  SCIENTIFIQUE. 

5*  (SLutce.  —  gA°  9.  —  cfyteiii&o  1837. 

littérature,  histoire. 


un  COEUR  POUR  DEUX  AMOURS,  par  Jules  Janin.  —  Paris,  1837. 
ln-8.  7  fr.  50  c.  =  ne  touchez  pas  A  la  reine ,  par  Michel 
Masson.—  Paris,  1837.  In-8.  7  «r.  50  c. 

Un  cœur  pour  deux  amours;  c'est  beaucoup  de  verbiage  pour 
une  idée;  c'est  une  longue  variation  sur  un  seul  thème;  c'est 
un  déluge  de  phrases  brillantées,  saccadées,  sautillantes,  dans 
lequel  se  noie  une  pauvre  petite  pensée;  c'est  un  long  feuil- 
leton commencé  à  propos  des  frères  Siamois,  et  dont  l'auteur  a 
fait  un  volume,  sans  doute  pour  en  tirer  un  meilleur  prix.  Car 
M.  Jules  Janin  est  un  des  plus  habiles  parmi  lé^s  habiles  à 
faire  mousser  la  moindre  petite  bribe;  à  enfler  la  moindre 
grenouille  jusqu'à  la  rendre  plus  grosse  qu'un  bœuf;  à  délayer 
l'esprit  hoinéopathiquement;  à  tirer  quelque  chose  de  rien 
et  beaucoup  de  volumes  de  peu  d'idées.  C'est  l'enfant  auquel 
on  confie  de  l'eau  de  savon  avec  un  chalumeau  de  paille. 
Il  souffle,  il  souffle,  l'eau  bouillonne,  les  bulles  se  forment; 
il  souffle,  il  souffle,  ce  n'est  bientôt  plus  qu'un  monceau  de 
pierreries;  il  souffle,  il  souffle,  et  les  mille  couleurs  de  l'arc- 
en-ciel  viennent  se  jouer  sur  ce  joyau  brillant.  Alors  c'est  à 
qui  voudra  l'avoir,  on  le  met  à  l'enchère,  on  se  l'arrache,  on 
le  prône,  on  le  porte  aux  nues;  puis,  quand  on  l'a  possédé 
quelque  temps,  on  est  tout  étonné  de  ne  rien  tenir,  de  voir 
disparaître  cette  apparence  fugitive  et  trompeuse,  de  n'avoir 
plus  qu'une  goutte  d'eau  sale  au  fond  d'une  tasse.  A  la  place 
de  savon  mettez  de  l'encre ,  à  la  place  du  chalumeau  de 
paille ,  mettez  une  plu.me ,  et  à  la  place  d'une  goutte 
d'eau  sale  au  fond  d'une  tasse,  vous  aurez  un  volume  de 
papier  imprimé,  mais  non1  écrit,  imprimé,  mais  non  pensé, 
qu'on  n'aurait  pas  pu  lire  il  y  a  dix  ans,  qu'on  ne  pourra 
plus  lire  dans  dix  ans,  et  qui  cependant  se  vendra ,  et  qui 
cependant  fera  grand  bruit  parce  qu'il  est  de  M.  Jules  Janin  ; 
parce  que  M.  Jules  Janin  est  un  des  coryphées  de  la  presse 
périodique,  et  que  la  presse  périodique  dira  que  c'est  unchef- 

20 


282  LITTÉRATURE , 

d'œuvve,  et  que  le  public  s'y  laissera  encore  prendre  comme  il 
s'y  laisse  toujours  prendre ,  parce  qu'il  est  écrit  que  le  char- 
latanisme trouvera  toujours  des  dupes,  que  plus  il  est  effronté, 
mieux  il  réussit,  et  que  la  race  des  jobards  et  des  badauds 
n'est  point  près  de  s'éteindre. 

Si  je  voulais  continuer  sur  ce  ton-là,  je  vous  en  dirais  bien 
d'autres;  mon  article  s'allongerait ,  s'élargirait;  mon  article 
s'étendrait,  se  développerait;  mon  article  se  déroulerait  en 
tout  sens;  mon  article  deviendrait  un  article  monstre,  un 
traité  ad  hoc,  un  cours  complet  de  mystification  littéraire, 
un  volume  in-8°  de  7  fr.  50  c.  Et  dans  mon  prochain  nu- 
méro je  vous  ferais  un  article  sur  mon  article,  je  vous  dirais 
qu'un  grand  événement  littéraire  vient  d'avoir  lieu,  je  vous 
annoncerais  en  gros  caractères  que  j'ai  publié  un  véritable- 
chef-d'œuvre . 

Mais ,  c'est  en  vain  ; 

Chassez  le  naturel ,  il  revient  au  galop. 

Et  me  voici  déjà  tout  essoufflé  pour  avoir  essayé  un  instant 
de  cette  allure  qui  n'est  pas  la  mienne.  Revenons  à  nos  mou- 
tons et  voyons  s'd  est  possible  d'analyser  Vu  cœur  pour  deux 
amours  sans  vous  fatiguer  de  ce  style  haletant. 

L'auteur  va  visiter  les  deux  jumaux  siamois,  et  la  vue  de 
cet  étxange  phénomène  lui  suggère  une  longue  série  de  phra- 
ses que  vous  pouvez  bien  vous  imaginer,  mais  que  je  ne  sau- 
rais vous  rendre;  car,  après  avoir  débuté  par  y  parler  d'un 
double  néant,  et  dit  mainte  autre  chose  qui  sent  le  matéria- 
lisme il  termine  par  des  invocations  à  Dieu ,  à  la  Providence, 
en  sorte  que,  comme  c'est  l'usage  avec  lui,  on  ne  sait  plus  du 
tout  où  l'on  en  est. 

Tandis  qu'il  est  occupé  à  considérer  les  Siamois,  vient  un 
étranger  qui  leur  parle  pendant  quelques  instans  et  les  quitte 
en  leur  disant  que  deux  sœurs  les  attendent  au  ciel.  Cet 
étranger  est  un  Espagnol  enveloppé  d'un  grand  manteau,  et 
vite  M.  Jules  Janin  nous  fait  deux  ou  trois  pages  sur  les  Espa- 
gnols et  leurs  manteaux.  Puis,  frappé  de  l'air  profondément 
ému  avec  lequel  celui-ci  avait  regardé  les  Siamois,  il  se  met 
à  le  suivre,  et  l'aborde  pour  lui  en  demander  l'explication.  Or 
il  se  trouve  que  cet  Espagnol  avait  eu  en  sa  possession  deux 
jumelles  qui  offraient  le  même  phénomène  que  les  Siamois, 
et  il  lui  raconte  comme  quoi  après  les  avoir  élevées  il  avait 
été  amoureux  de  l'une  d'elles,  avait  eu  un  rival  qui  était 
amoureux  de  l'autre ,  s'était  battu  en  duel  avec  lui ,  puis  enfin 
avait  vu  mourir  les  deux  sœurs,  parce  que  le  bonheur  de  l'une 
faisait  le  malheur  de  l'autre.  Il  paraît  qu'à  elles  deux  elles 


HISTOIRE.  283 

ne  possédaient  qu'une  âme ,  quoiqu'elles  aimassent  chacune 
pour  son  propre  compte,  en  sorte  que  ce  double  amour  était 
senti  également  par  toutes  les  deux ,  quoique  chacune  con- 
servât son  individualité,  son  affection  particulière  et  ne  par- 
tageât point  les  transports  de  l'autre.  Il  n'y  avait  qu'un  cœur 
et  deux  amours,  et  chaque  sœur  prise  séparément  avait  un 
amour  séparé,  quoique  prises  ensemble  elles  n'en  pussent  avoir 
en  réalité  qu'un  seul  à  la  fois,  ce  qui  entraînait  nécessaire- 
ment le  malheur  de  l'une  par  le  bonheur  de  l'autre.  Ce  n'est 
pas  très-clair,  vous  n'avez  peut-être  pas- compris;  mais  c'est 
justement  là  le  beau  du  roman  qui  a  la  prétention  de  nous 
donner  une  analyse  physiologique  de  la  plus  sublime  profon- 
deur. Il  faut  voir  avec  quelle  complaisance  l'auteur  s'étend 
sur  cette  double  individualité  confondue  dans  une  seule.  Il 
entasse  phrase  sur  phrase,  page  sur  page,  et  les  développe- 
mens  de  cette  énigme  remplissent  la  moitié  du  volume.  Des 
digressions  incidentes  et  tout-à-fait  étrangères  au  sujet  en 
occupent  un  autre  quart.  C'est  ainsi  qu'il  trouve  moyen 
d'amener  au  travers  de  son  récit  l'éloge  le  plus  amphatique 
de  Fempereur  de  Russie ,  de  son  gouvernement  et  de  ses 
sujets.  C'est  la  mode  parmi  une  certaine  coterie  de  littéra- 
teurs. Ils  se  sont  tout-à-coup  épris  d'un  bel  amour  pour  le 
régime  du  knout  et  ses  douceurs.  lis  ne  rêvent  que  Russes , 
que  roubles  et  ukases.  Le  Ts?.rles  a  tous  ensorcelés;  par  quel 
moyen  je  ne  sais,  mais  il  faut^jutil  emploie  des  argumens 
bien  irrésistibles  pour  les  séduire  si  piomptemcnt  et  de  si  loin. 

Il  ne  reste  donc  plus  qu'un  quart  du  volume  pour  l'action 
du  roman,  et  en  vérité  c'est  tout  au  plus  même  si  elle  le 
remplit  en  entier,  car  elle  est  d'une  nullité  complète. 
Comme  tous  les  autres  ouvrages  du  même  auteur,  celui-ci 
n'est  qu'une  suite  de  feuilletons  cousus  à  la  file  les  uns  des 
autres,  et  malheureusement  le  talent  de  l'écrivain  ne  paraît 
pas  avoir  pris  la  route  du  progrès.  Jamais  son  imagination 
n'avait  été  si  pauvre,  jamais  son  style  n'avait  paru  si  fati- 
guant. C'est  à  peine  si  dans  tout  le  volume  on  trouve  une 
page  digne  d'être  citée.  M.  Jules  Janin  a  enterré  son  esprit 
sous  un  flux  de  paroles  qui  le  cachent  si  bien  qu'on  ne  peut 
plus  l'apercevoir.  En  lisant  Un  cœur  pour  deux  amours ,  ses 
plus  intrépides  admirateurs  seront  tentés  de  chanter  un  de 
projundîs. 

—  M.  Michel  Masson  nous  donne  également  de  l'Espagnol. 
Son  livre  commence  à  peu  près  comme  Gil-Blas.  C'est  aussi 
un  jeune  aventurier  qui  s'en  va  chercher  la  fortune  à  Ma- 
drid, et  s'attache  en  route  à  un  compagnon  qu'il  rencontre. 
C'est,  je  crois  ,  comme  le  Cœur  de  M.  Janin  ,  de  la  littérature 
de  feuilleton  ,   du  roman  périodique.   Mais  du  moins  il  s'y 


284  LITTÉRATURE , 

trouve  quelque  intérêt ,  et  quoique  ce  ne  soit  qu'une  bluette 
sans  importance ,  on  s'aperçoit  cependant  que  l'auteur  a  cher- 
ché à  nouer  une  intrigue  ,  à  tisser  une  trame  ,  à  inventer  une 
action.  Il  ne  se  repose  point  uniquement  sur  l'éclat  de  son 
style ,  et  ne  paraît  pas  croire  qu'il  suffise  de  bavarder  ab-hoc 
et  ab-hac  pour  captiver  l'attention  du  public.  Ne  touchez  pas 
à  la  Reine  est  un  ancien  dicton  espagnol  qui  eut  long-temps 
force  de  loi  et  qui  interdisait,  sous  peine  de  mort,  de  jamais 
porter  la  main  sur  la  reine  ,  fût-ce  même  pour  la  sauver  d'un 
danger  pressant ,  pour  l'arracher  à  une  catastrophe  certaine. 
C'est  là-dessus  que  M.  Masson  a  basé  son  roman.  Ses  deux 
aventuriers  parviennent  jusqu'à  la  cour,  obtiennent  des  fonc- 
tions très-élevées ,  et,  compromis  dans  des  intrigues  avec 
la  reine  elle-même,  l'un  des  deux  est  tué  par  l'autre. 


CLANURES  D'ÉSOPE  ,  recueil  de  Fables,  par  J.-J.  Porchat,  professeur 
de  littérature  latine  à  l'académie  de  Lausanne. —  Lausanne,  1837. 
1  vol.  in-12. 

Le  champ  moissonné  d'abord  par  Esope  ,  puis  par  La  Fon- 
taine ,  a  vu  de  nombreux  glaneurs  fouler  son  sol  pour  y 
chercher  quelques  épis  oubliés.  La  plupart,  il  est  vrai,  n'ont 
rien  trouvé  ,  et  bien  des  gens  se  sont  empressés  d'en  conclure 
que  le  champ  avait  été  trop  bien  moissonné  pour  qu'il  fût 
possible  d'y  glaner  encore  quelque  chose.  Cependant ,  un 
pareil  jugement  est  trop  précipité.  Si  La  Fontaine  reste  ini- 
mitable ,  ce  n'est  pas  à  dire  qu'on  ne  puisse  plus  faire  de 
fables.  Florian  a  déjà  prouvé  qu'en  ne  suivant  pas  exacte- 
ment la  même  route  que  lui,  on  pouvait  atteindre  une  supé- 
riorité fort  remarquable.  Bailly,  La  Mothe  ,  Grenus  et  plu- 
sieurs autres  ont  également  réussi  parfois  avec  beaucoup  de 
bonheur  dans  les  diiïérens  génies  qu'ils  ont  adoptés.  Mais,  on 
doit  le  dire,  nul  d'entre  eux  ne  s'est  approché  de  la  naïveté  du 
bon  La  Fontaine  ;  presque  tous  ont  senti  qu'il  valait  mieux 
parler  un  autre  langage  que  de  lutter  avec  un   tel  maître. 

M.  Porchat,  dont  nous  annonçons  ici  les  fables,  sans  se  traî- 
ner servilement  à  la  suite  de  personne ,  s'est  peut-être  rap- 
proché plus  qu'aucun  autre  de  la  simplicité  parfaite  du  grand 
Fabuliste.  Tout  en  écrivant  pour  son  siècle,  et  en  prenant 
ses  sujets  et  sa  morale  dans  l'esprit  du  temps  présent ,  il  a  su 
conserver  à  la  forme  une  fraîcheur  naïve,  qui  ressort  d'une 
manière  bien  frappante  au  milieu  de  l'affectation  et  du  faux 
brillant  dont  aujourd'hui  notre  littérature  est  affublée.  C'est 
une  teinte  vraiment  originale  qui  donne  à  sa  poésie  un  charme 
tout  particulier.  La  bonhommie  helvétique  s'est  alliée  chez 


HISTOIRE.  285 

lui  à  un  goût  pur  et  à  une  grande  facilité.  Le  bon  sens  dicte 
les  pensées  philosophiques  qui  font  le  sujet  de  presque  toutes 
ses  fables,  et  l'harmonie  la  mieux  calculée  imprime  un  cachet 
de  vérité  aux  diverses  trames  qu'il  emploie.  Chacun  de  ses 
personnages  parle  le  langage  qui  lui  convient ,  et  cela,  sans 
effort ,  sans  que  la  rime  fasse  trop  sentir  ses  impérieuses  exi- 
gences. Ainsi  dans  la  fable  intitulée  :  Le  Roi  des  animaux  : 

Une  mouche  effleurant,  avec  un  doux  murmure, 

Le  cristal  poli  d'un  étang, 
Admirait  dans  les  flots  sa  petite  figure, 
Et  disait  :  «Pour  moi  seule  on  a  lait  la  nature.» 

La  grâce  et  la  légèreté  sont  très-bien  peintes  dans  ces  quatre 
vers ,  où  nous  retrouvons  en  quelque  sorte  la  Mouche  du 
Coche  et  sa  gaie  importance. 

«  Oui-dh  !  »  reprit  en  la  gobant 
Un  rapide  habitant  de  l'onde, 
Qui  murmura  soudain  :  «  C'est  à  moi  qu'est  le  monde  ! 

C'est  un  de  ces  jolis  petits  poissons  qui,  se  jouant  à  la  sur- 
face des  eaux,  happent  en  passant  les  insectes  assez  impru- 
dens  pour  se  mettre  à  leur  portée. 

Un  canard  à  son  tour  attrappe  le  poisson  ,  et  dit  en  bar- 
bottant  : 

«  Sachez  mieux  vous  connaître.  » 

Le  voyez-vous  ce  maître  caneton  qui,  joyeux,  s'éloigne  en 
agitant  à  la  fois  sou  bec  et  ses  ailes  avec  une  expression  de 
parfait  contentement? 

Lui-même  il  se  croyait  sans  maître; 
Il  lui  fallut  bientôt  penser  d'autre  façon  : 
Frappé  d'un  plomb  mortel,  homme,  il  fut  ta  conquête. 
Homme,  ah!  sans  doute  ici  mon  histoire  s'arrête; 

C'est  toi  qui  du  monde  es  le  roi. 
Tu  naquis  pour  toi  seul;  à  toi  tout  se  rapporte. 

C'est  ton  avis  du  moins,  mais  prends  bien  garde  à  toi. 
# 

Bah!  ne  sommes-nous  pas  les  maîtres  de  la  terre  ?  Tout  ce 
qui  nous  entoure  n'a-t-il  pas  été  créé  exprès  pour  nous ,  pour 
nos  besoins,  pour  nos  plaisirs  ?  Ces  verts  ombrages  ne  furent-ils 
pas  destinés  à  nous  abriter  contre  les  rayons  trop  ardensde  ce 
soleil  dont  la  chaleur  bienfaisante  répand  le  bien-être  dans 
notre  corps  et  fait  croître  pour  nous  des  fruits  de  toutes  sor- 
tes ?  Ces  innombrables  animaux  qui  peuplent  les  airs ,  les 
campagnes  et  les  ondes  ne  sont-ils  pas  faits  pour  nous  servir  , 


286  LITTÉRATURE, 

soit  de  nourriture,  soit  d'aides  dans  nos  travaux,  soit  de  re- 
création pour  nos  yeux  qui  admirent  leurs  mille  formes  va- 
riées? Ne  savons-nous  pas  les  forcer  tous  à  nous  obéir?  En 
vérité,  ils  sont  nos  esclaves,  et  l'homme  est  le  roi  de  la  na- 
ture ;  lui-même  le  dit  et  le  pense  du  moins ,  mais 

J'entends  quelqu'un  rugir  qui  pense  d'autre  sorte, 
Un  lion!...  tu  pâlis;  mais  déjà  dans  ses  flancs 
Homme,  canard,  poisson,  mouche  dorment  ensemble. 
«   C'est  moi  qui  suis  le  maître,  animaux  insoleus,  » 
Dit-il,  et  cependant  de  la  terre  qui  tremble 
Sous  les  pas  du  lion,  se  glisse,  en  longs  anneaux, 
Celui  dont  quelque  jour  il  sera  la  pâture  , 
L'insecte  vil,  fangeux,  à  l'ignoble  figure, 
Le  ver,  le  roi  des  animaux. 

Cette  finale  est  belle  de  pensée  et  d'expression.  Elle  ter- 
mine très-bien  la  leçon  par  une  forte  ironie.  Cependant  nous 
adresserons  à  l'auteur  une  seule  critique.  C'est  que  le  ver  de 
terre  qui  se  glisse  en  longs  anneaux  >  n'est  point  du  tout  le 
même  qui  dévore  les  cadavres  ;  il  est  fort  innocent  d'un  pareil 
délit  qui  appartient  aux  larves  d'une  foule  d'insectes  dont  les 
œufs  y  sont  déposés  ,  et  entr'autres  à  celle  de  la  mouche  qui, 
sous  ce  rapport,  pourrait  bien  réclamer  contre  le  jugement  de 
M.  Porchat. 

On  retrouvera  dans  ces  fables  l'empreinte  bien  prononcée 
des  grandes  questions  qui  agitent  tous  les  esprits  aujourd'hui. 
L'auteur  vivant  dans  un  pays  de  liberté  exprime  à  cet  égard 
les  idées  les  plus  larges,  les  plus  généreuses.  Il  n'est  pas  obligé 
d'avoir  recours  à  des  subterfuges  pour  voiler  sa  pensée,  et  il 
aborde  toujours  franchement  son  sujet.  De  là  résulte  un  grand 
avantage,  celui  d'éviter  les  périphrases  et  les  longueurs  inuti- 
les. L'apologue  suivant  résume,  par  exemple,  en  peu  de  mots 
le  tableau  d'un  des  plus  grands  travers  de  notre  ordre  social. 

Un  chien  ,  un  écureuil,  avaient  même  seigneur. 
A  chacun  son  emploi ,  chacun  tourne  sa  roue  ; 

Dans  la  sienne  quand  l'un  se  joue, 
L'autre  du  tournebroche  est  l'humble  serviteur; 
L'un  travaille  ,  on  le  bat  ;  l'autre  amuse,  on  le  loue. 
A  l'un  ,  bouche  inutile  ,  il  faut  du  massepain  ; 
L'autre  rôtit  la  poule  ,  a  peine  a-t-il  du  pain. 

Nulle  proportion  des  travaux  aux  salaires. 
Que  d'histrions  millionnaires! 
Que  d'ouvriers  mourant  de  faim! 

Enfin  nous  terminerons  cet  article  en  citant  V Hirondelle  à 

burd  comme  un  morceau  plein  de  grâce  et  de  fraîcheur. 


HISTOIRE.  287 

Sous  les  agrès  de  ce  navire 
Au  port  enchaîné  quelques  jours, 
Hirondelle,  qui  vous  inspire 
De  venir  loger  vos  amours? 

Retournez,  folle   aventurière, 
Retournez  au  nid  villageois  , 
Par  votre  aïeule  et  votre  mère, 
Par  vous  repeuplé  tant  de  fois. 

Cet  océan  qui  vous  balance  , 
Ce  bruit  sourd  des  vents  et  des  flots 
Disaient  assez  votre  imprudence  : 
C'est  en  vain;  vos  œufs  sont  éclos. 

Hâtez-vous  donc!  mais  sur  la  grève 
Vous  butinez  pour  vos  petits, 
Et  le  souffle  attendu  se  lève. 
On  appareille  ;  ils  sont  partis. 

«  Que  vois-je  ?  Où  vont-ils  ?  Quel  mystère! 

Dit-elle.  Enfans  ,  me  fuyez-vous? 

Me  voici,  voici  votre  mère. 

Qui  nous  emporte  ?  Où  courons-nous? 

Et  la  terre  où  donc  s'enfuit-elle  ? 
Arrêtez  ,  revenez...  J'ai  peur.  »  — 
Reviens  seule,  pauvre  hirondelle, 
Sous  nos  toits  pleurer  ton  bonheur. 

La  couvée  a  tes  soins  ravie 
C'est  chez  nous  un  sort  peu  nouveau. 
Eh!  qui  n'a  bâti  dans  sa  vie 
Quelque  nid  sur  quelque  vaisseau? 


bas-reliefs;  von  Adelbert  von  Bornstedt.  —  Francfort-am-Main, 
1837.  2  vol.  in-12.  10  fr. 

N'allez  pas  croire  qu'il  soit  ici  question  d'architecture  ou  de 
sculpture.  M.  Bornstedt,  quoique  pouvant  parler  de  tout  avec 
une  grande  facilité  ,  n'a  pas  eu  la  plus  légère  intention  d'a- 
border la  théorie  ni  la  pratique  des  beaux-arts.  Ce  mot  de 
Bas-Reliefs ,  inscrit  en  tète  de  son  livre,  est  tout  simplement 
une  enseigne  qui,  selon  l'usage,  n'a  pas  le  moindre  rapport 
avec  le  contenu  de  la  boutique.  Sous  ce  titre  ,  l'auteur  nous 
donne  tout  simplement  quelques-unes  de  ces  esquisses  de 
voyage,  dont  il  a  déjà  publié  deux  volumes.  Cette  fois  ce  n'est 
plus  Paris ,  cette  capitale  tant  idolâtrée  ,  qui  est  le  sujet  de  ses 
observations.  Il  a  quitté  la  France  pour  quelques  semaines, 


288  LITTÉRATURE, 

et  c'est  la  petite  république  genevoise  qui  occupe  presque  en- 
tièrement les  deux  volumes  de  Bas-Reliefs.  Ne  croyez  pas  ce- 
pendant que  ,  volage  en  ses  goûts  ,  il  ait  reporté  sur  la  cité  de 
Calvin  cet  amour  qu'il  professait  naguère  avec  tant  d'enthou- 
siasme pour  la  grande  ville  par  excellence.  Non,  M.  Born- 
stedt  est  bien  toujours  Parisien ,  et  il  se  montre  tel ,  autant 
que  cela  est  possible  du  moins  à  un  Allemand,  dans  les  cri- 
tiques qu'il  adresse  à  Genève  et  aux  Genevois.  Il  semble  par- 
tager celte  ironie  jalouse  et  moqueuse  que  certains  écrivains 
affectent  toujours,  lorsqu'ils  parlent  de  cette  petite  ville  qui  a 
l'audace  vraiment  bien  téméraire  de  prétendre  échapper  à 
l'influence  de  Paris,  n'être  pas  française  et  conserver  son  in- 
dividualité propre.  Le;  Genevois,  dit-il,  ont  un  amour-propre 
excessif,  ils  se  croient  le  premier  peuple  du  monde,  et  pen- 
sent que  tout  le  monde  s'occupe  d'eux.  Il  y  a  quelque  chose 
de  vrai  sans  doute  dans  cette  accusation  tant  de  fois  répétée. 
Mais  aussi  comment  voulez-vous  qu'une  petite  ville  ne  s'enfle 
pas  un  peu  d'orgueil  ,  lorsqu'elle  voit  chaque  année  des  écri- 
vains ,  d'entre  les  plus  distingués  des  diverses  contrées  de  l'Eu- 
rope ,  s'occuper  d'elle  ,   lui  consacrer  leur'  talent ,  employer 
leur  plume  à  décrire  ses  environs ,  les  mœurs  de  ses  habitans, 
les  institutions  qui  la  régissent,  etc.?  Si  elle  est  si  peu  de  chose, 
pourquoi  vous,  monsieur  de  Bornstedt,   la  mettez-vous  en 
bas-reliefs?  N'est-ce  pas  reconnaître  réellement  sa  supériorité, 
que  delà  juger  digne  de  faire  le  sujet  de  deux  volumes  de  vos 
spirituelles  esquisses?  Mais,  dircz-vous  sans  doute,  c'est  une 
supériorité  étroite ,  matérielle  ,  sèche ,  qui  se  résume  en  écus 
et  n'a  rien  de  poétique,  ni  d'artistique.  Il  y  a  encore  du  vrai 
dans  cette  objection  ,  surtout  ,si  l'on  ne  fait  que  jeter  un  coup 
d'oeil  en  passant ,  si  l'on   s'arrête  à  l'extérieur  fort  peu  at- 
trayant du  Genevois,  et  si  l'on  prétend  juger  son  caractère 
après  avoir  séjourné  à  peine  deux  mois  chez  lui.  Mais  com- 
ment accorder  ce  jugement  si  vivement  tranché  avec  les  faits 
qui  semblent  lui  donner  un   démenti  formel?  Vous  dites, 
qu'au  contraire  de  maintes  villes  a'iemandes  où  l'absence  de 
gens  riches  empêche  lesarts  de  fleurir,  à  Genève,  c'est  justement 
l'affluence  des  gens  riches  qui  semble  produirele  même  îésul- 
tat,  et  cependant  vous  nommez  les  Chaponnière,  les  Praclier, 
qui  sont  sortis  de  Genève;  Ilornung  qui  est ,  dites-vous  ,  le 
plus  grand  coloriste  vivant  ;  Bovy  qui  a  gravé  la  superbe  mé- 
daille de  Calvin  ,  chef-d'œuvre  dû  à  la  munificence  d'un  riche 
Genevois  ,  etc.,  etc.  Ne  voyez-vous  donc  pas  que  cela  implique 
contradiction  ,  ou  que  tout  au  moins  cela  prouve  que  sous  le 
soleil  de  la  liberté,  les  arts  n'ont  pas  besoin  d'une  protection, 
souvent  trop  chèrement  acbetée  ,  pour  fleurir  et  porter  d'ex- 
cellcns  fruits  ? 


HISTOIRE.  289 

Ce  n'est  pas  Genève ,  ce  ne  sont  pas  les  Genevois  qu'il  faut 
considérer  ici;  la  question  doit  être  envisagée  d'un  point  de 
vue  plus  élevé.  Ce  sont  des  institutions  libres  qui  permettent 
à  l'homme,  dans  quelque  condition  qu'il  se  trouve,  de  dé- 
velopper ses  facultés, et  qui,  si  elles  ne  peuvent  extirper  ces 
mauvaises  et  basses  passions  dont  l'influence  est  si  perni- 
cieuse,  les  paralysent  du  moins  jusqu'à  un  certain  point  et 
les  empêchent  d'exercer  un  empire  trop  absolu ,  d'étouffer  ce 
qui  les  gène  ou  les  blesse.  Un  véritable  observateur  y  aurait 
vu  un  sujet  d'intéressante  étude  ;  mais  M.  Bornstedt  n'y  a  pas 
songé.  Il  s'est  contenté  de  répéter,  en  d'autres  termes,  ce  que 
maints  voyageurs  avaient  dit  avant  lui.  Seulement  il  est  plus 
qu'eux  descendu  dans  le  détail  des  querelles  intérieures, 
des  conflits ,  des  prétentions  jalouses  qui  agitent  parfois 
la  petite  ville.  Ici  il  y  a  beaucoup  à  dire  en  effet,  et  les 
rivalités  d'ambition  sur  ce  théâtre  de  poupée  ,  les  velléités 
aristocratiques  d'une  certaine  classe  ,  les  distinctions  de 
rangs,  tranchées  au  point  d'en  faire  presque  des  castes  ,  entre 
gens  qui  s'occupent  tous  plus  ou  moins  de  négoce,  les  vaniteu- 
ses usurpations  de  titres  ou  de  particules  nobiliaires,  sont 
autant  de  sujets  qui  prêtent  fort  à  la  plaisanterie  et  méritent 
d'être  hautement  ridiculisés.  Mais  tout  cela  est  de  bien  mince 
intérêt  hors  des  murs  de  Genève,  et  ne  vaut  guère  la  peine 
que  l'on  en  parle  dans  un  livre  écrit  pour  l'étranger  ;  le  bon 
sens  fait  justice  de  ces  sottes  faiblesses  qui  se  retrouvent  d'ail- 
leurs dans  tous  les  pays  du  monde. 

M.  Bornstedt  l'a  du  reste  senti  lui-même  ,  et  il  rend  pleine- 
ment justice  à  tout  ce  que  les  institutions  genevoises  présen- 
tent de  remarquable.  Sous  ce  rapport ,  son  livre  renferme  des 
détails  intéressans.  Il  consacre  un  chapitre  assez  étendu  à  la 
prison  pénitentiaire,  dont  le  régime  est  aujourd'hui  un  mo- 
dèle à  citer  ;  il  expose  les  merveilles  de  l'industrie  ,  et  rend 
hommage  à  l'instruction  solide  répandue  jusque  parmi  les 
ouvriers  des  fabriques. 

Quelques  portraits  bien  tracés  d'originaux  remarquables 
par  leur  excentricité ,  jettent  du  piquant  dans  sa  narration;  et, 
au  total,  les  Genevois  ne  pourront  pas  se  plaindre  dejla  manière 
dont  l'humoriste  allemand  les  a  traités.  Quelques-uns  seule- 
ment auraient  le  droit  de  l'accuser  d'injustice,  ou  du  moins 
d'une  vivacité  d'expression  un  peu  trop  forte.  Ce  sont  entre 
autres  les  rédacteurs  de  la  Bibliothèque  universelle  dont,  dans 
un  dernier  chapitre  intitulé  :  Critique  genevoise  ,  il  en  attaque 
un  surtoutavec.une  ironie  arrière  et  mordante  ;  mais  ils  ont  la 
plume  et  un  journal  pour  lui  répondre;  entre  eux  le  débat. 
Nous  nous  contenterons  de  remarquer  que  M.  Bornstedt ,  qui 
estime  Alexandre  Dumas  ,  l'auteur  des  Impressions  de  voyage, 


290  LITTÉRATURE , 

comme  l'un  des  principaux  e'crivains  de  l'époque ,  a  mauvaise 
grâce  d'appliquer  ensuite  aux  opuscules  de  M.  Tœpfer  les 
epithètes  dédaigneuses  de  Bùchelchen  (  petits  livrets),  Styl- 
schnœrkelchen  (  rognures  de  style  ).  Pour  être  juste,  il  fau- 
drait mettre  les  Impressions  de  Dumas  sur  la  même  ligne  ,  et 
encore  avouer  qu'il  y  a  quelquefois  plus  d'esprit,  de  gaîté  et  de 
vraie  originalité  dans  les  esquisses  de  M.  Tœpfer ,  quoique 
souvent  aussi  on  y  rencontre  de  l'afféterie  et  de  la  recherché. 
Plusieurs  chapitres  des  Eas-Rdiefs  contiennent  une  excursion 
dans  le  canton  de  Yaud,  dans  une  partie  de  la  Bourgogne,  et 
des  souvenirs  de  Mme  de  Staël,  de  Byron  ,  ainsi  qu'une  notice 
fort  intéressante  sur Bonstetten,  l'aimable  philosophe  bernois 
dont  les  nombreux  écrits  ont  obtenu  un  succès  si  remarquable. 


ODES  ET  POÉSIES  diverses  ,  par  Antoine  Cunyngham.—  Paris,  chez 
Arthus-Bertrand,  1837.  1  vol.  in-18.  3fr. 

Il  est  si  rare  aujourd'hui  de  rencontrer  un  poète  qui  n'ex- 
travague  ni  ne  larmoie,  qui  parle  un  langage  pur  et  harmo- 
nieux, qui  exprime  des  pensées  douces  et  sages  ,  que  l'on  est 
tout  disposé ,  lorsqu'on  en  trouve  un  semblable,  à  lire  ses 
vers  avec  indulgence  et  à  les  juger  favorablement.  On  a  tant 
abusé  depuis  quelque  temps  du  mot  de  poésie  !  On  a  tant 
vu  de  ces  prétendus  inspirés  qui  se  battaient  les  flancs 
pour  faire  du  neuf,  du  terrible  ,  du  bizarre  ,  et  ne  craignaient 
pas  d'aller  remuer  la  fange  la  plus  vile,  les  égoûts  les 
plus  sales  pour  en  tirer,  disaient-ils,  des  émotions  fortes  et 
vraies  !  Le  plus  mauvais  rimailleur  s'imaginait  ainsi  faire 
preuve  de  génie ,  et  inscrire  en  traits  de  boue  son  nom  sur  le 
sommet  du  Parnasse.  D'autres  ,  en  grand  nombre  également , 
suivaient  une  autre  route.  Voyant  l'auteur  des  Méditations 
poétiques  et  des  Harmonies  religieuses  obtenir  un  nom  glorieux 
par  ses  chants  mélancoliques  ou  pieux  ,  tous  ont  voulu  faire 
des  méditations  et  des  harmonies ,  n'importe  avec  quoi  :  on  a 
donc  vu  une  longue  suite  d'imitateurs  ,  la  larme  à  l'œil  et  la 
croix  dans  la  main,  qui  nous  ont  chanté  une  foi,  pleuré  des 
douleurs  qui  n'existaient  que  dans  leurs  vers.  Tout  le  vocabu- 
laire des  lamentations  et  des  litanies  a  été  exploité  par  eux  de 
mille  façons  diverses.  Les  pensées  étaient  ce  dont  ils  se  sou- 
ciaient le  moins  ,  et  pourvu  qu'ils  assemblassent  une  série  de 
sons  sonores,  ils  ne  cherchaient  ni  à  être  compris  ,  ni  à  se  com- 
prendre eux-mêmes.  La  presse  périodique  venait  à  leur  aide, 
en  signalant  à  l'admiration  publique  les  pièces  les  plus  vides 
et  les  plus  empreintes  de  ce  vague  nuageux  ,  qui  paraissait 
être  le  comble  du  sublime. 

Mais  de  tout  ce  mysticisme  charlatan ,  qu'est-il  résulté?  Pas 


HISTOIRE.  29f 

grand'chose  vraiment;  si  ce  n'est  que  les  épiciers  ont  pu  enve- 
lopper leur  sucre  et  leur  café  dans  du  papier  plus  beau  et  plus 
Liane;  que  maints  jeunes  hommes  qui  avaient  pris  au  sérieux 
cette  triste  comédie  ,  ont  vu  toute  leur  existence  compromise 
par  de  cruelles  déceptions,  et  qu'enfin  la  poésie,  vêtue  en  pleu- 
reuse, n'a  plus  trouvé  de  lecteurs  dans  le  public.  Il  n'en 
pouvait  être  autrement ,  dès  qu'on  voulait  substituer  à  la 
pensée  ce  qui  n'est  qu'une  des  formes  diverses  qu'elle  revêt, 
et  qu'on  prétendait  n'écrire  que  pour  les  oreilles,  sans  s'in- 
quiéter de  l'intelligence. 

JVI.  A.  Cunynghain  n'a  point  suivi  cette  mauvaise  route  ;  il 
a  senti  que  le  véritable  rôle  de  la  poésie  était  de  donner  un 
tour  noble ,  énergique  ou  gracieux  à  la  pensée  qui ,  pour 
être  susceptible  d'un  pareil  ornement ,  devait  par  elle-même 
avoir  de  la  noblesse,  de  l'énergie  ,  de  la  grâce.  C'est  une  bril- 
lante parure  destinée  à  rehausser  les  attraits  d'une  belle 
femme;  placez-la  sur  un  monstre  hideux  ,  vous  n'aurez  plus 
qu'un  contraste  choquant. 

Peut-être  1©  titre  d'Odes  paraîtra- t-il  ambitieux  ,  car  la  plu- 
part des  poésies  que  renferme  ce  volume ,  sont  dans  un 
genre  simple,  idyllique  ouélégiaque,  qui  n'approebe  point 
du  délire  inspirateur  de  l'ode.  Mais  aujourd'hui  toutes  les 
limites  qui  séparaient  autrefois  les  diverses  formes  poétiques 
sont  à  peu  près  abattues  ,  et  de  hautes  pensées  philosophiques 
se  mêlant  aux  sujets  en  apparence  les  plus  vulgaires  ,  on  par- 
donnera facilement  la  présomption  du  poète.  D'ailleurs , 
qu'importe  le  titre,  si  l'on  trouve  du  charme  à  la  lecture  ;  et 
certes  je  ne  crois  pas  me  tromper,  en  affirmant  qu'on  lira 
avec  plaisir  quelques-unes  des  poésies  de  31.  Cunyngham. 

Elles  sont  écrites  avec  élégance  et  facilité  ;  point  de  préten- 
tion ,  point  de  gène  ;  une  harmonie  douce,  pure  ,  sans  enjam- 
bemens  forcés  ,  comme  aussi  sans  raideur  pédantesque.  L'a- 
mitié ,  les  plaisirs  de  la  campagne,  les  beautés  de  la  nature, 
tels  sont  les  principaux  sujets  qu'il  traite  de  préférence,  et 
dans  lesquels  il  réussit  le  mieux. 

La  pièce  suivante,  qu'il  adresse  à  un  jeune  poète  qui  fuyait 
le  monde  ,  après  la  perte  de  sa  fortune  ,  m'a  paru  digne  d'être 
citée  ,  pour  faire  connaître  le  genre  du  poète  : 

Hé  quoi  !  toujours  le  Pactole 
Excitera  tes  regrets! 
Quoi  !  toujours  ta  vaine  idole 
Aura  pour  toi  des  attraits! 
Ah  !  si  de  sa  main  légère 
La  Fortune  mensongère 
Ne.  te  verse  plus  ses  biens , 


292        -  LITTÉRATURE, 

Plus  constante  et  plus  sincère  , 
L'Amitié  l'offre  les  siens. 

Quelle  étrange  différence 
Entre  ces  divinités  ! 
L'une  chercbe  la  présence 
De  ceux  que  l'autre  a  quittés; 
L'une,  quand  Tonde  s'irrite  , 
Sans  pitié  ,  contre  Amphitrite, 
Nous  voit  disputer  nos  jours  ; 
L'autre  aux  flots  se  précipite 
Pour  nous  porter  ses  secours. 

Fuis  donc  un  amour  profane 
Pour  la  fille  de  Plutus  ; 
Ce  n'est  qu'une  courtisane 
Qui  hait  toutes  les  vertus, 
Qui  nous  flatte  et  nous  caresse, 
Et  puis  soudain  nous  délaisse 
Pour  quelque  nouvel  amant 
Que  sa  perfide  tendresse 
Fera  dupe  également. 

Crois-moi,  le  bonheur  encore 
Peut  remplacer  tes  ennuis  ; 
Souvent  la  plus  belle  aurore 
Succède  aux  plus  tristes  nuits. 
Mets  seulement  en  usage 
Cette  raison,  ce  courage 
Dont  tout  mortel  a  besoin, 
Et  je  prédis  que  l'orage, 
Ami ,  sera  bientôt  loin. 

Pour  les  chagrins  de  la  vie  , 
Faux  disciple  de  Ziénon, 
Es-tu  sans  philosophie, 
Ou  n'est-elle  qu'un  vain  npm? 
La  félicité  parfaite 
Hélas!  ne  fut  jamais  faite 
.    Pour  le  terrestre  séjour  : 
Les  biens  que  le  Ciel  nous  prête 
H  faut  les  lui  rendre  un  jour. 

Et  souvent  des  dons  célestes , 
Ceux  dont  tu  fus  possesseur  , 
Nous  cachent  des  maux  funestes 
Sous  leur  trompeuse  douceur. 
Aussi  d'Athène  et  de  Rome  , 
Sans  qu'ici  je  te  les  nomme  , 
Les  plus  sublimes  esprits 
Au  métal  qui  séduit  l'homme 
Attachèrent  peu  de  prix. 


HISTOIRE.  •  293 

Jadis  ,  lui  rendant  hommage  , 
Salomon  a  l'Eternel 
Demanda-t-il  en  partage 
L'or  pour  régir  Israël? 
Non  ;  au  lieu  de  la  richesse  , 
11  demanda  la  sagesse 
Qui  vaut  mieux  que  les  trésors, 
Et  par  qui  sa  main  sans  cesse 
Les  répandait  sur  ses  bords. 

Toi  qui  connais  le  Parnasse  , 

Consulte  ses  nourrissons; 

Le  philosophique  Horace 

T'y  donne  encor  des  leçons  : 

Il  t'offre  ,  aux  bords  d'Hippocrène  , 

Une  opulence  certaine 

Dans  la  médiocrité; 

Et  tu  verras  La  Fontaine 

Riche  dans  la  pauvreté. 

Leur  exemple,  de  tes  pertes, 
Ami,  doit  te  consoler, 
Et  de  tes  forêts  désertes 
Parmi  nous  te  rappeler. 
Sans  trop  fuir  la  solitude  , 
Ne  prenons  point  l'habitude 
De  vivre  comme  les  ours... 
Reviens!...  l'amitié  ,  l'étude 
Charmeront  encor  les  jours. 

Tu  fis  jadis  nos  délices 
Par  ton  aimable  gaîté; 
Aujourd'hui,  dans  ses  caprices, 
Montre  au  sort  ta  fermeté. 
Plus  d'une  belle  t'accuse 
D'enterrer  ainsi  ta  muse 
Dans  ton  sauvage  séjour; 
Et  tu  n'as  point  d'autre  excuse 
Que  dans  le  plus  prompt  retour. 

Pour  oublier  tes  disgrâces  , 

Oui  ,  revole  auprès  de  nous  ! 

Bacchus,  l'Amour  et  les  Grâces 

Ici  te  réclament  tous. 

Viens  ;  le  dieu  de  l'harmonie  , 

En  faveur  de  ton  génie, 

Est  prêta  te  pardonner; 

Et  la  jeune  Polymuie 

Yeut  encor  te  couronner. 

L'Ode  a  Béranger ,  celle  à  la  Nature.,  sur  le  Bonheur  de  la 
Vie  champêtre ,  une  Promenade  en  Suisse ,  le  Lac  et  plusieurs. 


294  LITTÉRATURE, 

traductions  sont  également  de  jolies  productions  inspirées  par 
une  philosophie  douce  et  aimable. 

Je  reprocherai  seulement  à  l'auteur  de  n'en  pas  soigner  tou- 
jours assez  les  détails  ,  de  se  négliger  parfois ,  et  de  laisser  les 
chevilles  se  glisser  dans  ses  vers,  comme  l'ode  aux  mânes  de 
Malesherbes  en  offre  maints  exemples.  Mais  ce  sont  des  ta- 
ches qu'un  peu  de  travail  fera  facilement  disparaître. 


REVUE  DU  DAUPHINÉ  publiée  sous  la  direction  de  M.  Jules  Ollivier. — 
Valence,  1837. 

Il  paraît  chaque  mois  une  livraison  de  4  feuilles  grand  in-8°.  Prix 
de  l'abonnement  :  15  fr.  par  an. 

Depuis  quelques  années ,  la  province  fait  de  louables  ef- 
forts pour  secouer  un  peu  le  joug  de  la  centralisation  pari- 
sienne ,  pour  échapper  à  cette  pompe  aspirante  qui  l'épuisé 
et  la  réduit  en  quelque  sorte  à  l'agonie ,  dans  le  seul  intérêt 
d'une  capitale  égoïste.  Chacune  des  anciennes  provinces  fran- 
çaises ,  évoquant  ses  souvenirs  glorieux,  tente  de  ranimer  ce 
patriotisme  que  l'unité  monarchique  a  presque  complètement 
éteint  en  poussant  au-delà  de  toutes  les  bornes  la  centralisa- 
tion administrative.  On  a  vu  tour-à-tour  la  Bretagne ,  l'Al- 
sace,  la   Provence,  etc.  etc.   créer  des  revues  particulières 
dans  ce  but.  Quelques-unes,  parmi  lesquelles  s'est  distingué 
surtout  le  Lycée  Armoricain,  ont  produit  ainsi  d'excellens  re- 
cueils pleins  du  plus  vif  intérêt ,  et  rédigés  avec  un  talent 
fort  remarquable.  Cependant,  en  général ,  soit  faute  de  trou- 
ver assez  de  plumes  exercées  pour  se  soutenir  long-temps , 
soit  parce  qu'elles  n'ont  pu  réussir  à  vaincre  l'apathie  d'un 
public  peu  instruit,  peu  lettré,  dont  toute  l'existence  est 
vouée  à  d'étroits  intérêts  matériels ,  et  qui  partage ,  plus  ou 
moins ,  le  sot  préjugé  de  ne  vouloir  lire  que  ce  qui  sort  des 
presses  parisiennes ,  ces  revues  n'ont  brillé  qu'un  instant  et 
ont  bientôt  disparu  l'une  après  l'autre.  Il  faut  bien  le  dire 
aussi ,  la  plupart,  à  force  de  vouloir  s'éloigner  de  Paris ,  sont 
tombées  dans  l'extrême  opposé.  Rien  de  grand ,  rien  de  large 
et   d'élevé  n'est  venu  leur  donner  un  intérêt  général.  Un 
goût  sévère  a  rarement  présidé  à  leur  rédaction,  et  on  les  a 
vues  se  renfermer  souvent  dans  un  étroit  esprit  de  localité 
qui  décelait  une  complète  ignorance  de  la  marche  des  scien- 
ces et  de  la  littérature. 

La  Revue  du  Dauphiné,  cpii  n'est  encore  qu'à  son  6me  nu- 
méro, paraît  vouloir  prendre  une  allure  plus  large.  L'esprit 
qui  la  dirige  dans  ses  jugemens  littéraires  semble  lui  pré- 
sager une  existence  plus  durable.  Crpeudant  elle  n'échappe 


HISTOIRE.  295 

pas  encoi'e  tout-à-fait  à  ce  reproche ,  et  elle  fera  bien  de 
veiller  avec  plus  de  soin  encore  à  sa  rédaction.  Nous  y  avons 
vu  certains  articles  de  recherches  archéologiques ,  d'autres 
sur  la  puissance  paternelle ,  qui  ne  sont  ni  d'un  intérêt  as- 
sez général,  ni  à  la  hauteur  de  la  science.  Sans  doute  nous 
ne  prétendons  pas  exclure  absolument  tout  ce  qui  est  local, 
car  ce  serait  vouloir  priver  l'histoire  de  détails  qui  en  font  le 
charme  principal,  et  nous  applaudirons  volontiers  à  des  tra- 
vaux tels  que  celui  entrepris  par  M.  J.  Ollivier  sur  la  ville 
de  Valence,  dont  le  dernier  numéro  de  la  Revue  du  Qau- 
phiné  renferme  le  premier  article.  Presque  toutes  les  villes  de 
province  offrent  à  cet  égard  de  riches  mines  à  exploiter;  mais 
il  faut  toujours,  autant  que  possible,  apporter  dans  ce  genre  de 
recherches  des  vues  élevées  et  générales;  elles  seules  peu- 
vent les  féconder  et  en  tirer  un  parti  avantageux.  D'autres 
fragmens  qui  nous  ont  paru  dignes  d'éloges  dans  la  Revue  du 
Dauphiné ,  sont  ceux  sur  la  Biograpbie  de  Camille  Desmou- 
lins ,  l'un  des  caractères  les  plus  intéressans  parmi  les  hom- 
mes que  la  Révolution  a  mis  en  évidence.  Avec  de  tels  ma- 
tériaux,  un  recueil  périodique  peut  aspirer  à  \\\\  véritable 
succès,  surtout  s'il  sait  y  joindre  une  critique  judicieuse, 
impartiale  et  sévère. 


UN  TOURLOEROU  ,   par  Ch.  Paul  de  Kock.=  MOEURS  PARISIENNES, 

Nouvelles,  par  le  même.  —  Paris,  1837.  3  vol.  in-8.  22  fr.  50  c. 

Les  Mœurs  Parisiennes  renferment  :  Un  Homme  à  marier,  Une  Soi- 
rée bourgeoise,  Une  Partie  de  plaisir,  Un  Bal  costumé,  Une  Fête  aux 
environs  de  Paris,  Un  Bal  de  Grisettcs. 

Quand  on  a  lu  un  roman  de  Paul  de  Rock,  on  peut  dire  qu'on 
connaît,  non-seulement  tous  ceux  qu'il  a  faits,  mais  encore 
tous  ceux  qu'il  fera.  Jamais  imagination  de  romancier  ne  fut 
moins  féconde  que  la  sienne.  Le  tissu  de  ses  trames  est  tou- 
jours composé  de  petits  incidens  empruntés  à  l'existence  fort 
vulgaire  des  classes  inférieures  de  la  société.  C'est  un  thème 
sur  lequel  il  fait  sans  cesse  de  nouvelles  variations  qui  se 
ressemblent  toutes.  Quelques  détails  frappans  de  vérité  sont 
bien,  peut-être  ,  semés  çà  et  là,  mais  sans  but ,  sans  portée  , 
sans  liaison.  C'est  comme  un  peintre  de  paysage  qui  s'attache 
à  reproduire  avec  la  plus  minutieuse  exactitude  un  tas  de 
fumier  adossé  contre  une  vieille  masure,  sans  s'occuper  du 
reste  de  son  tableau ,  ni  de  l'effet  que  produira  l'ensemble. 
Des  grisettes,  des  étudians,  quelques  petits  bourgeois  pari- 
siens, voilà  le  monde  dans  lequel  M.  P.  de  Rock  puise  tous 
ses  types,  et  encore  les  exagère-t-il  toujours  de  manière  à  les 


296  LITTÉRATURE , 

rendre  bien  plus  ridicules  qu'ils  ne  peuvent  jamais  être  dans 
la  réalité.  Les  aventures  galantes  jouent  dans  ses  romans  à 
peu  près  le  même  rôle  que  dans  ceux  de  Pigault-Lebi  un 
dont  ils  sont  une  pâle  copie.  C'est  la  même  légèreté  en  par- 
lant du  vice  et  des  désordres  les  plus  funestes  ;  c'est  le  mênie 
penchant  à  rire  de  tout  et  à  semer  avec  une  coupable  insou- 
ciance des  germes  corrupteurs  dans  l'esprit  du  public  peu 
instruit,  et  en  général  assez  mal  élevé,  pour  lequel  sont 
écrits  de  pareils  livres. 

Du  reste,  on  n'en  saurait  faire  l'analyse,  car  c'est  une  suite  de 
conversations  assez  décousues  ,  de  descriptions  dans  lesquelles 
l'auteur  se  sert  toujours  du  temps  présent  du  verbe ,  et  si 
l'on  écarte  ce  verbiage,  au  fond  l'on  ne  trouve  rien  qu'une 
misérable  bluette  qui ,  sous  une  autre  plume  ,  aurait  fourni 
tout  au  plus  la  matière  d'une  mince  anecdocte  de  quelques 
pages.  M.  P.  de  Rock  semble  parfois  écrire  des  exemples  de 
règles  grammaticales  plutôt  qu'un  roman  ,  tant  ses  périodes 
sont  courtes  et  sans  liaison  aucune. 

Ce  style  haché  ne  produit  pas  un  mauvais  effet  dans  de 
courts  fragmens  ;  et  le  troisième  volume ,  intitulé  Mœurs  Pa- 
risiennes ,  renferme  plusieurs  morceaux  tels  qu'une  Fête  aux 
environs  de  Paris ,  qui  ont  déjà  été  publiés  dans  divers  re- 
cueils et  qui  me  semblent  être  ce  que  l'auteur  a  fait  de 
mieux.  Ce  serait  là,  je  crois,  le  véritable  caractère  de  son  ta- 
lent, qui  excelle  à  peindre  certaines  scènes  grotesques  de  la 
vie  commune.  Mais ,  en  vérité ,  cette  manière  d'écrire  n'est 
pas  supportable  dans  un  récit  de  longue  haleine ,  et  l'on  ne 
peut  comprendre  comment  ses  romans  sont  parvenus  à  ob- 
tenir le  succès  qu'ils  ont. 

N'oublions  pas  de  dire,  en  terminant,  pour  l'instruction  de 
nos  lecteurs  qui ,  pour  la  plupart  sans  doute  ,  ignorent  ce  que 
c'est  qu'un  Tourlourou,  qu'on  appelle  ainsi  aujourd'hui  ce 
qu'on  nommait  jadis  un  Jean-Jean ,  c'est-à-dire  un  conscrit 
encore  novice. 


HISTOIRE  ET-  MODÈLES   DE  LA   LITTERATURE  FRANÇAISE  ,  par  Léon 
,  Hcdevy.  —   Paris,  «.liez  D.  Eyaiery,  quai  Voltaire,  "là.  1837.  2  vol 
in-18,  6  fr. 

Sous  ce  titre  ,  M.  L.  Halevy  a  fait  un  petit  Dictionnaire  bio- 
graphique de  tous  les  liltéraieurs  français  ,  qui  donne  quel- 
ques notions  pleines  d'intérêt  sur  leurs  vies  ,  sur  leurs  tra- 
vaux ,  sur  l'époque  où  ils  ont  vécu ,  ainsi  que  des  fragmens 
destinés  à  faire  connaître  le  genre  de  leurs  talens  ,  et  extraits 
des  ouvrages  les  plus  remarquables  qu'ils  ont  laissés.  Rédige 
avec  un  goût  pur  et  écrit  avec  clarté,  cet  ouvrage  pourra  être 


HISTOIRE.  297 

fort  utile  aux  jeunes  yens,  en  leur  apprenant  de  bonne  heure 
à  estimer  toutes  nos  richesses  littéraires,  et  en  leur  offrant  les 
meilleurs  modèles  à  suivre.  Peut-être  ,  l'auteur  aurait-il 
mieux  fait  de  donner  à  son  œuvre  plus  d'étendue ,  et  de  mul- 
tiplier davantage  ses  citations.  Mais  il  n'a  cependant  négligé 
rien  de  ce  qui  était  essentiel,  et  indiquant  avec  soin  tous  les 
chefs-d'œuvre  qui  ont  obtenu  la  sanction  de  la  postérité  , 
il  servira  d'introduction  et  de  guide  à  une  connaissance  plus 
approfondie  de  la  littérature  Française.  Quelques  morceaux 
nous  ont  paru  assez  remarquables  ;  entr'autres  ,  le  tableau  lit- 
téraire de  la  fin  du  xvnie  siècle.  C'est  une  rapide  et  bril- 
lante revue  de  toutes  les  gloires  des  lettres  françaises  durant 
cette  mémorable  période.  Cependant,  M.  L.  Halevy,  écrivant 
principalement  pour  la  jeunesse,  aurait  mieux  fait  de  ne  pas 
nommer  certains  écrivains  dont  la  renommée  n'est  ni  très- 
pure  ,  ni  bien  certaine. 

La  littérature  contemporaine  a  trouvé  place  à  la  fin  du 
second  volume  ;  mais  l'auteur  s'est  borné  à  donner  quelques 
fragmens  de  divers  écrivains.  En  effet,  il  ne  pouvait  y  ajouter 
des  notices  dans  lesquelles  critiques  ou  éloges  eussent  pu  pa- 
raître également  suspects. 

Ces  deux  volumes  prendront  ainsi  place  parmi  le  petit 
nombre  de  livres  qu'on  voit  figurer  avec  plaisir  dans  la  bi- 
bliothèque des  enfans,  qui  n'y  peuvent  puiser  que  le  goût 
de  l'étude  et  l'amour  du  beau. 


HISTOIRE  DES  SALOXS  DE  PARIS,  tableaux  et  portraits  du  grand 
monde,  sous  Louis  XVI,  le  Directoire,  le  Consulat  et  l'Empire,  la 
Restauration  et  le  règne  de  Louis-Philippe  Ier;  par  la  duchesse 
d'Abrantès.—  Paris,  1837.  2 vol.  in-8.  16  fr. 

Pour  madame  d'Abrantès,  l'histoire  des  peu  pies  est  dans  celle 
des  salons.  A  ses  yeux,  le  grand  monde  est  le  représentant  de 
toutes  les  époques  remarquables.  Elle  attache  aux  salons  une 
importance  qui  sans  doute  paraîtra  bien  ridicule  à  la  foule 
qui  n'y  met  jamais  les  pieds  et  qui  vit  et  meurt  sans  s'inquiéter 
de  ce  qui  s'y  passe,  mais  qui  flattera  ceux  qui  les  composent, 
et  assurera  le  succès  de  son  livre  dans  ce  inonde  où  la  mode 
règne  en  souveraine  et  où  quiconque  flatte  ses  caprices  est 
certain  de  réussir.  Les  personnages  dont  les  noms  célèbres 
ont  fourni  la  matière  de  ces  deux  premiers  volumes  sont  : 
madame  Necker,  madame  de  Polignac  ,  l'archevêque  de 
Beaumont ,  la  duchesse  de  Mazarin  ,  l'abbé  Moreilet ,  ma- 
dame Roland,  madame  de  Brienne,  le  cardinal  de  Loménie, 
la  duchesse  de  Chartres  ,  la  comtesse  de  Genlis ,  Condorcet, 

ai 


298  LITTÉRATURE,  HISTOIRE 

la  comtesse  de  Custine ,  madame  de  Montesson ,  et  enfin 
madame  de  Staél.  L'auteur  s'entend  fort  bien,  on  le  voit,  à 
réunir  tout  ce  qui  peut  piquer  l'intérêt  des  lecteurs  et  exci- 
ter leur  curiosité.  Il  est  vrai  que  la  plupart  de  ces  personnes 
lui  ont  été  entièrement  inconnues,  qu'elle  n'a  pu  assister 
aux  réunions  qui  s'assemblaient  cliez  elles,  et  que,  comme 
sans  doute  on  ne  s'imaginait  guère  qu'un  jour  viendrait  où 
l'histoire  des  salons  serait  considérée  comme  une  fort  grave 
matière ,  il  n'est  pas  resté  de  documens  sur  lesquels  on  puisse 
s'appuyer  pour  tracer  leurs  portraits  ressemblans ,  pour  en 
offrir  des  tableaux  vrais  et  copies  d'après  nature.  Quelques 
mots  épars  çà  et  là  dans  des  mémoires  que  tout  le  monde  a 
lus,  quelques  anecdotes  qui  ont  été  déjà  si  souvent  répétées 
que  chacun  les  sait  par  cœur,  voilà  donc  les  seules  ressources 
qu'ait  pu  trouver  madame  d'Abrantès  pour  s'aider  à  rem- 
plir les  conditions  de  son  titre.  Sa  grande  facilité  de  style, 
son  art  de  conter  et  de  délayer  le  moindre  récit  dans  un  grand 
nombre  de  pages,  lui  ont  fourni  le  moyen  de  créer  ainsi  un 
livre  avec  presque  rien.  C'est  un  talent  que  tous  ne  possèdent 
pas  ;  mais  bien  des  gens  souriront  de  pi^tié  en  lisant  maints 
passages  dans  lesquels  l'auteur  laisse  percer  une  tendance 
aristocratique  des  plus  marquées.  L'étiquette  est  pour  elle 
une  affaire  d'état,  et  peu  s'en  faut  qu'elle  n'attribue  la  révolu- 
tion française,  tous  ses  excès  et  toutes  ses  conséquences ,  aux 
robes  trop  simples  que  portait  Marie-Antoinette. 

En  vérité ,  quand  on  voit  de  telles  extravagances  sérieuse- 
ment avancées  et  soutenues  par  des  écrivains  qui  fréquentent 
les  salons  d'aujourd'hui  et  qui  ont  quelque  peu  la  prétention 
d'en  diriger  sans  doute  l'esprit,  d'y  donner  le  ton,  on  ne  peut 
s'empêcher  de  redouter  l'avenir.  Quoi  !  toutes  les  rudes 
leçons  du  passé  sont  déjà  oubliées  !  La  terrible  voix  révolu- 
tionnaire est  étouffée  par  les  caquetages  du  grand  monde ,  et 
toutes  les  conquêtes  du  bon  sens  si  chèrement  achetées  sont 
encore  sacrifiées  aux  puérils  hochets,  aux  vieux  oripeaux  de 
l'étiquette  et  de  la  morgue  nobiliaire  !  Déplorable  servilité, 
ridicule  aveuglement,  qui  menacent  de  replonger  la  société 
dans  des  troubles  et  des  convulsions  sans  fin. 

On  trouvera  probablement  que  voilà  de  biens  sinistres  pré- 
visions à  propos  d'une  binette  littéraire.  C'est  vrai,  mais  il. 
ne  faut  pas  oublier  que  l'auteur  a  prétendu  faire  un  ouvrage 
grave  et  qu'elle  considère  les  salons  comme  jouant  un  rôle 
tiès-important  dans  l'histoire. 


RELIGION ,  PHILOSOPHIE ,  MORALE  ,  ÉDUCATION.  299 

RELIGION,    PHILOSOPHIE,   MORALE,    EDUCATION. 


HISTOIRE  DES  DOCTRINES  MORALES  ET  POLITIQUES  DES  TROIS 
derniers  siècles  ,  par  /.  Matter,  inspeètcur-gcnéral  des  études. 
—  Paris,  chez  Ab.  Clierbuliez  et  C,  1837.  Tome  111. 

L'ouvrage  est  complet  en  3  vol.  in-8.  Prix  :  22  fr.  30  c 

La  révolution  d'Amérique  et  celle  de  France  forment  le  su- 
jet de  ce  troisième  volume  qui  complète  le  vaste  tableau  que 
M.  Matter  s'était  donné  la  tâche  de  soumettre  aux  médita- 
tions de  tous  les  hommes  éclairés  qui  voient  dans  la  marche 
des  événemens  autre  chose  que  le  fait  matériel,  et  cherchent 
à  puiser  dans  l'histoire  du  passé  des  leçons  pour  la  conduite 
de  l'avenir. 

Il  juge  la  révolution  américaine  d'une  manière  fort  re- 
marquable ,  exempte  de  toute  passion  et  bien  supérieure  à 
tout  ce  que  la  discussion  toujours  plus  ou  moins  envenimée 
par  l'esprit  de  parti  avait  produit  jusqu'ici. 

Elle  est  à  ses  yeux  la  seule  qui,  sans  prétendre  établir  des 
doctrines  nouvelles,  et  se  contentant  d'appliquer  avec  bon 
sens  les  meilleures  d'entre  celles  qui  avaient  été  émises  jus- 
que là  ,  sut  rester  constamment  dans  les  limites  de  la  légalité 
et  de  la  justice,  et  obtenir  ainsi  une  action  profonde  sur  tous 
les  autres  états  civilisés.  Elle  n'inventa  rien  de  nouveau,  sans 
doute ,  mais  elle  réussit  si  bien  à  mettre  en  pratique  les  piinci- 
pes  jetés  dans  le  monde  parles  révolutions  qui  l'avaient  pré- 
cédée ,  qu'on  s'accorda  dès-lors  à  reconnaître  en  fait  de  doc- 
trines politiques  une  école  américaine.  Or  cette  école  n'existait 
en  réalité  que  dans  l'esprit  de  ses  admirateurs  ou  de  ses  ad- 
versaires ,  car  elle  ne  songeait  qu'à  faire  appel  au  bon  sens  , 
critérium  auquel  elle  soumettait  toutes  ses  institutions  ,  tous 
ses  actes,  en  cherchant  avant  tout  à  maintenir  l'ordre  et  à 
faire  respecter  la  loi. 

La  religion,  ou  plutôt  le  sentiment  religieux  présida  dès 
l'origine  à  toute  sa  conduite;  car  ce  puissant  mobile,  inné  au 
cœur  de  l'homme,  se  mêle  plus  ou  moins  à  toutes  ses  grandes 
actions.  Mais  ce  ne  fut  point  le  fanatisme  aveugle  qui  avait 
ensanglanté  les  révolutions  d'Angleterre  et  des  Bays-Bas  ;  ce 
ne  fut  point  le  dogmatisme  sec  et  exclusif  qui  était  venu  en- 
traver la  marche  de  la  réforme  du  xvie  siècle.  La  religion 
se  montra  en  Amérique  sous  sa  forme  la  plus  noble  et  la  plus 
pure.  «  Ce  ne  fut  pas  la  religion  savante;  ce  fut  la  religion 
»  simple  et  bonne ,  ce  fut  presque  la  religion  grossière , 
»  mais  ce  fut  la  religion  sincère  et  calme,  ce  fut  la  religion 
»   véritable. 

»  En  effet,  on  débuta  par  des  jeûnes  et  des  prières  ,  et  ou 
»   continua  les  prières  pendant  toute  la  lutte.   Quand  tout 


300  RELIGION,  PHILOSOPHIE, 

»  fut  fini ,  on  pria  encore ,  mais  on  ne  pria  ni  comme  avaient 
»  fait  les  Puritains  ,  ni  comme  avaient  fait  les  Ligueurs  ,  ni 
«  comme  avaient  fait  les  Anabaptistes,  ni  comme  avaient  fait 
»  les  auteurs  des  Vêpres  siciliennes;  il  n'y  eut  aux  colonies 
»  ni  un  Procida,  ni  un  Muntzer,  ni  un  Jean  de  Leyde ,  ni 
»   un  Jacques  Clément ,  ni  un  Knox ,  ni  un  Cromwell.  Un 
»  esprit  de  piété  tendre  et  vraie  régnait  là ,  au  contraire , 
»  depuis  l'origine.  Yoici  dans  quels  termes  un  historien  des 
»  premières  années  de  la  Nouvelle-Angleterre  peint  un  dé- 
»  part  et  une  arrivée  d'émigrans.  «  Ils  savaient  qu'ils  étaient 
»  pèlerins  et  étrangers  ici -bas.  Ils  ne  s'attachaient  pas  aux 
»   choses  de  la  terre ,  mais  levaient  les  yeux  vers  le  ciel , 
»>  leur  chère  patrie,  où  Dieu  avait  préparé  pour  eux  sa  cité 
»  sainte....  La  nuit  se  passa  en  pieux  discours....  Le  lende- 
»  main  ils  se  rendirent  à  bord;  ce  fut  alors  qu'on  ouit  de 
»  profonds  soupirs  et....  d'ardentes  prières  dont  les  étrangers 
»  eux-mêmes  furent  émus.  Le  signal  du  départ  étant  donné, 
»  ils  tombèrent  à  genoux,  et  leur  pasteur  levant  au  ciel  des 
»  yeux  pleins  de  larmes,  les  recommanda  à  la  miséricorde 
»  du  Seigneur.  »  Ils  étaient  partis  de  Deift.  A  leur  arrivée 
>.  sur  les  rives  de  l'Hudson  ,  ils  virent  bien  que,  «  pour  trou- 
»  ver  un  peu  de  paix  et  d'espoir  ,  ils  devaient  tourner  leurs 
»  regards  en  haut.   » 

Cette  piété  vive  et  sincère  domina  leur  révolution;  et,  alliée 
à  l'amour  du  travail  et  à  une  saine  instruction  qui  leur  fit 
voir  dans  les  lumières  la  meilleure  sauvegarde  de  la  vertu , 
elle  devint  la  source  de  toutes  leurs  institutions  nouvelles. 
Les  principaux  caractères  de  cette  révolution  furent  : 
Une  tolérance  parfaite  qui  fit  déclarer  tous  les  cultes  égaux 
devant  la  loi; 

Un  ordre  et  une  sagesse  admirables  qui  ne  laissèrent  point 
de  place  aux  folles  théories ,  à  de  vains  débats  ; 

Un  respect  de  la  loi  qui  la  plaça  au-dessus  de  tous  les 
fonctionnaires  de  l'Etat,  comme  un  palladium  auquel  pou- 
vait avoir  en  tout  temps  recours  le  citoyen  lésé  dans  ses  droits  ; 
Enfin  ,  une  appréciation  rigoureuse  de  l'équilibre  des  pou- 
voirs et  du  degré  d'autorité  qu'il  convenait  de  laisser  à  cha- 
que commune,  pour  empêcher  cette  centralisation  dévorante 
qui  conduit  tout  droit  au  despotisme. 

Ces  graves  résultats  fixèrent  bientôt  l'attention  de  toute 
l'Europe.  Ils  excitèrent  une  vive  sympathie  surtout  en  France 
où  les  ouvrages  des  philosophes  de  l'époque  avaient  déjà 
préparé  les  esprits,  et  où  les  doctrines  de  répression  violente, 
si  rudement  appliquées  par  Louis  XIV,  n'avaient  plus  entre 
les  mains  de  ses  débiles  successeurs  la  puissance  de  compri- 
mer les  manifestations  de  haine  et  de  vengeance  qui  se  lai- 
aient  joui  de  toute  part. 


MORALE,  ÉDUCATION.  30Ï 

Mais  si  la  révolution  d'Amérique  vint  retentir  en  France 
et  put  contribuer  par  l'exemple  à  hâter  l'explosion  ,  là  se 
borna  malheureusement  toute  son  influence.  En  imitant  le 
courage  des  Américains  à  secouer  le  joug  de  leurs  oppres- 
seurs, les  révolutionnaires  français  ne  suivirent  point  de 
même  la  marche  juste  et  raisonnable  qui  avait  fait  triom- 
pher la  liberté  dans  le  Nouveau- Monde.  Avec  des  griefs  non 
moins  insupportables  et  plus  anciens  encore  que  ceux  des 
colons,  ils  ne  surent  pas  mettre  la  justice  de  leur  côté  en 
s'attachant  exclusivement  a